CHAPITRE I : Un trésor chez les Worou

Ecrit par dotou

Dean Worou entra dans la cuisine en coup de vent. Les classes étaient pour aujourd’hui terminées. Il ouvrit le réfrigérateur et se fit un énorme sandwich avant de se précipiter au séjour où il trouva sa mère, Cadia, en compagnie de sa meilleure amie, Anna Lamine. Dean adorait les deux femmes. Il aimait parfois passer quelques temps en leur compagnie avant d’aller se pencher sur ses cours.

Bien qu’elles soient les meilleures amies du monde, elles ne se ressemblaient guère. Cadia était l’image de la forte femme africaine. Grande, fortement charpentée mais dotée d’une silhouette harmonieuse et flatteuse, son charme débridé contrastait avec celui délicat de son amie. Menue et fluette, Anna suscitait immanquablement chez tous ceux qui l’approchaient, un élan de protectionnisme. Dean avait souvent entendu Caleb, son mari, dire qu’elle était comme une fleur exotique, belle mais fragile.

Cet après-midi, en entrant dans le salon, les voix d’habitude enjouées des deux femmes ne lui chatouillèrent pas l’oreille. Au contraire, Anna semblait effondrée et des larmes roulaient sur son délicat visage. Jamais, il n’avait lu dans le regard de sa mère, cette expression de compassion. Avec appréhension, il se précipita vers elles.

- Maman, est-ce que Tata Anna est malade ?

- Non mon chéri, rassura sa mère.

- Mais pourquoi pleure t-elle alors ? Questionna le jeune garçon avec anxiété.

- Il n’y rien de grave, mais ce soir on aimerait rester seules. S’il te plaît, monte dans ta chambre et fais tes devoirs.

 Déçu, il commença à gravir les marches de l’escalier en direction de sa chambre. A mi-chemin, il entendit sa mère prendre la parole. Instinctivement, il s’arrêta et prêta oreille.

- Anna, ne t’inquiète plus. Tu l’auras ton bébé. La médecine a fait d’énormes progrès ces dernières années.

- Le médecin craint que cette grossesse ne me soit fatale. Mon cœur est si malade. Mais je désire tant cet enfant, Cadia ; Caleb en serait si heureux.

- Mais pas au prix de ta vie. Discutez-en encore. Si vraiment il n’y a pas d’autre solution, tu procèderas à l’interruption de la grossesse. A quoi bon avoir cet enfant si tu n’es pas là pour veiller sur lui !

- Oh Cadia ! Jamais je ne pratiquerai une interruption volontaire de grossesse. Pendant nos douze années de mariage, j’ai tant désiré cet enfant, Caleb aussi. C’est par amour pour moi qu’il ne s’est jamais résolu à prendre une seconde épouse, malgré les fortes pressions de sa famille.

- Il t’aime énormément et je sais qu’il ne peut pas mettre ta vie en danger en voulant nécessairement un enfant de toi. S’il te plaît, réfléchis encore.

La voix anxieuse d’Anna s’éleva soudain, comme dans une prière.

- Cadia, promets-moi que tu veilleras sur mon enfant si jamais quelque chose m’arrivait. Je t’en supplie.

- Anna, mon estime pour toi est sans limite et ton enfant ne peut qu’être considéré que comme le mien. Mais arrête de dire des bêtises. Tout se passera bien.

Un silence angoissant s’installa entre les deux femmes. Dean, craignant tout à coup d’être surpris par sa mère entrain d’écouter aux portes, rejoignit sa chambre à pas pressés.

A quinze ans, Dean était un enfant très intelligent. Excellant dans presque toutes les matières, il supplantait ses camarades par ses facultés intellectuelles. La fierté  de ses parents était sans bornes. Son père, Ali Worou, était fondateur de Millenium@, une société spécialisée dans la conception de nouvelles technologies de la communication. Il voyait déjà en son fils son successeur. Enfant unique, il était né après plusieurs fausses couches qui avaient laissés ses parents dans le désespoir. Bien que ceux-ci aient tendance à le surprotéger, Dean affichait déjà un fort désir d’indépendance.

La discussion entre les deux jeunes femmes s’estompa très vite de sa mémoire. Mais quelques mois plus tard, lorsque sa mère lui fit savoir qu'Anna était décédée en mettant au monde une petite fille qui fut nommée Cora, il comprit alors toute la portée de la conversation qu’il avait surprise entre la défunte et son amie. Son ressentiment envers le nourrisson s’intensifia lorsque Caleb, brisé par le chagrin, se fit, quelques jours après, emboutir par un gros porteur suite à un moment d’inattention. Grièvement blessé, il perdit à son tour la vie avant l’arrivée des ambulanciers.

Quelques jours plus tard, ses parents l’informèrent qu’ils étaient désignés comme tuteurs légaux de l’orpheline.

