
112: daddy duties
Ecrit par Gioia
***Stella Muamini***
C’est d’un pas furieux
que j’entre et je hurle le nom de Hadassah qui se matérialise aussitôt devant
moi.
— Tu as une
seconde pour m’expliquer ce qui t’a pris ! je
crie si fort que j’en tremble.
-Je__, c’était pas mon
intention de te causer des ennuis, elle chuchote, mais son excuse ne fait qu’accroître
ma colère.
— Est-ce que tu
as déjà eu envie d’en causer Hadassah ? Non, pourtant
tu te débrouilles régulièrement pour être un nid à emmerdes ! Comment tu as su qui il était ?
-Je__, j’ai entendu
des choses entre toi et tata Mie alors, je__, j’ai fait des recherches, elle me
répond penaude et je ne peux m’empêcher de rire de dérision.
— Des recherches
hein ? Tu cherchais quoi au
juste Hadassah ?
Qu’est-ce que tu cherches que je ne t’ai pas donné ? Tu entends des choses et au lieu de
m’interroger, tu vas jouer à l’espionne derrière moi. Voilà maintenant ce que
tu as créé. Voilà, tu es contente ?
— Je lui ai pas
demandé de venir ici, elle répond sur le même ton agité que le mien.
— Monte dans ta
chambre ! je lui ordonne avant de
perdre totalement patience et lui dire des choses que je regretterai plus tard.
Je suis tel un fauve
en cage, qui tourne à la recherche d’une solution à un problème aussi compliqué
que la captivité. Ma sœur, j’ai besoin de parler à Michelle. Au diable le
décalage horaire. C’est la première chose dont elle se plaint en décrochant,
mais sa voix s’éclaircit dès que j’invoque le prénom Romelio.
— Il est là Mie ! Il est sorti de nulle part tout à l’heure
comme un fantôme et__, merde qu’est-ce que je dois faire avec Etienne ?
— Une seconde,
attend je me lève du lit, il, genre Romelio est là ? Tu veux dire chez toi en France ? Comment ça ?
— Je sais pas
Sherlock, peut-être qu’il s’est ramené grâce à Hadassah qui l’a ramené dans nos
vies après avoir entendu sa chère tata Mie me prendre la tête pour une décision
qui ne la regardait en rien ! je ne
peux m’empêcher de lui cracher.
— Non ! elle s’écrie longuement sur un ton paniqué.
Mes lèvres tremblent
tellement que je me passe la main dans les cheveux pour les calmer.
— Tu veux___well
shit, je suis désolée. Qu’est-ce que tu comptes faire du coup ?
— Tu te dis bien
que je n’aurais pas appelé si j’avais déjà une idée ! Il a réclamé une rencontre avec la petite en
plus de me menacer qu’il se pointerait tous les jours à la maison jusqu’à ce
que je lui donne accès à elle.
— Aïe, ça sent
pas bon. Et Etienne ?
Comment il le prend ?
— Il est en
voyage heureusement.
— En voyage ? Encore une fois sans toi ?
— Écoute ce n’est
pas le moment ! J’ai
plus important à régler.
— C’est bien le
moment Stella ! Tu
n’en as pas marre de tourner en rond depuis sept ans avec ce type qui te
reproche on ne sait quoi ? Tu
n’en as pas marre d’imposer votre égoïsme à__
— J’ai appelé
pour avoir de l’aide, pas du jugement et c’est facile de parler en tant
qu’outsider. Etienne a pris et accepté Hadassah comme sa fille. De sa naissance
jusqu’à présent, c’est lui qui s’en est occupé. Il lui a donné un nom, alors tu
parles de lui avec du respect merci.
— Qu’il
commence par se respecter__, bref we have bigger fish to fry. Puisqu’il n’est pas là, profites-en pour régler
rapidement le truc avec Romelio. Ce qu’il t’a demandé c’est une rencontre avec la
petite si je t’ai bien suivi ?
— Oui.
— Dans ce cas, accorde-le-lui.
— Mais je fais
quoi s’il commence à me harceler après ça ? je l’interroge
d’une voix apeurée.
— Je sais pas
moi, elle me répond sur un ton tout aussi agité. Vas-y, et on espère que ça l’encouragera
à être raisonnable.
