chapitre 1 La rencontre

Ecrit par leilaji

CHAPITRE 1

 

On m’appelle Leila. J’ai 29 ans cette année 2014. Je travaille pour une société pas très connue au Gabon mais pourtant très puissante dénommée: The Firm. Le travail que nous y faisons consiste à auditer les grandes entreprises de la place. On nous engage pour déceler les failles dans le système de l’entreprise. Nous intervenons sur le plan administratif, juridique, fiscal, comptable, informatique et j’en passe. Vous comprenez bien que pour être engagée par The Firm, il faut être doué dans son secteur d’activité. Moi je suis juriste. Une très bonne juriste d’entreprise. 

 

Comment nous sélectionne-t-on ? Il n’y a pas d’annonce dans le quotidien d’information local. Tout fonctionne avec le bouche à oreille. Et c’est ma meilleure amie qui m’y a fait engager.

J’y suis depuis quelques années maintenant. Je gravis doucement mais surement les échelons. Ce que je vise c’est la place d’associée. Je sais que je finirais par l’être ; qu’importe le nombre d’année que ça me prendra. J’ai tout mon temps. Je consacre toute mon énergie à ma réussite grâce à ma vie personnelle désertique. Je n’ai ni mari, ni enfant, ni famille ici au Gabon. Ne me plaignez pas. Je ne me sens pas seule pour autant, mes dossiers me tiennent compagnie quand je déprime.

 

Aujourd’hui, j’audite dans la société OLAM. Pas OLAM que tout le monde connait mais la holding OLAM qui contrôle toutes les autres filiales. C’est là que tout se décide. Ils sont spécialisés dans l’export de matières premières vers l’est du globe. J’hérite toujours des clients asiatiques. Ils sont souvent difficiles et exigeants. Ma patronne dit que j’ai un très bon feeling avec eux, alors je me plie à ses décisions. Je suis discrète et vraiment très efficace. Il n’y a pas de problème que je ne peux résoudre. Quand on voit toute la détermination que j’y mets, c’est bien normal. Elles me réclament toutes sans savoir qui je suis. Lorsqu’elles souscrivent à nos services, la seule information qui leur est transmise le premier jour c’est que dans le mois qui suivra, on leur enverra quelqu’un. Ils ne savent jamais quand ni où débutera l’audit. C’est amusant et pas vraiment très orthodoxe comme pratique de leur faire la surprise d’une visite quand ils s’y attendent le moins, mais ça donne de bons résultats au final.

 

Je descends de la petite Toyota que je conduis depuis cinq longues années maintenant. Cette voiture est une vraie calamité, elle ne démarre que lorsqu’elle le veut bien. Mais je l’aime trop pour m’en défaire.

 

Je ressemble à toutes les working girl du pays, avec un petit air « ne me casser pas les c… » en plus. J’ai des yeux en amande, un nez ordinaire mais une bouche aux lèvres naturellement roses et pulpeuses. Un atout indéniable quand on sait que certaines doivent se faire des injections pour avoir des lèvres comme les miennes. Je me maquille très peu. Juste un trait d’eye liner sur mes paupières et un gloss légèrement rosé sur mes lèvres. Je porte mes longs cheveux chignon bas de nuque la plupart du temps. C’est assez exceptionnel pour une africaine de les avoir aussi longs mais je ne vais tout de même pas m’en plaindre. Je suppose que je dois remercier mes gènes « peuls ». En somme je suis potable, dans mes bons jours, je dirai même jolie. Mais bon ça c’est dans mes bons jours.

Comme je l’ai dit plus tôt, j’aime mon travail et je veux qu’on me prenne au sérieux. Ce qui est clair c’est que dans le milieu de l’audit ici (très phallocratique), il est plus facile d’être respectée si les hommes ne passent pas leur temps à tenter pas à tout bout de champs de coucher avec toi.  Je ne suis pas très grande, à peine 1m60 pour cinquante kilos proportionnellement répartis sur tout mon corps. Je ne porte jamais de bijoux, ni boucles d’oreille, ni bague… C’est superflu. Ma seule excentricité, c’est ma montre. Elle coute au bas mot 1 millions de francs CFA. Je l’ai achetée avec la prime de l’année passée. Les diamants qu’il y a dessus ce sont des vrais. Mais ça tout le monde n’est pas obligé de le savoir. Pour ne pas avoir l’air trop masculin, je porte tous mes costumes avec des talons aiguilles extrêmement sophistiqués. Bon assez parlé de moi. Il faut que j’aille travailler.

 

La holding d’OLAM se trouve juste à côté de l’Institut français. C’est un ensemble composé de deux immenses buildings avec des étages de différentes couleurs. Je gare ma voiture dans le parking à côté et fonce au boulot. Il est temps que Leila Larba fasse voir à OLAM ses talents d’auditrice.

 

Quelques jours plus tard.

 

Aujourd’hui c’est officiellement une journée de merde. J’essaie d’expliquer à la secrétaire du directeur général pourquoi mettre des informations confidentielles sur une clef USB personnelle où se trouvent soit dit en passant les devoirs de sa fille en classe de 5e, est dangereux. Mais elle me regarde l’air de dire : pour qui tu te prends ma petite à me faire la leçon ?! Tu ne sais pas que j’ai l’âge d’être ta mère.

