
133:becoming Bemba
Ecrit par Gioia
***Romelio Bemba***
Il n’y a pas plus dramatique
qu’Elikem quand elle s’y met. Depuis trois mois, madame fréquente régulièrement
la salle de gym de son immeuble et il faut entendre ses cris dès qu’elle soulève
10 kg sur sa machine à biceps. On croirait quelqu’un qui bench press avec
une barre de 25. Apparemment, ce sont les cris de motivation qu’elle utilise
pour s’encourager à tenir. Je reprécise qu’on parle de 10 kg.
—Becoming
Bem… « Hiii », Ba…., ça donne hein.
— Je t’ai menti
si je dis que j’ai compris, je lui réponds.
—Becoming… « Haaa » Bemba.
Le nom codé de ta prochaine relation.
— Donc on te
donne le surnom et tu te tournes vers moi pour m’en coller aussi un, je dis
avec humour.
— Maintenant que
j’y pense, on aime trop se suivre, même si « Tourtereaux Tountian » a perdu face au « Tountian Tale », elle rigole.
— On avait conclu
que tu étais la plus nulle quand il s’agit de surnoms. Concentre-toi sur la
musculation pour préparer tes bras. La traîne que tu vas soulever entrera dans
les annales togolaises.
— Vais-je m’en
sortir entre elle et sa wedding planner sortie de je ne sais quel enfer là ?
Sa plainte m’arrache
un fou rire. On se laisse après notre étude biblique et prière régulière d’une
vingtaine de minutes. Il y a trois mois de ça, elle m’a dit qu’elle avait
besoin de se ressourcer après ses séances épuisantes avec son psy. La seule
source stable que je connais et dont j’ai fait l’expérience est la parole de
Dieu, donc je lui ai proposé qu’on se fasse la bible ensemble, parfois par
versets ou chapitres selon notre disponibilité. Aussi étrange que ça puisse
sonner, les trois derniers mois ont été les plus bénéfiques pour moi à tous les
niveaux. J’ai retrouvé un espoir inexplicable en l’avenir, réussi à laisser
aller cette idée d’échec que je rattachais à ma personne à cause du divorce, démissionné
de mon poste actuel pour un autre que je commence dans une semaine. Après des
années de fermeture suite à un changement de vision dix ans plus tôt, le
conseil de gestion de l’hôpital AELI a décidé de rouvrir la maison de naissance
qui lui était affiliée. Cette nouvelle est une victoire pour moi, parce que
j’ai ramené cette idée à différentes reprises depuis que j’ai été pris comme
assistant du président du conseil. La victoire est d’autant plus grande qu’on
m’a confié le centre avec un objectif bien clair. J’ai cinq ans, un budget fixe
et le champ libre pour choisir l’équipe tant qu’au bout du délai, le centre est
rentable pour l’hôpital. Au niveau où je suis dans ma carrière et après avoir
testé différents départements ainsi que structures cliniques, je suis impatient
et reconnaissant pour cette opportunité. Je m’amusais déjà à construire un plan
de relance quand je présentais l’idée de réouverture à tonton Eli, donc je n’ai
eu aucune difficulté à trouver les conseillers nécessaires pour former mon
équipe de gestion. J’ai retrouvé également deux de nos meilleures sages-femmes
qu’on a dû licencier à la fermeture de la maison de naissances. Le reste sera
du sang neuf. Bref, je suis prêt si on me demande de commencer demain, mais
pour l’instant je profite de mon congé mérité.
Je dépose la tasse de
bouillie d’avoine sur la table et le lait Peak à côté avant d’aller réveiller
mon acolyte de la maison quand une porte s’ouvre à la volée. C’est elle-même
qui arrive à la course, brosse à dents dans la bouche, une basket dans la main
et l’autre à son pied.
— Quoi ? T’es pas prêt ?
C’est reparti. Je
l’attrape par ses minces épaules avant qu’elle ne se ramasse la face au sol et
la soulève en dépit de ses plaintes. On retourne dans la salle de bain.
— Tu te brosses
les dents comme un humain normal. Personne ne sera à cette école avant 9 h
du matin, fais-moi confiance, je lui explique pour qu’elle m’arrête les grommèlements.
— Mais c’est l’heure du rendez-vous !
— Eh j’ai entendu
et je te dis que tu ne seras pas la dernière parce que tu quittes la maison à 8 h 40.
On parle d’une bande d’ados qui sont déjà dans le mood des vacances scolaires
et nous sommes vendredi.
