
163 : On se parle d’amour ou d’amitié part 1
Ecrit par Gioia
Un an plus tard, en juillet
***Océane Tountian***
C’est le genre de journées où je laisse Ezer gagner par manque d’énergie. Il voulait s’habiller et le résultat catastrophique, mais au moins, nous sommes enfin en route pour Pram où nous passerons le week-end. Eben n’est pas de la partie, il a dû se rendre d’urgence à Vogan pour une affaire familiale. L’année dernière ne fut pas de tout repos chez les Tountian, mais au moins je m’accroche à l’idée que maman Constance se porte bien sur le plan physique.
Dès qu’on passe la frontière, j’appelle Meu bem comme convenu.
— Allô? Ça se passe bien? je lui demande dès qu’il répond.
— On est dedans, et vous? Vous êtes où là?
— Toujours dans Aflao.
— OK, les terreurs sont sages?
— Papa! la seconde terreur se manifeste avec entrain.
— Oui champion, tu es sage? réplique Eben avec humour.
Le « oui » qu’il lui sert docilement nous fait éclater de rire et son frère aîné enchaîne.
— « Ne » monsieur policier est venu à côté de « na » voiture papa et puis maman a ouvert la vitre et « ne » monsieur a pris et puis il est parti, mais nous on n’est pas parti avec lui, et après il est revenu et il m’a fait le sourire.
— Ah ça! Donc tu es resté pépère avec maman et Othi dans la voiture pendant que l’officier est passé prendre les passeports pour les estamper? Tu as remercié le monsieur?
— Il m’a pas donné « nes » cadeaux papa, il s’explique innocemment et on rigole encore.
— Mais il t’a donné un service privilégié mon grand. On dit merci quand on est bien traité, d’accord?
— D’accord, il acquiesce en bougeant sa lourde tête.
— Ton fils m’inquiète avec son amour pour les privilèges du haut de ses trois ans, je commente amusée.
— Il a le meilleur modèle sur ce plan. Il faut faire face à tes défauts.
— Bécilein, je réplique en me marrant.
On ne peut plus prononcer les insultes avec les oreilles attentives qu’on a dans les parages. Il s’éloigne un peu de l’endroit bruyant où il se trouve pour me parler des choses là-bas. On n’a pas vraiment le temps d’entrer dans les détails, mais je suis assez rassurée quand on se laisse.
Vers 11 h 10, nous sommes devant le portail des Asamoah à Pram. On n’a plus le droit de détache Ezer, monsieur se trouve trop indépendant pour moi. Pendant que je m’occupe d’Othi, je leur rappelle la consigne la plus importante.
— On ne court pas et on ne crie pas chez tata Elikiki pour éviter de réveiller le bébé, d’accord?
Ezer hoche la tête, Othi l’imite, mais je doute qu’il ait bien compris. Je sors notre petite valise et mon cœur se gonfle de joie dès qu’on pénètre la maison des Asamoah.
— Oh notre princesse d’amour, je m’exclame devant le tableau touchant dressé devant mes yeux.
— Shhhh, une petite voix s’exclame aussitôt à mes côtés et on tire sur mon habit.
— Pas de cris, me rappelle Ezer avec l’air le plus sérieux au monde.
— Franchement hein mon dauphin, heureusement que tu es là pour rappeler les choses à maman, se moque Elikem qui nous rejoints après avoir posé le bébé dans son moïse.
— Ce n’est pas votre faute, on va tout entendre maintenant qu’il parle français.
Est-ce que le concerné m’accorde même un regard? Lui et Othi sont occupés à faire des câlins à leur tata qui me fait crier à nouveau quand elle se relève avec les deux dans ses bras.
— Ne me crée pas les problèmes avec le père des filles « Like »! Tu es à deux semaines post accouchement madame! je lui rappelle au cas où elle aurait oublié, mais elle en rit simplement et continue à avancer avec les garçons accrochés à elle.
— C’est bon la voiture est arrivée, elle leur annonce, s’abaisse pour les poser et hèle le nom de Richie. Les amis font la sieste, mais vous allez rester avec Richie d’accord? elle leur explique.
Pendant ce temps, je fais mon chemin vers le moïse, trop pressée de voir la beauté de notre nouvelle addition, mais l’autre bébé que j’y trouve me fait encore crier et bien sûr, mon fils se dépêche de me rappeler à l’ordre.
— Qu’est-ce qui t’arrive? me questionne Elikem.
— Ce n’est pas à moi de te poser cette question? Kiko fait quoi ici?
— Elle n’a pas droit aux vacances comme ses frères? Richie! elle l’interpelle à nouveau.
— Tchieu Elikem, je m’étonne à nouveau. Six enfants pour toi seule alors que tu es en congé maternité? Tu n’es pas supposée mettre ce temps à profit pour te reposer?
— Pardon sort ce vieux du lot des enfants. Depuis qu’il a trois poils au menton, on ne peut plus lui parler, elle dit quand Richie apparaît enfin.
Je ne crie pas, même si le nouveau lui me prend par surprise.
— Les abdos là c’est pour mystifier qui? C’est toujours 14 ans ça?
— Dans sa tête, il croit en avoir 41 et se permet de répondre quand il veut, ajoute Elikem.
— Genre on ne peut plus sortir de douche hein?
— Ah bouge, réplique Elikem en le poussant avec les hanches.
— En tout cas, bonne arrivée tata Annie, il me dit en secouant la tête tandis qu’au visage, il porte une expression amusée.
Heureusement, je lui ai quelques fois parlé durant l’année, donc sa voix ne me surprend pas, mais en vidéo, il ne paraissait pas si grand. Sans tarder, Malike déambule, avec un jeu en main en scandant le nom de Richie.
— Mais Madame, tu ne dormais pas il y a quelques minutes? s’étonne sa mère.
—Huh? elle réplique avec un air confus comme si on ne parlait pas d’elle.
—Huh me well. Tu ne vois pas tata Annie ? On dit quoi ?
— Mommy I don’t understand you, is difficult, elle se plaint et m’arrache un rire.
— Tchieu comportement anglophone hein, Mommy « A dan undarstan you », l’imite Richie qui se prend directement un coup de pied au tibia.
— Is not funny Richie, is not, elle se plaint en le regardant méchamment.
— Dépêche-toi de saluer les gens que « Mommy I don’t understand », dit Elikem qui l’imite aussi, mais en mina.
Sans tarder, Malike s’approche pour me saluer et me fait fondre avec un petit sourire timide. Je la porte pour la mettre sur mes genoux et mes garçons s’approchent. Ils faisaient aussi les timides, mais dès que j’ai soulevé Malike, Ezer s’est rapidement manifesté pour qu’on le porte aussi. Cet enfant a décidément pris tout mon caractère jusqu’à la jalousie, et moi je le projetais avec Malike dans le futur, or je crains qu’avec le temps, elle reprenne l’affreuse manie qu’a sa mère de minimiser le désir d’exclusivité des gens. Dès que Malike descend pour aller chercher des biscuits, Ezer se repositionne et écarte bien ses jambes pour signifier à je ne sais qui qu’il n’y a plus de place. Pourtant, c’est pour lui que Malike est allée chercher les biscuits hein.
— Il va falloir qu’on travaille sur ça hein Zezounet, je lui dis et il hoche sa grosse tête posée sur ma poitrine.
— Un dauphin sur son trône, rigole Elikem.
Heureusement, Othi est plus coopératif et sociable. Il a même oublié notre présence, prenant la main de Richie comme Malike le fait.
— Ou as-tu laissé notre Likem numéro 2 ? je demande à Elikem maintenant qu’on est seules, enfin…, seules et demi puisque le trône est toujours pris ici.
— L’acte de naissance est déjà établi madame, dommage pour les jaloux, elle réplique amusée pendant que Richie et ses petits assistants déposent sur notre table de quoi manger et boire.
—What’s your sister’s name honey? Elikem interroge Malike.
— OK, So my sister is Neeeyaaa Donnaiii Asamoi, elle répond avec assurance et Elikem trouve ça drôle au point d’éclater de rire.
—And what’s yours ?
— I am Malké Antoinaiii Asamoi, elle répond toujours avec assurance et je ne peux m’empêcher de rire cette fois.
— L’accent mignon de fou ma chérie, je dis avec humour.
— La marque de fabrique des sœurs « Naiii », si je ne vous avais pas eu, Dieu aurait eu des problèmes avec moi, réplique Elikem en buvant de l’eau pour calmer sa toux.
— Le manque de sérieux que tu développes dans le vieil âge m’inquiète Elikem. Comment tu me tues le charisme des filles en leur donnant des vieux prénoms comme Antoinette et Donnette ? On doit attendre quoi de ton troisième enfant ? Sonnette ?
— C’est toi qui sortiras ce troisième enfant ? elle demande, reprenant subitement son sérieux et c’est moi qui éclate de rire.
— Notre beau avait dit quoi ? Il a fixé le nombre, tu penses qu’il t’a laissé coller les prénoms que tu veux à votre deuxième fille parce qu’il t’aime trop ?
— Tout ce que tu dis te regarde. Nia Donnette a fermé le bal de la maternité chez moi, d’où le prénom d’origine swahili pour honorer le pays où Cédric et moi avons commencé nos combines qui nous ont conduits ici.
— Awww, tu sais toucher l’humain quand tu t’y mets, mais le Donnette devait tout gâcher ?
— Figure-toi que le Donnette vient de Cédric.
— Arrête les mensonges, ça ne ressemble pas au beau. Tu m’as déjà dit qu’il avait proposé Nalikem et tu as décliné sous prétexte que ça ressemblait trop à Elikem.
