
Chapitre 21
Ecrit par Verdo
Marie se tenait sur la petite terrasse de sa maison, les yeux plongés dans l'obscurité de la nuit. La veille de l’opération qu’elle avait soigneusement planifiée avec Kossivi, son ami policier, et en complicité avec le chef du village, elle était à la fois fébrile et déterminée. Ce soir-là, les étoiles semblaient briller avec une intensité particulière, comme si elles observaient les hommes et leurs secrets. Elle resserra le châle autour de ses épaules pour se protéger de la brise fraîche.
Elle repassait encore les étapes du plan dans sa tête quand une silhouette apparut soudain devant elle. Un vieillard, drapé d’un pagne usé, les cheveux blanchis par le temps, la regardait fixement. Ses yeux brillaient d'une étrange lueur.
— Marie, fille de Nomagno, appela-t-il d'une voix grave et éraillée.
Marie sursauta. Personne ne l’avait approchée, et elle était certaine qu’elle était seule quelques secondes plus tôt.
— Qui êtes-vous ? Et que faites-vous chez moi à cette heure ? demanda-t-elle, la voix tremblante mais teintée d’agressivité.
Le vieillard s’approcha lentement, ses pieds nus glissant sur la terre battue comme s’il lévitait.
— Je viens avec un message des ancêtres, jeune femme. Je suis ici pour te mettre en garde. Laisse tomber ton projet de t’en prendre à Ethiam. Cette histoire dépasse ton entendement.
Marie fronça les sourcils.
— Quoi ? Vous venez de la part d’Ethiam ? C’est ça ? Vous êtes un de ses espions ? Vous pensez que vos histoires de "sacoche noire" vont m’effrayer ? Laissez-moi vous dire quelque chose, vieil homme : cet homme a tué mon père. Il a détruit ma famille. Vous croyez que je vais rester là les bras croisés ? Jamais !
Le vieillard soupira, un soupir lourd, comme s'il portait les fardeaux de plusieurs générations.
— Tu es aussi bornée que ton père, jeune fille. Écoute-moi bien : les ancêtres sont déjà à l’œuvre. Tu n’as aucune idée de la puissance de cette sacoche noire. Si tu insistes à t’immiscer dans cette affaire, tu risques de le regretter.
Marie se redressa, défiant le vieillard de son regard perçant.
— Regretter quoi exactement ? Explique-moi ! Vous parlez de cette sacoche noire comme si c’était un être vivant. C’est quoi cette absurdité ? Vous les anciens, vous aimez bien jouer avec les superstitions pour manipuler les gens. Mais pas moi. Je vais faire justice pour mon père. Ethiam paiera pour ses crimes.
Le vieillard laissa échapper un ricanement sinistre.
— Tu crois tout savoir, mais tu es encore dans l’ignorance, petite. Ton père, oui, ton cher père, utilisait l’argent sale d’Ethiam pour te couvrir de cadeaux et financer tes projets avant sa disparition. Cet argent, il venait d’où à ton avis ? Tu es aussi coupable que lui. Réfléchis bien à ça.
Marie sentit son sang se glacer dans ses veines.
— Qu’est-ce que vous racontez ? Vous mentez !
— Vraiment ? Continue donc de te bercer d’illusions. Mais souviens-toi, chaque transfert Mobile Money qu’il t’envoyait avant sa disparition... Tu crois qu’il venait de son salaire ? Avait-il un travail ? Réfléchis, Marie. Mais puisque tu ne veux pas écouter, fais ce que bon te semble. Moi, j’ai dit ce que j’avais à dire.
Le vieillard recula lentement, son regard perçant toujours fixé sur elle. Puis, comme un mirage, il disparut dans l’ombre.
Marie resta figée, tremblante, le cœur battant à tout rompre. Elle s’effondra sur le sol, incapable de contenir ses émotions.
— Non... Non, ce n’est pas vrai... Ce n’est pas possible... murmura-t-elle en larmes.
Paniquée, elle attrapa son téléphone et composa le numéro de Kossivi.
— Allô, Kossivi ? Viens vite, il faut qu’on parle ! Quelqu’un est venu me menacer... Non, pas Ethiam. Un vieillard... Il disait des choses... Il parlait de mon père... C’est trop bizarre, Kossivi. Je ne sais pas quoi penser. Viens, je t’en supplie !