Je raccroche environ
cinq minutes plus tard et pendant une heure, j’essaie de me distraire autant que
possible, sans succès. J’étais si tracassée qu’Etienne m’a fait la remarque à
différentes reprises durant notre appel. Ce n’est qu’à l’heure du dîner que je me
décide à faire signe à Romelio. On s’entend sur une heure, et cette rencontre
me hantera tellement que j’en passerai une sale nuit.
— Tu n’as pas
dormi ? je demande à Hadassah le
lendemain. Sa mine est aussi sombre que la mienne.
— Si.
— Alors, qu’est-ce
qui t’arrive ?
— Est-ce que tu
as des problèmes avec ce monsieur ? elle me
questionne sur un ton effrayé et je me sens aussitôt coupable. Je me suis
emportée contre elle, j’ai paniqué, mais je n’ai pas pris le temps de discuter
avec elle, pourtant nous sommes sur le point de sortir de la maison.
— Je n’ai pas de
problèmes avec lui chérie, je la rassure en lissant des mèches rebelles qui ne
tiennent pas dans sa couette. Il veut juste te parler. Lorsqu’on finira avec
lui, on pourrait se louer des vélos et faire une randonnée ? je lui propose et le sourire que je reçois en
retour illumine mon cœur. On sort main dans la main, et je me rassure avec l’idée
que Romelio était un mec compréhensif à l’uni. Il était super sympa aussi, alors
j’espère qu’il a gardé cette qualité et comprendra mes explications.
Il était sur place à
mon arrivée et le regard doux comme le velours qu’il darde sur Hadassah ne fait
qu’amplifier la voix coupable qui me sermonnait de temps à autre depuis hier.
— Vous avez
déjeuné ? il nous interroge après
qu’on s’est installé.
— Il est 9 h
passé, je lui rappelle.
— OK, mais n’hésitez
pas si vous avez envie de quelque chose, je le prends en charge, il nous propose,
mais ce n’est que Hadassah qu’il observe et cette dernière évite son regard.
Je me racle la gorge
et prends la main de ma fille sous la table.
— Nous sommes là.
De quoi voulais-tu tant parler ? j’insiste
bien sur le nous pour lui faire comprendre que je ne bougerai pas d’ici.
— Ça va Hadassah ?
Elle hoche simplement
la tête.
— Je suppose que
tu connais déjà mon nom, mais le complet c’est Romelio Tchaa Bemba, il commence
et je l’observe confuse. À quoi il joue ?
— Si tu as des
questions à me poser, n’hésite surtout pas. Pour toi je serais un livre ouvert.
Elle hoche à nouveau
la tête, et n’ajoute rien après ça. Ce n’est pas surprenant pour moi. Ma fille
est très fermée aux étrangers et même si c’est méchant, une partie de moi est
contente qu’elle ne change pas brusquement pour Romelio. Etienne est son père.
C’est le père que je lui ai donné et je préfère qu’elle reste avec lui, avec nous.
Ce n’est pas à 13 ans qu’on trouble un enfant en introduisant dans sa vie
une seconde figure paternelle. C’est tard pour ça. Romelio croyait que ça
serait facile, je le sens à son expression légèrement troublée.
— Tu fais quelle
classe actuellement ? il reprend
toutefois.
— Je passe en
troisième, elle murmure.
— Tu as hâte ?
— Je sais pas,
elle réplique et encore une fois l’expression de Romelio témoigne qu’il vient
de se prendre le mur. Il le comprend. Rien d’étonnant, comme j’ai dit. Ma fille
ne s’ouvre simplement pas aux gens en dehors de son petit cercle.
— Je n’avais pas hâte
de reprendre l’école aussi, il dit avec un petit sourire gêné.
Il manque de sujet de
conversations. Il va s’en rendre compte très bientôt, et Hadassah lui sert
encore un hochement de tête.
— Je suis un vieux
monsieur de 34 ans moi. J’ai encore besoin d’un réveil pour être à l’heure
au travail et je vis à Lomé, une petite ville accueillante qu’un jour j’espère
te faire visiter. Tu sais où se trouve le Togo sur la carte d’Afrique.