— Et j’ai proposé Nia, un prénom commençant par N aussi, pour maintenir son idée du N qui suit le M ainsi que le clin d’œil au Kenya. C’est lui je te dis, il a choisi Donnette parce qu’il veut les fausses jumelles. Il les appelle même les sœurs Nette.
— C’est toi seule qui crois cette histoire oh, tu ne terniras pas l’image de notre beau. Il vit avec son temps, pas les choses du 20e siècle.
— N’est-ce pas, elle rigole et se lève pour prendre Kiko qui commençait à geindre.
— En tout cas, Mally est là pour nous faire des beaux enfants si tu fermes ton usine.
— Prie d’abord pour Dara s’il te plaît, elle me dit prenant un ton plus sérieux. Kiko ne devait pas être seule. Elle devait avoir un cousin du nom de Kilian, d’où le Kiki que Snam a ajouté au Kokoe que Mally avait choisi pour leur troisième enfant. Tu sais que lui a déjà une liste dressée, il attend simplement que Snam soit prête et il trace un trait sur le prénom.
— Qu’est-ce qui s’est passé avec Kilian ?
— Fausse couche à six mois, elle grimace.
— Seigneur, c’est récent ? Marley et moi n’avons pas énormément parlé dernièrement avec les activités de chaque côté.
— Quand j’étais enceinte de Nia. Ça me fait tellement mal Océane. Imagine, Dara, Snam et moi étions à peu près dans la même tranche, on se parlait tous les jours et dans sa 20e semaine, elle perd le bébé. On a dû respecter qu’elle choisisse de couper les ponts, mais j’en ai pleuré sans arrêt.
— La pauvre chérie. Tu as quand même de ses nouvelles par Marley ou Mally ?
— Oui et on se reparle un peu dernièrement, mais ça prendra du temps pour qu’elle reprenne le dessus. Elle s’est plutôt jetée dans son travail pour se remplir les idées. J’attends qu’elle soit prête à me voir pour aller à Nairobi.
Je soupire lourdement. La fausse couche c’est comme une épée de Damoclès qui plane sur la tête des femmes. Ça n’aide pas quand on entend souvent qu’une femme sur cinq fera une fausse couche durant le premier trimestre, donc je n’imagine même pas quand elle survient dans la seconde partie de la grossesse alors qu’on se croit dans la zone hors danger. Je pense à la douce Dara et j’ai davantage de peine. Je sais bien que son passé est loin, mais j’ai toujours l’image de la petite qui a trop souffert, donc entendre qu’elle rencontre encore des difficultés me chagrine.
— Elle s’en sortira, je lance pour m’encourager et aussi Elikem. Si on a accouché, c’est qu’elle ne sera pas en reste. On va prier sans relâche jusqu’à ce qu’elle obtienne son bundle of joy. Dieu est fidèle.
— Amen.
— S’il est fidèle pour les serpents comme la violeuse des mineurs, il ne peut pas oublier ses aigles.
— Voici la preuve que tu n’es pas faite pour l’œuvre de Dieu. C’est quel message ça ?
— Un message authentique. C’est Dieu qui est trop bon, sinon il sait qu’une violeuse n’a pas le droit d’être mère. Traite-moi d’insensible, je m’en fous. Elle ne serait même plus de ce monde si elle avait tenté cette abomination sur mon gosse, je dis et j’embrasse la tête d’Ezer qui roupille contre ma poitrine.
— Hum, tu n’imagines pas combien de prières j’ai formulées durant l’année qui s’est écoulée, je prie à chaque fois que je dois la croiser, elle me dit pendant qu’elle change la couche de Kiko. J’ai prié que Dieu m’accorde assez de self-control pour ne pas finir sur elle dès qu’elle ouvrirait la bouche.
— C’est pour ça que Dieu t’a mis chez les Asamoah oh, il sait que mon comportement sauvage aurait survolé tout le self-control. Elle aurait ramassé ses dents au sol je te dis. Jusqu’à présent, ça m’étonne toujours que Mamie Eliza ait réussi à accepter cette…, bref je ne sais même plus de quoi la qualifier. Une honte pour la gent féminine ! j’ajoute quand même.
— L’enfant Océane, il y a un petit garçon dans cette équation qui n’a rien demandé. Ce petit garçon nous rappelle que chacun doit mettre son ressenti de côté.
— Et c’est tout ? Vous allez le mettre de côté jusqu’à quand ? Qu’est-ce que Mamie Eliza attend même pour obtenir la garde exclusive et envoyer cette criminelle rejoindre son démoniaque de géniteur au gnouf ?
— Et on dit quoi à Redmond ? Ta grand-mère a envoyé ta mère au trou parce qu’elle a couché avec ton père quand il était mineur et dans la foulée, on complique les choses avec Saahene qui tient à son fils et la famille qu’il forme avec Garcelle ?
— De quoi tu me parles Elikem ? je me déchaîne. Ce gosse connaît quoi des responsabilités familiales ? Ses camarades sont dans les sorties, font la grasse-matinée, parlent de choses intéressantes comme des futilités, rêvent en grand, sont remplis d’ambitions, et auront le droit de commettre des erreurs ainsi que d’en apprendre afin de devenir ou non des gens responsables dans l’âge adulte.
Elle soupire lourdement et lève la tête au ciel. Cette situation m’énerve tellement que j’ai soigneusement évité de me prononcer énormément dessus par crainte de manquer de respect aux Asamoah. Je ne comprends pas comment on profite d’un mineur et c’est le mineur qu’on choisit de punir. Ce garçon a passé toute son année ici au Ghana, à travailler tandis que ses amis sont certainement tous à l’étranger à la poursuite de leurs études. Je ne prétends pas maîtriser l’éducation de A à Z parce que j’ai des garçons, mais que gagnent les parents en freinant le petit tandis que la vieille vipère continue sa vie au Gabon avec l’enfant ? Je ne l’accepte pas en réalité. Dieu merci, Toni fut un con avec moi, parce que mon mariage n’aurait pas fait long feu si cette nouvelle m’avait trouvé en tant que Mme Toni Ekim. Je ne suis pas de ceux qui savent se mêler strictement de leurs affaires, quand c’est gâté, c’est gâté dans mon esprit ! J’achète les problèmes et je les traite avec rage.
Le week-end est vraiment mouvementé. On sent bien qu’il y a plusieurs enfants dans cette maison et le départ fut déchirant aussi. Les garçons ne voulaient pas se séparer de leurs camarades, et je les aurais bien laissés, mais les connaissant, ils auraient pleuré en me voyant démarrer mon véhicule. Bon, je me serais sentie vide sans eux une fois chez nous, donc nous rentrons ensemble, mais comme leur a dit Elikem, on se verra bientôt à Lomé puisque les enfants de Mally passeront tout le mois de juillet avec elle. Je répète, j’ignore comment elle se débrouille pour rester sereine avec tant d’enfants.
Le soir après avoir couché les turbulents, je prends soin de Meu bem qui en a bien besoin après le week-end qu’il a eu.
— Rappelle-moi que je dois contacter Ezra mon cousin demain, il dit en me câlinant le creux du dos.
— Le frère d’Axel ? Il s’est passé quelque chose avec lui ?
— Non, Bruce m’a demandé un service pour le neveu de Jennifer. Il doit étudier un truc là, en mécanique à Abidjan, donc ils veulent qu’il réside avec une connaissance du moins pour l’année d’intégration.
— Eh bien, l’université déjà, on est vieux hein, je rigole.
— J’ai eu la même sensation quand maman a refusé mon argent au départ sous prétexte que Hilda l’avait déjà rationné en plus d’avoir payé son billet d’avion afin qu’elle vienne la voir à Nairobi.
— Une grande dame comme on n’en fait plus, je commente gaiement.
— Et elle s’aime tellement à cette position, il rigole encore. Elle n’a pas lâché ses immenses lunettes durant le trajet et il paraît qu’une paire attend maman à Nairobi.
— Façon j’attends ce voyage hein, maman et Hilda à Nairobi, on va bien finir l’année, je rigole comme si j’y étais déjà.
Oh oui, je rigole parce que Hilda malgré qu’elle soit posée aujourd’hui a gardé son caractère particulier qui fait d’elle l’ennemie favorite de maman Constance. J’aurais tant aimé qu’elle arrive à se rabibocher avec Dara et Snam, mais malheureusement, les choses n’ont pas évolué et chacune est passée à autre chose.
— Et d’ici cette fin d’année, on pourrait clore le bal avec une dernière grossesse ?
— Mais Monsieur, c’est quoi cette obsession ? Tu bandes contre mes fesses après avoir rempli mon œsophage de sperme y a moins de trente minutes ?
— Toi et la vulgarité alors, il se marre. On ne pourra jamais vous séparer.
— C’est ce que tu aimes, je dis avec humour.
— Et le projet d’agrandissement familial Querida ? En fin d’année, ton père et Emily récupèrent les enfants, donc on aura une semaine entière pour nous comme je prendrai aussi mes congés. On pourrait s’isoler quelque part, s’aimer sans retenue, coupés du monde ?
— Je suis supposée dire non quand tu me demandes ça en prenant ta voix la plus sexy ? je l’interroge émoustillée par son regard enveloppant qu’il accompagne de légers coups de sa queue dure contre mon ventre.
Peut-être aurai-je enfin ma fille et comme Elikem, je fermerai enfin l’usine pour me concentrer sur ma famille et mes prochains objectifs professionnels tout comme elle compte dédier cette année à sa clinique. Oui, ce plan me ravit totalement.
