chapitre 5

Ecrit par leilaji

LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)

GABRIEL

Episode 5

- Je vais retourner à la voiture. 
- Tu veux que je te la ramène ?
- Non. Elle refusera de t’adresser la parole, si tu lui parles de moi. Je crois que je lui rappelle mon frère.

Je sors mon portefeuille de ma poche et en tire quelques billets.

- Puisque tu es si sur de toi, peux-tu t’assurer qu’elle rentre chez elle saine et sauve ? Elle est bourrée, je lui dis en lui tendant les billets.

Il repousse mon geste nonchalamment puis s’avance vers Lola en se faufilant à travers la foule devenue dense. Il lui fait signe de la tête pour qu’elle le suive dans un coin discret. Je n’aime pas la décontraction avec laquelle il aborde la situation. Prince a une belle gueule, un corps d’athlète, il a vraiment de quoi faire chavirer les cœurs sur son passage.
Cependant, la Lola que je connais gardait toujours ses distances avec les clients quand elle était serveuse dans les boites de nuit. La Lola que j’ai en face de moi, commande un second verre, se fait servir et suit Prince comme s’il n’y avait pas de danger à suivre un inconnu dans un lieu aussi sombre qu’un cabaret.
Ils s’installent dans un petit salon discret. Elle le laisse remettre une de ses mèches rebelles en place. Lola a un petit sourire amusé sur les lèvres et ne le quitte pas des yeux. Ses yeux brillent forts et elle se mord les lèvres. Il sort de sa poche des billets et se penche vers elle pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Elle éclate de rire puis se recule un peu et fait non de la tête. Je suis soulagé. Mais tout de suite après, prince sort d’autres billets de sa poche et les ajoute à ceux qu’il a en main. Il les agite devant ses yeux. Elle finit par lui prend le billet des mains, les compte et les fourre dans son soutien-gorge. Je suis tellement captivé par la scène que je n’entends plus la musique assourdissante qui passe entre chaque passage d’artiste. Je crains le pire. Je crains de voir Lola se prostituer devant moi. Je crains de ne pas pouvoir le supporter.
La scène complètement irréaliste continue de se dérouler sous mes yeux. Elle ne peut pas avoir autant changé en si peu de temps.  Lola était une jeune femme aussi forte qu’un roc. C’est nous les Valentine qui avons font d’elle la loque que je vois devant mes yeux. Je l’ai introduis dans le milieu de la music et Mickael lui a brisé le cœur. Tout ça c’est de notre faute.

Je m’empare de mon téléphone et envoie un message à Prince. J’ai été stupide de lui faire confiance. Ce n’est pas parce qu’il nous donnait des nouvelles de Mickael que ça veut dire qu’il est digne de confiance.
Normalement, il doit sentir son téléphone vibrer dans sa poche mais il ne bouge pas le petit doigt. Finalement, je le vois enlever son tee-shirt et le proposer à Lola qui secoue la tête et continue de rire. Il joue le mec gêné de se retrouver torse nu et insiste en agitant le tee-shirt devant ses yeux. Elle finit par accepter de le porter. Des lors, il se tourne subrepticement vers moi et me fait un clin d’œil. Je suis soulagé. Il ne lui donnait pas de l’argent pour coucher avec elle. Il lui a donné de l’argent pour qu’elle accepte de porter son tee-shirt et arrête d’exposer ses seins. C’est pour cela qu’elle a éclaté de rire. Dans ce club, les hommes paient pour que les femmes se déshabillent. Lui, l’a payée pour qu’elle se cache aux yeux des autres hommes. C’est bien joué ! Prince sort enfin son téléphone de sa poche et m’envoie un message.

Prince : T’inquiète, je vais prendre soin de la Lola de Mike et la ramener chez elle. Je n’ai pas l’intention de faire quoi que ce soit de déplacé avec elle. Ce n’est vraiment pas mon genre.

Je soupire et sors du Vamp respirer un peu d’air frais.  Mon téléphone vibre.

Prince : Elle va chanter encore une fois, je vais rester l’écouter. Il se passe un truc dans la salle quand elle chante. J’adore ça. 
Moi : Ok. Bonne nuit.

