133:becoming Bemba

Ecrit par Gioia

***Romelio Bemba***

Il n’y a pas plus dramatique qu’Elikem quand elle s’y met. Depuis trois mois, madame fréquente régulièrement la salle de gym de son immeuble et il faut entendre ses cris dès qu’elle soulève 10 kg sur sa machine à biceps. On croirait quelqu’un qui bench press avec une barre de 25. Apparemment, ce sont les cris de motivation qu’elle utilise pour s’encourager à tenir. Je reprécise qu’on parle de 10 kg.

—Becoming Bem… «Hiii», Ba…., ça donne hein.

— Je t’ai menti si je dis que j’ai compris, je lui réponds.

—Becoming… «Haaa» Bemba. Le nom codé de ta prochaine relation.

— Donc on te donne le surnom et tu te tournes vers moi pour m’en coller aussi un, je dis avec humour.

— Maintenant que j’y pense, on aime trop se suivre, même si «Tourtereaux Tountian» a perdu face au «Tountian Tale», elle rigole.

— On avait conclu que tu étais la plus nulle quand il s’agit de surnoms. Concentre-toi sur la musculation pour préparer tes bras. La traîne que tu vas soulever entrera dans les annales togolaises.

— Vais-je m’en sortir entre elle et sa wedding planner sortie de je ne sais quel enfer là?

Sa plainte m’arrache un fou rire. On se laisse après notre étude biblique et prière régulière d’une vingtaine de minutes. Il y a trois mois de ça, elle m’a dit qu’elle avait besoin de se ressourcer après ses séances épuisantes avec son psy. La seule source stable que je connais et dont j’ai fait l’expérience est la parole de Dieu, donc je lui ai proposé qu’on se fasse la bible ensemble, parfois par versets ou chapitres selon notre disponibilité. Aussi étrange que ça puisse sonner, les trois derniers mois ont été les plus bénéfiques pour moi à tous les niveaux. J’ai retrouvé un espoir inexplicable en l’avenir, réussi à laisser aller cette idée d’échec que je rattachais à ma personne à cause du divorce, démissionné de mon poste actuel pour un autre que je commence dans une semaine. Après des années de fermeture suite à un changement de vision dix ans plus tôt, le conseil de gestion de l’hôpital AELI a décidé de rouvrir la maison de naissance qui lui était affiliée. Cette nouvelle est une victoire pour moi, parce que j’ai ramené cette idée à différentes reprises depuis que j’ai été pris comme assistant du président du conseil. La victoire est d’autant plus grande qu’on m’a confié le centre avec un objectif bien clair. J’ai cinq ans, un budget fixe et le champ libre pour choisir l’équipe tant qu’au bout du délai, le centre est rentable pour l’hôpital. Au niveau où je suis dans ma carrière et après avoir testé différents départements ainsi que structures cliniques, je suis impatient et reconnaissant pour cette opportunité. Je m’amusais déjà à construire un plan de relance quand je présentais l’idée de réouverture à tonton Eli, donc je n’ai eu aucune difficulté à trouver les conseillers nécessaires pour former mon équipe de gestion. J’ai retrouvé également deux de nos meilleures sages-femmes qu’on a dû licencier à la fermeture de la maison de naissances. Le reste sera du sang neuf. Bref, je suis prêt si on me demande de commencer demain, mais pour l’instant je profite de mon congé mérité.

Je dépose la tasse de bouillie d’avoine sur la table et le lait Peak à côté avant d’aller réveiller mon acolyte de la maison quand une porte s’ouvre à la volée. C’est elle-même qui arrive à la course, brosse à dents dans la bouche, une basket dans la main et l’autre à son pied.

— Quoi? T’es pas prêt?

C’est reparti. Je l’attrape par ses minces épaules avant qu’elle ne se ramasse la face au sol et la soulève en dépit de ses plaintes. On retourne dans la salle de bain.

— Tu te brosses les dents comme un humain normal. Personne ne sera à cette école avant 9 h du matin, fais-moi confiance, je lui explique pour qu’elle m’arrête les grommèlements.

 — Mais c’est l’heure du rendez-vous!

— Eh j’ai entendu et je te dis que tu ne seras pas la dernière parce que tu quittes la maison à 8 h 40. On parle d’une bande d’ados qui sont déjà dans le mood des vacances scolaires et nous sommes vendredi.