Dès l’arrivée de la petite Cora, Dean se sentit relégué au second plan. Il en voulait au bébé qu’il rendait responsable de la perte de ces deux êtres chers à son cœur,  et il évitait de l’approcher.

Un soir, de retour des classes, il ne trouva pas sa mère dans la bibliothèque, lieu qu’elle affectionnait particulièrement. Il pensa alors qu’elle devait être entrain de donner le bain à Cora. D’abord réticent, il se résolut pourtant à aller la saluer dans ses appartements.

Alors qu’il entrait dans la chambre de sa mère, il entendit l’eau couler dans la douche. Il prit la décision de l’attendre, et s’installa sur le lit. Il sommeillait lorsqu’un vagissement lui parvint du berceau. Il sut alors que c’était plutôt sa mère qui prenait son bain. Les premières minutes, il ignora les gazouillements de l’enfant, mais ceux-ci s’amplifiaient. Surmontant sa répulsion, mais surtout guidé par la curiosité, il s’approcha lentement du berceau, se pencha vers la couchette de la fillette et retint son souffle. Il sentit une émotion le saisir en apercevant le petit être qui, lui aussi se calma à l’instant. Dean émerveillé se dit qu’il se trouvait devant les plus beaux yeux qu’il ait jamais vus : noirs et veloutés, rendus brillants par les larmes qui s’y perlaient. Fasciné, il promena un doigt sur le visage, avant de le glisser dans la petite main qui aussitôt le serra. En cet instant, il s’avoua que toujours, une immense tendresse le porterait vers Cora Lamine qui n’avait pas encore lâché son doigt.

- Cora, dit-il d’une voix à peine audible, tu es le plus beau bébé du monde.

Etouffée par l’émotion, sa mère qu’il n’avait pas encore vue, sourit à travers les larmes qui lui brouillaient les yeux depuis qu’elle avait vu Dean penché sur le berceau.

Dès ce jour, Cora prit une place démesurée aux yeux de Dean qui la considérait comme la petite sœur qu’il n’avait jamais eue. Cora quant à elle, grandissait entourée de Dean et de ses parents. Pour Ali et Cadia, rien n’était jamais trop beau pour leur Trésor, surnom qui détrôna bientôt celui de Cora. Dean devint le centre d’intérêt de la fillette, si bien que l’un de ses premiers balbutiements fut le nom du jeune garçon.

Quelques années plus tard, tandis que Dean, devenu un jeune homme de vingt ans entamait ses études supérieures, la petite Cora quant à elle, débutait les classes. Le jeune homme lui consacrait chaque soir quelques instants pour l’aider à résoudre ses exercices. La fillette embellissait et c’était avec fierté que Dean, aussitôt sa première voiture offerte par ses parents, l’emmenait dans de longues promenades. Bien qu’étant son aîné de quinze années, il ne s’ennuyait jamais en sa compagnie. Mais leurs rapports s’espacèrent un peu lorsque le jeune homme tomba amoureux pour la première fois.

- Dean, ne sors pas ce soir, supplia Cora lorsque pour le troisième soir de la semaine, il s’apprêtait à rejoindre Ester, l’élue de son cœur.

- Pourquoi donc Trésor ?

- Ester est méchante et je la déteste.

- Mais non, Ester est très gentille.

- Non, répondit-elle butée. Elle prend tout ton temps et tu ne restes plus jamais avec moi les soirs, conclut Cora avant d’éclater en sanglots.

Emu, le jeune homme la souleva et la serra dans ses bras.

- Mon Dieu, tu pousses comme un champignon. Quel âge as-tu maintenant ?

- Dix ans, et bientôt je serai aussi grande que toi, n’est-ce pas Dean ? S’écria Cora oubliant sa préoccupation du moment.

- Oui ma chérie. Quand tu seras plus grande, je t’emmènerai danser toute la nuit. Qu’en penses-tu ?

Elle fit mine d’y réfléchir un instant avant d’acquiescer.

- Oui ! Est-ce que dans une semaine je serai plus grande ? Ainsi, tu m’emmèneras danser toute la nuit.

Dean éclata d’un rire viril et Cora sans vraiment en comprendre la raison lui fit écho. A cet instant, Cadia apparut pour rappeler à sa fille qu’il était temps de se mettre au lit. Contrairement à son habitude, celle de rechigner, Cora la suivit en déclarant triomphalement :

- Maman, Dean a dit que lorsque je serai plus grande, il m’emmènera danser toute la nuit. Tu es d’accord maman ?

- Oui, mais il te faudra attendre encore quelques années.

- Non, Dean a dit la semaine prochaine et je le crois, répliqua Cora avec un haussement d’épaules.

Sa mère se garda bien de la contredire car pour la fillette, les paroles de Dean étaient d’évangile. Une semaine après ce soir-là, une des camarades de Cora l’invita à la fête d’anniversaire de ses onze ans. Fièrement, elle y alla aux bras de Dean qui, de bonnes grâces, l’y escorta.

Le Droit d'aimer