Peu convaincue, elle
reprend ses murmures. Tout ça pour une comédie musicale que prépare son groupe
depuis mai dans le cadre de la semaine d’art et sciences organisée par son
école. Dieu merci, la semaine finit aujourd’hui. Ce qu’on me fait vivre dans
cette maison depuis mai prendra officiellement fin ce soir. Tu paies toutes les
factures, mais on te dit de ne pas déranger pendant certaines heures. On
s’enferme dans la chambre avec une pancarte affichant « Interdiction pour Tchaa ». Ou on t’abandonne systématiquement tous les
samedis et dimanche aprèm depuis deux semaines pour des répétitions à l’école.
Dans cette histoire, Arthur ce con a osé me dire qu’il me faut un centre d’intérêt
ou une femme juste parce que je me plaignais d’être délaissé. Depuis qu’il a
compris que je ne compte pas renouer avec Jennifer, il a arrêté de plaider sa
cause. Maintenant, il s’est mis en tête qu’il va nous trouver des femmes parce
qu’il est temps qu’on suive le pas des jeunes. Il ne le dit pas, mais le
mariage imminent d’Ida lui met la pression. Comme Elikem et Océane étaient mon
groupe, le sien était essentiellement composé d’Ida même s’ils n’ont pas le
même âge.
Les dents de la diva
sont propres. J’arrive aussi à lui faire boire sa bouillie et lui en mets dans
une boîte au cas où même si elle a de l’argent pour s’acheter à manger. Nous
sommes à l’école à 9 h. Ces ados ont failli me mettre dans les problèmes
avec la diva tellement ils étaient là en grand nombre et déjà au travail.
Heureusement, le metteur en scène de leur pièce est arrivé un peu après nous accompagné
par leur fondatrice Deborah que je trouve rayonnante depuis son retour.
Émerveillé par ce que les enfants font du décor sous la direction des
professeurs, je voulais faire un tour quand on m’a poussé exagérément vers la
porte.
— Bye !
— Hooo, c’est ton
école ? je demande à la
concernée qui continue de me pousser.
— Ouais c’est la
mienne. En plus, je t’ai laissé des choses à faire à la maison.
— Ah quoi ça ?
— Tu trouveras la
liste sur ton lit. Merci !
— Hum, les
histoires de récitals.
— Représentation
théâtrale et pas récital papa. Je t’ai corrigé plusieurs fois.
— Pardon chef. Il
faut me comprendre, on n’a pas les talents comme toi.
— Pfff, c’euuu ça,
elle rouspète sur un ton amusé.
On entend un coup
comme si quelqu’un tapait sur un micro. Je lève la tête dans la direction en
question et trouve Jérémie, micro à la main qui se racle exagérément la gorge.
— Le con, elle
soupire et détale au même que Jérémie porte le micro à sa bouche.
— « Tornade », « La cantatrice blonde » est prestement demandée, il délivre son
message avec un sourire fier provoquant le fou rire chez certains de ses
camarades. Et sa majesté, Thema Selassie Gifty Nana, la royale retardataire
nous gracie enfin de sa présence.
Je tourne la tête et
celle dont on parle cache rapidement son doigt d’honneur quand elle me voit. Avec
un sourire timide, Thema arrive à mon niveau et me salue.
— Gifty…
— Ne l’écoute pas
tonton, c’est pas mon nom Gifty, elle répond par une moue emmerdée qui me fait
rire après l’étonnement.
- « Sa royauté Gifty est priée de ramener sa grosse
tête par ici », ajoute ma fille sur un
ton taquin.
La pauvre secoue la
tête et se dirige vers eux en leur adressant des doigts d’honneur. À chaque
chose, malheur est vraiment bon. J’aurais été au courant de l’existence de ce trio
que probablement il ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui. Pourtant, ce
trio a été d’une manière le catalyseur de l’épanouissement palpable de Hadassah.
Même l’histoire d’intimidation est tombée aux oubliettes. J’ai vu l’une des
coupables dans la team de ceux qui montaient le décor. De ce que m’a dit Hada,
il n’y a qu’Amaya, la fille de George qui n’est pas revenue. Jérémie leur
aurait raconté qu’elle a été inscrite ailleurs et je ne peux dire que j’en suis
mécontent. Même si c’est en apparence, Deborah a réussi à ramener la cohésion
dans son école, une chose admirable.