Peu convaincue, elle reprend ses murmures. Tout ça pour une comédie musicale que prépare son groupe depuis mai dans le cadre de la semaine d’art et sciences organisée par son école. Dieu merci, la semaine finit aujourd’hui. Ce qu’on me fait vivre dans cette maison depuis mai prendra officiellement fin ce soir. Tu paies toutes les factures, mais on te dit de ne pas déranger pendant certaines heures. On s’enferme dans la chambre avec une pancarte affichant «Interdiction pour Tchaa». Ou on t’abandonne systématiquement tous les samedis et dimanche aprèm depuis deux semaines pour des répétitions à l’école. Dans cette histoire, Arthur ce con a osé me dire qu’il me faut un centre d’intérêt ou une femme juste parce que je me plaignais d’être délaissé. Depuis qu’il a compris que je ne compte pas renouer avec Jennifer, il a arrêté de plaider sa cause. Maintenant, il s’est mis en tête qu’il va nous trouver des femmes parce qu’il est temps qu’on suive le pas des jeunes. Il ne le dit pas, mais le mariage imminent d’Ida lui met la pression. Comme Elikem et Océane étaient mon groupe, le sien était essentiellement composé d’Ida même s’ils n’ont pas le même âge.

Les dents de la diva sont propres. J’arrive aussi à lui faire boire sa bouillie et lui en mets dans une boîte au cas où même si elle a de l’argent pour s’acheter à manger. Nous sommes à l’école à 9 h. Ces ados ont failli me mettre dans les problèmes avec la diva tellement ils étaient là en grand nombre et déjà au travail. Heureusement, le metteur en scène de leur pièce est arrivé un peu après nous accompagné par leur fondatrice Deborah que je trouve rayonnante depuis son retour. Émerveillé par ce que les enfants font du décor sous la direction des professeurs, je voulais faire un tour quand on m’a poussé exagérément vers la porte.

— Bye!

— Hooo, c’est ton école? je demande à la concernée qui continue de me pousser.

— Ouais c’est la mienne. En plus, je t’ai laissé des choses à faire à la maison.

— Ah quoi ça?

— Tu trouveras la liste sur ton lit. Merci!

— Hum, les histoires de récitals.

— Représentation théâtrale et pas récital papa. Je t’ai corrigé plusieurs fois.

— Pardon chef. Il faut me comprendre, on n’a pas les talents comme toi.

— Pfff, c’euuu ça, elle rouspète sur un ton amusé.

On entend un coup comme si quelqu’un tapait sur un micro. Je lève la tête dans la direction en question et trouve Jérémie, micro à la main qui se racle exagérément la gorge.

— Le con, elle soupire et détale au même que Jérémie porte le micro à sa bouche.

— «Tornade», «La cantatrice blonde» est prestement demandée, il délivre son message avec un sourire fier provoquant le fou rire chez certains de ses camarades. Et sa majesté, Thema Selassie Gifty Nana, la royale retardataire nous gracie enfin de sa présence.

Je tourne la tête et celle dont on parle cache rapidement son doigt d’honneur quand elle me voit. Avec un sourire timide, Thema arrive à mon niveau et me salue.

— Gifty…

— Ne l’écoute pas tonton, c’est pas mon nom Gifty, elle répond par une moue emmerdée qui me fait rire après l’étonnement.  

- «Sa royauté Gifty est priée de ramener sa grosse tête par ici», ajoute ma fille sur un ton taquin.

La pauvre secoue la tête et se dirige vers eux en leur adressant des doigts d’honneur. À chaque chose, malheur est vraiment bon. J’aurais été au courant de l’existence de ce trio que probablement il ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui. Pourtant, ce trio a été d’une manière le catalyseur de l’épanouissement palpable de Hadassah. Même l’histoire d’intimidation est tombée aux oubliettes. J’ai vu l’une des coupables dans la team de ceux qui montaient le décor. De ce que m’a dit Hada, il n’y a qu’Amaya, la fille de George qui n’est pas revenue. Jérémie leur aurait raconté qu’elle a été inscrite ailleurs et je ne peux dire que j’en suis mécontent. Même si c’est en apparence, Deborah a réussi à ramener la cohésion dans son école, une chose admirable.