***Jennifer Attipoe***
Noble et moi n’avons pas les mêmes problèmes. À deux ans et quelques mois, on l’invite déjà aux goûters d’anniversaire et Bruce a interdit que je décline les invitations. Selon monsieur, la maladie m’a empêché de m’épanouir dans l’enfance, du coup j’ai du mal à tisser des amitiés à mon âge. La philosophie pour les nuls quoi, mais bref, il a décidé que Noble vivrait différemment de nous et j’ai choisi de le laisser faire, parce qu’au final, Noble est heureuse. Elle adore être au centre de l’action, et ça reste des fêtes pour gamins, mais je vais freiner ça dès l’adolescence. C’est à cette période qu’on déraille et il est hors de question que quelqu’un détourne mon enfant du chemin majestueux tracé devant elle.
Ce soir, nous sommes aussi dans la célébration. Jérémie a décroché son bac, il s’est placé avec une bonne moyenne, donc on le met en haut. Le Snack est fermé pour cette occasion. J’ai une quinzaine d’ados sur place qui font remuer la piste. Hormis la joie naturelle du moment, deux détails me mettent le baume au cœur, les absences de Hadassah et Thema, la fille qui a embrassé Jérémie chez les Tountian. Ma tante m’a raconté qu’une grosse dispute dont elle ne connaît pas les détails aurait jeté le froid entre eux et je suis soulagée qu’ils aient chacun pris leur route.
La fête bat son plein, je garde un œil sur Jérémie sans pour autant l’empêcher de vivre son moment. Vers 23 h, Bruce passe avec Noble qui devait normalement être au lit, mais semble se remettre d’un gros chagrin dans les bras de son père.
— Mais alors, qu’est-ce qui arrive au bébé de maman? je demande en la prenant.
— Est-ce que quelque chose lui arrive généralement? Elle a simplement tapé un scandale quand elle a compris que je comptais la laisser chez sa mamie Ama avant de venir ici, m’explique Bruce.
— Je voulais Jéhémie, elle renifle, tête posée sur mon épaule.
— Jérémie est avec les grands mon amour. À ton âge, on doit dormir la nuit, je lui dis, mais bref, elle est déjà ici de toute façon.
Bruce n’est jamais ferme. Il peut dire qu’elle a tapé un scandale et en réalité, il l’a seulement entendu geindre. Je le connais, mais comme c’est une soirée spéciale, je laisse la petite rejoindre son « Jéhémie ». Bruce aussi s’invite au milieu des jeunes et en une minute d’inattention, je le retrouve jouant au tonton gâteau avec les 5000 francs qui pleuvent. Je m’interpose vite fait avant qu’il vide toute sa bourse sur les enfants d’autrui alors qu’on a la nôtre qui n’est qu’en maternelle.
On attend que chaque parent vienne prendre son ou ses enfants puis nous partons en direction du domicile des Ekoue. Comme toujours Khaya et le reste de l’équipe prendront en charge la fermeture vers minuit. J’ai augmenté leurs salaires cette année et elles me le rendent bien.
— Alors, vous ne vous êtes pas trop tourné les pouces les ancêtres? lance Jérémie sur un ton joyeux à notre entrée.
— Le bac te fait pousser des ailes hein monsieur, commente ma tante avec humour.
— Oui, il doit pousser des ailes, il l’a décroché avec 14 de moyenne. Tu avais fait ça toi? réplique tonton Gaëtan.
— Doucement avec moi, je n’ai pas eu 14, mais j’ai su mener ma vie et prendre soin de vos deux grosses têtes. Reconnaissez ma valeur.
— On reconnaît la vieille, toi-même tu sais qu’on t’aime malgré nous, dit Jérémie qui l’entoure de ses bras pour un câlin.
— C’est ça, va te laver oui, avec ton habit totalement mouillé là.
— Tu vois, je t’avais bien dit de la laisser, j’aurais réussi à l’endormir puisqu’elle bâillait déjà, ma tante dit à l’endroit de Bruce après avoir pris de mes bras une Noble endormie.
— Elle voulait participer à la joie de son oncle, c’est la réplique d’un papa concernant sa fille qui a besoin de 14 h de sommeil en plus d’une sieste journalière pour laquelle on doit généralement lutter.
En tout cas, je donne mon ange à ma tante pour qu’elle la couche et m’installe à côté de Bruce.
— Profites-en pour aller dormir aussi non Jen? Je sais que ses bandits t’ont épuisé, tonton Gaëtan propose sur un ton mielleux.
— Oh, du tout, j’ai géré des soirées plus denses que ça.
— Mais tu n’es plus toute jeune et surtout tu dois préserver ta santé pour notre Nono, il continue.
— C’est vrai chérie, comme on a une journée chargée demain, va te coucher. Je vais tenir compagnie à tonton, Bruce ajoute sa part.
Lui alors, il n’y a pas plus novice parfois.
— J’étais à l’école de Jérémie aujourd’hui pour déposer ses livres à la vente. La majorité de ses camarades s’en va en Europe, il y en même certains qui ont choisi l’Asie hein. Ces enfants n’auront pas des petites opportunités à leurs retours. Dieu seul sauvera notre Jérémie, parce qu’à l’allure que prend la vie, je ne sais même pas ce qui l’attend comme avenir, il se lance enfin et dommage pour lui, je l’attendais.
— Ne t’inquiète pas, on n’est plus à une ère où le pays d’études détermine la réussite. J’en suis la preuve palpable, j’affirme confiante. En plus Jérémie a choisi une formation très prisée. On compte combien de mécaniciens aéronautiques dans ce pays? Très peu, je pense bien.
— Hum, c’est seulement que je n’ai jamais entendu parler de l’école qu’il a choisie. En général, les gens vont aux États-Unis pour ce genre de choses. Je ne me plains pas hein, mais je crains que vous gaspilliez votre argent pour qu’à la fin, il finisse avec un diplôme inutile, si déjà il finit même. 2 millions l’année, ce n’est pas rien.
— Si ce n’est que l’école, je ne crois pas qu’il y faille s’inquiéter puisqu’il s’agit du centre de formation de « LUMAIR » la nouvelle compagnie aérienne dont le nom a circulé sur la majorité des médias cette année. Je sais de source sûre que les fondateurs de l’INSAO ont massivement investis dans ce projet, et je vois mal ces gens, les Wanké s’impliquer dans des choses douteuses, lui explique Bruce.
— Je comprends, mais nous on a l’expérience d’Air Afrique mon grand. On en connaît la fin. Même Asky qui dit reprendre le flambeau du marché d’aviation togolais ne fait rien de grandiose. Loin de moi l’idée d’être pessimiste hein, mais quel africain peut rivaliser avec Air France? il dit, mais verse quand même son pessimisme.
— Air France a commencé quelque part aussi non? Pourquoi tu parles comme si LUMAIR avait déjà coulé? Pour une fois, on nous présente une compagnie à l’image de l’ancienne Air Afrique avec plusieurs pays d’impliqués dans son établissement et on voit leurs implications dans les centres de formation qu’ils ont construits à Tema, Accra et Nairobi afin de former les nombreux jeunes à qui ils promettent des emplois. Pourquoi ne pas attendre de voir ce qu’ils proposent au lieu de coller l’étiquette d’Air Afrique sur eux? Lance ma tante qui nous rejoint.
— Je ne dis plus rien oh, il ronchonne comme on l’a démasqué.
N’est-ce pas au Sénégal que lui-même m’a envoyé? Pourquoi il fronce la mine quand son fils va à Abidjan grâce à notre poche? On parle de 2 568 000 francs par an. Lui ne gère que les frais afférents, notamment l’inscription de 350K, en plus du matériel scolaire. Le billet sera aussi à sa charge ainsi que le loyer mensuel de 125 000 francs durant la première année. Ce loyer abordable aussi, il nous le doit, le cousin d’Eben a proposé une colocation à Jérémie pour sa première année. J’ai dû me farcir les remontrances d’Eben, le supplier de me pardonner et jouer à l’amie soucieuse pendant cinq mois avant de lui glisser la requête par Bruce. Sait-il ce que ça m’a coûté émotionnellement de jouer la comédie sachant qu’Océane était au courant que je venais supplier son mari après qu’elle m’ait vu au plus bas? Bref, j’ai fait tout ça pour Jérémie, son fils, parce que j’aime ce petit, donc il peut ronchonner jusqu’au tombeau si ça le chante. Le contrat a été clair entre nous. On règle les deux premières années de formation et tonton Gaëtan s’occupera des deux dernières.
***Romelio Tchaa Bemba***
Je fais mine de ne rien voir, mais depuis que quelqu’un a son bac, elle se fait rare dans la maison. Aujourd’hui encore, je rentre et le gardien m’informe qu’elle est sortie vers 15 h.
— Allô papa? Ça va? elle crie.
— Ah c’est qui au téléphone?
— Hein? elle s’écrie plus fort.
— Je demande à qui je parle s’il vous plaît.
— Mais là…, tu as reçu une pierre à la tête? Tu ne reconnais pas ma voix?
— Je devais reconnaître la voix d’un fantôme?
— Bon…., elle soupire, qu’est-ce que j’ai encore fait?
— Envoie-moi ta position, je viens te prendre.
— Pas la peine, je suis avec « Tems », son chauffeur me ramènera dès qu’on finit nos courses.
— « Tems » là c’est encore qui?
-Gennnnnnreeee? Tu ne sais pas qui est Tems toi.
— Hadassah, je dois déjà gérer les troubles de la quarantaine, tu n’as pas pitié de moi? J’ai simplement demandé ta position. Je veux la voir sur mon téléphone dès qu’on raccroche.
— OK chef, elle répond sur le ton qu’elle emploie quand elle roule les yeux et je coupe.
Une quarantaine de minutes plus tard, mes femmes arrivent pendant que je zappe les chaînes.
— C’est comme ça que tu viens chercher les gens hein, me lance la bachelière sur un ton moqueur.
— J’ai une femme pour me seconder justement. Tu comprendras le goût d’être à deux dans vingt-trois ans.