— Non.
— Tu n’es jamais
allé en Afrique ?
Elle secoue la tête.
— Il faudra qu’on
y remédie alors. On en profitera pour te montrer aussi le Congo Brazza, le pays
de mon père.
— Pour le moment,
elle reprend l’école bientôt, je lui rappelle, parce que j’ignore à quoi il
joue. Il se met à donner des infos sur lui quand personne ne lui a demandé.
— Cela va de soi.
Je parle d’un futur proche. En décembre par ex__
— Elle sera avec
nous, c’est Noël, je lui rappelle avec agacement.
— On en
reparlera, il me dit sur un ton ferme qui ramène brusquement les craintes que j’avais
hier.
-Bon__euh, il faut qu’on
te laisse. Nous avons une longue journée qui nous attend, j’abrège rapidement.
Il hoche la tête,
règle les deux bouteilles d’eau et le jus d’orange qu’il a consommé, mais en
sortant, je le trouve derrière nous, dans le sens où, il nous suit, au lieu de
prendre sa voie.
— C’est quoi le
deal avec les cheveux blancs ? il nous
prend de court en demandant à Hadassah.
— Beh ce sont mes
cheveux, pourquoi ?
— Tu es trop
jeune pour te les colorer.
— Ma maman me l’a
permis, elle lui répond sur la défensive. Il ne s’y connaît pas avec les
enfants. J’en suis persuadée maintenant, parce qui dans sa position
critiquerait ouvertement une ado dont on veut se rapprocher ?
— OK. J’ai quand
même aimé passer du temps avec toi, tes cheveux blancs, et ta petite voix qui n’aime
pas qu’on l’entende souvent, il lui dit sur un ton blagueur.
-Umm__merci ? je suppose ? Hada lui répond avant de s’engouffrer dans la
voiture et dès qu’elle ferme sa portière, il se lance avant moi.
— J’aimerais la
voir trois fois par semaine.
— Tu ne pousses
pas le bouchon s’il te plaît ! On n’est
pas en vacances comme toi. J’ai un emploi qui demande que je sois présente et
ma fille ne sort pas de la maison en mon absence.
— L’heure m’importe
peu. On peut le faire après ton boulot, ou du vendredi au dimanche, selon ce
qui t’arrange.
Ce qui m’arrange c’est
que tu retournes à ta vie, c’est ce que j’ai comme réponse sur le bout de ma
langue, mais je lui en donne une autre.
— Qu’est-ce que
tu veux accomplir au juste ? Je suis
une femme mariée et les week-ends nous les passons en famille. On ne peut pas
tout chambouler parce que tu as subitement des exigences. Je ne m’insère pas
dans ta vie de__, tu es en couple d’abord ? je
finis par demander parce qu’à son doigt, il ne porte aucune alliance maintenant
que j’y prête attention.
— Ce que je veux,
je te l’ai dit. C’est ma fille. Je veux faire partie de sa vie et il est hors
de question que j’attende un mois, ou une année de plus. Si tu n’as pas pensé à
ta famille avant de me cacher son existence, j’ignore pourquoi tu crois que je
devrais m’en soucier. Tu te débrouilles comme bon te semble, mais je veux la
voir au moins deux fois par semaine d’ici sa reprise scolaire. Je n’ai pas beaucoup
de temps à faire ici avant de rentrer chez moi, alors je compte en profiter. Ne
m’oblige pas à me lancer dans la voie légale, je n’ai pas envie qu’on envenime
les choses s’il y a d’autres façons de procéder, mais je n’hésiterai pas si tu__
— Tu sais quoi,
vas te faire mettre ! je lui
lance et claque furieusement ma portière après m’être installée dans ma voiture.