Ma main tremble dans ma poche et le sentiment qui me broie le cœur est toujours aussi intense.
Premièrement, j’ai lu LA LOLA DE MIKE et ça m’a énervé.
Deuxièmement, il a réussit à la faire sourire. Ce que moi je n’ai plus jamais réussi à faire depuis la mort de mon frère. 

Lorsqu’un des portiers ouvrent la porte pour laisser passer un client, la voix sensuelle de Lola me parvient. Elle est toujours aussi belle que dans mes souvenirs et les clients l’acclament avec chaleur.

Cela me rappelle que Lola est faite pour la scène et que moi je suis fait pour montrer son talent au monde entier.

*
**

Je n’ai pas dormi de la nuit. Et ce matin j’ai appelé mon assistante pour lui dire de ne pas m’attendre. Assis sur mon lit, je contemple le fruit de ma nuit d’insomnie tout en avalant le breuvage pourri qui m’a aidé à tenir toute la nuit : du café arrosé de gin. C’est bien dégueulasse et à chaque gorgée, je sens l’alcool me bruler l’estomac. Il n’est que neuf heures du matin mais il fait déjà chaud. Je mets le split en marche, j’ai toujours eu horreur de transpirer. J’inspire profondément et lance l’appel vers le Nigéria. Je compte sur Eloïse pour me dire si c’est de la folie ou pas.

- Ouais ! Ca  a intérêt  à être important, je suis de très mauvaise humeur, bougonne –t-elle en décrochant.
- Tu te rappelles de mon premier projet ? Le tout premier. Celui que j’avais proposé à papa et qu’il a refusé…
- Hum…Oui. Le Valentine’s ?
- Oui c’est ça.
- Pourquoi m’en parles-tu ? me demande-t-elle en baillant ostensiblement.
- Je vais me lancer.  Je viens de passer la nuit à sortir tous ce que j’ai compilés ces cinq dernières années pour ce projet. Je pensais m’y mettre plus tard, tu vois. Quand j’aurai cinquante ans au moins , mais hier j’ai eu comme un flash. Je ne peux plus attendre. C’est maintenant ou jamais, je le sens. J’ai remis le business plan au gout du jour  et noté tous les contacts nécessaires à l’aboutissement du projet.
- Quoi, attends…
- Non toi attends. Laisse-moi m’expliquer, j’ai pensé à tout.
- Vas-y je t’écoute.

Je vide mon verre, me lève du lit et commence mon exposé en priant très fort pour qu’elle ne me prenne pas pour un fou.

- Tu sais que les Khan ont quitté leur maison quand le braquage a eu lieu. Tu sais celle qui est une  réplique du Taj.
- Oui. Et alors ? Tu veux l’acheter ? Tu n’as pas les moyens et je ne pense pas qu’elle soit en vente de toute manière.
- Je sais. Mais je pense que ce sera idéal pour le Valentine’s. Je veux dire un complexe hôtelier Casino. Pas le truc pourri du bord de mer. Non, je parle d’un casino comme à Las Vegas. Un truc de fou avec salle de spectacle et magasins de luxe. Et pour lancer le concept et mettre mon casino en lumière, je vais mettre en place en jeu télévisé avec des candidats venant de toute la Cemac, pourquoi pas de l’ouest aussi. Chaque semaine un candidat sera éliminé. Ils devront s’affronter avec des chansons et des chorégraphies à couper le souffle. Le meilleur après le vote du public gagnera un spectacle d’un an au Casino. Je concevrais un spectacle entier pour celui qui remportera le concours. 
- Où est ce que tu vas trouver l’argent pour un si grand projet … Gabriel , écoute …
- Non. Ecoute-moi encore. Je vais tout hypothéquer. Tout. Je vais tout miser dessus. Tu as déjà une émission donc tu sais comment ça se passe. Tu vas m’envoyer une personne qui va me former pendant un moment. Tu t’occuperas des costumes. Toi ou ton mec, je m’en fous, je veux juste des costumes de dingue. Et, je te préviens déjà que tu ne me feras rien payer parce que ce sera une vitrine pour ta marque. Dis-toi que c’est du sponsoring. 
- Gabriel…
- Pour le reste des fonds, je compte proposer des parts à Denis. Eloïse, je sais que tout ça a l’air fou mais quand tu as écouté ton cœur et suivi Mugusi, je t’ai fait confiance et laissé partir. C’est à ton tour de me faire confiance. Tu me connais. Je suis un bosseur. Je vais tout faire pour que ça marche. Les votes du public m’aideront à faire tourner la machine… Il y aura aussi une salle de jeu avec des compétitions de poker…