Je suis près de la porte quand elle hèle, «chef, 18 h 30», avec ses deux pouces en l’air ainsi que ses dents du bonheur grandement affichées. Je lui lève le pouce également et sors le cœur gonflé de joie en imaginant la tête qu’elle fera devant la surprise que j’ai pour elle ce soir.

 

***Hadassah Muamini***

Depuis trois mois, on travaille sur cette adaptation d’une trentaine de minutes d’Anastasia et je maîtrise mon texte, pourtant j’ai la trouille au fur et à mesure que l’heure approche. Je suis actuellement chez Thema tandis qu’elle prend une douche. J’ai fini la mienne et discute avec Estelle qui pense me tranquilliser pourtant elle est plus stressée que moi. Depuis que tata Macy leur a rendu visite, les choses se sont améliorées pour eux, même si c’est loin d’être rose surtout avec Netha. Je ne perds cependant pas espoir pour lui. Il est con et sur le mauvais chemin actu, mais il a un cœur en or enfoui dans ses conneries.

Thema sortie de douche pète un câble en me voyant devant l’assiette remplie préparée par sa gouvernante qui m’a forcé à accepter, je précise. Quand elle s’y met celle-là, elle est pire qu’une maman. Parlant de maman, je renvoie à ma tante le lien pour qu’elle suive la cérémonie en direct. Depuis qu’elle a accouché de mon neveu, elle se plaint d’oublis fréquents donc je me préfère me rassurer. Papa qui est en dessus de notre conversation Whatsapp avec ma tante n’a pas répondu quand je lui ai transmis le lien. J’hésite entre le relancer ou laisser tomber pendant quelques minutes avant que Thema tranche pour moi. C’est l’heure de s’apprêter. Notre metteur en scène a exigé qu’on vienne dans le plus simple appareil. Legging et t-shirt noir avec nos tenues post représentation dans nos housses. La gouvernante de Thema les a déjà apprêtés. Thema qui sera au piano durant la représentation doit en revanche arriver déjà coiffée. Sa gouvernante et moi l’aidons avec tandis qu’elle passe un savon à son pauvre papa qui vient d’arriver du Ghana sans le costume requis pour la soirée. Il a préféré leur pagne traditionnel qu’il enroule souvent autour de leur corps et dépose sur une épaule. Elle-même savait et me disait de toute façon que son vieux lui sortirait une bonne comme ça à la dernière minute parce qu’il déteste les vestes. Au moins son frère Saahene qui est aussi de la partie a sorti le costume sur mesure.

On explique aux deux arrivants qu’il nous faut être à l’école au plus grand tard à 17 h, soit 1 h 30 avant le début à cause de nos prestations, mais eux ne sont pas obligés. Le papa insiste quand même pour qu’on parte ensemble, arguant qu’il vaut mieux trouver des bonnes places pour filmer de toute façon. À quatre, on arrive à quitter la maison à l’heure, même si Thema a essayé de nous mettre en retard à la dernière minute à cause d’une boucle d’oreille qu’elle ne retrouvait pas. Ses interactions avec son père et frère ont réussi à m’amuser au point de me faire oublier mon trac.  

Le décor final me laisse bouche bée et émotive. Dire que je faisais partie des critiques de cette semaine des arts et science au début. Mes rêves les plus fous ne ressemblent pas à ce qu’on a réussi à faire. Avant qu’elle ne parte en mars, Mme Nicol avait fait un pacte avec chaque classe. Elle nous lançait le défi de trouver par classe un domaine et projet à présenter pour l’évènement à son retour en fin d’année scolaire. Nous devions lui faire un plan détaillé et ceux qui seraient retenus recevraient le soutien nécessaire pour l’accomplir. Il y a eu du remaniement, des idées rejetées, de nouvelles apportées. Les groupes se sont faits sur la base d’intérêts pour les sujets plutôt que par classes. Le truc qui a commencé timidement a commencé à prendre de l’ampleur au fur et à mesure qu’on approchait de la date. Malgré la distance, elle était présente à travers ses emails et le comité d’organisation composé de certains profs et élèves.

On aura même une couverture médiatique grâce au journal Source. Je suis tellement fière de nous que remporter la première place n’est même plus ma préoccupation. L’autre équipe qui a opté pour une représentation du «Prince et le Pauvre» est tout aussi redoutable. J’ai eu l’occasion de les voir quelques fois et nous avons dû défendre nos idées devant les profs avant d’en arriver ici donc la décision finale appartient au jury dont le chef et tonton Arthur sont membres.