J’ai bien dit « qu’il aille se faire mettre ! », c’est
mon dernier mot. C’est ce que j’avais décidé ce jour-là du moins, mais les
suivants, il se pointait quelques fois au parc devant notre maison. Je l’ai
appris d’une de mes voisines, une vieille commère qui s’est empressée de me raconter
que l’homme avec qui je m’engueulais dernièrement était repassé. Et elle ne s’est
pas gênée pour souligner son air de ressemblance avec Hadassah, jusqu’à me
demander s’il s’agissait de son oncle. Cette remarque m’a ramené en arrière, sept
ans plus tôt quand les traits de ma fille sont devenus le sujet des cancans chez
les Muamini. Avant ces bruits, Etienne, Hada et moi formions une famille régulière,
aimante qui essayait de prendre la vie comme elle venait. Nous n’avions pas
tout, mais nous étions unis. Etienne est revenu dans ma vie après la séparation
avec Romelio. J’étais déjà enceinte. Je l’ai découvert un peu tardivement, mais
dès que je l’ai su, Etienne était à mes côtés. Il était si présent que je n’ai
pas ressenti le besoin de me tourner ver Romelio. Je ne voulais pas du rôle de
la meuf qui forçait son retour dans la vie du mec qui était passée à autre chose
avec une nouvelle meuf qu’il affichait régulièrement sur ses réseaux sociaux. Etienne
était là, et je me suis reposée sur lui. Petit à petit, le lien entre Etienne
et moi s’est renforcé. Naturellement, il a proposé d’être le père de ma fille à
un mois de mon accouchement. Je me souviens encore de la raison qu’il m’a donnée.
Une raison qui m’a fait pleurer d’émotion. « Une fille a besoin d’un papa qui l’aime, l’entoure
et lui montre le standard qu’elle doit attendre d’un homme lorsqu’elle commencera
à s’intéresser aux relations ». J’ai
accepté sans hésiter et on s’installait ensemble après mon accouchement. Je l’ai
suivi dans la majorité de ses folies. Il était un fou cet homme. Il vivait sa vie
à cent à l’heure, accompagné de son frère. C’est ainsi qu’ils sont partis en voyage
entre célibataires dans les alpes, soit un mois avant notre mariage. J’étais
chez moi, occupée avec ma sœur et ma mère quand j’ai reçu l’appel qui a à tout jamais
changé nos vies. Suite à une chute brutale, mon Etienne est rentré dans le
quota des personnes qui souffrent de lésion de la moelle épinière. Un accident
qui l’a privé de ses jambes et affecté plusieurs sphères de nos vies. Difficile
ne représente pas ce qu’on a vécu ensemble, mais nous sommes restés soudés.
Jamais je n’ai pensé à le quitter et aujourd’hui encore, je me refuse de penser
à ça bien qu’on traverse pire. Bref, après une longue et pénible période d’adaptation,
nous avions trouvé notre petit rythme et construisions notre bonheur jusqu’aux cinq
ans de Hadassah. Les cinq ans qui ont débuté avec les remarques soûlantes de ma
belle-sœur, la femme du frère d’Etienne et une garde de première classe, je tiens
à le préciser. Une salope qui s’amusait à pointer comment ses deux enfants
ressemblaient à son mari, contrairement à Hadassah. Elle a tellement soulevé
ses remarques que son mari s’y est ajouté. Plus Hadassah grandissait, plus on
remarquait qu’elle n’avait rien en commun avec ses cousins et cousines. Les années
se sont écoulées et je suis devenue sans m’en rendre compte, la femme dont la belle-famille
se méfiait. On parle de la même belle-famille qui m’adorait quand j’étais au
chevet de leur fils, parents inclus. J’ai même été confrontée par une cousine
guindée d’Etienne qui m’a vendu sa démarche comme une opportunité qu’elle me
donnait d’admettre que j’avais piégé leur cousin pour vivre confortablement. J’ai
oublié de mentionner qu’Etienne avait une carrière stable qu’il a réussi à
reprendre malgré les deux ans d’arrêt suite à l’accident. Il est un ingénieur
sécurité et c’est vrai qu’à ses côtés, j’ai toujours bien vécu, mais je n’ai jamais
été une sangsue. Bref, je l’ai envoyé paître en la couvrant d’insultes, sans
pour autant révéler notre secret. Ce qu’on s’était promis et dit avec Etienne,
c’est que la paternité de Hadassah ne concernait que nous. Même à ma famille,
je n’avais rien dit. Ce à quoi je ne m’attendais pas quand ma belle-famille
cherchait des poux sur ma tête, c’est que j’étais en train de perdre petit à
petit l’Etienne qui m’avait promis des choses. Suite à son accident, notre
intimité sexuelle a pris un grand coup non seulement à cause de son handicap,
mais aussi son incapacité à éjaculer. Et les fois où nous nous sommes tournés
vers la FIV, on nous a expliqué que le sperme qu’on a prélevé dans ses bourses
n’était pas de bonne qualité et la FIV ne fut pas concluante. Il en a tellement
souffert que j’ai refusé qu’on retente l’expérience. Cet échec date de trois
ans désormais, et depuis, Etienne est obsédé par le fait que notre communauté entière
rigole de lui dans son dos. Qu’on voit et chuchote qu’il n’est pas le père de
Hadassah. Qu’elle ne l’accepte pas comme père. Que l’absence d’enfants dans
notre maison en dehors de Hadassah renforce le fait qu’on le croit impuissant.