Sa voix tremblait, à la fois de peur et de confusion. Elle regarda autour d’elle, comme si le vieillard pouvait réapparaître à tout moment. Une partie de son esprit voulait rejeter tout ce qu’elle venait d’entendre, mais une autre partie savait qu’elle ne pourrait plus ignorer les paroles troublantes du mystérieux messager.
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La mer s’étendait à perte de vue, reflétant la lumière argentée de la lune. L’air salin enveloppait Sika et Sélinam alors qu’ils étaient assis sur le sable, encore trempés par les événements dramatiques de tout à l’heure. Sika fixait Sélinam, son regard rempli d’une étrange mélancolie. Il avait l’impression de regarder non seulement une femme, mais un miroir reflétant toutes ses erreurs et tous ses regrets.
— Sélinam... commença-t-il d’une voix rauque.
Elle tourna lentement la tête vers lui, ses yeux toujours rougis par les larmes.
— Merci de m’avoir sauvé, Sika. Mais pourquoi ? Pourquoi as-tu fait ça après tout ce que tu m’as fait subir ? demanda-t-elle, brisant le silence.
Sika baissa la tête, ses mains jouant nerveusement avec le sable humide.
— Je... Je suis désolé, Sélinam. Désolé pour tout. Pour t’avoir chassée de la maison, de l’église. Pour avoir renié cet enfant que tu portes. Je ne peux pas continuer à fuir mes responsabilités. Je veux repartir à zéro, avec toi. Redémarrer sur de nouvelles bases.
Sélinam le fixa avec un mélange de surprise et de scepticisme.
— Sika... Un zéro effacé reste un zéro. Ce que tu veux, ce n’est pas un nouveau départ, c’est une évasion de tes propres démons. Mais on ne peut pas reconstruire une maison sur des ruines, surtout quand ces ruines sont faites de mensonges et de manipulation.
Sika sentit un frisson lui parcourir l’échine.
— Je sais que j’ai tout gâché, Sélinam. Mais cet enfant, cet enfant est un symbole. Un symbole d’espoir, d’un avenir différent. Si nous ne pouvons pas nous pardonner, comment cet enfant pourra-t-il avoir une vie saine ?
Sélinam secoua doucement la tête.
— Arrête, Sika. Ne te cache pas derrière cet enfant. Ce que tu veux, ce n’est pas une famille. Tu veux seulement un refuge, un moyen de te racheter à travers moi. Mais j’ai déjà vécu cette manipulation. Tu m’as utilisée, Sika. Tu m’as brisée. Je suis désolée, mais je ne peux pas te permettre de refaire ça.
Sika écarquilla les yeux. Il n’avait pas anticipé une telle résistance.
— Sélinam, je n’ai plus rien. Martiella m’a quitté, mes églises m’ont abandonné, je n’ai même plus ma dignité. Tu es la seule personne qui peut encore me comprendre. Je sais que je ne mérite pas ton pardon, mais au moins, donne-moi une chance. Une seule chance.
Sélinam posa une main sur son ventre arrondi, comme pour se protéger.
— C’est justement ça, Sika. Tu viens vers moi parce que tu n’as plus rien. Si Martiella était encore là, ou si tu avais encore ton église, tu ne serais pas ici, sur cette plage, à me parler de "chance". Ton amour pour moi n’est qu’une illusion née de ton désespoir. Et moi, je refuse de redevenir ta victime.
Sika ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun mot ne sortit. La clarté et la sérénité dans la voix de Sélinam le laissèrent sans défense.
Elle se leva lentement, sa silhouette élancée se détachant sous la lumière lunaire.
— La vie m’a offert une nouvelle chance, Sika. Une chance de me reconstruire, loin de toi. Cet enfant sera ma force. Mais toi, tu dois trouver ta propre rédemption, et je ne peux pas être ton échappatoire.
Elle posa une main légère sur son épaule.
— Merci pour ce soir. Merci de m’avoir sauvée. Mais à partir de maintenant, nos chemins se séparent.
Elle se détourna et commença à marcher le long de la plage, laissant derrière elle les empreintes de ses pas et un homme anéanti.
Sika resta assis là, le regard perdu dans les vagues. Pour la première fois depuis des années, il ressentait pleinement le poids de sa solitude. Il avait tout perdu, non pas à cause des autres, mais à cause de lui-même. Les mots de Sélinam résonnaient dans sa tête : "Tu dois trouver ta propre rédemption."
Il comprit alors qu’il n’y aurait pas de raccourci, pas de sauveur. S’il voulait réellement changer, il devrait affronter ses démons seul.