Je suis près de la porte
quand elle hèle, « chef, 18 h 30 », avec ses deux pouces en l’air ainsi que ses
dents du bonheur grandement affichées. Je lui lève le pouce également et sors
le cœur gonflé de joie en imaginant la tête qu’elle fera devant la surprise que
j’ai pour elle ce soir.
***Hadassah Muamini***
Depuis trois mois, on travaille
sur cette adaptation d’une trentaine de minutes d’Anastasia et je maîtrise mon
texte, pourtant j’ai la trouille au fur et à mesure que l’heure approche. Je
suis actuellement chez Thema tandis qu’elle prend une douche. J’ai fini la
mienne et discute avec Estelle qui pense me tranquilliser pourtant elle est
plus stressée que moi. Depuis que tata Macy leur a rendu visite, les choses se
sont améliorées pour eux, même si c’est loin d’être rose surtout avec Netha. Je
ne perds cependant pas espoir pour lui. Il est con et sur le mauvais chemin
actu, mais il a un cœur en or enfoui dans ses conneries.
Thema sortie de douche
pète un câble en me voyant devant l’assiette remplie préparée par sa
gouvernante qui m’a forcé à accepter, je précise. Quand elle s’y met celle-là,
elle est pire qu’une maman. Parlant de maman, je renvoie à ma tante le lien pour
qu’elle suive la cérémonie en direct. Depuis qu’elle a accouché de mon neveu,
elle se plaint d’oublis fréquents donc je me préfère me rassurer. Papa qui est
en dessus de notre conversation Whatsapp avec ma tante n’a pas répondu quand je
lui ai transmis le lien. J’hésite entre le relancer ou laisser tomber pendant
quelques minutes avant que Thema tranche pour moi. C’est l’heure de s’apprêter.
Notre metteur en scène a exigé qu’on vienne dans le plus simple appareil.
Legging et t-shirt noir avec nos tenues post représentation dans nos housses.
La gouvernante de Thema les a déjà apprêtés. Thema qui sera au piano durant la
représentation doit en revanche arriver déjà coiffée. Sa gouvernante et moi l’aidons
avec tandis qu’elle passe un savon à son pauvre papa qui vient d’arriver du
Ghana sans le costume requis pour la soirée. Il a préféré leur pagne traditionnel
qu’il enroule souvent autour de leur corps et dépose sur une épaule. Elle-même savait
et me disait de toute façon que son vieux lui sortirait une bonne comme ça à la
dernière minute parce qu’il déteste les vestes. Au moins son frère Saahene qui
est aussi de la partie a sorti le costume sur mesure.
On explique aux deux arrivants
qu’il nous faut être à l’école au plus grand tard à 17 h, soit 1 h 30
avant le début à cause de nos prestations, mais eux ne sont pas obligés. Le
papa insiste quand même pour qu’on parte ensemble, arguant qu’il vaut mieux trouver
des bonnes places pour filmer de toute façon. À quatre, on arrive à quitter la
maison à l’heure, même si Thema a essayé de nous mettre en retard à la dernière
minute à cause d’une boucle d’oreille qu’elle ne retrouvait pas. Ses interactions
avec son père et frère ont réussi à m’amuser au point de me faire oublier mon
trac.
Le décor final me laisse
bouche bée et émotive. Dire que je faisais partie des critiques de cette
semaine des arts et science au début. Mes rêves les plus fous ne ressemblent
pas à ce qu’on a réussi à faire. Avant qu’elle ne parte en mars, Mme Nicol
avait fait un pacte avec chaque classe. Elle nous lançait le défi de trouver
par classe un domaine et projet à présenter pour l’évènement à son retour en
fin d’année scolaire. Nous devions lui faire un plan détaillé et ceux qui seraient
retenus recevraient le soutien nécessaire pour l’accomplir. Il y a eu du
remaniement, des idées rejetées, de nouvelles apportées. Les groupes se sont
faits sur la base d’intérêts pour les sujets plutôt que par classes. Le truc
qui a commencé timidement a commencé à prendre de l’ampleur au fur et à mesure
qu’on approchait de la date. Malgré la distance, elle était présente à travers
ses emails et le comité d’organisation composé de certains profs et élèves.
On aura même une
couverture médiatique grâce au journal Source. Je suis tellement fière de nous
que remporter la première place n’est même plus ma préoccupation. L’autre équipe
qui a opté pour une représentation du « Prince
et le Pauvre » est tout aussi
redoutable. J’ai eu l’occasion de les voir quelques fois et nous avons dû
défendre nos idées devant les profs avant d’en arriver ici donc la décision
finale appartient au jury dont le chef et tonton Arthur sont membres.