Qu’il doit sûrement me dégoûter et que je dois voir ailleurs, il le sait et ne
m’en veut pas, mais que j’aille faire ça loin. C’est pour repartir sur de
nouvelles bases que je l’ai laissé partir en voyage avec son frère sans moi,
parce que la vie était devenue invivable récemment. Cet Etienne ne supportera
pas de voir Romelio, bien portant, sur ses deux jambes et essayant de se
rapprocher de Hadassah. Il ne supportera pas et surtout ne le mérite pas. Certainement
pas après nous avoir tout donné à Hadassah et moi. Je ne compte pas accentuer
davantage la douleur de mon mari, d’où la nécessité de faire comprendre à
Romelio qu’on n’a pas besoin de ce qu’il fait actuellement.
Je me suis accordée une
journée additionnelle de réflexion au bout de laquelle une idée étrange m’est
venue à l’esprit. Avant que je flanche, je me suis empressée de me rendre au
collège de Hadassah pour retirer ses bulletins et j’ai proposé une rencontre à
Romelio le lendemain.
— Tu veux que je
prenne Hadassah avec moi ? il répète
pris de court. Je souris intérieurement. Enfin, j’ai ma solution.
— Tu voulais
passer du temps avec elle ou pas ? Tu la
prends, tu t’occupes de sa scolarité, ses vivres, ses besoins. Je précise qu’ici
elle étudie dans un établissement privé. C’est son standard, alors elle n’ira
pas dans une école étrange si tu n’en as pas les moyens, j’ajoute pour enfoncer
le clou.
— On est à la fin
d’août Stella. Dans moins d’une semaine, les gosses reprennent les cours ici. C’est
maintenant que tu juges judicieux de lui faire changer non pas d’école, mais
carrément de continent ?
— Si tu ne veux
pas la prendre, dis-le simplement. C’est la solution que j’ai trouvée.
— Je la prends,
il répond et me prend de court cette fois.
— Pas juste comme
ça. Je veux voir une fiche, un reçu, bref une preuve de scolarité réglée dans
une école française chez toi en premier. Ensuite, là où elle vivra. Si tu as
une compagne, je veux lui parler d’abord. Hadassah est très difficile sur la
nourriture et il est hors de question qu’elle meurt de faim si ta compagne n’est
pas apte à s’en occuper.
— C’est tout ? il m’interroge après un moment. Son calme
apparent ne me rassure pas.
— Elle n’a jamais
pris de classe économique de sa vie, je mens.
— Ce ne sont pas
les humains qui sont en classe éco ?
— C’est notre
standard et ce à quoi nous l’avons habitué. Elle ne voyagera pas en classe éco,
j’insiste pour le dissuader.
— Bientôt tu me
diras qu’elle ne dort qu’en chambre froide aussi ? il rétorque avec sarcasme.
— Ce n’est pas ma
faute si son père l’a habitué à vivre confortablement. C’est comme ça.
— J’ai compris.
— Il va de soi que
j’attends tout ça avant la rentrée des classes. Elle ne va pas intégrer une
école avec une semaine de retard. C’est une bonne élève et surtout très
studieuse. Je ne compte pas troubler ses habitudes.
— C’est tout ? il répète.
— Je pense que
oui. S’il advenait que je me souvienne d’autre chose, je t’avertirais par
message, je conclus avec un sourire narquois.