Je n’arrive pas à endiguer  le flot d’enthousiasme qui m’inonde en ce moment. Mon cerveau bouillonne et je sais que je suis prêt. C’est un projet vieux comme ma passion pour la music. Mais c’est Lola qui m’a donné l’impulsion pour me lancer. Lola et ce que je l’ai vu faire au Vamp. Je pensais qu’elle n’arrivait plus à chanter. Du moins c’est ce qu’elle m’avait dit. Mais la voir sur scène, hier a fait redémarrer la machine en moi.

Pour moi, même dans un caniveau, un diamant reste un diamant.

Pour certains, mon projet est un risque démesuré. Hypothéquer tout ce que je possède pour une seule personne, qui n’est ni ma sœur ni ma femme !!! Mais moi qui suis passionné par le monde de la musique, je sais qu’il faut parfois miser gros pour tout rafler. Je sais que le père de Beyonce a quitté son job pour manager les Destiny’s Child. Je sais que René Angelil a hypothéqué sa maison pour produire l’album de Celine. C’est grâce à lui que le monde entier a pu décrire cette immense chanteuse. A quoi ça sert d’avoir de la passion pour quelque chose si on n’est pas prêt à tout risquer pour cette passion ? Je l’ai déjà fait une première fois pour Valentine productions. Je peux recommencer et frapper encore plus fort !

- Et je sais que Lola va participer. C’est quand Sydney l’a défiée qu’elle a vraiment donné le meilleur d’elle-même. Lorsqu’elle aura en face d’elle de jeunes talents de toute l’Afrique, elle se rependra en main. Et je retrouverai ma Lola.
- Ta Lola ? Gabriel… TA Lola ? je pensais que c’était du passé…  Tu l’as revue ?
- Au Vamp.
- Au Vamp ? Mais qu’est-ce qu’elle fout là-bas ?

Fatigué de nier ce qui m’est si précieux, je me confie. A voix basse, comme si elle m’extorquait un secret.

- Je veux qu’elle me revienne. Je veux qu’elle se souvienne combien c’était bon nous deux. Je sais que je n’ai pas le droit de dire ça, je sais qu’elle aime surement encore Mickael mais Eloïse j’y peux rien. C’était ma Lola avant d’être la sienne.
- Je sais Gabriel. J’étais là quand tout ça s’est passé. Crois moi je ne te juge pas.
- Il n’est plus là pour prendre soin d’elle tandis que moi… moi je suis toujours là.

J’ai eu le plus grand mal à terminer ma phrase. C’est douloureux pour moi. J’ai l’impression de le voler. Mais j’aime Lola, c’est plus fort que moi.

- Et comment comptes-tu la faire revenir puisqu’elle te fuit ?
- Je vais l’obliger à faire face à sa réalité…
- Comment ?
- Je vais faire rentrer Raphael pour quelques jours. Et l’emmener voir sa mère.  Au Vamp.

Eloïse se tait un moment analysant les conséquences de mon projet.

