
Chapitre 5
Ecrit par Josephine54
Arthur
Je me réveillai en sursaut en pleine nuit. Je me redressai et m'assis sur le lit. Aujourd’hui marquait un nouveau départ dans ma vie. Mon retour définitif au Cameroun, après dix ans à l'extérieur. Je n'étais plus jamais revenu depuis mon départ précipité de ce pays.
Je me sentais tellement anxieux. Ce nouveau départ signifiait beaucoup pour moi.
Je restai éveillé le reste de la nuit. Tellement d’émotions contradictoires m'avaient envahi quand mon pied avait foulé hier le sol de l’aéroport international de Yaoundé Nsimalen.
Je revenais dans cette ville dont je m'étais enfui il y a dix ans, le cœur en compote. Je me recouchai sur le lit et essayai de me vider l'esprit. Je devais me concentrer sur ma mission. Je devais faire d'une pierre deux coups.
Dès 7 h du matin, je me levai et lançai l'appel vers le numéro de Rodolphe. Il était le frère d'un ami et ce dernier m'avait assuré qu'il était quelqu'un de confiance.
- Bonjour boss, lança Rodolphe en décrochant.
- Bonjour Rodolphe, répondis-je. Je suis arrivé au Cameroun hier soir et je comptais passer à l'entreprise ce matin pour une première prise de contact. J'aimerais que tu organises une réunion aujourd'hui même, afin que je puisse rencontrer tout le personnel.
- Bien boss. Je dois tout organiser avec Madame Kamdem.
Je sentis une rage sourde m'envahir simplement à l'évocation de ce nom.
- As-tu une heure de préférence ? poursuivit Rodolphe, inconscient de mon tumulte intérieur.
Rodolphe serait mon représentant dans la succursale de Douala. Je lui avais demandé d'assurer l'intérim à Yaoundé en attendant ma venue. Il ne devait en aucun cas laisser entendre qu'il n'était pas le nouveau propriétaire de l'ETS Domou, futur Mvogo. Je voulais m'assurer que l'effet de surprise soit parfait et j'avais veillé à ce que mon nom ne transparaisse nulle part.
- Je suis libre toute la journée. Tiens-moi informé de l'heure.
Il me rappela plus tard pour m'informer que la réunion était prévue à 12 h 30. Je pris une douche rapide et appelai le chauffeur de taxi que Rodolphe avait mis à ma disposition.
Je descendis du taxi devant les locaux de l'ETS Domou et ressentis une fierté indescriptible à l'idée que j'en sois le propriétaire. Je ne pouvais nier l'agitation qui me prenait aux tripes en pensant que je la verrais dans quelques minutes. J'enfilai mes mains dans mes poches, essayant de me donner une contenance.
Rodolphe m'attendait devant la porte principale. Je ne l'avais jamais vu en personne. Nous avions toujours collaboré par téléphone, mais je savais évidemment à quoi il ressemblait, ayant parfois échangé avec lui via des applications de réunion (Meet, Zoom, etc.).
- Bienvenu Arthur, lança Rodolphe d'une voix chaleureuse, en me serrant la main. Ravi de te voir enfin.
- Bonjour Rodolphe. Le plaisir est le mien.
On traversa rapidement le hall et on rejoignit la salle de conférence. Je sentis les battements de mon cœur s’accélérer dans ma poitrine en entrant dans cette salle. Je parcourus rapidement la salle des yeux et bien vite, mon regard croisa le sien. Elle me regarda comme si j'étais un astéroïde qui se dirigeait tout droit vers la Terre. Je détournai rapidement les yeux d'elle et reportai mon regard sur les autres employés présents dans la salle. J'essayai de calmer les battements désordonnés de mon cœur.
Rodolphe me présenta rapidement. Je ne pouvais m’empêcher de la chercher du regard. J'esquissai un petit sourire en réalisant qu'elle avait de la peine à masquer son trouble.
Après la réunion, je me rendis dans mes locaux pour échanger un bref moment avec Rodolphe.
- Merci beaucoup. Merci pour tout.
- Je t'en prie. Je pensais regagner Douala dès demain si tu n'as plus besoin de moi ici.
- Non, ça devrait aller.
- D'accord boss.
Roman écrit par Justine Laure (page Facebook Plume de Justine Laure)
On échangea encore quelques informations concernant la société. Sincèrement, j'avais déjà toutes les informations qu'il me fallait. J'avais échangé longuement avec monsieur Domou avant d’acquérir la société. L'audit que j'avais demandé m'avait donné le reste d'informations dont j'avais besoin avant de me lancer.