Plus qu’une trentaine de minutes avant le début. Nous sommes maquillées, mais toujours dans nos tenues normales. Le metteur en scène nous laisse une dizaine de minutes pour nous détendre. Je vais faire un tour dans la salle qui se remplit bien. Papa n’apparaît pas dans mon visuel, mais quand je suis près de désespérer, je reconnais le profil de mamie Hana vers qui Jérémie se rapproche. Je m’élance vers elle et l’enlace par l’arrière en la bousculant. Elle rit et me tourne pour me voir.

— Jérémie! On entend d’une voix sévère qui appartient à la mère de Jay.

Elle n’a pas l’air contente et se rapproche aussi.

— Tu fais quoi à parler avec les inconnus au lieu d’être avec tes camarades?

— Inconnu? C’est la…

— Tu bouges! elle le coupe sèchement et le tire par l’oreille pour le faire avancer avec elle. C’est pour après nous ramener quelqu’un qui sort d’une famille au cœur sombre comme future femme, tu verras ce que je vais te faire si tu oses, elle continue à maugréer.

Mamie pouffe de rire tandis que les autres nous rejoignent. Ils sont là. Papi Auxanges et Magnim, Mamie Ciara, Tonton Arthur et m’enlacent à tour de rôle.

— Qu’est-ce qui t’amuse déjà? Papi Magnim interroge mamie Hana.

— Tu tombes bien. Apparemment, le bestie qui faisait venir les gens au Canada pendant les vacances est devenu une personne au cœur noir oh. Les temps ont bien changé, elle répond avec un grand humour.  

— Toi, toi, toi là, j’ai bien dit, on est là pour Hadassah, papi Auxanges répond sur un ton d’avertissement.

— Mais je suis toujours dans le cas de Hadassah non, ou bien chérie? Je peux être avec qui si ce n’est toi?

N’ayant rien capté de ce qui se passe là, je préfère leur demander s’ils ont trouvé des places et où se trouve papa. Par chance, le papa de Thema avait gentiment gardé deux places à côté de lui. Papi et Mamie. Papi Magnim et Mamie Ciara se trouvent aussi des sièges pas si loin d’eux. Tonton Arthur qui prend place parmi les jurés me confirme que papa ne tardera plus. Ils s’étaient juste séparés parce qu’il avait à faire. Confiante, je rejoins ma troupe jusqu’au lever du rideau annonçant le début de la soirée. Nous avons dix minutes de retard finalement, mais depuis ma place cachée, la salle me semble presque pleine. Thema qui texte avec son frère me confirme qu’il a vu papa. Le maître de cérémonie prend le micro, salue, fait le point du programme et leur rappelle que sous leurs chaises se trouvent aussi des versions papier du déroulement de la soirée.

Il invite la fondatrice sur scène pour la suite et même dans les coulisses, on ne cesse de s’extasier sur sa classe jusqu’à ce qu’on voie la tête de Jérémie à côté qui nous fait marrer. Lui et certains élèves ont été intégrés comme animateurs durant la soirée. La fondatrice a bien insisté sur le fait que cet évènement était d’abord le nôtre, donc elle nous voulait à tous les niveaux tant qu’on se sentait capable de relever le défi. Il est tellement con et relou Jérémie, mais il fait la fierté de notre classe là sur le podium. Classe dans son veston, bien coiffé pour une fois, il fait avec elle le recap des grands évènements de cette semaine qui a débuté lundi. Les trois heures suivantes s’enchaînent si vite que j’ai l’impression de ne voir que des flashs. Mon cerveau n’enregistre la fin que lorsqu’on reçoit une ovation après avoir une version chorale de «Loin du froid de décembre» pour clore notre pièce.