- Elle va te détester à mort ! Tu n’as pas le droit d’emmener son fils la voir dans un lieu pareil. Tu sais qu’elle l’a toujours protégé de tout ce qui lui arrivait.
- Je sais. Mais là, je crois que je n’ai pas le choix. Depuis le début on la caresse dans le sens du poil, on ne la force à rien et elle se laisse aller. Je tente le tout pour le tout. C’est décidé !
— Bon laissons de coté le problème Lola mais Gabie, est-ce que tu as la moindre idée de ce dans quoi tu t’embarques ?
— Tu fais briller notre nom au Nigéria, je le ferai briller ici.
— Je ne parle pas de ça mais les jeux d’argent sont contrôlés par la mafia corse au Gabon. Ce n’est pas un truc qui se passe dans les films Gabriel, c’est la réalité du Gabon. La mafia. Les corses. J’ai déjà rencontré l’un d’eux lors d’une soirée. C’est pas des enfants de cœur. Ils sont très discrets mais ils sont là et je ne pense pas qu’ils laisseraient un jeune gabonais tenter sa chance.
— Je suis dans Mon pays. Je fais ce que je veux, je réplique immédiatement, irrité par ses réticences.
— Gabriel tu devrais éviter … Continuer à produire des shows tout simplement. Tu es tellement doué la dedans, pourquoi ajouter les jeux d’argent ?
— Eloïse…
— …
— Eloïse ? j’insiste calmement.
— Oui Gabie…
— Tu es avec moi ou pas ? C’est tout ce que je veux savoir. Pour le reste je suis assez grand pour gérer ça.
Je commence à ressentir les effets de la mixture que j’ai ingurgitée toute la nuit. J’ai le cerveau qui tape contre ma boite crânienne, et mon haleine pourrait tuer un mammouth. Je fais la moue parce que j’ai l’impression que mes yeux vont sortir de leur orbite.  Je déteste être dans cet état, négligé et défraichi.
—  Si au moins Mickael était là pour te protéger… dit pensivement Eloïse.
— Arrête.
— Est-ce qu’elle en vaut la peine ? As-tu idée de ce que les gens vont penser de vous si ça se passe ?
— Oui.
— Et tu vas faire quoi ?
— Je vais assumer comme un homme et la protéger.
— Ca ne m’étonne même pas venant de toi au final.
— Pourquoi ?
— Tu te rappelles de Nicky Larson ?
— Le dessin animé ?
— Oui. Moi j’adorais Nicky parce qu’il était beau gosse. Mickael l’adorait parce qu’il maniait un flingue comme personne. Et toi…
— Quoi moi ?
— Toi tu adorais le fait qu’il sauve les filles.
Je souris car des souvenirs heureux remontent à la surface. C’était l’un des rares moments où on pouvait nous trouver tous les trois dans la même pièce. Evidemment, Mickael mon jumeau ne s’asseyait pas à nos cotés mais au moins il regardait la même chose que nous.

— Bonne chance avec Lola, petit frère.
Puis elle raccroche sans plus rien ajouter.
*
**

Une semaine plus tard, j’ai lancé la machine. J’ai signé un contrat de bail avec Madame Khan et je me suis rapproché d’une banque de la place pour obtenir un financement. Mais les taux et les conditions étaient tels que j’ai du abandonner l’idée de passer par un établissement bancaire. Les établissements de crédit sont tellement frileux lorsqu’il s’agit de donner un coup de pouce à un projet innovant. Jamais ils ne donnent de chance aux mecs comme moi qui relèvent des défis s’ils ne sont pas appuyés par les hommes politiques de la place. Si j’ouvrais une boulangerie pour vendre des putains de baguettes de pain, je suis sur qu’ils m’auraient octroyé le crédit. Je me suis donc entendu avec Denis et on a établi un contrat de prêt sous seing privé. J’ai donné en garantie quasiment tout ce que j’avais. Je n’ai jamais eu autant la frousse de signer quelque chose. Et maintenant que ça c’est fait, je rentre avec Raphael qui fera un court séjour à Libreville pour m’aider à sortir Lola du bourbier dans lequel elle s’est plongée.
Je passe le vol Londres-Paris-Libreville à lui expliquer en quoi mon projet consistait. Ce gamin est d’une intelligence rare et il a été tout de suite emballé. C’est très étrange de pouvoir enfin lui parler. Son appareil auditif bien que discret et de couleur chair est visible quand on prête attention à son oreille. Il sort un calepin de sa poche et m’écrit quelques lignes que je survole rapidement.

— Pourquoi continues-tu à écrire ce que tu as à dire au lieu de parler ?

« Je n’aime pas entendre ma propre voix. Malgré tous mes efforts, je ne m’habitue pas vraiment à ça » écrit-il en touchant son appareil. « A quelle heure sera-t-on à Libreville ? »

— 23 heures pourquoi ?

« Je veux que tu m’emmènes directement la voir. La où tu as dit qu’elle était. » Écrit-il après un moment d’hésitation.

— Ce n’est pas un lieu pour toi… C’est vrai que j’y ai songé mais c’était une très mauvaise idée. Je vais te ramener chez tes grands-parents et ils lui diront que tu es là. Elle viendra te voir à la maison. Parle-lui. Toi, elle t’écoutera.