J’ai fait mes
recherches sur les écoles françaises à Lomé avant de lui donner ses critères.
Je ne connais pas trop son style de vie actuel, mais jadis, Romelio ne roulait
pas sur l’or. Il bossait même régulièrement pendant ses études, alors, quel que
soit le niveau qu’il a aujourd’hui, je le vois mal débourser autant d’argent en
une semaine.
Quatre jours plus tard,
ma mâchoire était fendue jusqu’au sol. Billet d’avion, écolage réglé, photos de
la chambre de Hadassah.
Il n’avait juste pas
de compagne avec qui je devais parler. Il m’a plutôt mis en contact avec un
certain Arthur, son frère qui a pris le soin de me rassurer qu’ils prendraient
soin de Hadassah à Lomé. Quant aux repas, il m’a dit avec une grande confiance :
— Je ne peux pas
être son père et elle mourra de faim.
C’est le cœur dans l’âme
et la voix tremblante de colère que j’ai annoncé la nouvelle à Hada le soir de
ma rencontre avec son casse-pieds de père.
— Mais maman__,
elle commence avec ses grands yeux confus.
— Tu voulais voir
ton père parce que celui que tu as connu depuis ton enfance ne te plaisait plus
non ? Eh bien tu vas le voir ! Tu vas tellement le voir que tu te fatigueras
de lui, je lui lance le cœur en miettes avant d’aller me réfugier sous la
douche et pleurer tout le stock de larmes que j’emmagasinais depuis l’apparition
de Romelio.
Je vois Michelle me
traiter de tous les noms lorsque je lui raconterai la stupide idée que je trouvais
sublime au départ. Je me vois pleurer tous les jours que ma fille fera loin de
moi, mais je garde espoir. Il ne pourra pas supporter Hadassah pendant une
année. Je ne lui donne que le premier trimestre. Il m’appellera à la rescousse,
sinon ma fille à qui je compte bien donner les moyens de me contacter dès qu’elle
en ressent le besoin. Je ne fais confiance à personne. Munie de cette petite
assurance, je ressors de douche et retrouve Hada pour lui expliquer plus
posément le pourquoi elle suivra bientôt son nouveau père. Avant de m’en
dormir, j’explique à Etienne son vrai père que Michelle a demandé la petite
pour l’année, histoire qu’on puisse se retrouver entre couple pour repartir sur
de nouvelles bases. Ma sœur me couvrira sur ce coup. On n’est plus que deux et même
si elle a la langue pendue dès qu’il s’agit de moi, je sais que je peux
entièrement lui faire confiance. Le lendemain, je m’empresse de retirer du cash,
le convertit en CFA et j’enfouis une enveloppe de 350 000 dans le sac à bandoulière avec lequel Hadassah
voyagera.
— Alors tu as ton
téléphone que j’ai mis en itinérance. Tu connais mon courriel, et voici de l’argent.
Quelle que soit la raison, même si c’est un cauchemar mon ange, tu m’appelles
si tu as besoin de moi, d’accord chérie ?
— OK.
— Je ne veux pas
d’un OK pour me fermer la gueule. Je veux que tu prennes au sérieux mes
recommandations. Tu gardes ton téléphone toujours chargé. Je ne veux pas te
chercher et commencer à psychoter parce que tu es injoignable. Je ne sais pas à
quoi ressemble ce pays.
— Dans ce cas,
pourquoi je dois y aller moi ?
Pourquoi tu ne viens pas ? C’est ma
punition parce que j’ai cherché ce monsieur ? Je l’ai même pas cherché maman. Pourquoi je
peux pas rester ? C’est
papa qui est fâché et veux que je m’en aille ? elle dit et sa voix craque sur la fin. Bien
sûr, je commence à pleurer pendant que j’essuie l’unique larme qui coule de son
œil.
— Primo papa ne t’en
veut absolument pas. Tu es notre trésor. Secundo, tu dois y aller parce que c’est
comme ça. Parfois on ne fait pas ce qu’on veut, mais à l’avenir, tu seras
reconnaissante d’avoir fait cette expérience, je tente de l’encourager.