On se saute dessus une fois dans les coulisses. Les applaudissements, les pleurs chez certains, les rires, c’est un torrent émotionnel ici, mais je n’ai pas le temps de l’expérimenter. Le metteur en scène nous rappelle qu’il n’y a pas de minute à perdre. On se change et chacun rejoint sa place assignée dans l’assemblée. Notre scène était l’avant-dernier évènement du programme. On retrouve notre place parmi les autres élèves. C’est deux fois meilleur de suivre les autres qui sont sur scène. Ils ont été excellents. Le jury délibère pendant une dizaine de minutes. Notre groupe l’emporte avec une seule voix de différence. Les autres n’ont pas démérité donc on partage la scène de victoire ensemble et encore une fois nous recevons des tonnerres d’acclamations. Heureusement qu’on se tient les mains pour descendre, sans quoi je me serais probablement retrouvée fesses à terre vu comment mes jambes tremblent.

Encore une fois, pas le temps de souffler même si c’est bientôt l’ouverture du cocktail. J’ai une seconde représentation qui me tient autant à cœur que l’autre. Je montre à notre metteur en scène notre autorisation et aidée de Thema, nous montons le piano électronique dans notre classe. Jérémie nous suit avec son djembé qu’il avait promis d’apporter.

— Tu es certain qu’il ne nous a pas vus?

— Mais oui, avance au lieu de stresser, me répond Jérémie.

On pose le piano, je le branche. Jérémie se propose d’aller chercher papa, mais Thema le lui refuse.

— C’est pour t’empiffrer le visage de petits fours et revenir une heure après.  

— J’ai dix jours de plus que ta grosse bouche là, respecte un peu ça Gifty.

— On a juste vingt minutes avant que les autres se mettent à nous chercher hein, je leur rappelle.

Thema s’y colle. On répète vite fait l’harmonie de la mélodie entre le djembé et le piano. C’est notre première en vrai. Les autres fois on faisait de notre mieux par Whatsapp. Un truc de fou.  

— Tchai! Donc ce sont les minces doigts qui jouent bien Sankou hein.

— San—quoi?

— Je t’ai dit que moi vivant tu parleras mina, on dit Sankou et non piano.

— Ouais ouais, un autre jour. Au fait c’était quoi le délire entre ta daronne et ma mamie tout à l’heure? C’est moi ou c’était chelou?

— Mon cher, quand tu vois ma face fraîche de 14 ans, c’est histoire des nonagénaires que je vais comprendre?

— Ma mamie n’est pas nonagénaire, je lui réponds en le regardant de travers.

— Héééé, il faut me laisser hors de ça. Je n’ai pas les compétences pour parler de leurs choses. J’ai déjà cassé mon cerveau pour avoir le brevet. Au fait, tu es certaine que Gifty là n’est pas en train de manger au lieu de…

— Shhh! je lui fais main sur la bouche quand on entend des pas se rapprocher.

«Thump» «Thump» «Thump», mon cœur ne cesse de cogner fort jusqu’à ce qu’on entende les voix derrière la porte. Elle s’ouvre.

— Allez-y, on entend de Thema qui se rappelle de ne pas allumer comme prévu.

— J’espère que vous n’avez pas fait de bêtises hein, dit papa avec humour.

Je le vois enfin donc je prends une profonde respiration.

— C’est quoi ici? C’est mon récital personnel? il demande confus, mais toujours avec humour.

— C’est ce que je veux te dire depuis un moment, je réponds et commence à jouer tout en priant que l’émotion ne vole pas ma voix.

«Dès le début, tu étais sa priorité.

Il t’aime même quand tu n’es pas aimable.

Il ferait tout, un père.

Il te montre ce qu’est l’amour.

A vu tes rêves avant que tu les connaisses.

Il te donnerait tout, à l’image de ton père céleste.

Je vois Dieu à travers le regard de mon père.

Je vois Dieu à travers un père qui est comme lui.

Dans sa façon de m’aimer, Un père comme le père céleste.

Quand il m’épaule, je suis la fille de mon père.

Alors que j’aime celui sur terre, je découvre l’amour du père céleste à travers lui», je finis le premier couplet les yeux rivés sur mon piano, envahie par les souvenirs de cette année et ma vie avant de rencontrer cet homme que j’ose enfin regarder au début du second couplet.

«Une main solide qui me guide, Ressens sa présence rassurante à mes côtés.

Il donnerait tout.

Un père ressent ta peine quand tu la traverses.

A les mots dont tu as besoin, il est à l’image du père céleste.

Je vois l’amour dans le regard de mon père, Un père est comme le père céleste.

