
Chapitre 3
Ecrit par WumiRa
Il y a un proverbe africain qui dit que « les cinq doigts de la main ne sont pas égaux ».
On l'utilise souvent pour rappeler l'unicité de chaque être humain, mais surtout pour souligner que si certains naissent avec une cuillère en ou dans la bouche, d'autres débutent leur vie dans les difficultés. Amara se trouvait dans cette deuxième catégorie.
Chaque samedi matin depuis un moment, elle avait pris l'habitude de se rendre à l'orphelinat Saint-Denis, non loin de chez elle, pour faire du bénévolat. Les enfants et la famille étaient des causes qui lui tenaient profondément à cœur. Elle se considérerait un peu comme l'une d'eux.
- Amaya ! Amaya !
La voix d'un petit garçon de quatre et la tira de ses pensées. Elle tourne la tête et sourit en voyant Josias courir vers elle, suivi de près par sa sœur jumelle, Kyra.
- On ne court pas, Josias ! Je te l'ai déjà dit ! lance une voix féminine derrière eux.
C'était Abla, l'une des bénévoles de l'orphelinat. Amara, accroupie pour accueillir les enfants, ouvre les soutiens-gorge et les laissa se blottir contre elle.
- Comment vont mes bébés ? demanda-t-elle en leur pinçant affectueusement les joues.
Josias, le plus débrouillard des deux, entreprit déjà de fouiller dans son sac.
- Oulah mon gars, doucement.
Se pertinente, elle prend une main dans chacune des siennes et salue Abla d'un grand sourire :
- Bonjour tata Abla !
- Bonjour Amara, répondu celle-ci, visiblement ravie. Ça fait plaisir de te voir ! Tes enfants-là me mènent la vie dure, surtout ce Josias-là !
- Hahaha, j'imagine ! Tu as vu comment il a plongé dans mon sac comme si je lui devais de l'argent ?
Toutes deux éclatèrent de rire et prennent la direction de la cour arrière. L'orphelinat Saint-Denis n'était pas grand, mais il existait depuis une vingtaine d'années. La fondatrice, une sexagénaire vivante désormais à l'étranger, avait confié la direction à sa sœur, qui y faisait un travail remarquable.
Ici, chaque enfant portait une histoire lourde et trop triste à raconter. Ils étaient une Trentaine, orphelins ou abandonnés. Amara ressentait une affection particulière pour Kyra et Josias. Ils avaient été trouvés, à peine nés, dans une poubelle publique et à chaque fois qu'elle y pensait, son cœur se serrait. Elle ne comprenait pas comment certaines femmes pouvaient abandonner ainsi leur chaise, alors que d'autres, remplies d'amour, cherchaient en vain à concevoir.
La vie, dans toute son injustice.
Cependant, au fond d'elle-même, Amara nourrissait un rêve : adopter un jour. En attendant, elle donnait tout ce qu'elle pouvait.
- Où sont les autres ? demanda-t-elle.
- Les grands sont partis faire une sortie. Les petits sont à l'étage avec un nouveau bénévole.
- Ah bon ? Ils font quoi ?
- Il essaie de discuter avec eux. C'est son premier jour, répondit Abla.
- C'est déjà les
Tata Abla éclata de rire :
— Toi et tes histoires ! Vas voir toi-même.
Amara passa en cuisine saluer les six "tatas" de l'orphelinat, toutes des femmes au grand cœur, avant de monter à l'étage. Là, elle a trouvé une dizaine d'enfants, installés autour d'un homme qui semblait leur raconter une histoire. Il était de dos, concentré.
— Tata Amara ! s'écria soudain un enfant.
Le calme vola en éclats. Les enfants se levèrent, criant et courant vers elle dans une joyeuse cacophonie. L'homme, surprise, se retourna et leurs salutations se croisèrent.
***
La première a choisi que Russell remarqua, c'était l'effet qu'Amara avait sur les enfants. En un instant, elle avait capté toute leur attention, alors que lui s'était donné tant de mal pour la briser la glace !
Qui était-elle ? Après un "bonjour" presque inaudible, elle s'était abaissée pour saluer les tous petits. Lui, ne sachant comment réagir, s'était simplement assis, regrettant presque d'avoir écouté la petite voix qui lui avait suggéré de faire du bénévolat, pas plus tard que la veille. L'idée avait été renforcée par les questions impertinentes de certains journalistes qui voulaient savoir s'il marchait réellement dans les pas philanthropiques de Viviane Fiadjo.
Elle se redressera enfin.