— C’est quelle punition ça? rigole Tessa après notre baiser.
— Laisse le, lui-même ne croit pas que je vais me farcir le célibat jusqu’à quarante piges, elle ajoute en se laissant choir à mes côtés.
— Donc dans tout ça, tu es même pressée pour le mariage.
— Toi tu as attendu quarante ans pour ça? Pourquoi je devrais?
— Dans ce cas, je crois qu’il est temps qu’on se parle d’amour et d’amitié.
— Oh non, pas une réplique tirée d’une chanson de Céline Dion papa, j’ai la dalle, elle répond et déclenche l’hilarité chez Tessa.
— C’est vraiment une parole de Céline Dion? l’interroge Tessa qui continue à en rire.
— Crois-moi, je connais son catalogue sur le bout des doigts à cause de papi Magnim et tu n’as même pas honte papa. Après c’est pour se moquer de mon papi qu’il est trop fleur bleue.
— Si tu connaissais si bien, tu aurais noté la brillante nuance que j’ai apportée à la phrase. Céline a dit qu’on se parle d’amour OU d’amitié, j’ai mis un « ET » à la place. Demande-moi mes raisons.
— Je suis obligée?
— C’est important pour mon introduction.
— Ô grand chef, peux-tu nous faire part des raisons qui t’ont motivé à changer ce OU par ET? Nous sommes suspendues à tes lèvres et moi à ton portefeuille espérant sécuriser un petit 15 000? elle glisse la requête personnelle d’une voix mielleuse.
— Dada & Tchaa, vous allez me tuer dans cette maison, Tessa arrive à sortir d’une voix étouffée malgré les rires.
— Blague à part, je tiens à te parler ma grande, je dis en reprenant mon sérieux.
— Bon, je vais me doucher et apprêter le dîner, annonce Tessa.
— Tu peux rester chérie, il n’y a pas de secret ici. J’ai déjà apprêté le dîner aussi.
— Dada? elle interroge ma fille.
— Tu me demandes vraiment la permission madame? elle se marre.
— Comme vous ne pouvez pas vous passer de ma présence sucrée, je reviens, je vais me doucher rapidement, elle annonce et file.
— Au fait Tems, c’est Thema et 39 ans, ce n’est pas considéré comme la quarantaine.
— Tu ne veux décidément pas que ton vieux papa prenne de l’âge hein, je rigole.
— Tu veux vieillir pour aller où? elle rouspète et se rapproche pour poser sa tête sur mon épaule.
— Nulle part, j’ai bien l’intention de voir mes petits-enfants, je réponds en cognant affectueusement ma tête contre la sienne.
— J’ai fini! annonce joyeusement Tessa qui au vacarme qu’elle produit m’indique qu’elle dévalait les marches de l’escalier.
— Tchieu, la douche express de quelqu’un qui ne voulait pas manquer le commérage hein, se moque Dada.
— Mais je t’emmerde, rigole Tessa avant de proposer qu’on mange pendant qu’on cause.
On se compose un repas avec les lasagnes que j’ai fait et une petite salade rapidement concoctée par Tessa, puis installés sur le tapis du salon, on remplit nos assiettes dans la convivialité.
— Que penses-tu de l’amour et de l’amitié? j’introduis ainsi le débat.
— Euh…bah, l’amour c’est pour les amoureux et l’amitié les amis?
— Tu veux donc dire que tu ne m’aimes pas?
— Ah attends, je pensais que tu parlais de l’amour entre un homme et une femme.
— Pourquoi tu as pensé directement à ça?
— Je pensais que tu allais me conseiller sur les mecs.
— Je n’ai pas pour intention de te conseiller, mais discuter et te donner mon opinion que tu es libre d’appliquer. Je ne détiens pas la science infuse, mais une expérience qui te sera utile, du moins je l’espère.
— OK, je t’écoute.
— Et comment tu conçois l’amour entre un homme et une femme?
— Tu veux qu’on parle de ça là? elle m’interroge prise de court.
— Je ne parle pas de sexe…
— Mais papa, elle rigole tête baissée.
— Il y a bien plus dans l’amour que le sexe. Je te parle du sentiment. Comment conçois-tu l’amour entre un homme et une femme?
— Bah l’amour que tu as pour Tessa et vice versa. Il n’y a pas de malaise entre vous. Même quand chacun est sur son téléphone, vous ne renvoyez pas l’image de gens qui s’accrochent à leurs appareils parce qu’il y a de l’animosité entre vous. Vous passez autant les soirées sur le canapé enlacés qu’à discuter de vos emplois, aller au marché, faire des sorties ou des tours dans le quartier en plus d’être chacun dispo pour moi. Tu comptes autant sur Tessa qu’elle compte sur toi et moi je compte sur vous. Je sais que vous avez des problèmes, mais je ne vois pas ses problèmes vous faire du mal ou vous empêcher d’être gentils l’un envers l’autre. C’est l’amour que je trouve beau en tout cas.
— Bien, je veux que tu gardes en tête la partie de « l’amour que je trouve beau ». Tu dois probablement entendre tes amis te parler de leurs parents, tu as même des amis qui sont en couple et tu vas en rencontrer plein de couples qui t’exposeront à différentes sortes d’amour. Dans tout ce bruit, il sera indispensable que tu définisses et gardes en esprit, le « genre d’amour que tu trouves beau et désires. » Avec le temps, il se peut même qu’il soit différent de ce que Tessa et moi avons. Ce n’est pas un crime, nous ne sommes qu’un exemple parmi tant d’autres. L’essentiel, c’est que tu trouves toujours beau ce que tu as chérie, on se comprend?
—Yes.
— Bien, parle-moi d’amitié maintenant.
— J’ai une superbe amie du nom de Thema qui a prouvé à différentes reprises qu’elle est une fille sérieuse et sympa, mais pour une raison inexplicable, mon père a refusé qu’on emménage ensemble, elle me lance sans surprise. Je m’y attendais.
— Je vais enfin t’expliquer les raisons à la base de ce refus. Thema est effectivement une gentille fille, je n’ai rien contre elle.
— Et la femme de son frère aîné est ta meilleure amie.
— Je sais, tu ne m’informes pas, je dis avec un sourire.
— Alors c’est quoi ta raison? C’est pratiquement la famille à ce stade.
— Si tu pouvais me laisser arriver à la fin, tu comprendrais mes raisons.
— De toute façon, je ne vais rien comprendre, elle murmure, l’air mécontent.
— Tu me croirais si je te dis qu’Elikem et moi, malgré qu’on soit connu comme des inséparables, avons fait des mois sans nous parler? Qu’on ait traversé des périodes où j’ai douté de sa bienveillance envers moi?
— Pourquoi?
— Parce qu’en dépit de notre bonne volonté, les moments d’incompréhensions ne manqueront jamais dans nos vies. Même avec Tessa, nous avons des moments durant lesquels elle a l’impression que je ne la comprends pas et vice versa, n’est-ce pas chérie ?
— Oui. Il y a tellement de choses qui affectent le mental Dada. Parfois, on finit par se rendre compte que ce n’était même pas un problème d’incompréhension, mais que j’étais impatiente, épuisée…
— Ou moi sur les nerfs à cause d’un facteur externe à notre relation, j’ajoute.
— Et parfois je voulais juste me plaindre alors qu’il croyait que j’avais un réel problème, elle continue.
— Tu côtoyais principalement Thema à l’école. Vivre avec quelqu’un t’expose à un autre niveau d’intimité. On découvre des attitudes et habitudes dont on ne soupçonnait même pas l’existence, pas forcément parce que la personne l’a caché pour se donner un genre, mais juste que c’est ainsi. Et partager l’intimité de quelqu’un exige que vos sentiments soient profonds pour que la relation perdure, parce que tu vois de tout hein. Le beau, le bon, le mauvais, le sale, rien n’est caché dans l’intimité. Il n’y a pas de pause, pas de possibilité de te réfugier dans un coin les fois où tu ne la supporteras pas.
— Beh j’aurais ma chambre. On n’est pas dans la même Uni en plus. Ce n’est pas comme si on passera 24/24 ensemble.
— Je ne te parle pas de te réfugier dans ta chambre mon ange. Je te parle d’une pause pour souffler, ne plus être en sa présence. Tu peux rester dans ta chambre, mais qu’est-ce qui l’empêchera de venir te chercher ? Vous n’êtes peut-être pas dans la même Uni, mais tu la verras chaque matin et soir. Là où je veux en venir, c’est que ça te sera plus difficile de l’éviter dans la cohabitation que si chacun a son chez-soi. Et tu vois, la cohabitation a le chic de renforcer comme rapidement défaire les relations. Vous n’avez que 17 ans, et une étape importante de votre vie débutera lorsque vous serez seules, confrontées à votre réalité en Afrique du Sud. Vous allez grandir, et je préfère que tu affrontes ta réalité une épreuve à la fois. Si après deux ou trois ans là-bas, Thema et toi êtes toujours soudées, je n’aurais aucun problème à vous donner ma bénédiction pour la colocation, mais dans un début, non.
— C’est le chef qui décide donc, elle réplique boudeuse.
— Tu comprends quand même mes raisons ?
— Ouais, elle continue toujours avec sa moue boudeuse.
— Gros bébé, la taquine Tessa en pinçant ses joues qu’elle gonfle.
Elle va comprendre, je suis confiant. Pas maintenant, c’est évident, parce qu’elle et son amie avaient leurs plans que j’ai gâtés, mais dans quelques années, je pense qu’elle comprendra, donc je laisse le temps agir.