Dans sa façon de m’aimer, Quand il m’épaule, Je suis la fille de mon père», ma voix craque sur cette dernière, mes yeux sont tellement embués que je ne distingue plus bien son visage. Mais je tiens à répéter les trois dernières paroles. Jérémie continue à jouer aussi, donc je reprends tout le couplet tandis que le flash de l’iPhone de Thema balance dans tous les sens signe qu’elle danse en filmant.

Je joue la dernière note de la mélodie, nettoie mes yeux et me lève. Il a un bras croisé à la taille et son autre main tient ses joues baignées de larmes. Il réduit l’espace au même moment que moi et je fonds en larmes dans son étreinte réconfortante. J’ignore qui tremble le plus entre nous, pourtant il me câline le dos pour m’apaiser.

— Promets que tu n’iras jamais faire d’escalade ou un truc hyper dangereux qui te changera papa, je ne veux pas apprendre à supporter ton absence maintenant que j’ai goûté à ce qu’est la vie avec toi, je lui demande d’une voix saccadée le cœur déchiré au souvenir de mon autre père.

— Sur tout ce qui compte dans ma vie, je te le jure mon ange. Je t’aime tellement, tu ne peux pas comprendre ce que tu représentes pour moi. Dieu dans sa grâce me laissera voir tes vieux jours. Je serais toujours ton père et ferais de mon mieux pour être ton réconfort.

— Merci! je pleure sans pouvoir me contrôler.

Il m’embrasse la tête, me serre davantage, me câline le dos, me répète combien je suis précieuse pour lui. On ne ressemble à rien quand on se détache et nous rigolons de concert tandis qu’il essuie mon visage.

— Ça se fait de secouer son vieux père devant ses camarades? il blague main sur mon épaule alors qu’on se retourne vers les camarades en question.

Thema a oublié qu’elle devait filmer. Elle est occupée à mordiller un mouchoir et pleurer. Son téléphone se trouve entre les mains de Jérémie qui se moque d’elle pourtant, sa voix indique clairement que lui aussi pleure ou à un moment a versé une larme. Il y a aussi la fondatrice à côté qui s’éponge le visage et renifle.

— Je m’excuse, je venais check que les enfants n’avaient pas de problèmes.

— Merci pour l’autorisation avec le piano Mme Nicol, je lui dis de vive voix.

—You’re very welcome honey.

— Bon, je vais aller voir si je peux trouver un amour dans les yeux myopes de mon vieux, a father’s like the father, Jérémie choisit de nous casser le moment et détale avec son djembé.

— Il doit toujours gâter quelque chose, se plaint Thema, mais papa et la fondatrice en rigolent.

— Vous le comprendrez une fois adulte. La lutte entre le côté émotif et viril n’est pas facile à son âge, nous dit papa.

Thema et moi allons redéposer le piano dans la salle de musique de l’école que nous ouvre Mme Nicol. Nous retournons à la fête pendant que papa me questionne sur la chanson.

— C’est «Through the eyes of my father» de Brianna Haynes, mais j’ai adapté les paroles ici et là.

— J’ai aussi une surprise pour toi, il me dit avec un sourire joyeux et la minute d’après j’ai l’impression qu’on vient de me voler tout mon souffle.

Maman est là! Ma mère est là. Ma maman. Je suis dans ses bras que je n’ai pas senti depuis bientôt neuf mois. Maman est à Lomé. Elle me serre, me câline, pleure, me dit qu’elle m’aime. Mon cœur risque d’exploser.

Je me réveille étourdie le lendemain. Ça me prend de longues minutes pour refaire le fil des évènements de la veille. La pièce, la chanson à papa, maman, ah oui. J’étais tellement secouée que je n’ai pas quitté son étreinte. On est rentré tôt et nous avons passé une bonne partie de la nuit dans mon lit à bavarder comme des vieilles copines jusqu’au sommeil. Où est-elle? Je panique pendant une seconde, mais souffle de soulagement devant sa robe de soirée pliée sur ma chaise de travail. Je sors à sa recherche et percute une conversation entre elle et papa dans le séjour.

— Fais comme chez toi. Le frigo est plein, il lui propose sur un ton détaché.

— Non merci. Je ne vais pas abuser. J’attendais juste ton réveil pour m’excuser pour hier. Je n’ai pas vu l’heure passer quand on discutait sinon je serais rentrée à mon hôtel.

