Chapitre III

Ecrit par Tiya_Mfoukama

.Chapitre 3.

 

Non mais c’est dingue ça, je peux pas passer une soirée tranquille sans être importunée par un gros lourdaud. Et bien évidement, il fallait que ce soit un noir ! C’est toujours eux qui viennent t’aborder avec des techniques de drague datant de l’époque de mathusalem : ils ne sont absolument pas transparents et toujours brusques. Pour celui qui vient de passer j’ai senti son baratin en même temps que son parfum bon marché et au nom de toutes les femmes, je me devais de l’envoyer bouler comme je l’ai fait.

 

« — Bah toi tu n’y vas pas avec le dos de la cuillère hein. Quand t’envoies chier, t’envoies chier. me dit une amie de Stella. Pourtant il semble mignon et propre sur lui.

  — Parce qu’il est mignon et propre sur lui, je dois le laisser me sortir son baratin ? Ça se voit que c’est le genre de mec à te sortir de belles phrases pour te mettre dans son lit et lorsqu’il parvient à son but, il t’efface de ses contacts et t’ignore royalement lorsqu’il te croise en route tandis que toi tu le pleures en te demandant ce que tu as mal fait.

 — Ça sent l’vécu ça ! elle lance comme pour me piquer après m’avoir lancé un sale regard. »

 

En voilà une qui s’est sentie morveuse.

 

« — Non, je ne suis pas assez bête pour me laisser leurrer par ce genre de personnes MOI ! j'ajoute avant de me diriger vers la table où est dressés plusieurs plats, la laissant plantée comme un cactus. »

 

Après analyse du buffet, j’opte pour des crudités et une petite sauce light pour les accompagner.

J’aime manger et bien que j'ai de la marge avant de commencer à crier "Alerte je préfère prévenir. Je ne suis malheureusement pas pour moi, comme ces femmes filiformes qui engloutissent tout sur leur passage et qui ne prennent pas un seul gramme. Le jour de ma création Dieu a omis de me doter de cette particularité. Mais ça va, je ne lui en veux pas, il m’a dotée de quelques atouts non négligeables qui contrebalance assez bien alors…

 

Je sens une main me tapoter l’épaule et je n’y prête pas spécialement attention jusqu'à ce que j’entende :

 

« — Excusez-moi ? »

 

Je pivote ma tête vers ma droite pour me retrouver en face d’un torse large, habillé d’une chemise pagne jaune orangé. Totalement affreux. Quel mauvais goût ! On ne peut pas faire plus laid.

Je lève franchement ma tête pour voir à qui appartient ce torse et cette vilaine chemise et tombe sur un visage plutôt mignon accompagné d’un léger sourire en coin.

Mais il était assis avec le dragueur de tout à l’heure et Pat si je ne me trompe pas.

Je reporte mon attention sur lui et me demande pendant combien de temps il a tété le sein de sa mère pour être aussi grand et musclé ?

Dix centimètres de moins et je lui arrive à l’abdomen. Pour regarder son visage, j’ai besoin de lever les yeux et la tête. C’est fou ce qu'il est grand !

En baissant mon ma tête, je tombe sur son immense avant-bras, coupé par la manche courte de sa chemise, qui doit faire la même taille que ma cuisse si ce n’est plus. Et sa main ! Elle pourrait facilement englober ma tête !

A coup sur Dieu l’a créé sans regarder les proportions.

 

« — Excusez-moi. il répète en me montrant ses trente-six dents blanches parfaitement alignées.

  — Oui ? je demande un peu troublée. »

 

Il a l’air de percevoir mon trouble et sourit encore plus en passant sa langue sur sa lèvre inférieure tout en caressant les contours de son bouc.

Oh non, encore un dragueur, et je suis sûre qu’il croit qu’il vient de percer.

 

« — Dites-moi. il commence avec une voix à la fois grave et doucereuse. Est-ce que…

 

Oh non, ça sent le baratin, encore une fois, sauf que là, je n’ai vraiment pas envie d’entendre une énième phrase d’accroche pourrie du coup, je décide de lui couper la parole…

 

« — Ecoutez, je vais vous faire gagner du temps. Alors non, mes parents ne sont pas des voleurs, ils n’ont pas pris les étoiles se trouvant dans le ciel pour les mettre dans mes yeux. Je ne suis pas célibataire, et oui vous perdez votre temps parce que je suis heureuse dans mon couple !»

 

Son sourire disparaît pour laisser place à un visage plein d’interrogations, marqué par des sourcils formant des circonflexes.

 

« — Euh…. Je voulais simplement savoir si vous aviez fini de vous servir de la sauce à crudité. il balance en soulevant son bras droit pour me montrer une assiette pleine de crudités. »

 

Ouuuh la cruche !  