Plus qu’une trentaine de
minutes avant le début. Nous sommes maquillées, mais toujours dans nos tenues
normales. Le metteur en scène nous laisse une dizaine de minutes pour nous
détendre. Je vais faire un tour dans la salle qui se remplit bien. Papa n’apparaît
pas dans mon visuel, mais quand je suis près de désespérer, je reconnais le
profil de mamie Hana vers qui Jérémie se rapproche. Je m’élance vers elle et l’enlace
par l’arrière en la bousculant. Elle rit et me tourne pour me voir.
— Jérémie ! On entend d’une voix sévère qui appartient à
la mère de Jay.
Elle n’a pas l’air
contente et se rapproche aussi.
— Tu fais quoi à
parler avec les inconnus au lieu d’être avec tes camarades ?
— Inconnu ? C’est la…
— Tu bouges ! elle le coupe sèchement et le tire par l’oreille
pour le faire avancer avec elle. C’est pour après nous ramener quelqu’un qui sort
d’une famille au cœur sombre comme future femme, tu verras ce que je vais te
faire si tu oses, elle continue à maugréer.
Mamie pouffe de rire tandis
que les autres nous rejoignent. Ils sont là. Papi Auxanges et Magnim, Mamie
Ciara, Tonton Arthur et m’enlacent à tour de rôle.
— Qu’est-ce qui t’amuse
déjà ? Papi Magnim interroge
mamie Hana.
— Tu tombes bien.
Apparemment, le bestie qui faisait venir les gens au Canada pendant les
vacances est devenu une personne au cœur noir oh. Les temps ont bien changé,
elle répond avec un grand humour.
— Toi, toi, toi là,
j’ai bien dit, on est là pour Hadassah, papi Auxanges répond sur un ton d’avertissement.
— Mais je suis
toujours dans le cas de Hadassah non, ou bien chérie ? Je peux être avec qui si ce n’est toi ?
N’ayant rien capté de
ce qui se passe là, je préfère leur demander s’ils ont trouvé des places et où
se trouve papa. Par chance, le papa de Thema avait gentiment gardé deux places
à côté de lui. Papi et Mamie. Papi Magnim et Mamie Ciara se trouvent aussi des
sièges pas si loin d’eux. Tonton Arthur qui prend place parmi les jurés me
confirme que papa ne tardera plus. Ils s’étaient juste séparés parce qu’il
avait à faire. Confiante, je rejoins ma troupe jusqu’au lever du rideau annonçant
le début de la soirée. Nous avons dix minutes de retard finalement, mais depuis
ma place cachée, la salle me semble presque pleine. Thema qui texte avec son
frère me confirme qu’il a vu papa. Le maître de cérémonie prend le micro, salue,
fait le point du programme et leur rappelle que sous leurs chaises se trouvent
aussi des versions papier du déroulement de la soirée.
Il invite la
fondatrice sur scène pour la suite et même dans les coulisses, on ne cesse de s’extasier
sur sa classe jusqu’à ce qu’on voie la tête de Jérémie à côté qui nous fait
marrer. Lui et certains élèves ont été intégrés comme animateurs durant la
soirée. La fondatrice a bien insisté sur le fait que cet évènement était d’abord
le nôtre, donc elle nous voulait à tous les niveaux tant qu’on se sentait
capable de relever le défi. Il est tellement con et relou Jérémie, mais il fait
la fierté de notre classe là sur le podium. Classe dans son veston, bien coiffé
pour une fois, il fait avec elle le recap des grands évènements de cette
semaine qui a débuté lundi. Les trois heures suivantes s’enchaînent si vite que
j’ai l’impression de ne voir que des flashs. Mon cerveau n’enregistre la fin
que lorsqu’on reçoit une ovation après avoir une version chorale de « Loin du froid de décembre » pour clore notre pièce.
On se saute dessus une
fois dans les coulisses. Les applaudissements, les pleurs chez certains, les
rires, c’est un torrent émotionnel ici, mais je n’ai pas le temps de l’expérimenter.
Le metteur en scène nous rappelle qu’il n’y a pas de minute à perdre. On se
change et chacun rejoint sa place assignée dans l’assemblée. Notre scène était
l’avant-dernier évènement du programme. On retrouve notre place parmi les
autres élèves. C’est deux fois meilleur de suivre les autres qui sont sur scène.