— Pas de problème.

— Je….bon, j’attends qu’elle se réveille et je ne te dérangerai pas plus.

— Comme tu veux, il lui répond encore sur un ton détaché qui me dit qu’il y a un malaise entre eux.

Toutefois le malaise ne semble pas venir du côté de papa.

— Je suppose que tu es heureux d’avoir gagné. Ça ne prend pas une loupe pour voir qu’elle est heureuse. Tu as réussi là où j’attendais que tu échoues. Tu peux jubiler. Je l’ai mérité.

— Qu’est-ce que ça m’apporterait? Comme tu l’as dit, elle est heureuse. Je n’ai pas la prétention de m’attribuer son bonheur. Elle a besoin de toi, ta sœur, ton mari ainsi que moi et les autres ici pour être comblée. Chacun à sa manière contribue à son équilibre, donc il n’y a aucun échec ici tant que Hadassah est gagnante.

Maman renifle, signe qu’elle pleure.

— Si tu savais combien je me sens minable devant toi et regrette. Je reconnais que je n’ai pensé qu’à moi quand j’ai….

— On est obligé de parler du passé Stella? Je me suis fait une raison.

— Non on n’est pas obligé. Tu as raison. J’ai fait mon choix. J’ai choisi Etienne et il a fini par révéler à sa famille que Hadassah n’est pas sa fille biologique sans me consulter. C’est moi qui l’ai mis indirectement dans cette situation en créant ce mensonge. Tu as raison, ça ne te regarde en rien. On ne t’avait même pas consulté, elle continue quand même à parler du passé.

— Qu’est-ce que ça implique pour Hadassah alors?

— J’ai quitté Etienne. Depuis un moment, il n’a fait aucun effort pour être le père de Hada. C’était moi qui jouais sur les deux tableaux, achetant les cadeaux pour deux, trouvant des excuses. Hadassah a fini par s’en rendre compte et jouait juste le jeu comme d’hab. La seule réaction qu’il a eue la concernant c’est lorsque j’ai fini par lui révéler qu’elle était ici avec toi. Il a préféré m’accuser de vouloir le quitter comme j’ai retrouvé une famille parfaite. Si ce n’est pas trop te demander, j’aimerais qu’elle fasse sa seconde ici. J’ai…j’ai besoin de temps pour m’organiser, commencer le divorce, trouver une place et…

— Tu n’as pas à m’expliquer ta vie. Tant que Hadassah veut être ici, je la garderai. Tu peux prendre le temps qu’il te faut pour te remettre sur pieds.

— Un grand merci, elle dit sur un ton soulagé, mais misérable qui me brise le cœur.

Je ne veux plus en entendre davantage. Je remonte et me cache sous la couette, la tête pleine de souvenirs de mon père Etienne. Comment se débrouillera-t-il seul? Pourquoi on en est arrivé là? C’est vrai que l’accident l’a affecté, mais pourquoi il s’est détaché de moi? Pourquoi le manque de ressemblance physique entre nous n’est devenu un problème qu’après son accident? Maman est de retour en chambre. Je ne lui cache pas que j’ai entendu une partie de sa conversation avec papa. On s’assoit face à face, en tailleur sur le lit.

— Tu m’en veux hein, tu as raison, elle commence.

— C’est pas vrai…, bon plus vrai, je corrige et elle sourit. Je t’en ai voulu en août quand j’ai pris l’avion avec papa sous ton insistance. Mais c’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver maman. J’ai trouvé ici des gens qui voulaient vraiment être avec moi. Cette sensation, je ne l’ai ressentie qu’avec toi, tata Mie, parfois avec papa Etienne ou quelques amis en France. Ici, tous ceux à qui papa m’a présenté m’ont accepté à bras ouverts. J’ai deux mamies maintenant, des papis, plein de tontons et tatas. En plus j’ai eu l’opportunité d’accomplir une partie de mon rêve. Ce rêve que je croyais seulement possible quand papa accepterait de m’inscrire dans un camp musical. Hier, j’ai chanté devant des gens et ensuite pour papa. J’ai chanté, je me suis sentie tellement bien, tellement à ma place au milieu de mes camarades de classes. Tout n’a pas été rose, mais tout a été utile, donc je ne t’en veux pas. Je sais que tu as fait des erreurs, mais j’en ai fait aussi quand je suis arrivée ici. Papa m’a grondé, écouté, aidé et ensuite puni pour me faire comprendre que je n’ai pas intérêt à le refaire. Comme je ne pourrais pas te punir, je peux juste te gronder et si je peux t’aider à mieux te sentir, dis-le-moi.