Vers le début septembre, la joie du bac est enfin retombée. Elle a été remplacée par la future célébration de mes dix ans de service à l’hôpital AELI. En réalité, je n’en ai que neuf puisque j’ai pris fonction à 29 ans, mais tonton Eli avait demandé qu’on comptabilise les périodes de bénévolat que j’ai fait durant mes vacances scolaires de la quatrième en terminale, d’où les dix ans qu’on me donne aujourd’hui.
En plus de cette célébration, nous sommes également dans les cartons de déménagement. Elikem m’a fait appel donc j’ai répondu présent. Elle a mis le cachet nécessaire, je ne fais plus dans le bénévolat, mais blague à part, Dieu sait que j’aurais donné mon temps sans compter jusqu’à ce que la clinique XENA soit établie puisque j’ai participé comme consultant à l’établissement du cahier des charges. XENA n’est plus uniquement son rêve d’enfant, mais le nôtre, et un accomplissement qu’on doit absolument cocher sur notre liste. J’emmène donc ma petite famille à Accra pour les deux ans que durera le contrat signé par ma personne, la fondatrice de XENA et Cédric qui fait office de recruteur pour l’instant. Je vais prendre en charge ce volet avec l’assistance d’un expert dans le domaine sur place, et pendant les deux ans, je vais également m’atteler à former mon remplaçant qui sera chargé de la seconder parce qu’elle a essayé notre Perla, mais la gestion ce n’est pas son truc. Elle détient au moins des notions qui lui permettent de comprendre les bases, mais sa vocation c’est de prodiguer des soins, donc j’assure ses arrières, et s’il le faut, on s’est déjà entendu que le contrat pourra être reconduit pour deux années supplémentaires. Le but c’est qu’on amorce la phase de développement avant mon départ. À distance, je continuerai à surveiller les choses, à titre de support, jusqu’à la fin de mes jours en réalité.
Bien qu’on soit dans les cartons et heureux d’entamer une nouvelle aventure, la question de ce qui arrivera à notre maison est prévalente. Nous n’avons aucune envie de louer. Hadassah la première. Madame n’est pas propriétaire, mais c’est elle qui fixe les règles concernant la maison. Si on tient à louer, elle interdit qu’on mette sa chambre dans le contrat de location. Personne ne doit y dormir en dehors de sa majesté et gare à celui qui osera toucher son piano. Elle a déjà crié que l’innocente personne ne l’emportera pas au paradis lol.
Je n’ai aucune envie de la louer aussi. Six chambres non loin du CEG d’Adidogome, un coin qui bouge énormément, contrairement au moment où maman m’a offert ce terrain comme cadeau pour mon bac. J’avais rigolé à l’époque. Je m’attendais à de l’argent et je ne sais quoi encore. Elle m’a offert un terrain d’un lot que j’ai traité de paumé jadis, parce qu’il était si loin de la route et perdu dans un coin proche des détritus. Petit con de mon état, je ne m’étais même pas demandé comment cette femme Essohana, gynécologue dans un pays où les salaires ne volaient pas haut, avait réussi à me dégoter un terrain à mon âge.
L’hôpital AELI paie très bien ses employés, c’est un fait, on gagne nettement mieux que les autres dans notre domaine, d’où la pile de CV qu’on reçoit régulièrement, mais mes parents étaient financièrement à des années-lumière des Laré Aw, Adamou et aussi des Wiyao. Juriste de formation, papa ne roulait pas sur l’or non plus, et pourtant, ils ont réussi tous deux à faire du grand inconscient que j’étais, un propriétaire avec le bac en poche. Je n’avais qu’une condition, leur rembourser petit à petit les 25 millions qu’a coûtés le terrain à l’époque pour que le titre foncier passe à mon nom, chose faite un an après mon divorce. Non, je ne veux absolument pas voir des inconnus dans ce que mes parents m’ont permis de construire. Malgré les nombreux échecs de FIV, je n’ai pas perdu espoir. Comme le dit mon père, ce n’est pas fini, tant que le souffle de vie est présent. Un échec n’est pas une fatalité. Je crois qu’un jour, Dieu aura compassion sur ce plan, il ouvrira les portes de l’enfantement pour moi. Mon enfant grandira dans cette maison et ceux de Hadassah joueront avec leur papi ici, donc il me faut trouver une solution d’ici ma prise de fonction à Accra.
Au travail, les humeurs sont moroses depuis l’annonce de mon départ. J’ai préféré informer l’équipe quatre mois en avance pour avoir le temps de gérer les vagues de panique, questionnements et surprises des employés, mais les demandes d’entretiens continuent à pleuvoir. Chacun craint pour la suite, surtout que le centre de naissances sera à nouveau réintégré comme département de l’hôpital au lieu d’être sa propre entité. J’ai beau rassurer, mais certains pensent encore qu’ils vont frôler le licenciement au profit du personnel de l’hôpital, donc je pars tôt ce matin afin de rencontrer le conseil d’administration qui a accepté de me recevoir. Il est hors de question que je m’en aille sans avoir assuré les arrières de mon équipe. Même s’il y a peu de chances qu’on retravaille ensemble, je ne vais pas me laver les mains de leurs sorts parce que mon avenir est tracé. Nous restons une équipe jusqu’au dernier jour, c’est avec cette phrase que j’ai conclu l’exposé fait au conseil d’administration deux heures plus tard et je ressors satisfait. Des courses m’emmènent ailleurs donc je ne reviens au centre qu’en fin d’aprèm, fais une ronde rapide pour m’assurer que tout se déroule bien puis direction la maison sous les coups de pression de mes associés qui sont bien plus excités que moi pour ce soir.
Mon téléphone quant à lui ne cesse de vibrer. Je finis un appel qu’un autre s’en suit. Apparemment, mes proches semblent croire qu’ils doivent me harceler pour que je sois à l’heure à ma propre célébration. C’est ainsi aussi que Hadassah me fatigue avec les coups de pressions une fois que je me gare. Elle est derrière moi comme un chien avec son maître. On me refuse même l’accès de certaines pièces dans ma propre maison. C’est un autre niveau ce soir.
— Tu aurais fait un bon militaire soit dit en passant, je lui lance quand elle me présente mes chaussures cirées dès la sortie de douche.
Est-ce qu’elle me calcule alors ? Son attention est sur je ne sais qui, elle a ses AirPods dans les oreilles depuis mon arrivée et de temps en temps, elle parle de façon animée. Ma femme aussi est larguée quelque part. Je sais simplement qu’elle est à la maison puisque son téléphone était en charge au salon et mes vêtements étaient encore chauds quand je suis entré dans notre chambre. Elle est la seule qui se colle sans rechigner à la corvée de repassage ici. Hadassah m’a simplement dit qu’elle s’occupe de derniers détails et nous retrouvera bientôt.
J’ajuste mon nœud papillon quand la militaire cogne à nouveau à la porte. Je ne peux m’empêcher de l’admirer dans cette robe blanche aux manches exagérées. Elle est à l’heure et resplendissante.
— On a compris que tu fais 1m78 petite, la longue fente pour exposer les jambes n’était pas nécessaire, je la taquine.
— Le clou du spectacle tu veux dire, on doit voir les chaussures que maman m’a offertes, elle dit et bouge dramatiquement les pans pour bien me montrer ses longues jambes reluisantes.
— Pendant ce temps, je ne peux même pas mettre de talons, j’ai la haine, on entend de Tessa.
Hadassah s’efface pour la laisser passer et mon cœur se réchauffe à nouveau.
Je m’avance et la prends contre moi, séduit par le résultat sensuel qu’elle me propose dans ce fourreau bleu marin qui met en valeur son corps.
— Pourquoi ma beauté ne peut pas mettre de talons ? je chuchote en la contemplant et caressant son beau visage.
— Pour rien, ils lui font des pieds bateaux, Hadassah répond rapidement.
— Oui oui, effectivement. Ils sont larges dedans si tu savais, la concernée confirme et m’embrasse subitement.
— Et pourquoi tu n’en mets pas d’autres simplement ? Tu as des nouvelles paires dans le dressing, je demande avec humour après son baiser.
— Pas le temps, on y va ! la militaire reprend son service.
— Pas le temps chéri, allez, ajoute celle à qui je proposais les talons tout en me poussant vers l’avant.
Ils sont vraiment tous présents, je n’en reviens pas. Je n’ai invité que mes parents, tonton Magnim, tata Ciara ainsi qu’Arthur. Évidemment, je m’attendais à la présence de tonton Eli puisqu’il préside la cérémonie, mais certainement pas Elikem et ma nièce d’amour Malike qui me présente un bouquet bien immense pour sa petite taille.
— Oh c’est pour moi ça ma petite chérie ? je demande en prenant un ton exagérément surpris qui la fait glousser.
— Et le speech alors ? On vient seulement se cacher derrière moi ? se moque Elikem.
— Laisse ma personne. À son âge, est-ce que tu savais même porter un bouquet ?
— J’ai fini de sortir mon argent pour qu’elle achète, maintenant vous m’insultez.
— Voleuse d’employés, tonton Eli lance sur un ton amusant après s’être approché de nous. On vous fait un peu confiance avec nos éléments et vous profitez pour nous les enlever au nom de l’amitié.
— Ah il faut revoir ta politique de rétention hein, je n’ai fait qu’appliquer une concurrence loyale.
— C’est ce que tu as retenu de la gestion hein, je poursuis avec humour.
— Tout à fait, elle confirme en riant de plus belle. C’est l’heure de XENA maintenant, l’hôpital AELI est déjà mature.
— Remercie Malike et Nia sinon on t’aurait refoulé à la porte.
— Tchieu, Nia aussi est arrivée dans cette histoire ? Elle est où ? je demande en la cherchant des yeux.
— Belle a fait une roulade en avant pour me la prendre dès qu’elle a senti mon parfum. C’est parce qu’Anto avait ton bouquet qu’elle a échappé à Mamie Bella.