Sika était retourné chez lui après le départ de Sélinam. Il s’assit lourdement dans son fauteuil, la tête entre les mains. Ses coudes reposaient sur ses genoux, ses doigts pressant son crâne comme pour en extraire une solution à son désespoir. Il fixait le sol, incapable de penser clairement. Sauver Sélinam avait été un geste instinctif, presque héroïque, mais il n'avait rien récolté en retour. Elle l'avait rejeté. Et il ne pouvait pas la blâmer.
— "Pourquoi est-ce que tout tourne toujours mal ?", murmura-t-il pour lui-même, sa voix à peine audible.
Le silence dans la pièce était assourdissant, seulement troublé par le tic-tac incessant de l’horloge murale. Il leva les yeux et fixa cette horloge, comme si le temps, lui aussi, le narguait. Une idée soudaine lui traversa l'esprit.
Martiella.
Il se redressa brusquement, son cœur battant à tout rompre. Martiella avait toujours été sa bouée de sauvetage. Malgré tout ce qui s’était passé, peut-être qu’elle pourrait l’aider une dernière fois. Après tout, elle savait à quel point il était en difficulté.
Il attrapa son téléphone sur la table basse et composa le numéro de sa femme. Son pouce tremblait en appuyant sur le bouton d’appel. La sonnerie retentit une fois, deux fois, trois fois, avant que Martiella ne décroche.
— "Sika ?", répondit-elle d’une voix froide et distante.
— "Martiella, je t’en supplie, écoute-moi."
— "Qu’est-ce que tu veux encore ? Je t’ai déjà tout donné, Sika. Tu n’as rien fait d’autre que détruire ma vie."
— "Je sais, je sais... Mais je suis dans un sacré problème, Martiella. Je vais mourir si je ne trouve pas une solution."
Un silence tendu s’installa. Sika pouvait entendre sa propre respiration haletante.
— "Et qu’est-ce que tu attends de moi, Sika ? Que je règle encore tes dettes ? Tu n’es qu’un irresponsable. Combien te faut-il cette fois ?"
Sika hésita, mais il savait qu’il devait être honnête.
— "Cinquante millions, Martiella. C’est la seule chose qui peut me sauver."
La réponse de Martiella fut immédiate : un rire amer suivi d’un silence glacial. Puis, un clic retentit. Elle avait raccroché.
Sika resta figé, le téléphone encore collé à son oreille. Il ne pouvait pas croire ce qui venait de se passer. Ses mains se mirent à trembler, puis il lança son téléphone à travers la pièce. L’appareil heurta le mur avec fracas avant de tomber en morceaux sur le sol.
C’est alors qu’il sentit un changement dans l’atmosphère. Une froideur soudaine envahit la pièce, et une ombre sombre sembla s’étendre autour de lui. La sacoche noire apparut sur la table basse, comme si elle s’était matérialisée à partir de l’obscurité elle-même.
Une voix terrifiante résonna dans la pièce, émanant de la sacoche.
— "Il te reste trois jours, Sika. Trois jours pour payer ta dette. Si tu échoues, tu verras les flammes de l’enfer !"
La voix n’était ni masculine ni féminine. Elle semblait venir de partout et de nulle part à la fois, résonnant comme un écho infernal.
— "Je... Je ne peux pas ! Je n’ai pas l’argent !", cria Sika, reculant jusqu’au mur, ses yeux écarquillés d’horreur.
— "Trois jours, Sika. Pas un jour de plus."
La sacoche noire se mit à vibrer violemment, émettant un bruit sourd, presque comme un battement de cœur. Puis, aussi soudainement qu’elle était apparue, elle disparut, laissant derrière elle une odeur de soufre et un silence pesant.
Sika glissa le long du mur, s’effondrant sur le sol. Ses mains agrippèrent ses cheveux tandis qu’il se balançait d’avant en arrière, complètement terrifié.
— "Que vais-je faire ? Que vais-je faire ?", répétait-il, sa voix brisée par les sanglots.
Il leva les yeux vers l’horloge. Le tic-tac semblait maintenant plus fort, chaque seconde résonnant comme un coup de marteau dans son esprit. Le compte à rebours avait commencé, et il n’avait aucune idée de comment il allait s’en sortir.
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Sélinam, les mains moites, se tenait devant la lourde grille de la maison de Kodjo. La nuit tombait doucement, et les lumières tamisées du jardin créaient une ambiance paisible. Pourtant, son cœur battait la chamade. Cela faisait des années qu’elle n’avait pas mis les pieds ici, des années marquées par des choix qu’elle regrettait amèrement.