« Elle n’habite plus chez eux et ne passe même pas les voir. Elle envoie juste de l’argent. Elle est têtue. Mais c’est ma mère. Je crois que même si je la voyais faire des choses… sales, je ne cesserai pas de l’aimer pour autant. Je ne peux pas attendre qu’elle vienne à la maison, je veux la voir aujourd’hui. Ca lui fera un choc. C’est ce qu’il faut pour la faire revenir sur les rails. Parce que la mort du sensei Mike l’a complètement déraillée. Mais il faut que tout ça cesse. Et je pense que ton concours arrive au bon moment. »

— T’es sur de toi Raphael ? Je ne veux pas créer de malaise.

« Elle va se fâcher contre moi très fort … mais ça ne me tuera pas. Même si ça craint quand même ! Lola fâchée, c’est jamais beau à voir ! »

— Alors tu n’auras qu’à lui dire que c’est moi qui ai eu l’idée et qui t’ai obligé à venir.

Il se met à rire avant d’écrire sur la feuille où il n’y a quasiment plus de place : « Elle va te dérouiller… »

Et je me dis au fond de moi que je préfère sa colère à son indifférence.

*
**

Avant de déboucler ma ceinture, je regarde une dernière fois Raphael, lui offrant ainsi l’occasion de changer d’avis. Mais il parait si sûr de lui que je n’insiste pas. S’il pense que c’est le seul moyen de la réveiller, alors pourquoi pas ?
Le visage fermé, son sourire quitte son visage dès que je coupe le moteur. Pas besoin d’être une lumière pour comprendre ce qu’on fait ici.
Je débloque les portières et on descend tous les deux. Normalement, il est trop jeune pour rentrer dans ce type de club mais comme il est avec moi, le portier ne dit rien et nous laisse passer. Habillé d’un costume sombre comme à mon habitude, je fais vite l’objet de l’attention des serveuses. Je demande à celle qui semble la plus sympathique si Lola est là. Elle la cherche du regard dans la salle avant de secouer la tête. La musique passe à fond et fait sauter mon cœur en rythme. Raphael quand à lui semble très calme. Trop calme. Son corps est tendu d’appréhension. Lorsque la serveuse nous dit que Lola a semble-t-il quitté les lieux, je suis extrêmement soulagé. C’était une idée stupide d’emmener son fils ici.

Nous sortons vite fait et je jette un regard au jeune homme à mes cotés qui se fige et regarde droit devant lui, la mine sombre, les poings serrés. Le trottoir d’en face capte toute son attention. Dans la petite ruelle mal éclairée : c’est Lola, adossé à un mur, un homme collé à elle, une bouteille à la main. Elle rit bêtement et semble ailleurs. Avant même que je ne pense à intervenir Raphael traverse la route et je le suis, mal à l’aise.

Il ne dit rien, se poste juste face à sa mère qui ne prête pas attention à ce qui l’entoure. Par peur que les choses ne dégénèrent devant ses yeux, j’appelle Lola. Elle sursaute, les yeux hagards, débraillée comme je ne l’avais jamais vu avant. Elle est surement saoule. Encore une fois. Ses yeux se posent sur son fils. Et je vois passer dans son regard plusieurs sentiments enchevêtrés les uns aux autres: de la honte, de la colère, de la peur. Elle essaie tant bien que mal de remettre de l’ordre dans ce qu’elle porte.

— Vous feriez mieux de vous en aller … maintenant, je dis à l’homme d’un certain âge qui disparait sans demander son reste.
— Raphael, qu’est-ce que tu fais là ? demande Lola d’une petite voix.

Je crois qu’il en a vu assez comme ça. Son maquillage a coulé et sa voix est érayée. Je tends les clefs de ma voiture à Raphael et lui demande d’aller m’attendre dans le véhicule. Il est si troublé que sa main tremble quand il prend le trousseau. Alors je le prends dans mes bras et lui murmure que c’est toujours la même Lola, que j’ai déconné en l’emmenant ici et qu’il allait bientôt retrouver sa maman d’antan. Il quitte mes bras et s’en va sans un regard pour sa mère.