Seigneur, mais pourquoi permets-tu que je m’humilie de la sorte ?

Là je souhaite, que le sol s’ouvre sous mes pieds et que je tombe dans un cratère sans fin. Pitié sol ouvre-toi !

J’entends les pouffements de rire de Rachel qui s’était approchée de moi pendant que je faisais mon petit speech.  

 

« — Oh… euh… pardon, je suis désolée.  je balbutie. Je… je suis… pardon… je… »

 

La honte ! Je suis là à me confondre en excuse comme une idiote, pendant qu’il garde un visage neutre et totalement détaché.

Vas-y moque-toi qu’on en finisse.

 

« — La sauce… je peux ? il reprend.

  — Oh… OH oui, oui, tenez !

  — Merci. »

 

Je détourne mon regard jusqu'à ce que j’entende ses pas s’éloigner et remarque Rachel s’approcher un peu plus de moi pour murmurer à mon oreille :

 

« — Si un jour tu laisses une personne finir de parler, ça va te faire quoi miss Monde ?

  — Ça va. je soupire. En le voyant sourire, j’ai cru qu’il allait tenter sa chance comme son ami.

  — Et tu ne t’es pas dit qu’il te souriait par pure politesse ?

  — …..

  — Laisse-moi aller faire la connaissance de ce bel étalon qui a réussi à te dire merde !

  — Ah, ah, ah très drôle. je dis en allant sur le balcon. »

 

Je sors mon téléphone et entame une discussion avec Jean-François. Je n’aime pas trop le genre d’ambiance qu’il y a ici, je n’aime pas sortir tout court. Je suis plutôt casanière et ne sors que très rarement en boîte ou lors d’évènements importants pour mes amis. Je fais toujours en sorte de converser avec tout le monde et de rester une heure et demi ou partir au plus tard à vingt-deux heures, mais aujourd’hui, je suis bien trop fatiguée. J’ai eu une semaine surchargée au boulot et je n’ai qu’une envie ; me retrouver sous ma couette avec un bon livre et une tasse de thé bien chaude.

Je retourne à l’intérieur de l’appartement après avoir donné l’adresse à Jean-François pour qu’il vienne me chercher, puis je discute un peu avec les hôtes avant de prétexter un mal de tête affreux pour rentrer. Ma ruse est très vite découverte par Rachel mais je m’en contre fiche. J’ai fait de mon mieux.

 

« — Vous partez déjà ?

  — Oui. je réponds en me retrouvant en face de Mister Musclor. J’ai un mal de tête insupportable.

  — Oh, dans ce cas, rentrez vite et soignez-vous bien.

  — Je vais suivre vos conseils à la lettre. Et encore désolée de vous avoir coupé la parole.

  — Ce n'est pas grave. »

 

Je retrouve Jean-François garé à quelques mètres de l’immeuble et arrive en bas de chez moi une demi-heure plus tard.

 

« — Tu ne veux pas dormir à la maison ce soir ? J’ai envie de me réveiller près de toi.

  — Han c’est adorable mon cœur, mais je vais écrire un peu ce soir et…

  — … Et tu as besoin de solitude. il complète, les épaules affaissées. Mais il va falloir que tu apprennes à composer avec ma présence. Je te rappelle que dans deux semaines, on vivra sous le même toit.

  — Je sais, bébé, je sais. je dis en sortant de la voiture un peu anxieuse. D'ici là j'aurais eu le temps de m'y faire. »

 

Enfin je crois. J'espère.

Je me rends compte qu’il y a beaucoup de choses qui vont changer avec ce déménagement.

Je passe beaucoup de temps chez moi, et lorsque je n’écoute pas de la musique, je lis des livres ou j’écris mon roman. Enfin, c’est pas vraiment un roman, c’est plus des idées jetées sur du papier de façon structurée qui raconte un peu l’univers d’une fille déjantée qui assiste à un meurtre et qui se trouve en danger. J’aime bien être seule dans mon lit pour écrire. J’arrive à me transporter dans l’univers de cette fille complètement loufoque, et à imaginer des péripéties plus abracadabrantes les unes que les autres. C’est mon petit plaisir perso et comme tout plaisir perso, il ne se partage pas. Avec le déménagement, j’ai l’impression qu’au côté de Jean-François, je ne pourrais plus profiter de ce moment.

 

*

*          *

 

Un mois s’est écoulé depuis la pendaison de crémaillère de Stella et Pat, et comme je le pensais, je n’ai pas réussi à écrire depuis que j’ai emménagé chez Jean-François, ou dans mon nouveau chez moi comme il aime dire.