Le vigile, un jeune homme au visage sérieux, la regarda avec méfiance.
— « Bonsoir, Madame. Vous avez rendez-vous ? »
— « Non... Mais dites à Kodjo que c’est Sélinam. Je voudrais lui parler. »
Le vigile hésita un instant, puis appela Kodjo. Après un bref échange au téléphone, il ouvrit la grille.
— « Entrez. Monsieur Kodjo vous attend au salon. »
Sélinam inspira profondément et franchit le portail. Chaque pas vers la porte lui semblait un fardeau, un mélange de honte et d’appréhension. Lorsqu’elle entra, Kodjo était déjà debout dans le salon, vêtu simplement d’un t-shirt et d’un pantalon décontracté. Ses traits étaient tirés, mais son regard était curieux.
— « Sélinam... », dit-il en croisant les bras.
— « Bonsoir, Kodjo. Merci de me recevoir. »
Kodjo fit un geste pour l’inviter à s’asseoir. Elle s’exécuta, posant son sac à main près d’elle. L’atmosphère était tendue, et les silences pesants dominaient leurs échanges. Les enfants de Sélinam étaient là aussi, assis non loin dans un coin du salon, feignant de s’intéresser à leurs téléphones. Ils n’avaient même pas levé les yeux pour la saluer.
Kodjo brisa le silence :
— « Alors ? Pourquoi es-tu là, Sélinam ? »
Elle prit une grande inspiration, rassemblant son courage.
— « Je... Je voulais te voir pour m’excuser. Pour tout. Pour ce que je t’ai fait subir, ce que j’ai fait subir aux enfants. »
Kodjo arqua un sourcil mais resta silencieux.
— « J’ai fait des erreurs, Kodjo. Des erreurs que je regrette profondément. Je sais que je vous ai abandonnés, toi et les enfants, à un moment où vous aviez le plus besoin de moi. Je pensais que je pouvais trouver une autre vie ailleurs, mais tout ce que j’ai trouvé, c’est de la souffrance et du vide. »
Sa voix tremblait, et ses yeux se remplirent de larmes.
— « Aujourd’hui, je veux repartir à zéro. Mais pour ça, il faut que je commence par demander pardon. À toi, Kodjo. Et surtout à mes enfants. »
Les enfants continuèrent de l’ignorer, leur froideur plus douloureuse que n’importe quel mot. Kodjo, les bras toujours croisés, soupira profondément avant de répondre.
— « Tu sais, Sélinam, ce que tu as fait a laissé des traces. Pas seulement sur moi, mais surtout sur eux. Ils étaient jeunes. Ils avaient besoin de leur mère. »
— « Je sais, Kodjo... Je sais. », murmura-t-elle, baissant les yeux.
Kodjo détourna le regard, fixant le mur devant lui, plongé dans ses pensées.
— « Écoute. Moi, je t’ai pardonnée. La vie est trop courte pour garder de la rancune. Mais pour les enfants, ce sera plus compliqué. Ils ne peuvent pas effacer toutes ces années en un claquement de doigts. »
Sélinam hocha la tête, ses larmes roulant sur ses joues.
— « Je comprends. Mais si je pouvais juste avoir une chance de leur parler, leur montrer que je veux changer... »
Kodjo se leva, fit quelques pas dans le salon, puis se tourna vers elle.
— « Je vais leur en parler. Leur expliquer. Mais il faudra leur laisser du temps, Sélinam. Beaucoup de temps. »
Elle essuya ses larmes et hocha la tête, reconnaissante.
— « Merci, Kodjo. Merci pour tout. »
Alors qu’elle se préparait à partir, elle se tourna une dernière fois vers lui, comme si un poids lourd venait d’être levé de ses épaules.
— « Et une dernière chose. Je veux que tu saches que je n’ai rien contre toi et Nadine. Je n’interviendrai pas. Vous avez le droit d’être heureux, et je ne ferai rien pour gâcher cela. »
Kodjo, surpris par ses paroles, resta silencieux un moment. Puis, avec un soupir profond, il répondit :
— « Merci de dire ça. Je t’ai entendue, Sélinam. Va te reposer. Prends soin de toi. »
Sélinam acquiesça, esquissant un sourire triste avant de se diriger vers la porte. Alors qu’elle sortait, ses enfants ne levèrent toujours pas les yeux. Mais elle avait planté une graine, et elle espérait qu’avec le temps, elle pourrait regagner leur confiance.