***Romelio Bemba***
C’est aussi évident
que le nez au milieu de la figure que Stella ne veut pas me laisser la petite. Elle
n’a pas besoin de le dire. Tout parle pour elle. Du regard meurtrier qu’elle me
lance. De ses yeux bouffis, aux nombreux câlins qu’elle fait à la petite bien qu’on
essaie de s’en aller depuis dix minutes déjà. La petite aussi ne saute pas au
plafond d’être avec moi.
— Donnez-nous une
seconde s’il vous plaît, j’avise le chauffeur de mon Uber. Tu n’es pas obligée
de me suivre si tu préfères rester avec ta mère, je dis à ma fille qui renifle
doucement à mes côtés.
— Pourquoi tu as
fait tout ça alors ?
— Pour te voir,
mais forcer les gens n’est pas ma tasse de thé. Les situations oui, je peux les
forcer, mais les individus, jamais.
— C’est pareil,
elle renifle davantage.
— Je ne le pense
pas, mais soit. Tu es libre de descendre et retourner chez ta maman si tu
préfères.
Elle lève la tête vers
sa mère qui est encore sur le perron de leur maison, l’air en détresse, en
train de mordiller un bout de son léger cardigan.
— Parfois, on ne
fait pas ce qu’on veut, mais ce qu’il faut, elle m’annonce comme une grande qui
connaît tout de la vie.
J’ai tellement envie
de toucher son petit menton, ébouriffer ses cheveux et la serrer contre moi,
mais je ne veux pas m’imposer à elle. J’ai bien conscience qu’elle a déjà des
parents incluant une figure paternelle. D’ailleurs, je quitte ce pays avec une
autorisation de sortie du territoire signée par sa mère. Je ne peux pas me
mettre à jouer au papa amoureux de sa fille quand je ne suis qu’un étranger
pour elle. Parfois on ne fait pas ce qu’on veut, mais ce qu’il faut, comme l’a
dit ma grande personne dans un petit corps de 13 ans. Je sais que cette
séparation ne fut pas une partie de plaisir pour elle et sa mère, mais je ne
peux m’empêcher de me sentir en paix. Là avec elle, qui ne pleure plus, mais observe
plutôt le paysage qui défile, j’ai l’impression d’avoir obtenu la plus grande
faveur divine en ce jour. C’est un appel de Thierry Laith qui me tire de ma
rêverie, sinon j’aurais pu observer Hadassah pendant des heures.
— Je sais, je
sais, aucune excuse pour le faux bond, encore une fois désolé, je dis d’entrée
de jeu.
— Ohr, laisse ça,
j’ai déjà oublié. J’appelais plutôt pour te confirmer qu’on a reçu tes envois. Vita
et la petite te remercient.
— C’est normal
toi aussi. J’aurais aimé vous visiter comme convenu et voir comment vous vous
installez, mais disons que la vie m’a pris de court à la dernière minute.
— Les gros
proverbes comme ça là, c’est pour nous annoncer une bonne nouvelle ? Je vais être tonton ? il me demande et j’en rigole.
— C’est plutôt de
toi que j’attends cette nouvelle hein. La maison de tonton Tao est assez grande
et comme la chambre de Ida est libre, on sait où ça peut vite emmener. Bientôt
tu mettras sur le dos de Lucile, qu’elle réclamait une camarade de jeu, je lui
retourne et c’est lui qui éclate de rire.
— C’est vrai en plus
qu’elle réclame déjà hein. Bref, ça la regarde là-bas. J’ai dit que je ne fais
pas d’enfant à Marseille pour qu’il me parle avec le lourd accent qu’Asad force
dans mes oreilles. Donc je te renvoie la balle. Envoie-nous les mouna, Lucile bouffe
trop mon argent.
Sa fille lui sort une
remarque dans son maigre français qui me fait rire davantage.
— Bon, je te
laisse avant qu’elle n’aille sauter dans la piscine de ses grands-parents pour
m’attirer des problèmes.
— Vous n’avez pas
installé les clôtures ?
— Est-ce qu’elle comprend
que ce sont les clôtures frère ? Elle croit
que c’est son terrain de jeu. En tout cas, on s’attrape bientôt non ? Les mariages vont commencer à couler.