C'était une jeune femme fine, pas particulièrement grande, ni courte ; la moyenne. Elle avait laissé ses cheveux au naturel, dans un chignon, ce qui lui conférait un air doux. Et lorsque leurs regards se croisèrent à nouveau, il vit des yeux grands et expressifs, remplis de profondeur et de curiosité.
- Bonjour, dit-elle, avec sourire.
Elle avait également un beau sourire. En fait, il la trouvait jolie.
- Bonjour, répondez-il, encore un peu pris au dépourvu et étonné par la tournure de ses pensées. Il ne la connaît même pas.
- Désolée pour la distraction... vous conservez l'air concentré.
- Disons que j'essayais, sourit-il. Mais eux, ils avaient surtout l'air de s'ennuyer.
Elle éclata d'un rire léger, communicatif.
- Ça arrive au début, mais vous verrez, ça ne dure jamais longtemps. Je suis Amara, et vous ?
- Russell, répond-il en serrant la main qu'elle lui tendait.
Elle le regarde, intriguée.
- Je vais peut-être vous sembler étrange, mais j'ai l'impression de vous avoir déjà vu quelque part...
Cette phrase n'étonna pas Russell. Il y avait mille et une façons de l'avoir du déjà vu. Par contre, lui il ignorait s'il l'avait déjà rencontré.
- Peut-être bien, répond-il. Ce pays n'est pas bien grand.
***
Amara essayait de mettre un nom sur ce visage. Elle était presque certaine d'avoir du déjà vu. Mais où ?
Lorsqu'Abla avait parlé d'un nouveau bénévole, elle s'attendait à voir un jeune homme européen, comme c'était courant. Mais lui... Il n'avait rien d'un étudiant en scène humanitaire.
Il était grand, dans la Trentaine sûrement et il dégageait une prestance certaine.
Russell consulte sa montre.
- Vous prenez la relève ? exigea-t-il.
- Oh... Vous partez déjà ?
- Oui, j'ai un rendez-vous, je repasserai bientôt.
Tout à coup, un cri strident fendit l'air, les figeant sur place.
Amara courut la première, ayant reconnu la voix de l'enfant qui pleurait. C'était Josias.
Elle dévala le couloir, suivi de Russell, pour découvrir le petit garçon, effondré au pied de l'escalier. Il avait une chute en descendant tout seul, et du sang coulait de sa bouche.
Elle accourut, le cœur battant.
— Oh Jojo, babadé, babadé loo.*
Elle le soulevant, tentant du calmer.
D'autres tatas accourent également, parce que ses cris les avaient alertées.
- Chut, chut, c'est fini... Amara est là...
Mais rien n’y faisait. Le petit hurlait, pris de panique.
Russell, déboussolé, s'approche d'eux et tente de l'aider.
- Hé, Jojo... c'est rien, ça va aller. Un garçon ne pleure pas, hein ? Allez, sois fort.
Amara se tourne vers lui et le foudroya du regard, indignée.
- Pardon ? lâcha-t-elle. Un garçon ne pleure pas ?
- C'est rien, je veux juste l'encourager à être courageux.
- Excusez-moi mais ce n'est pas « rien » comme vous le dites. Vous ne pouvez pas dire ça à un enfant.
Russell cligna des yeux, surpris par sa réaction.
- Je ne vois pas en quoi...
Elle se détourna froidement de lui. Tata Abla venait d'apporter de quoi essuyer le sang qui suintait sur le menton et le haut de Josias.
Russell croisa les bras, visiblement contrarié. Il ne comprend pas la réaction de cette jeune femme sortie de nulle part. Elle semblait être attachée au petit garçon, mais il ne voyait pas en quoi ce qu'il avait dit, lui posait problème.
- Je pense que vous exagérez un peu, dit-il froidement.
- Monsieur, gardez ce discours qui crée des hommes incapables d'exprimer leurs émotions ou demandant de l'aide, pour vous-même. Ce bébé n'en a pas besoin, merci.
Elle avait lui équilibré ses propositions, sans lui accorder un regard. Ensuite, elle suivit tata Abla pour aller il ne savait où. Les pleurs de Josias résonnaient encore.
L'une des autres tatas qui avaient suivi leur bref échange, dit à Russell en vernaculaire de ne pas se fâcher suite à ce qu'avait dit Amara. On lui expliqua qu'elle avait certainement eu très peur.
- Je vais y aller, répondit-il, d'un ton disant.
Sans un mot de plus, il tourne les talons et quitte l'étage.
*Babadé : une expression en mina pour exprimer la compassion, le réconfort envers quelqu'un qui souffre, ou qui traverse une difficulté.
Ça veut dire quelque chose comme "courage", "je suis de tout cœur avec toi", ou "je compatis".