— Mon amour, elle sanglote et m’étouffe contre elle.

— Pleure pas maman, je ne suis pas en colère, c’est promis.

— Je suis en colère contre moi, contre Etienne, contre les Muamini. Je suis en colère qu’on t’ait laissé intérioriser tant de choses alors que tu pouvais avoir une vie normale, et je suis tellement reconnaissante pour l’année que tu as vécu en dépit de mes choix. Merci d’être si compréhensive envers ta maman. Je vais faire de mon mieux désormais pour te remettre au centre de ma vie. Tu mérites mon meilleur.

— Et papa Etienne? Il…il va rester seul alors? Il ne veut plus nous voir?

— Non chérie. Ce n’est pas qu’il ne veut plus nous voir et je jure que je ne maquille rien cette fois. Papa Etienne doit se prendre en charge. On peut aimer quelqu’un, mais on ne peut pas choisir de vivre à sa place. J’ai fini par l’accepter. C’est à lui de le décider et aussi de faire des efforts s’il veut être dans nos vies.

— Mais s’il reste seul, il va déprimer davantage alors…

— Ne t’inquiète pas pour ça. Il a une famille qui tient à lui. Il sait aussi comment nous trouver tout comme ton père Romelio a su comment prendre un avion, faire des pieds et des mains pour avoir accès à toi.

— Donc.., je reprends après une courte pause, tu penses que ça ne lui ferait pas du mal si je voulais prendre le nom de mon père? Je ne veux pas qu’il pense que je le remplace, mais papa Romelio ne me connaissait pas pendant treize ans, alors à défaut de pouvoir retourner dans le passé, je m’étais dit qu’avoir son nom serait une bonne idée.

— On fera tout ce que tu veux chérie. C’est ton désir qui prime. Si tu veux être Bemba, tu seras Bemba.

***Romelio Bemba***

Elle me répète sa doléance.

— Je peux devenir Bemba avant la prochaine rentrée? Je veux entrer au lycée avec ton nom.

— Mon nom? je demande le cœur tremblant.

— Oui. J’ai discuté de ça avec maman et elle a dit qu’il n’y aura pas de problème pour papa Etienne. On fera ce que je veux, même si j’ai peur qu’il se sente mal, mais maman m’a rassuré, elle continue en faisant la moue.

— Attends, explique-moi clairement ce dont vous avez parlé.

Elle me raconte ainsi ce qu’était sa matinée avec sa mère. Comme les deux ne sortaient pas, j’avais conclu qu’elles avaient probablement du rattrapage à faire. J’étais donc sorti pour faire des courses et j’ai reçu un message de Hadassah m’informant qu’elle irait au «Patio» avec sa mère pour officiellement la présenter à ses amis. C’est là-bas que je suis allé la chercher après mes courses comme convenu. Nous avons déposé Stella à son hôtel et c’est en rentrant qu’elle me lâche cette bombe comme nouvelle.

— Tu sais chérie, ça me touche que tu veuilles me redonner ce que tu considères qu’on nous a pris, mais sans mentir, le nom n’est que la cerise sur le gâteau pour moi. T’avoir, te garder et te voir t’épanouir, c’est tout ce qu’il me faut pour que je fasse partie des plus heureux de ce monde, je lui dis une fois à la maison. Je sais désormais que j’ai une place enracinée dans ta vie, alors ne te sent pas obligée de devoir me restaurer quelque chose.

— Je ne veux pas te restaurer quelque chose papa. Dans le meilleur des mondes, je porterai vos trois noms, mais ça serait long avec mon prénom, mais je suis certaine d’une chose. Je veux devenir Bemba parce que je suis fière et reconnaissante de t’avoir. Je veux ton nom de famille et un second prénom en mina si c’est possible.

Becoming Bemba, je ne le voyais pas ainsi et encore moins cette année, mais je l’ai reçu par grâce. Je l’enlace et prie que Dieu m’aide à demeurer l’homme qu’elle a décrit dans sa chanson. 

D’amour, D’amitié