Ils ont été excellents. Le jury délibère pendant une dizaine de minutes. Notre
groupe l’emporte avec une seule voix de différence. Les autres n’ont pas
démérité donc on partage la scène de victoire ensemble et encore une fois nous recevons
des tonnerres d’acclamations. Heureusement qu’on se tient les mains pour descendre,
sans quoi je me serais probablement retrouvée fesses à terre vu comment mes
jambes tremblent.
Encore une fois, pas
le temps de souffler même si c’est bientôt l’ouverture du cocktail. J’ai une
seconde représentation qui me tient autant à cœur que l’autre. Je montre à
notre metteur en scène notre autorisation et aidée de Thema, nous montons le
piano électronique dans notre classe. Jérémie nous suit avec son djembé qu’il
avait promis d’apporter.
— Tu es certain qu’il
ne nous a pas vus ?
— Mais oui,
avance au lieu de stresser, me répond Jérémie.
On pose le piano, je
le branche. Jérémie se propose d’aller chercher papa, mais Thema le lui refuse.
— C’est pour t’empiffrer
le visage de petits fours et revenir une heure après.
— J’ai dix jours
de plus que ta grosse bouche là, respecte un peu ça Gifty.
— On a juste vingt
minutes avant que les autres se mettent à nous chercher hein, je leur rappelle.
Thema s’y colle. On
répète vite fait l’harmonie de la mélodie entre le djembé et le piano. C’est
notre première en vrai. Les autres fois on faisait de notre mieux par Whatsapp.
Un truc de fou.
— Tchai ! Donc ce sont les minces doigts qui jouent
bien Sankou hein.
— San—quoi ?
— Je t’ai dit que
moi vivant tu parleras mina, on dit Sankou et non piano.
— Ouais ouais, un
autre jour. Au fait c’était quoi le délire entre ta daronne et ma mamie tout à
l’heure ? C’est moi ou c’était chelou ?
— Mon cher, quand
tu vois ma face fraîche de 14 ans, c’est histoire des nonagénaires que je
vais comprendre ?
— Ma mamie n’est
pas nonagénaire, je lui réponds en le regardant de travers.
— Héééé, il faut me
laisser hors de ça. Je n’ai pas les compétences pour parler de leurs choses. J’ai
déjà cassé mon cerveau pour avoir le brevet. Au fait, tu es certaine que Gifty
là n’est pas en train de manger au lieu de…
— Shhh ! je lui fais main sur la bouche quand on entend
des pas se rapprocher.
« Thump » « Thump » « Thump », mon cœur
ne cesse de cogner fort jusqu’à ce qu’on entende les voix derrière la porte.
Elle s’ouvre.
— Allez-y, on
entend de Thema qui se rappelle de ne pas allumer comme prévu.
— J’espère que vous
n’avez pas fait de bêtises hein, dit papa avec humour.
Je le vois enfin donc
je prends une profonde respiration.
— C’est quoi ici ? C’est mon récital personnel ? il demande confus, mais toujours avec humour.
— C’est ce que je
veux te dire depuis un moment, je réponds et commence à jouer tout en priant
que l’émotion ne vole pas ma voix.
« Dès le début, tu étais sa priorité.
Il t’aime même quand tu
n’es pas aimable.
Il ferait tout, un
père.
Il te montre ce qu’est
l’amour.
A vu tes rêves avant que
tu les connaisses.
Il te donnerait tout, à
l’image de ton père céleste.
Je vois Dieu à travers
le regard de mon père.
Je vois Dieu à travers
un père qui est comme lui.
Dans sa façon de m’aimer,
Un père comme le père céleste.
Quand il m’épaule, je
suis la fille de mon père.
Alors que j’aime celui
sur terre, je découvre l’amour du père céleste à travers lui », je finis le premier couplet les yeux rivés
sur mon piano, envahie par les souvenirs de cette année et ma vie avant de rencontrer
cet homme que j’ose enfin regarder au début du second couplet.
« Une main solide qui me guide, Ressens sa
présence rassurante à mes côtés.
Il donnerait tout.
Un père ressent ta peine
quand tu la traverses.
A les mots dont tu as
besoin, il est à l’image du père céleste.
Je vois l’amour dans
le regard de mon père, Un père est comme le père céleste.