Hadassah qui m’avait lâché dès qu’on est entré en salle s’approche de nous suivie de Thema qui n’est pas en reste côté élégance.
— Thema aussi quoi ? Dis déjà que tu as ramené tout le Ghana avec toi, je rigole.
— Ce n’est pas faute d’avoir essayé, elle blague en retour. Nous étions ensemble à la dot de Godson.
— Avec la nièce de tata Farida c’est ça ?
— Hey, tu connais un peu les relations familiales complexes de tata Farida hein. Je ne pense pas que cette fille Hadeya se considère comme la nièce de quelqu’un. Les Adamou n’étaient même pas invités à ma connaissance.
— C’est juste pour la placer dans ma tête, comme je ne la connais pas.
— Bref oui, elle Hadeya Wanke. Cédric devait être avec nous, seulement il a été retenu par un souci, mais tu sais bien que Thema ne peut pas manquer l’événement marquant dans la vie de sa copine Dada.
— Dans la tête de Hadassah, c’est elle qui collecte les honneurs hein. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi zélé pour le travail d’un autre.
— Je sens que tu parles de moi, me dit la concernée une fois à notre hauteur.
— Tu penses qu’on n’a rien de mieux à faire ? Nous ne manquons pas de sujets hein, je l’embête. La bachelière Thema, merci de m’honorer aujourd’hui, je dis après les félicitations qu’elle m’a adressé.
— J’ai trouvé notre table. Tessa et les autres sont déjà installés et nous attendent.
— OK bah Maman Malike ?
— À tout à l’heure pour le toast, me confirme Elikem et chacun prend son chemin.
Je ne suis pas le seul à être célébré ce soir, mais mes proches et les quelques employés présents ont fait tellement de bruit durant mes éloges que je me sentais gêné pour ceux qui n’ont pas ramené autant de monde avec eux. J’ai même essayé de calmer les ardeurs, mais c’était peine perdue. C’est dans cette effervescence que j’ai rejoint tonton Eli en avant après une présentation dithyrambique de mon parcours.
— Merci, merci, je demande aux tables 6 et 8 d’observer le décorum s’il vous plaît, je blague et ceux qui ont compris en rient. Il semble qu’en dix ans, je n’ai pas fait que me récurer les ongles et pourtant, au quotidien, je ne mesurais pas l’ampleur du travail abattu, parce que je n’avais pas forcément l’impression d’être un employé. Enfin tout ce qui me le rappelait, c’est qu’à la fin du mois, je percevais un salaire, mais au quotidien, je me sentais plutôt comme le membre d’une équipe chargée d’apporter les meilleurs services à ses patients. Cette équipe m’a accueillie chaleureusement, donné le temps de m’adapter, d’apprendre leurs modes de fonctionnements, écouté mes suggestions lorsque j’en apportais des pertinentes et permis de faire mes preuves. Cette équipe c’est celle d’AELI et je ne peux vous dire que merci. Merci d’avoir fait de ces dix ans une expérience enrichissante, de m’avoir challengé, accommodé et motivé à me surpasser. À ceux qui sont parmi nous et viennent juste de débuter, ou sont encore dans la première ou seconde année de leurs emplois, je tiens à vous dire que je n’ai pas été retenu pour le rôle auquel j’avais postulé en entrant à AELI. On m’a offert un autre en dessous et bien évidemment avec un salaire moins avantageux que le premier, et pourtant je l’ai accepté. J’ai saisi cette opportunité en me fixant un objectif, faire mes preuves et atteindre la position qu’on m’avait refusée. C’est donc ce que j’ai fait et certains des membres décisionnels du conseil pourront confirmer que je les ai harcelés à coup d’emails une fois par mois concernant cette position, je m’en excuse même si je ne suis pas vraiment désolé, je dis et ils rigolent.
— Je vous relate cette expérience pas parce que je prône le fait d’accepter des postes en dessous des qualifications, mais pour vous encourager et dire que parfois un retard n’est pas synonyme de refus. Utilisez la position où vous êtes, servez-vous-en comme un tremplin, donnez votre meilleur et si vous jugez être prêts à relever des défis plus complexes, ne vous fatiguez pas de faire des rappels à vos chefs. Nous avons la chance à AELI d’être écoutés en tant qu’employés, donc vous ne perdez rien. Je souhaite à tous ici, une carrière gratifiante et le meilleur dans vos vies, je conclus et reçoit une ovation délirante de la foule.
D’autres bouquets de fleurs m’attendent à mon retour. Je leur demande avec quels bras je vais porter tout ça et ils se moquent de moi. On se dirige au Parking de l’hôtel Sancta Maria pour l’arrivée des voitures flambant neuves des célébrés. Volkswagen Taos, Mazda CX-50 et une Kia Sorento pour les trois qui célèbrent respectivement seize, quatorze et onze ans d’expérience.
— La tienne est où ? me souffle Hadassah à l’oreille.
— J’ai demandé qu’on me donne l’argent, je préfère les billets.
— Mais enfin pourquoi ? Ta Countryman est vieille de deux ans et quelques mois.
— Elle roule toujours ou pas ?
— Ouais mais tout le monde a une nouvelle voiture et pas toi, c’est pas chic, elle se met à bouder et je ris en câlinant sa tête.
— Je vais gérer ma MINI Countryman le temps que tu deviennes riche et m’achète une autre.
— Eh les plans compliqués là, moi je suis étudiante et ça rime avec la pauvreté.
— Ah bon hein, je rigole sans lui dévoiler qu’elle n’entre pas dans cette catégorie, parce que je m’en suis assuré.
En plus des 20 000 euros épargnés pour elle depuis que j’ai appris son existence, j’ai opté pour un virement au lieu d’une voiture quand on m’a présenté les différents cadeaux parmi lesquels il me fallait faire un choix. Ma priorité pour l’heure étant l’avenir de ma fille. 21 600 euros vont donc s’ajouter aux 20 000 euros de mon compte épargne chez le crédit lyonnais et 15 600 seront placés pour trois à six ans comme je l’ai convenu avec mon conseiller financier.
Chaque année, Hadassah recevra 10 000 euros pour ses frais scolaires et de subsistance, jusqu’à la fin de son bachelor en art et ingénierie du son qu’elle devrait compléter au bout de trois ans. Je la soutiens seul pour l’instant, parce que Stella attend d’abord des preuves. Elle pense toujours que Hadassah perd son temps à vouloir étudier en Afrique du Sud et surtout, le choix du programme ne la convainc pas. Elle aurait préféré que Hadassah participe à The Voice ou qu’on l’inscrive dans une école d’art prestigieuse afin qu’elle côtoie les personnes clés qui pourront l’introduire au monde de la musique. Disons simplement que Stella a une mentalité traditionnelle que je comprends puisque j’avais la même avant d’entendre la position de ma fille. Hadassah a une vision plus proche de la réalité de la jeunesse actuelle. Elle considère bien chanter bien pour son âge, mais pas assez pour passer devant le monde à The Voice. Aussi, elle a trop entendu les histoires de jeunes filles rêveuses qui voulaient tellement réussir dans le monde de l’art qu’elles sont tombées dans les pièges malhonnêtes, donc elle préfère aller lentement. Étudier l’ingénierie du son lui permet de garder un pied dans le monde musical, gagner en expérience en fréquentant ce beau monde, connaître l’envers du décor, faire valoir un diplôme qui lui permettra de vivre en attendant de décrocher l’opportunité d’accomplir ses rêves. J’ai toujours dit que je suis fier de mon enfant, mais j’ai gagné un autre niveau d’appréciation pour sa personne après qu’elle m’ait présenté ses idées. C’est une chose d’éduquer un enfant, et une autre d’entendre l’enfant raisonner et se dire, ah oui, je n’éduque pas juste un enfant, mais un adulte se forme sous mes yeux là, un adulte conscient de son environnement et déterminé à réussir. C’est avec plaisir que je lui ai donné mon soutien tout en l’amadouant pour le cas de sa mère. Stella a quitté l’Afrique très tôt avec sa famille et a pratiquement grandie en France, donc elle ne voit des pays africains que les problèmes qu’on présente à longueur de journée aux nouvelles. Chômage à outrance, jeunesse qui n’arrive pas à décoller parce que les gouvernements sont démissionnaires, et comme n’importe quel parent soucieux, elle ne veut pas de ça pour Hadassah. J’ai fini par proposer qu’on coupe la poire en deux pour calmer chaque côté. Hadassah a quatre ans pour faire ses preuves en Afrique du Sud et si elle n’y arrive pas, Stella prendra le relai et financera son école d’art à Londres.
Les « quatre ans » même énervent Stella tandis que Hadassah trouve le délai court, mais c’est mieux que rien. Donc 10 000 euros par an pendant trois ans, le temps que le placement arrive à la première échéance, et je lui laisserai le choix d’empocher l’argent ou le replacer pour un autre trois ans. Au moins j’aurais l’esprit tranquille en ce qui la concerne d’ici six ans et en plus de remercier AELI, ma Mini mérite aussi mes accolades pour son soutien. Je n’aurais pas pu épargner autant sans sa compréhension et dans les faits, elle n’a même pas attendu que je lui explique ma vision. Je finissais à peine la phrase, « je veux boucler la réserve que je fais pour Hadassah » qu’elle approuvait déjà sans connaître les détails. Depuis notre mariage, on a vécu simplement sans vraiment se gâter en dehors de notre lune de miel et du voyage en Afrique du Sud, donc j’ai du rattrapage à faire sur ce plan, mais pour le moment, je cherche une ouverture pour qu’on rentre. Tessa n’a pas vraiment bonne mine depuis le début de la soirée. Elle qui raffole des fleurs a eu un mouvement de recul quand je lui ai demandé de l’aide pour tenir mes nombreux bouquets et même là sur le parking, elle porte cet air exténué, malgré ses efforts pour rester enjouée.