— C’est toi qui a emmené mon fils ici ?
— Oui ? Mais c’est toi qui te ridiculise devant ses yeux Lola.
— Comment as-tu osé faire ça ? Pour qui tu te prends ? hurle –t-elle en me poussant très fort. Tu n’as aucune idée de ce que je suis en train de vivre.
— Arrête Lola ! Ca suffit maintenant. Tous les malheurs de la terre ne se sont pas concentrés sur toi…
— Mickael est mort. Mon fils est parti… je m’amuse c’est tout. La vie est courte. J’ai le droit de m’amuser non ? 

J’enlève ma veste pour lui couvrir les épaules et elle recule d’un pas.

— Ne me touche pas !

J’insiste et je vois une larme rouler sur sa joue. Elle l’efface d’un geste rageur de la main et se protège en croisant les bras sur sa poitrine. Tout ca commence à me gonfler. Le ton monte.

— Tu n’es pas la seule à avoir perdu quelque chose ce jour là. Mon père a perdu un fils. J’ai perdu mon frère mais le monde ne s’est pas arrêté de tourner pour autant. J’ai perdu mon frère jumeau putain Lola ! C’est comme me perdre moi-même. Pas un seul instant ne passe sans que je ne pense à ce qu’on serait devenu tous les deux s’il était encore là, avec moi. On a passé toute notre vie à se détester. On s’est battu pour être avec toi et quand les choses se sont enfin calmés entre nous, la vie me la repris. Tu n’es pas la seule à souffrir Lola. Mais tu es la seule à ne pas honorer sa mémoire.

Elle se fige, heurtée par mes paroles.

— Va te faire foutre Gabriel. Va te faire foutre.
— Non toi va te faire foutre ! Ce n’est pas parce que ton fils est à l’étranger que ça veut dire qu’il n’a pas besoin de sa mère. J’arrive pas à croire que gamine tu aies été tellement mère et que maintenant que tu es une femme, tu te fous de lui, de ta vie à ce point. Regarde-toi Lola… Regarde-toi !

Le plan débile que j’avais en tête était trop rose pour être vrai. Je la voyais fatiguée mais battante. Je la voyais prendre dans ses bras son fils et lui jurer de quitter les lieux sur le champ. Je ne la voyais pas aussi abimée.

Elle s’adosse sur le mur sale et continue à m’insulter. Chaque insulte est comme une gifle en pleine face. Je reste debout devant elle, les mains dans les poches alors que j’ai simplement envie de l’étrangler. Mais à chaque fois qu’un mot sort de sa bouche, sa voix se casse un peu plus jusqu’à ne devenir qu’un râle de douleur. Cette expression hantée sur son visage me marque, me fait mal. Je ne savais pas que l’amour faisait mal ainsi… Mais qu’est-ce que je raconte ? Bien sur que je le sais. Je suis passé par là quand elle m’a jeté.

Je m’agenouille face à elle et passe ma veste sur ses épaules. Elle pleure à chaude larmes et je la serre très fort dans mes bras pour la calmer. J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure. Lola. Dans mes bras. Ma Lola. A quel moment ai-je osé penser que je pouvais ne pas l’avoir dans ma vie, dans mes bras. Que m’importe qu’elle aime encore mon frère du moment qu’un jour elle pourra retrouver les sentiments qu’elle a eu pour moi.
J’ai tenté de l’oublier… Mais son empreinte dans mon cœur, personne, jamais personne ne pourra l’effacer. Je remets en place des mèches rebelles et essuie ses larmes. Elle plonge son regard dans le mien. Et au moment où je crois y lire une nouvelle fois de l’espoir… elle me brise le cœur en murmurant :

— Je le respire dans tes bras Gabriel… Je le vois quand je te vois. Vous ne vous ressemblez pas mais je ne sais pas pourquoi je le vois quand je te vois… Et c’est trop douloureux. Pourquoi lui ? Pourquoi pas toi ?

Je dois me convaincre que ce sont des paroles dictées par la colère et le désespoir. Mais ça fait mal. Je ne sais pas pourquoi je suis prisonnier de Lola. Un prisonnier qui refuse de s’échapper.

— Si me tuer pouvais le faire revenir pour toi… crois moi Lola. Je le ferai.

Elle se cache le visage et comprends à quel point ses paroles sont blessantes.

— Mais crois moi si il revenait te trouver dans cet état, le Mickael que je connais n’en serait pas heureux.

Je me lève sans rien ajouter d’autre et fait un pas en arrière.