Dans sa façon de m’aimer,
Quand il m’épaule, Je suis la fille de mon père », ma voix craque sur cette dernière, mes yeux
sont tellement embués que je ne distingue plus bien son visage. Mais je tiens à
répéter les trois dernières paroles. Jérémie continue à jouer aussi, donc je
reprends tout le couplet tandis que le flash de l’iPhone de Thema balance dans
tous les sens signe qu’elle danse en filmant.
Je joue la dernière
note de la mélodie, nettoie mes yeux et me lève. Il a un bras croisé à la taille
et son autre main tient ses joues baignées de larmes. Il réduit l’espace au
même moment que moi et je fonds en larmes dans son étreinte réconfortante. J’ignore
qui tremble le plus entre nous, pourtant il me câline le dos pour m’apaiser.
— Promets que tu
n’iras jamais faire d’escalade ou un truc hyper dangereux qui te changera papa,
je ne veux pas apprendre à supporter ton absence maintenant que j’ai goûté à ce
qu’est la vie avec toi, je lui demande d’une voix saccadée le cœur déchiré au
souvenir de mon autre père.
— Sur tout ce qui
compte dans ma vie, je te le jure mon ange. Je t’aime tellement, tu ne peux pas
comprendre ce que tu représentes pour moi. Dieu dans sa grâce me laissera voir tes
vieux jours. Je serais toujours ton père et ferais de mon mieux pour être ton
réconfort.
— Merci ! je pleure sans pouvoir me contrôler.
Il m’embrasse la tête,
me serre davantage, me câline le dos, me répète combien je suis précieuse pour
lui. On ne ressemble à rien quand on se détache et nous rigolons de concert tandis
qu’il essuie mon visage.
— Ça se fait de
secouer son vieux père devant ses camarades ? il blague main sur mon épaule alors qu’on se
retourne vers les camarades en question.
Thema a oublié qu’elle
devait filmer. Elle est occupée à mordiller un mouchoir et pleurer. Son
téléphone se trouve entre les mains de Jérémie qui se moque d’elle pourtant, sa
voix indique clairement que lui aussi pleure ou à un moment a versé une larme. Il
y a aussi la fondatrice à côté qui s’éponge le visage et renifle.
— Je m’excuse, je
venais check que les enfants n’avaient pas de problèmes.
— Merci pour l’autorisation
avec le piano Mme Nicol, je lui dis de vive voix.
—You’re
very welcome honey.
— Bon, je vais aller
voir si je peux trouver un amour dans les yeux myopes de mon vieux, a father’s
like the father, Jérémie choisit de nous casser le moment et détale avec son
djembé.
— Il doit toujours
gâter quelque chose, se plaint Thema, mais papa et la fondatrice en rigolent.
— Vous le
comprendrez une fois adulte. La lutte entre le côté émotif et viril n’est pas
facile à son âge, nous dit papa.
Thema et moi allons redéposer
le piano dans la salle de musique de l’école que nous ouvre Mme Nicol. Nous
retournons à la fête pendant que papa me questionne sur la chanson.
— C’est « Through the eyes of my father » de Brianna Haynes, mais j’ai adapté les
paroles ici et là.
— J’ai aussi une
surprise pour toi, il me dit avec un sourire joyeux et la minute d’après j’ai l’impression
qu’on vient de me voler tout mon souffle.
Maman est là ! Ma mère est là. Ma maman. Je suis dans ses
bras que je n’ai pas senti depuis bientôt neuf mois. Maman est à Lomé. Elle me serre,
me câline, pleure, me dit qu’elle m’aime. Mon cœur risque d’exploser.
Je me réveille
étourdie le lendemain. Ça me prend de longues minutes pour refaire le fil des évènements
de la veille. La pièce, la chanson à papa, maman, ah oui. J’étais tellement
secouée que je n’ai pas quitté son étreinte. On est rentré tôt et nous avons
passé une bonne partie de la nuit dans mon lit à bavarder comme des vieilles
copines jusqu’au sommeil. Où est-elle ? Je
panique pendant une seconde, mais souffle de soulagement devant sa robe de soirée
pliée sur ma chaise de travail. Je sors à sa recherche et percute une
conversation entre elle et papa dans le séjour.
— Fais comme chez
toi. Le frigo est plein, il lui propose sur un ton détaché.
— Non merci. Je
ne vais pas abuser. J’attendais juste ton réveil pour m’excuser pour hier. Je n’ai
pas vu l’heure passer quand on discutait sinon je serais rentrée à mon hôtel.
— Pas de
problème.