Je commence donc à dire au revoir à mes gens, mais on m’annonce qu’une autre fête m’attend chez Arthur.
— Mais enfin, nous sommes à dix minutes de 22 h.
— Et alors ? Demain c’est samedi, il répond avec un peu trop de vivacité.
— Quelqu’un a un peu forcé sur l’alcool ici, je dis amusé.
— Allez chef, c’est pour l’occasion et on t’a préparé un petit truc, il m’encourage bras autour de mon cou.
Tessa se joint à lui ainsi que mes parents, donc je me retrouve embarqué dans une autre virée. Il n’a pas préparé un petit truc, il y avait même un chapiteau dressé dans sa cour. À peine arrivés, je sens déjà que Tessa est mal. Je propose donc qu’on rentre, mais elle refuse encore sous prétexte que la fête vient de débuter. Après quelques minutes de discussion, elle accepte au moins de se faire déposer par Elikem qui s’apprêtait à rentrer pour s’occuper de Nia.
Abandonné avec une bande d’excités, j’ai tellement fêté que j’en ai perdu la notion du temps. Maman m’a même informé que Hadassah serait également rentrée avec Elikem sans que je m’en rende compte. Vers 1 h du matin, Macy me largue chez moi, du moins, elle me rassure en se moquant qu’il s’agit bien de mon domicile, parce que je l’ai interrogé à deux reprises, confus par les immenses figures visibles depuis l’extérieur.
— Ça doit être de Hadassah ça, qu’est-ce qu’elle fout à cette heure ? je m’interroge seul, pendant que le gardien et Macy m’aident à vider ma voiture des fleurs et cadeaux reçus.
— Donc je te ramène la bagnole demain ? elle me demande.
— Oui et tu pourras visiter la maison avant de la prendre aussi.
— Lol, je connais déjà ta maison Romelio.
— Bon j’ai fait des rénos aussi hein. Tu n’as pas mis pied ici depuis cinq ans, donc ce n’est pas mieux de visiter avant de prendre ?
— T’inquiète pas pour la visite, on la fera, mais je te confirme que je vais prendre la maison. C’est une aubaine que tu me fais de me la confier pendant que tu seras au Ghana. Papa et maman ont été super choux en m’apprêtant deux appartements, donc je n’ai pas eu le cœur de leur avouer que j’avais eu ma dose d’apparts en France, du coup tu m’offres une vraie porte de sortie. Je vais louer les apparts pour rentabiliser et en deux ans, lancer au moins un truc sur un terrain que j’ai acheté grâce aux contacts d’Arthur.
— Ah super, je suis ravi de l’entendre et sache que ton retour est une aubaine pour moi aussi, parce qu’on n’avait aucune envie de la confier à un étranger.
— Merveilleux. Alors, je peux rentrer ou tu as besoin que j’entre pour m’assurer aussi qu’il s’agit bien de ta cour ?
— Bandite, je rigole et lui donne une tape sur le front. On buvait l’alcool quand tu demandais encore ton lait du soir, donc tu me respectes.
J’attends qu’elle monte et démarre avant de demander à mon gardien son nom, juste pour me rassurer. Je ne suis pas ivre, je prends juste mes précautions. Lui aussi me demande si j’ai besoin d’aide, comme si j’étais une petite chose toute frêle.
— Où sont les fleurs et cadeaux ? je lui demande l’essentiel.
— Je suis allé les déposer quand tu parlais avec Macy.
— Ah…, tu as déposé hein. OK, bon, dors bien.
— Chef, je ne dors pas la nuit, il me lance sur un ton moqueur.
— Bref, fais bien ce que tu fais alors, je conclus et m’avance en me questionnant seul sur les lubies de ma fille.
Elle m’abandonne pour venir poser à la devanture de la terrasse deux immenses bisounours gonflés ? Je fais quoi avec les bisounours dont l’un me tire en plus la langue ? Elle sort tout ça d’où ? Elle a déroulé aussi un tapis et l’arche principale de la terrasse est recouverte de ballons de différentes tailles.
— L’enfant là, je dis amusé et continue ma marche.
J’allume une lumière afin de me déchausser, mais mes pas s’arrêtent devant les différents messages écrits au sol avec des pétales blanches. J’allume toutes les lumières et j’avance en lisant un par un.
— Au chef Tchaa
— Félicitations pour ta discipline.
— Ta ténacité.
— Ton dévouement.
— Et ta joie de vivre.
— Signé Tessa, et tes enfants, Hadassah, Toucâlin et Touronchon.
Je n’ai mais alors rien compris. De faibles voix proviennent des escaliers, donc je marche à pas feutrés et j’avance légèrement la tête pour comprendre la mascarade qui se déroule ici. Hadassah et Tessa sont dans les marches, mais n’arrivant pas à déceler ce qu’elles se murmurent, je tousse. Elles sursautent et tournent vers moi des faces de coupables.
— C’était l’idée de Dada, commence Tessa.
— Non mais oh ! C’est quoi ce mensonge ? Tu as opté pour les bisounours, rétorque l’autre.
— Qui m’a convaincu de garder la grossesse secrète depuis quinze semaines ?
— Je t’ai proposé mes idées et tu as approuvé, ne commence pas à te défiler maintenant.
— Bref ! C’est toi qui as commencé.
— T’a pas honte à ton âge ?
— Tu viens de dire que tu es enceinte ? je demande incrédule, l’esprit perdu dans une galaxie lointaine.
— Oh…euh…, oui, je suis enceinte, surprise chéri.
— Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre alors, tu avais même oublié l’essentiel, se moque Hadassah.
— Beh on verra comment tu feras toi en étant enceinte, compte sur moi pour t’emmerder autant que tu l’as fait.
— En même temps je ne t’ai pas collé un fusil sur la tempe hein. C’est toi qui m’as appelé quand j’étais en cours de surcroît, pour m’annoncer en pleurant comme une madeleine que tu étais enceinte.
— Petite peste, elle lui lance et lui tire la langue
— Vieille nunuche, l’autre lui retourne.
— Tu es enceinte ? je redemande toujours incrédule, tandis que mon esprit se repasse les séquences des derniers mois pour comprendre ce qu’il a manqué.
Elle descend les escaliers, encercle mon cou et me confirme d’une voix basse qu’elle est enceinte.
J’ignore combien de temps nous avons passé dans cette position, mais nous sommes restés longtemps ainsi. Sa nouvelle a commencé à s’infiltrer doucement dans mon esprit. Je l’ai détaché de moi, étudiant son visage d’amande tandis qu’elle m’observait avec émotion.
— C’est la FIV Lio, notre dernier essai a été concluant. Je suis désolé de te l’avoir caché, mais Hadassah m’a suggéré l’idée et j’ai trouvé ça romantique, du coup…, bref, ne te fâche pas s’il te plaît.
— Tu es vraiment enceinte ? je demande d’une voix méconnaissable qui retranscrit le caractère inespéré de la situation.
— C’est ma faute papa, c’était mon idée de garder le secret, c’était stupide, désolée, intervient aussi Hadassah sur un ton peiné.
J’écrase le corps de Tessa contre le mien et silencieusement, je rends les armes face à la vérité. Elle est enceinte. Je n’ai plus besoin de vivre d’espoir en attendant que Dieu se souvienne de nous, il l’a fait, il s’est souvenu. Sans raison, je pousse un cri de victoire qui fait sursauter et rire les filles. On se met à rire tous les trois sans raison, sans rien se dire. On ne fait que rire pour probablement masquer les larmes qui coulent. Personne n’a dormi dans la maison jusqu’au lever du jour. Je voulais tout savoir, de la minute où elle a découvert jusqu’à ce soir. Je voulais tout entendre et malgré la fatigue, elles m’ont tout raconté. Elikem était dans la combine, elle a dégoté les bisounours en question, d’où sa proposition de les ramener à la maison. Le refus que j’entre dans les pièces était lié au fait que les éléments de la surprise se trouvaient là. Tessa a abandonné les talons à cause du vertige et pas parce qu’ils lui font des gros pieds, bref une bande de bonnes menteuses.
La journée du samedi fut donc dédiée en partie au repos et à la préparation de mon témoignage le lendemain.
— Non je ne suis pas d’accord, s’offusque Tessa après ma proposition. Tu peux remercier, mais pourquoi entrer dans les détails Lio ? Les gens vont se moquer de toi dans ton dos, tu sais bien comment on est dans la culture africaine. Homme comme femme, dès que tu ne peux pas enfanter, tu es vu comme un sac à problèmes et si tu dis que tu t’étais vasectomisé exprès, on rira de toi. On va tourner ton histoire en ridicule, je refuse ça, elle dit en secouant vivement la tête.
— Chérie regarde-moi, je commence en prenant son visage en coupe. Tu sais comment l’homme est. Un « merci Seigneur » n’a pas le même impact qu’un « je veux remercier le Seigneur parce que X ou Y ».
— Et alors ? En quoi c’est ton problème ? Tu dois faire de ta vie un spectacle pour les autres ?
— Ce n’est pas mon point Tessa. Je ne fais pas de ma vie un spectacle, mais je m’ouvre afin que les gens entendent combien Dieu est bon.
— De toute façon, je ne vois pas pourquoi tu insistes, parce que je maintiens mon non. Tu ne devais même pas témoigner sur ce sujet à la base, mais sur ta vie professionnelle. Ça ne suffit pas pour prouver que Dieu est bon ça ?