Après le départ de Rodolphe, je me saisis de l'interphone et convoquai Beverly dans mon bureau.
- Entrez, m'exclamai-je d'une voix ferme après avoir entendu des coups timides à la porte.
Beverly ouvrit lentement la porte. À son expression, j'eus envie d'éclater de rire. Elle semblait entrer dans l'antre d'un loup, ce qui était peut-être le cas...
- Re-bonjour madame Kamdem, prenez place, je vous en prie, dis-je d'une voix faussement chaleureuse, lui indiquant la chaise en face de moi.
Je vis ses mains tremblantes se resserrer autour de la tablette qu'elle tenait en main. Elle entra et referma la porte. Elle parcourut la brève distance qui nous séparait d'un pas hésitant.
- Bon... bonjour, répondit-elle d'une voix tremblante.
- Comme je l'ai annoncé tout à l'heure, j'aurais besoin que vous convoquiez vos collègues pour un entretien, dis-je en la fixant dans le blanc des yeux.
Elle baissa immédiatement la tête dès que nos yeux se trouvèrent, m'arrachant un petit sourire démoniaque.
- Euh... euh... avez-vous besoin d'un ordre de passage précis ? demanda-t-elle.
- Pas du tout, mais je m'entretiendrai avec vous en dernière position, dis-je d'une voix neutre.
Elle releva brusquement la tête à ma phrase. Je soutins son regard d'un air impassible. Eh oui, le meilleur pour la fin.
- Euh... d'accord, monsieur, marmonna-t-elle. Quand voulez-vous commencer ?
- Dès cet après-midi.
- D'accord. Combien de temps comptez-vous passer avec chaque personne ?
- Un quart d'heure, répondis-je.
- Bien. Donnez-moi un moment pour m'organiser. La première personne sera ici dans une heure, dit-elle d'une voix ferme, la professionnelle qu'elle était reprenant le dessus.
- D'accord.
Un petit silence s'installa entre nous et je ne fis rien pour le rompre.
- Avez-vous besoin d'autre chose, monsieur ? demanda-t-elle d'une voix hésitante.
- Non, ce sera tout pour le moment, répondis-je d'une voix lente à dessein.
Je la vis froncer les sourcils et sa lèvre inférieure se mit à trembler. Elle se leva brusquement de sa chaise et se mit à lisser des plis imaginaires sur sa jupe.
- Bien, monsieur, lança-t-elle en sortant précipitamment de mon bureau, comme si elle avait le diable aux trousses.
Je me retins d'éclater de rire quand elle referma la porte. Je me rejetai en arrière sur ma chaise et me mis à fixer la porte derrière laquelle elle venait de disparaitre.
Durant tout le temps qu'a duré notre entretien, je n'ai pu m’empêcher de détailler ses traits. Son visage était aussi beau et harmonieux que dans mon souvenir. Elle avait pris un peu de poids et cela lui allait à merveille. Elle était une femme maintenant, avec des courbes qui vont avec. Son air candide n'avait quant à lui pas changé du tout.
La revoir avait remué quelque chose en moi, mais cela n'avait aucune importance. Le contraire m'aurait étonné. Cette femme, je l'avais aimée plus que ma propre vie, et maintenant, je la détestais avec chaque fibre de mon corps. J'avais été prêt à tout pour elle. J'avais tout sacrifié pour elle : mon avenir, la confiance de ma famille, une confiance durement gagnée, et qu'avais-je obtenu en retour ? Rien du tout. Que dalle ! De l'abandon ! Je n'étais pas près de lui pardonner la manière dont elle s'était jouée de moi.
Je ne pus empêcher mon esprit de vagabonder, me transportant à cette fameuse nuit, il y a dix ans de cela. Nous avions prévu de quitter le pays et de nous installer au Gabon. J'avais sacrifié mon voyage pour la France par crainte de la perdre. Et que s'était-il passé ? Je l'avais perdue de toute façon.
Roman écrit par Justine Laure (page Facebook Plume de Justine Laure)
Mon esprit me transporta bien vite à cette fameuse soirée. Notre départ était prévu pour 23 heures. Beverly était censée me rejoindre dès 20 heures. Nous avions parlé en journée et elle m'avait informée que son amie Amanda avait été hospitalisée d'urgence.