Kodjo, seul dans le salon, s’assit à son tour, le regard pensif. Les mots de Sélinam tournaient dans sa tête.
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Ethiam, bien avant de se rendre à Fongbé-Zogbédzi, fit escale chez Ayélévi. La grande demeure, qui autrefois lui avait semblé chaleureuse et accueillante, lui paraissait aujourd’hui froide et inaccessible. Il s’approcha du portail avec une certaine hésitation, mais avant même de toquer, le vigile, un homme robuste en uniforme impeccable, lui barra la route.
— « Monsieur Éthiam, vous ne pouvez pas entrer. »
Ethiam fronça les sourcils, pensant avoir mal entendu.
— « Pardon ? Qu’est-ce que tu racontes ? C’est moi. C’est chez moi. »
Le vigile secoua la tête, impassible.
— « J’ai reçu des consignes strictes, Monsieur. Vous n’êtes plus autorisé à entrer ici. »
Ces mots, semblables à des coups de poignard, le laissèrent bouche bée. Il resta immobile quelques instants, le regard fixé sur le portail fermé, avant de sortir son téléphone de sa poche et d’appeler Ayélévi. La ligne sonnait interminablement, mais elle finit par décrocher.
— « Oui, Éthiam ? », répondit-elle d’une voix ferme.
— « Tu veux bien m’expliquer ce qui se passe ? Pourquoi le vigile refuse-t-il de me laisser entrer ? »
Un silence pesant suivit, puis elle répondit calmement :
— « Je descends. Attends-moi. »
Quelques minutes plus tard, Ayélévi apparut à la porte d’entrée et s’approcha du portail. Elle portait une robe simple, mais son regard, chargé de tristesse et de détermination, lui donnait une aura imposante.
— « C’est toi qui as donné ces consignes ? », demanda Éthiam, incrédule.
— « Oui. »
— « Tu m’interdis maintenant l’accès chez toi ? Chez moi ? », dit-il, une pointe d’irritation et de désespoir dans la voix.
Ayélévi soupira profondément, ses épaules s’affaissant légèrement sous le poids de ses émotions.
— « Tu sais très bien pourquoi, Éthiam. Il y a trop de mystères autour de toi, trop d’ombres et de chaos. Je ne peux plus supporter ça. Je ne peux plus te laisser approcher de mon fils et de moi. »
— « Des mystères ? Des ombres ? Mais qu’est-ce que tu racontes, Ayélévi ? Je t’aime ! Je vous aime tous les deux ! »
Des larmes commencèrent à perler aux yeux d’Ayélévi, mais elle resta ferme.
— « Je t’aime aussi, Éthiam. Mais cet amour ne suffit plus. Pas avec tout ce que tu traînes derrière toi. Ces affaires louches, cette sacoche noire dont tout le monde parle… Je veux protéger notre fils. Je veux qu’il grandisse loin de tout ça. »
Les mots d’Ayélévi brisaient Éthiam peu à peu. Il posa sa main sur le portail, comme pour chercher un dernier contact avec elle.
— « Tu crois que je veux tout ça ? Que j’ai choisi cette vie ? Je suis coincé, Ayélévi. Coincé dans un engrenage infernal. Mais je vais m’en sortir. Je te le promets. Je vais me débarrasser de cette malédiction, de tout ce qui m’accable. »
— « Je l’espère pour toi. Mais en attendant, je dois prendre mes distances. »
Un silence chargé de douleur s’installa entre eux. Éthiam ferma les yeux, une larme coulant sur sa joue. Puis, il sortit une enveloppe de la poche intérieure de sa veste et la tendit à travers le portail.
— « Tiens. Il y a des documents importants à l’intérieur. Tout ce dont vous pourriez avoir besoin, toi et le petit. »
Ayélévi hésita un instant avant de prendre l’enveloppe.
— « Éthiam… »
— « Ne viens pas à ma rescousse. Ne cherche pas à me retrouver. Je vais à Fongbé-Zogbédzi. Je ne sais pas si je reviendrai. Peut-être que c’est la fin pour moi. »
— « Arrête de dire ça… », murmura-t-elle, sa voix brisée.
— « Je suis désolé pour tout, Ayélévi. Pour toi, pour notre fils. Mais il faut que je fasse face à ce qui m’attend. Je ne peux plus fuir. »
Il recula lentement, son regard toujours fixé sur elle.