— À commencer par
le tien, je lui rappelle.
— Arrêtez de me
stresser, c’est comment avec vous ? il rigole.
C’est une partie du discours bien amusant que son père lui a fait avant son
départ. Qu’il n’a pas intérêt à remplir sa maison d’enfants sans légaliser Vita
d’ici les deux ans qu’ils passeront à découvrir l’Afrique.
On se laisse après
quelques banalités durant lesquelles il me fait encore quelques sous-entendus
sur une potentielle grossesse. Pour le moment, mes parents et Arthur ont
respecté mon désir de garder le silence sur mon mariage. Je n’ai simplement pas
envie d’en parler, ni d’y penser, alors je fais avec lorsqu’on me taquine dessus.
Je croise le regard de Hadassah en raccrochant, et avant qu’elle le détourne
comme je l’ai pressenti, je lui montre une photo.
— C’est ma
famille. Celui avec qui j’étais au téléphone, c’est lui ici. Il s’appelle Thierry
Henry.
-Euh__, genre comme le
joueur ? elle répète confuse et m’arrache
un sourire. Je l’ai fait exactement pour ça.
— Oui, son
deuxième papa était un grand fan. Sinon il s’appelle aussi Laith, prénom que
lui a donné son premier père, je lui dis et j’attends désespérément qu’elle
rebondisse sur cette info, mais elle ne le fera pas. Trop tôt, je suppose,
alors je continue.
— Voici sa
fiancée Vitalia, et leur fille Lucile. Ici, nous étions aux fiançailles de Snam,
ma cousine et Mally, le fils d’une bonne amie à mon oncle.
— Elle est
mignonne Lucile.
— C’est vrai,
tout comme toi.
-Umm__, elle commence
et dessine les formes sur son jean.
— J’ai une assez grande
famille que j’aime énormément. Je n’ai pas eu de frère et sœur, mais grâce à la
meilleure amie de la femme à mon oncle, j’ai presque eu une sœur, je ne peux m’empêcher
de lui dire. Je ne sais pas comment parler de ma vie sans mentionner Elikem.
— Comme moi avec
Estelle alors, elle conclut et me ravit.
— Estelle est ta
meilleure amie ?
— Une petite sœur,
enfin je pense.
— Une petite sœur
aussi c’est bien.
Elle hoche simplement
la tête et je décide de lui laisser son petit espace. Elle en a déjà dit beaucoup
et du peu que j’ai pu apprendre sur elle récemment, elle est beaucoup dans la
retenue. Nous arrivons enfin à l’aéroport. Je lui explique rapidement comment
se dérouleront les formalités et dans quelle file elle doit se placer. Quand on
se retrouve en salle d’embarquement, elle me demande pourquoi on n’est pas
assis ensemble.
— Il paraît que
tu ne prends pas de classe éco.
— Han ?
Je soupire, satanée
Stella. Je ne dirai pas que j’avais gobé tout ce qu’elle m’avait servi, mais quand
même.
— Tu seras en
classe affaires. Je serais en premium éco.
— Mais euh, je
peux rester là-bas quand je fais pas d’affaires ? Je travaille pas moi, elle répond sur un ton si
innocent qui me fait sourire.
— Ton père fait
des affaires alors tu as le droit d’être là-bas. Tu peux t’amuser, bien dormir,
manger, appeler ta mère, bref, profites-en, c’est mon cadeau.
On en profite
justement pour appeler Stella qui m’a l’air assez misérable donc je ne soulève
pas les nombreux mensonges qu’elle m’a racontés. De toute façon, j’ai mieux à
faire, comme profiter du calme et écouter Hadassah parler avec Stella, parce qu’une
fois à Lomé, ma vie là-bas reprend avec son lot de désagréments. Mon gardien m’a
déjà notifié de la visite de Jennifer ainsi que de celle de sa tante. Elles
veulent apparemment discuter. C’est maintenant qu’ils veulent discuter. Après
avoir bafoué ma dignité, et alimenté les ragots dans le quartier me concernant,
ils veulent discuter. Des ragots qui me peignent comme un homme lâche qui a
poussé sa femme à déserter après lui avoir donné une bonne leçon. Elles veulent
discuter maintenant.