— Je….bon, j’attends
qu’elle se réveille et je ne te dérangerai pas plus.
— Comme tu veux,
il lui répond encore sur un ton détaché qui me dit qu’il y a un malaise entre
eux.
Toutefois le malaise
ne semble pas venir du côté de papa.
— Je suppose que
tu es heureux d’avoir gagné. Ça ne prend pas une loupe pour voir qu’elle est
heureuse. Tu as réussi là où j’attendais que tu échoues. Tu peux jubiler. Je l’ai
mérité.
— Qu’est-ce que
ça m’apporterait ? Comme tu
l’as dit, elle est heureuse. Je n’ai pas la prétention de m’attribuer son
bonheur. Elle a besoin de toi, ta sœur, ton mari ainsi que moi et les autres ici
pour être comblée. Chacun à sa manière contribue à son équilibre, donc il n’y a
aucun échec ici tant que Hadassah est gagnante.
Maman renifle, signe
qu’elle pleure.
— Si tu savais
combien je me sens minable devant toi et regrette. Je reconnais que je n’ai
pensé qu’à moi quand j’ai….
— On est obligé
de parler du passé Stella ? Je me
suis fait une raison.
— Non on n’est
pas obligé. Tu as raison. J’ai fait mon choix. J’ai choisi Etienne et il a fini
par révéler à sa famille que Hadassah n’est pas sa fille biologique sans me
consulter. C’est moi qui l’ai mis indirectement dans cette situation en créant
ce mensonge. Tu as raison, ça ne te regarde en rien. On ne t’avait même pas
consulté, elle continue quand même à parler du passé.
— Qu’est-ce que ça
implique pour Hadassah alors ?
— J’ai quitté
Etienne. Depuis un moment, il n’a fait aucun effort pour être le père de Hada. C’était
moi qui jouais sur les deux tableaux, achetant les cadeaux pour deux, trouvant
des excuses. Hadassah a fini par s’en rendre compte et jouait juste le jeu comme
d’hab. La seule réaction qu’il a eue la concernant c’est lorsque j’ai fini par
lui révéler qu’elle était ici avec toi. Il a préféré m’accuser de vouloir le
quitter comme j’ai retrouvé une famille parfaite. Si ce n’est pas trop te
demander, j’aimerais qu’elle fasse sa seconde ici. J’ai…j’ai besoin de temps pour
m’organiser, commencer le divorce, trouver une place et…
— Tu n’as pas à m’expliquer
ta vie. Tant que Hadassah veut être ici, je la garderai. Tu peux prendre le
temps qu’il te faut pour te remettre sur pieds.
— Un grand merci,
elle dit sur un ton soulagé, mais misérable qui me brise le cœur.
Je ne veux plus en
entendre davantage. Je remonte et me cache sous la couette, la tête pleine de
souvenirs de mon père Etienne. Comment se débrouillera-t-il seul ? Pourquoi on en est arrivé là ? C’est vrai que l’accident l’a affecté, mais pourquoi
il s’est détaché de moi ?
Pourquoi le manque de ressemblance physique entre nous n’est devenu un problème
qu’après son accident ? Maman
est de retour en chambre. Je ne lui cache pas que j’ai entendu une partie de sa
conversation avec papa. On s’assoit face à face, en tailleur sur le lit.
— Tu m’en veux
hein, tu as raison, elle commence.
— C’est pas vrai…,
bon plus vrai, je corrige et elle sourit. Je t’en ai voulu en août quand j’ai
pris l’avion avec papa sous ton insistance. Mais c’était la meilleure chose qui
pouvait m’arriver maman. J’ai trouvé ici des gens qui voulaient vraiment être
avec moi. Cette sensation, je ne l’ai ressentie qu’avec toi, tata Mie, parfois
avec papa Etienne ou quelques amis en France. Ici, tous ceux à qui papa m’a
présenté m’ont accepté à bras ouverts. J’ai deux mamies maintenant, des papis,
plein de tontons et tatas. En plus j’ai eu l’opportunité d’accomplir une partie
de mon rêve. Ce rêve que je croyais seulement possible quand papa accepterait
de m’inscrire dans un camp musical. Hier, j’ai chanté devant des gens et
ensuite pour papa. J’ai chanté, je me suis sentie tellement bien, tellement à
ma place au milieu de mes camarades de classes. Tout n’a pas été rose, mais tout
a été utile, donc je ne t’en veux pas. Je sais que tu as fait des erreurs, mais
j’en ai fait aussi quand je suis arrivée ici. Papa m’a grondé, écouté, aidé et
ensuite puni pour me faire comprendre que je n’ai pas intérêt à le refaire. Comme
je ne pourrais pas te punir, je peux juste te gronder et si je peux t’aider à mieux
te sentir, dis-le-moi.