— « Prends soin de toi. Et dis à notre fils que je l’aime, quoi qu’il arrive. »
Sans attendre de réponse, il tourna les talons et remonta dans son pick-up. Ayélévi resta immobile, regardant son départ, le cœur lourd. Alors qu’il s’éloignait, elle murmura pour elle-même :
— « Que les ancêtres veillent sur toi, Éthiam… »
Dans le véhicule, Éthiam serra le volant, les mains tremblantes. Il savait que son voyage à Fongbé-Zogbédzi serait une épreuve, une confrontation avec son passé et son destin. Mais il n’avait plus le choix. Le poids de ses actions passées le rattrapait, et il devait maintenant affronter les conséquences, seul.
Le portail se referma lourdement derrière Ayélévi, coupant définitivement le lien entre elle et Éthiam. Elle tenait l’enveloppe dans ses mains tremblantes, le cœur en miettes. Son regard suivit un instant le vieux pick-up qui s’éloignait, avant qu’elle ne se retourne brusquement et rentre en courant dans la maison.
Elle passa devant le vigile, les yeux embués de larmes, ignorant ses salutations respectueuses. Une fois à l’intérieur, elle claqua la porte d’entrée et s’adossa contre celle-ci, laissant enfin libre cours à ses sanglots. Sa respiration était saccadée, et les larmes coulaient en torrents sur ses joues.
L’enveloppe toujours serrée contre sa poitrine, elle gravit rapidement les escaliers menant à sa chambre. Chaque pas résonnait dans le vide de la maison, amplifiant son sentiment de solitude. En atteignant sa chambre, elle verrouilla la porte derrière elle, comme pour s’isoler du monde entier.
Elle se laissa tomber sur son lit, l’enveloppe glissant de ses mains. Elle enfouit son visage dans l’oreiller, criant sa douleur, ses larmes imbibant le tissu. L’amour qu’elle avait pour Éthiam se battait avec la peur et la colère qu’il lui inspirait désormais.
— « Pourquoi ? Pourquoi tout cela devait-il arriver ? », murmura-t-elle entre deux sanglots.
La scène au portail repassait sans cesse dans son esprit. La voix brisée d’Éthiam, son regard plein de désespoir, et cette enveloppe… Cette maudite enveloppe qui pesait comme un fardeau sur son cœur. Elle savait qu’il y avait dans cet acte un geste d’amour, mais cela ne suffisait plus.
Lorsqu’elle se calma un peu, elle s’assit au bord du lit, fixant l’enveloppe posée sur le sol. Sa curiosité la poussait à l’ouvrir, mais son cœur lui criait de ne pas le faire. Après un moment d’hésitation, elle se pencha, ramassa l’enveloppe et l’ouvrit.
À l’intérieur, elle trouva des liasses de billets en dollar américain soigneusement rangées, des titres fonciers accompagnées d’une lettre manuscrite. Tremblante, elle déplia le papier et commença à lire :
> « Ayélévi,
Je sais que je t’ai déçue, que je t’ai blessée, toi et Pépé. Je ne pourrai jamais me pardonner pour cela. Cette enveloppe contient tout ce que j’ai pu rassembler pour vous. Utilise cet argent pour assurer un avenir meilleur à notre fils.
Je vais affronter ce qui m’attend à Fongbé-Zogbédzi. Je ne sais pas si je reviendrai, mais sache que je vous aime, toi et Pépé, plus que tout au monde.
Éthiam. »
Les mots tremblaient sur le papier, comme si Éthiam avait versé ses propres larmes en écrivant. Ayélévi serra la lettre contre sa poitrine, un mélange de colère et de chagrin l’envahissant.
— « Pourquoi faut-il toujours que l’amour fasse si mal ? », murmura-t-elle à elle-même.
La soirée passa lentement, chaque minute semblant durer une éternité. Ayélévi refusa de quitter sa chambre, malgré les coups discrets à la porte de la nounou, et plus tard ceux de sa mère qui s’inquiétaient tous pour elle.
Allongée sur son lit, elle regardait le plafond, les pensées se bousculant dans son esprit. Elle se demandait si elle avait pris la bonne décision en coupant les ponts avec Éthiam. Et si quelque chose de grave lui arrivait à Fongbé-Zogbédzi ?
Les heures s’étiraient, et la douleur refusait de s’atténuer. Ayélévi finit par s’endormir, les joues encore mouillées de larmes, la lettre d’Éthiam serrée contre elle comme un ultime souvenir de l’homme qu’elle avait aimé.
À suivre…
Écrit par Koffi Olivier HONSOU.
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