 

Moi je me fiche de l’âge d’un collaborateur. Le boulot c’est le boulot, c’est un principe sacré dans mon entendement. Mais nos traditions culturelles déteignent souvent sur la culture d’entreprise, de sorte qu’il faut savoir respecter ses ainés, même quand ils font mal leur boulot. Je rectifie le tir et lui parle plus aimablement en ponctuant chaque phrase par un « maman » dit avec douceur. Mon sourire qui fait des merveilles chez les hommes comme chez les femmes, finit par la convaincre de m’écouter. Ca y est c’est bon, elle n’est plus fâchée, elle a compris que ce qui est confidentiel ne peut pas trainer avec ce qui est familial.

 

Ah oui ! Je sais vous vous demandez comment ça se fait qu’à mon âge, je sois aussi accro à mon travail ? Il faut dire que jusqu’ici mes histoires d’amour ont été de vrais fiascos et que je préfère ne pas m’étendre dessus. Ce serait une perte de temps épouvantable.

 

Il est 20h 30 et il n’y a presque plus personne dans la société. Je suis complètement fourbue et j’ai atrocement mal aux yeux. Trop d’heures passées devant l’écran de l’ordinateur surement. Je roule  les muscles de mes épaules pour les détendre un peu. Le résultat est peu probant. 

 
  •  Qui est là ?
 

D’où vient cette voix ? Je pensais être seule dans cette partie de l’immeuble. Je ne prends pas la peine de répondre. J’ai passé la journée à expliquer à des gens comment faire leur travail plutôt qu’a auditer. Je dois boucler le dossier sur les failles fiscales et rentrer chez moi.

 
  • Qui est là ? redemande la même voix.
 

Il m’énerve celui-là ! Suis-je obligée de lui répondre ? Une silhouette se dessine devant la porte d’entrée vitrée. Je sens qu’il va entrer. Je prie pour qu’il parte tout en clignant des yeux pour mieux lire les chiffres qui dansent sur mon écran. Je m’étire lentement prête à bondir pour aller bien lui faire sentir qu’il me dérange. Quand il ouvre la porte.

 

Pendant deux secondes, deux secondes interminables, j’avoue que les circuits de mon cerveau ont cessé de communiquer entre eux. Black-out total.

 

Première analyse : Européen. 1m85. Belle carrure, cheveux noirs, costume sur mesure. Affreusement beau gosse.

 

Deuxième analyse : …

 

Mon cerveau se court-circuite de nouveau. Ah non, je crois finalement qu’il s’est carrément déconnecté du monde des vivants.

 

J’expire bruyamment pour reprendre le contrôle. Il s’approche de moi et semble pas très heureux de voir une inconnue à une heure aussi tardive.

 

Troisième analyse maintenant qu’il est plus que près: yeux verts. Est-ce que ca existe des yeux comme ceux-là ? D’un vert complètement délavé qui lui donne un air de fauve en pleine nuit.

 
  • Qui êtes-vous ?
  • Et vous qui êtes-vous ? je réplique immédiatement au lieu de répondre.
 

Je sais c’est complètement idiot de répondre à une question par une autre question mais je ne sais pas comment l’expliquer ; son regard vert posé sur moi me fait réagir comme une bête traquée. Maintenant qu’il est juste face à moi, je me rends compte à quel point malgré la grande finesse de ses traits et le vert de son regard, il semble dur de caractère.  A quoi ça sert d’être aussi beau si c’est pour avoir l’air carrément méchant ? Mais quel gâchis mon Dieu.

La meilleure défense étant l’attaque et comme il m’intimide beaucoup, j’essaie d’être aussi désagréable que lui en gardant le silence.

 

Décontenancé, il tente de jeter un coup d’œil sur mes documents. Je range mes affaires sans cérémonie pour bien lui faire comprendre qu’il ne saura rien de moi. Non mais dis donc c’est quoi ces manières ! Mes mains tremblent légèrement, mais j’espère qu’il ne l’a pas remarqué. Ça doit être la fatigue et surement pas les yeux verts ! Oui ça doit être ça ! Il faut que ce soit ça !

 
  • De toute manière je finirai bien par savoir qui vous êtes ! me fait-il remarquer en levant un sourcil. Je vois que vous avez un badge. C’est déjà ça !
 

Il me jette un dernier coup d’œil méprisant et s’en va.

 

Quel malpoli ! Ces européens-là se croient vraiment tout permis. Quand je pense que mon cœur a manqué quelques battements à sa vue, que j’ai failli avoir une crise cardiaque quand il s’est approché de moi, que mon cerveau a pris un congé sabbatique aussi court qu’inopiné, que son parfum envoutant m’a complètement troublé! Tout ça pour s’en aller sans lui-même dire qui il est ! C’est ridicule. Ça doit être la fatigue ! Il vaut mieux que je rentre chez moi.

 

Comme on dit chez nous le travail du blanc ne finit jamais.

 

Les amoureux du Taj...