— Mon amour, elle
sanglote et m’étouffe contre elle.
— Pleure pas maman,
je ne suis pas en colère, c’est promis.
— Je suis en
colère contre moi, contre Etienne, contre les Muamini. Je suis en colère qu’on
t’ait laissé intérioriser tant de choses alors que tu pouvais avoir une vie
normale, et je suis tellement reconnaissante pour l’année que tu as vécu en
dépit de mes choix. Merci d’être si compréhensive envers ta maman. Je vais faire
de mon mieux désormais pour te remettre au centre de ma vie. Tu mérites mon
meilleur.
— Et papa Etienne ? Il…il va rester seul alors ? Il ne veut plus nous voir ?
— Non chérie. Ce
n’est pas qu’il ne veut plus nous voir et je jure que je ne maquille rien cette
fois. Papa Etienne doit se prendre en charge. On peut aimer quelqu’un, mais on
ne peut pas choisir de vivre à sa place. J’ai fini par l’accepter. C’est à lui
de le décider et aussi de faire des efforts s’il veut être dans nos vies.
— Mais s’il reste
seul, il va déprimer davantage alors…
— Ne t’inquiète
pas pour ça. Il a une famille qui tient à lui. Il sait aussi comment nous
trouver tout comme ton père Romelio a su comment prendre un avion, faire des pieds
et des mains pour avoir accès à toi.
— Donc.., je reprends
après une courte pause, tu penses que ça ne lui ferait pas du mal si je voulais
prendre le nom de mon père ? Je ne
veux pas qu’il pense que je le remplace, mais papa Romelio ne me connaissait
pas pendant treize ans, alors à défaut de pouvoir retourner dans le passé, je m’étais
dit qu’avoir son nom serait une bonne idée.
— On fera tout ce
que tu veux chérie. C’est ton désir qui prime. Si tu veux être Bemba, tu seras
Bemba.
***Romelio Bemba***
Elle me répète sa
doléance.
— Je peux devenir
Bemba avant la prochaine rentrée ? Je
veux entrer au lycée avec ton nom.
— Mon nom ? je demande le cœur tremblant.
— Oui. J’ai discuté
de ça avec maman et elle a dit qu’il n’y aura pas de problème pour papa
Etienne. On fera ce que je veux, même si j’ai peur qu’il se sente mal, mais
maman m’a rassuré, elle continue en faisant la moue.
— Attends,
explique-moi clairement ce dont vous avez parlé.
Elle me raconte ainsi ce
qu’était sa matinée avec sa mère. Comme les deux ne sortaient pas, j’avais
conclu qu’elles avaient probablement du rattrapage à faire. J’étais donc sorti
pour faire des courses et j’ai reçu un message de Hadassah m’informant qu’elle irait
au « Patio » avec sa mère pour officiellement la présenter
à ses amis. C’est là-bas que je suis allé la chercher après mes courses comme
convenu. Nous avons déposé Stella à son hôtel et c’est en rentrant qu’elle me
lâche cette bombe comme nouvelle.
— Tu sais chérie,
ça me touche que tu veuilles me redonner ce que tu considères qu’on nous a
pris, mais sans mentir, le nom n’est que la cerise sur le gâteau pour moi. T’avoir,
te garder et te voir t’épanouir, c’est tout ce qu’il me faut pour que je fasse partie
des plus heureux de ce monde, je lui dis une fois à la maison. Je sais désormais
que j’ai une place enracinée dans ta vie, alors ne te sent pas obligée de
devoir me restaurer quelque chose.
— Je ne veux pas
te restaurer quelque chose papa. Dans le meilleur des mondes, je porterai vos trois
noms, mais ça serait long avec mon prénom, mais je suis certaine d’une chose. Je
veux devenir Bemba parce que je suis fière et reconnaissante de t’avoir. Je
veux ton nom de famille et un second prénom en mina si c’est possible.
Becoming Bemba, je ne le
voyais pas ainsi et encore moins cette année, mais je l’ai reçu par grâce. Je l’enlace
et prie que Dieu m’aide à demeurer l’homme qu’elle a décrit dans sa chanson.