- Es-tu certaine de revenir à temps ? lui avais-je demandé.
- Mais bien-sûr, bébé, il est à peine 13 heures, m'avait-elle rassuré.
Je n'avais pu m’empêcher d'en être préoccupé. Je lui avais ensuite envoyé un message vers 15 heures. Elle m'avait assuré avoir à peine rejoint son amie. Elle ne pensait pas s'éterniser. Le temps pour elle de s'assurer qu'elle n'avait rien de grave.
J'avais donc continué à faire nos valises. À 18 heures, elles étaient toutes bouclées. J'avais ensuite pris une douche et m'étais assis au salon à l'attendre. Je n'avais pas informé mon bailleur de mon départ, de peur qu'il n'en informe mon grand frère Gérard.
Vers 19 heures, j'avais envoyé un message à Beverly pour m'assurer que tout allait bien. Je me sentais gagner par l'anxiété. J'avais toujours craint qu'elle ne se dégonfle à la dernière minute.
N'obtenant pas de réponse à mon message, j'avais alors commencé à l'appeler sans interruption, mais sans succès. J'avais alors pensé qu'elle avait changé d'avis et n'avait simplement osé me le dire. Elle avait certes accepté de s'en aller avec moi, mais je savais aussi qu'elle le faisait un peu à contre cœur. Elle ne voulait pas, elle aussi, perdre notre amour.
J'étais sur le point de relancer l'appel vers son numéro quand j'avais vu toute une série de messages affluer dans mon téléphone. J'avais reconnu le numéro de la maman de Beverly, bien qu'il ne fût pas enregistré.
Un mauvais pressentiment m'avait étreint pendant que j'ouvrais la première photo. Elle représentait Benjamin, à genoux devant Beverly, tenant dans sa main un écrin. J'avais senti mon cœur manquer un battement. Non, ce n'est pas ce à quoi je pensais. La deuxième photo représentait Benjamin en train de l'embrasser. J'avais secoué la tête sans vraiment y croire. Cette femme-là était capable de tout pour nous séparer, afin que sa fille épouse l'homme riche qui la "méritait". J'avais pensé sur le coup que ces photos avaient été montées à travers une application de montage de photos. Tout doute avait quitté mon esprit quand j'avais ouvert la première vidéo. Benjamin à genoux, faisant sa demande en mariage et Beverly, ma femme, lui répondre OUI, après avoir brièvement parcouru la salle des yeux. Ce dernier lui avait donc enfilé sa bague, s'était ensuite relevé et avait échangé un baiser avec elle. J'avais senti une douleur sans précédent dans ma poitrine. J'avais l'impression que quelqu'un y avait planté un long couteau et prenait un malin plaisir à le parcourir dans ma poitrine.
La deuxième vidéo montrait Benjamin et Beverly assis, côte -à-côte, et ce dernier lui posa un baiser affectueux sur la tempe et la serra très fort contre lui. J'avais senti une larme traitresse couler le long de ma joue. Comme un masochiste, je m'étais mis à parcourir le reste des photos.
J'avais immédiatement lancé l'appel vers le numéro de Beverly, mais c'était maintenant éteint. Je m'étais assis lourdement sur une chaise pendant que les larmes ne cessaient de couler sur mes joues. J'avais essayé, encore et encore, le numéro de Beverly, mais il était toujours éteint. Mon regard s'était posé à cet instant sur nos valises rangées près de la porte. Que faire ? Y aller sans elle ? Hors de question ! Beverly était ma femme.
Vers deux heures du matin, j'avais reçu un message de Beverly : " Je suis désolée Arthur, mais je ne viendrais pas avec toi". J'avais immédiatement rappelé, mais elle avait apparemment éteint après avoir envoyé son message.
Je m'étais couché sur le lit et m'étais mis à reparcourir toutes les photos et vidéos. Je ne savais si c'était mon cœur qui parlait, mais Beverly me semblait crispée sur ces vidéos. Son "oui" à Benjamin me semblait inconsistant, hésitant...
Beverly avait toujours été une fille simple, sans prétention, ne tenant absolument pas compte du statut social ni de l'argent. Je ne pouvais donc pas croire qu'elle ait accepté de l'épouser pour sa richesse. Il fallait que je lui parle.
Je n'avais aucunement l'intention d'y aller sans elle. Je décidai d'annuler mon voyage de ce soir-là.