— Qu’es-tu venu faire ici ? A part m’humilier devant mon fils…
— Je veux réparer les torts de Mickael.
— De quoi tu parles ?
— Chanter ce n'est pas seulement faire bouger les fesses d'une salle ou démontrer la finesse d'une voix. Ce n’est seulement passer de l'émotion. Chanter c'est aussi sortir de nous tout ce qui nous fait mal, ce qui nous tue à petit feu. Chanter c'est survivre quand tu devrais être morte. C'est ça. Ce sentiment de contrôler ta vie, de ne plus rien laisser t'échapper, de ne plus rien subir quand tu es sur scène, ne souhaiterais-tu pas le retrouver Lola ?

Elle se mort les lèvres mais ne répond pas.

— Je vais concevoir le plus grand show d’Afrique centrale. Ce sera une émission télévisée avec un vote du public. Il y aura de belles voix. De plus belles voix que la tienne. Il y aura de grandes danseuses. De meilleures danseuses que toi. A toi de voir si tu veux te frotter aux meilleurs de la sous région…

Elle ricane et reprend sa bouteille qu’elle avait posée à ses pieds. 

— En quelle langue je dois te demander d’aller te faire foutre ? En myènè ? Tu ne peux pas obtenir de moi ce que je n’ai plus envie de donner.
— C’est vrai.

On se tourne tous les deux vers la voix qui s’est immiscée dans notre conversation sans y être invitée. C’est Prince.  Qu’est-ce qu’il fout là ?

— Je pensais que tu chanterais aujourd’hui…  Je suis désolé j’ai écouté toute votre conversation. Ce n’était pas intentionnel. Tu ne chantes pas ce soir ?
— Cui…cui… fait-elle de manière sarcastique.

Un des portiers sort à sa recherche et lui fait signe de revenir vers lui. Elle tente de marcher vers lui mais se voit barrer la route par Prince qui est assez imposant pour la stopper dans son élan.

— Tu sais quoi Lola ? Toi et moi, on ne se connait pas vraiment. Mais j’aimerai beaucoup faire ta connaissance. Sérieux ce n’est pas un truc de drague. Une fois qu’on a entendu ta voix, on a envie de connaitre la personne à qui elle appartient. La je te vois fatiguée et ce n’est surement pas le moment pour prendre des décisions importantes. Mais je crois que Gabriel ne te fera pas deux fois la même proposition. Je crois que ton fils te pardonnera aujourd’hui mais pas demain, si tu vois ce que je veux dire et surtout… Je sais ce que tu traverses… Crois-moi.  J’ai perdu ma femme, il y a deux ans de cela et j’ai vraiment cru que j’allais mourir. On venait de se disputer et je lui ai dit des trucs horribles et … Bref. Mais devine quoi ? Je n’en suis pas mort…

Tout doucement, il lui retire la bouteille de la main.

— Gabriel va raccompagner ton fils et moi je vais te raccompagner … Et demain tu appelleras Gabriel et tu lui feras ravaler le sourire suffisant qu’il traine souvent sur son visage et dont Mickael avait horreur.
— Tu connaissais Mickael ?
— Oui. Et si tu participes à son jeu à la con, je te raconterai comment il était…
— Ok.
— Et tu vas arrêter le whisky bon marché et te saouler sur scène avec l’amour du public ok ? 
— Ok.
— Et tu vas montrer à toutes les gos (filles) qui reviennent de Paname, Lagos, Yaoundé et autres qu’ici c’est LBV. Ok ?
— Ok, fait-elle avec un petit sourire.
— Merci beauté, ajoute-t-il en la prenant dans ses bras.

Elle se laisse faire et la soirée se déroule exactement comme Prince vient à peine de le planifier.

*
**

Il est cinq heures du matin.
Je porte un tricot usagé noir et un jean neuf de même couleur.
Assis pieds nus sur le sol de mon appartement, la tête posé dans ma paume,  je me pose la même question depuis des heures.

Est-ce que je vais encore une fois me fracasser le cœur sur Lola…

A bientôt
Leilaji.

Putain, je crois que je viens enfin de tomber amoureuse d'une photo de Gabriel!!!
On aime (pour me faire plaisir), on commente (pour débattre avec les autres et donner son point de vue), on partage (pour faire découvrir l’histoire).

Love Strong (Tome 2...