— Viens ici, je dis en la faisant s’asseoir sur mes jambes et je passe les mains sur son ventre. Je te comprends mon amour, je t’assure que je comprends, puisque je suis conscient de ce que tu dis, mais ce que Dieu vient de faire pour nous là surpasse les craintes que je pourrais avoir au fait de présenter ma vulnérabilité à un public. Qu’est-ce qu’on peut me faire qui évincera la joie qu’il a mise en moi ? Rire de moi ? Et alors ? J’ai fait un choix qui a fini par se retourner contre moi, mais il ne m’a pas abandonné avec le poids de la déprime. Il a même choisi de m’envoyer quelqu’un qui ne me verrait pas comme un boulet à cause de ce poids, mais une bénédiction malgré nos circonstances. Pour finir, il nous a comblés, alors dis-moi vraiment, la moquerie peut me faire quoi ? Je suis un faiblard ? Gloire à Dieu si je le suis aux yeux des hommes, mais je connais mon identité, ceux qui m’aiment la connaissent, je suis rassuré.
Elle soupire, et dans ses yeux, danse toujours cette lueur d’incertitude.
— Je tiens à raconter mon témoignage dans son entièreté parce qu’un jour, peut-être demain ou lorsque l’enregistrement du culte sera revisionné sur la chaine YouTube de l’église, je suis persuadé que mon histoire sera une source d’encouragement pour certains. Le plus difficile quand on commet une faute, c’est de dépasser l’étape de l’autoflagellation et atteindre celle où on croit mériter les mêmes bénédictions que ceux qui n’ont pas fauté. La crainte d’avoir raté à jamais sa chance est si prévalente qu’on lutte continuellement entre le désespoir et le faux excès d’espoir pour camoufler les doutes. Je tiens à en parler, je suis sûr que ça sera important pour quelqu’un.
— Bref, c’est toi qui gagnes toujours quand on se lance dans les débats.
— Dixit la meuf qui a étudié en Mass Communication, je la taquine et elle rigole.
En soirée, j’ai donc sollicité Hadassah pour la préparation du chant réservé depuis quatre ans à ce moment. De temps en temps, je jetais un coup d’œil par la fenêtre et me pinçait pour me rassurer que les immenses bisounours Toucâlin et Tougrognon représentent bien mes enfants qui grandissent en Tessa actuellement.
Le dimanche, au culte, j’ai donc comme prévu pris la parole avec Tessa comme soutien et Dada attendant mon signe au piano.
— Frères et sœurs, je tiens à remercier Dieu en ce jour pour plusieurs faits, mais pour rester concis, je prendrai un volet de mon histoire. Ce volet, je pense, représente assez bien ma vie, puisque j’ai vécu les répercussions de ce choix sur plusieurs années. Alors, au début de ma vingtaine, j’ai choisi de me faire vasectomiser pour des raisons personnelles.
Les surprises se lisent sur les visages, les premiers étant ceux de mes parents, Elikem et Arthur. Ils s’attendaient simplement à un autre témoignage. Je sens la délicate main de Tessa tenir mes doigts, un geste qui me réconforte ainsi que sourire et je continue.
— Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le jargon médical, comprenez que la vasectomie empêche un homme d’enfanter. J’étais donc conscient depuis ma vingtaine que je ne pourrais pas avoir de progéniture naturelle, mais uniquement par adoption, une option qui me convenait parfaitement. Comme personne ne connaît la finalité de la vie, j’ai fini par changer d’avis dans ma trentaine et me suis précipité pour renverser cette opération, malheureusement, m’étant pris tardivement, l’opération fut un échec.
Ma mère ouvre doucement la bouche. Je suis persuadé d’avoir entendu de légers soupirs d’étonnement dans la salle, mais je continue.
— J’ai donc rencontré mon épouse ici présente dans cet état, ne pouvant concevoir naturellement et comme c’est souvent le cas quand on responsable de son malheur, je ne me trouvais pas méritant d’une personne qui n’avait aucun problème sur ce plan. Je me voyais même comme le boulet qui allait la retarder.
— Oh Jésus, quelqu’un lance sur un ton compatissant qui m’ébranle un peu, mais je me reprends.
— Certains ici me connaissent depuis l’enfance, j’ai grandi sous vos yeux, j’ai servi à l’accueil durant mon collège, le baptême, j’ai tout fait dans cette église, et pourtant, je considère avoir fait l’expérience de ce Dieu que j’ai connu depuis mon enfance, durant les cinq dernières années. C’est dans le découragement, le questionnement, l’autoflagellation silencieuse qu’il me rappelait une parole, un chant, un verset, m’envoyait de la force par ma sœur d’une autre mère, mon frère, ma fille, mes parents, et tant de personnes que je ne peux citer. Il m’a maintenu à flot, il m’a béni à nouveau par un mariage qui me comble, et hier il m’a confirmé qu’il n’est pas seulement le Dieu qui pourvoit financièrement, accorde la santé ou chasse les mauvais esprits. Il est aussi le Dieu des septièmes chances d’où…
Les réactions dans la foule me poussent à arrêter. Certains sont déjà debout et louent. D’autres sont suspendus à mes lèvres. Il y en a aussi qui pleurent. Papa se lève et demande le calme afin que je puisse finir. Ébranlé à nouveau, je reprends d’une voix plus grave.
— Après plusieurs tentatives de FIV, il nous a faits grâ…
Les cris noient le reste de ma phrase. Les sifflets se joignent aussi. Papa est debout comme le reste, il ne me regarde même pas. Il ne fait que marcher, la tête levée vers le ciel. Maman est toujours assise, mais elle ne semble pas présente d’esprit.
Je tourne la tête vers Hadassah et lui fais signe de commencer vu l’ambiance. On avait imprimé et partagé les paroles du chant au groupe de louange qui l’accompagnera.
« Pour toutes ses fois où tu m’as supporté, guéri mes blessures, mes maux, essuyé mes larmes, je te loue, pour ce que tu es.
Pour toutes ses fois où Seigneur j’ai douté, malgré tout ton amour n’a jamais changé, je te loue, avec tout mon être.
Seigneur, tu es ma raison de vivre.
Mon âme reconnaît qu’il n’y a point d’autre comme toi.
Aucun mot ne peut décrire ce que tu représentes pour moi.
Oui je t’aime Seigneur, pour ce que tu es.
Pour ces fois où je n’ai cessé de tomber.
Et même penser à tout lâcher, tu m’as relevé, je te loue, pour ce que tu es.
Pour ces fois où ma mémoire fut brouillée, pour oublier combien grande est ta fidélité, mais toujours, tu me rappelles encore.
Seigneur, tu es ma raison de vivre.
Mon âme reconnaît qu’il n’y a point d’autre comme toi,
Aucun mot ne peut décrire ce que tu représentes pour moi.
Oui je t’aime Seigneur, pour ce que tu es. »
J’ai murmuré durant la majeure partie du chant, mais sur la dernière partie, je ne peux plus me retenir.
« Je ne pourrais jamais payer le prix,
De ton calvaire sur la croix pour ma vie
Mon abri, mon secours, mon seul appui, je te loue pour ce que tu es.
“Tu es ma raison de vivre, Samuel Joseph.”
— Mon abri, mon secours, mon seul appui, je te loue pour tant de raisons, mais spécialement aujourd’hui, parce que mon âme reconnaît que personne ne peut accomplir pour moi ce que tu as et continue de faire, je le déclare publiquement parce que tu le mérites tant. Reçois ma reconnaissance à jamais, j’ajoute à la fin du chant cette prière, les yeux mouillés de larmes qui témoignent de l’état de mon cœur.
— Vous m’excuserez de vous avoir imposé ma mélodieuse voix, je reprends le discours et certains rigolent sachant que ma voix est affreuse. Mais il le fallait, il me fallait chanter cette partie. Je prie aussi que ce témoignage ravive l’espoir en quelqu’un sinon en chacun aujourd’hui. Chacun sait ce qu’il traverse, et je ne prétends pas que Dieu agira de la même façon pour vous comme il a fait avec moi, puisque je ne détiens pas l’avenir, mais une chose est certaine, il n’a pas déclaré que “le juste tombe sept fois et se relève pour faire joli.” Il connaît parmi nos épreuves la part qui découle de nos actions et celle qui provient de facteurs externes, mais surtout la bonne nouvelle, c’est que sa grâce englobe tout, tant qu’on s’approche de lui avec sincérité, amen, je conclus et me tourne vers Tessa pour lui donner l’opportunité si elle a quelque chose à ajouter. Elle me prend le micro, détail qui m’étonne, parce que je ne m’attendais pas à ce qu’elle témoigne aussi.
— Alléluia, elle commence. Mon mari a dit l’essentiel, donc je ne vais pas vous ennuyer en reprenant ce sujet. Je suis reconnaissante à Dieu et tiens également à faire appel au bon sens de chacun. C’est Dieu qui donne le courage, mais l’homme doit aussi faire le pas pour endosser ce courage, donc sachez que se tenir ici et exposer sa vulnérabilité n’est pas chose aisée. Gardez ça en tête lorsque vous discuterez de son témoignage dans vos maisons ou avec des gens de l’extérieur. Il n’a pas décidé de s’exposer pour devenir le sujet de racontars ou dissertations négatives, mais encourager ceux qui en ont besoin. C’est tout pour ma part. Que Dieu nous aide tous, amen.
Je suis bouche bée tandis qu’elle enroule carrément son bras au mien sous les acclamations et réactions enjouées de l’assemblée.
— Madame Bemba a dit, je cite, ouvrez les guillemets, “Celui qui commère sur mon mari aura à faire à Dieu”, le rigolo d’Arthur lance une fois qu’il a le micro.
— Period ! intevient Hadassah de sa voix bien affirmée au piano et sa réaction déclenche l’hilarité de ceux qui ont compris. Donc comme ça, on choisit la violence dans la maison du Seigneur ? Ça se fait ?