Le lendemain matin, je me rendis chez Beverly dès sept heures du matin. Je savais que je n'étais pas le bienvenu, mais qu'importe, j'avais besoin de la voir. Elle devait me regarder en face et me dire qu'elle le préférait, lui.
Je toquai à la porte et, manque de chance, c'est sa mère qui m'ouvrit.
- Que veux-tu encore ? Tout n'est pas clair ? C'est quoi cette têtutesse ? Elle va se marier bientôt, s'était-elle mise à hurler.
- Je veux lui parler madame, avais-je crié à mon tour.
- Hé, hé, espèce de bandit. Va crier loin de chez moi. Tu te crois où ici ?
J'avais alors vu Beverly apparaitre derrière sa mère.
- Ça suffit maman, s'était exclamée Beverly.
- J'espère que tu ne vas pas te laisser entrainer dans ses bêtises. Tu es maintenant fiancée à un vrai homme, ne l'oublie pas.
J'avais vu la honte gagner Beverly. Elle pensait certainement que je n'étais pas au courant de son prochain mariage.
- On peut parler, avais-je demandé sèchement.
- Oui, viens, avait répondu Beverly en m'entraînant hors de chez elle.
On avait marché en silence un bref moment. On s'était ensuite arrêtés près de l'arbre qui avait si longtemps été témoins de nos moments de tendresse.
- Que se passe-t-il Beverly ? Je t'attendais hier, avais-je dit d'une voix meurtrie.
- Je sais, Arthur, avait-elle soupiré. Je ne pourrais pas aller avec toi. Ce n'est pas possible.
- Pourquoi donc ? Tu étais bien d'accord !
- Je sais...
- Regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu ne m'aimes plus.
- Ça n'a rien à y voir Arthur. Mais je ne peux plus partir avec toi, avait répondu Beverly en baissant les yeux.
- Pourquoi ne veux-tu pas parler ? N'as-tu pas le courage d'assumer tes choix ? Pourquoi autant de lâcheté ? avais-je répliqué d'une voix dure.
- De quoi parles-tu, Arthur ?
- Je parle de ton prochain mariage avec Benjamin. Je parle de la demande en mariage que tu as acceptée.
Elle m'avait alors regardé d'un air choqué avant de se ressaisir.
- Je suis désolée, Arthur, ma décision est prise, je vais épouser Benjamin, avait-elle répondu d'une voix ferme.
J'avais pris son visage en coupe et avais ancré son regard au mien.
- C'est ton dernier mot ? avais-je demandé.
Elle avait essayé de baisser la tête, mais je l'avais obligée à maintenir mon regard.
- Oui, avait-elle murmuré.
Je l'avais immédiatement lâchée et avais eu un brusque mouvement de recul, comme si son contact me brulait tout à coup les paumes de main.
- Parce qu'il a de l'argent ? Beverly, es-tu une fille matérialiste ?
Roman écrit par Justine Laure (page Facebook Plume de Justine Laure)
- Oui, parce qu'il a de l'argent, Arthur. Parce qu'il a de l'argent. Quel avenir pourrais-je avoir avec quelqu'un comme toi ? Avec un passé sombre ! Aucune perspective d'avenir.
Beverly venait de broyer mon cœur avec ces mots cruels. Je sentis des larmes picoter dans mes yeux. Non, je n'allais pas pleurer devant elle. Je n'allais pas lui donner cette dernière satisfaction, celle de m'avoir détruit à jamais.
J'avais alors commencé à marcher à reculons, comme si j'avais un diable en face de moi. J'avais alors lu de la culpabilité dans son regard.
- Arthur, avait-elle murmuré.
- Ne dis rien, avais-je lâché et m'étais mis à courir comme si j’avais le diable à mes trousses.
Toc, toc, toc... trois coups frappés à la porte m'obligèrent à sortir de mes pensées. Je pris quelques secondes pour me reconstituer un visage neutre avant d'inviter à entrer.
Je vis la tête de Beverly apparaitre à l'entrebâillement de la porte. Je la regardai d'un féroce, tel un lion prêt à déchiqueter sa proie.
- Euh... euh... monsieur, je voulais vous annoncer monsieur Mballa, du service de comptabilité.
- Faites-le entrer et autre chose, ne revenez plus. Laissez vos collègues venir à moi directement, répondis-je sèchement.
Les yeux de Beverly s'agrandirent sous l'effet de la surprise. Elle avait certainement de la peine à croire que j'étais le même homme qui lui avait parlé de manière courtoise il y a moins de trente minutes.