Non pas parce qu’il empiète sur mon espace personnel comme je l’avais pensé mais parce que je ne me sens pas à mon aise. J’ai la sensation d’être une invitée, une intruse. C’est un peu con de dire ça puisque j’ai souvent eu à dormir ici mais là, c’est différent ; je ne peux plus ignorer les petits détails qui me posent problèmes parce que je vais pas partir le lendemain de mon arrivée pour revenir deux semaines après. Non, là je dois supporter tout ce qu’il y a ici et qui ne me plait pas forcément. Parmi les petits détails, il y a la couleur des murs, où encore la disposition de certains meubles, et la fatale ; cette histoire de manie.

 

Inconsciemment, quand on vit seul, on a tendance à développer des petites manies, comme ranger un livre à sa place après l’avoir utilisé, mettre un dessous de verre sur la table avant de poser son verre, ranger les courses, nettoyer l’évier après avoir fait la vaisselle pour ne pas laisser de traces d’eau, laver la baignoire après s’être douché, essuyer le sol puis étaler la serpillère pour qu’elle sèche… Ce genre de manie quoi. Le problème, c’est que souvent lorsqu'on est amené à vivre avec une autre personne, on se rend compte qu'elle, l’autre, a tendance à agir d’une façon différente et on n’ose pas le reprendre.

Tous les exemples que j’ai cités précédemment sont des choses essentielles à ma vie sinon je deviens dingue et bien évidemment Jean-François fait tout le contraire. Par exemple, le soir, quand il rentre avec des courses, il les balance sur le plan de travail de la cuisine comme si elles allaient se ranger seules, puis ouvre le frigo pour se servir une bière avant de s’installer devant la télé, en posant ses pieds non déchaussés, sur la table en verre. Le matin, quand il prend une douche, c’est comme s’il allait à la piscine ; il éclabousse l’eau au point où il  y en a partout, puis il essuie vaguement le sol avec la serpillère qu’il enroule en boule et jette dans un coin de la pièce, avant de sortir en  abandonnant ses vêtements au sol ou sur le panier à linge sale. Pas à l’intérieur, non, mais bien au-dessus du panier.

J’évite de faire des réflexions parce que j’ai peur qu’il le prenne mal et c’est ce qui fait que je ne me sens pas vraiment chez moi.

Mais enfin bon, je crois que c’est ça la vie de couple. Après tout, c’est une première pour moi, je suis sûre qu’avec le temps, je vais réussir à m’y faire.

 

« —  Désolée de t’avoir fait attendre chérie, ton père me demandait une information.

  — Non, il n'y a aucun problème. je dis en me concentrant de nouveau sur la conversation Skype que j'ai avec ma mère. »

 

Elle est actuellement au Congo et cela depuis un petit moment. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi, jusqu'à ce qu'il y a quelques mois, Tiya m'informe assez vaguement que son choix avait un rapport avec mon père.

Parler de mon père étant un sujet qui m'irrite fortement, je n'ai pas cherché à en savoir plus. Mais là, je ne crois pas avoir rêvé en l'entendant dire qu'elle était chez lui. Pour le coup, ma curiosité est attisée.

 

« — Ah, tu es chez lui là ?

  — Correction, je suis chez moi. Et en parlant de chez soi, tu pourras rappeler à Tiya qu’elle doit contacter Juan pour qu’il me fasse un devis concernant la salle de bains ?

  — Contacter Tiya pour quelle raison ? Juan est en France !

  — Et elle aussi depuis une semaine aujourd’hui. Quoi tu n’étais pas au courant ?

  — Non, elle ne répond plus à mes appels depuis l’anniversaire des dadas

  — Vous aimez vous disputer comme des enfants de cinq ans. elle soupire. Bon, ton père me presse, nous devons sortir, appelle-là sur le fixe, et je t’enverrai le numéro de téléphone portable où elle est joignable. Allez, à plus tard chérie. »

 

Non mais elle est pressée de raccrocher avec moi pour suivre son mari sans scrupule. Je ne comprends plus rien à leur relation, un coup elle le déteste et l’insulte de tous les noms, un autre elle crie sur tous les toits que c’est son mari et va jusqu'à s’installer dans le même pays que lui et visiblement résider dans la même et tout ça pour une raison qui m'échappe. C’est à n’y rien comprendre. Comme quoi, même à cinquante-cinq ans, la femme est versatile.

 

Je compose le numéro de la maison et tombe sur Tiya à la seconde sonnerie

 

« — Allô ?

  — Ça fait une semaine que tu es en France et tu ne prends même pas la peine de m’appeler ?

  — Et après ? elle lance simplement. Tu n’es pas venue à l’anniversaire de tes neveux preuve qu’ils ne sont pas importants pour toi. J’en ai déduit que je n’étais pas importante également.

  — Tu exagères, tu sais pertinemment pourquoi je ne suis pas venue !

  — C’est ça, bref, qu’est-ce que tu me veux ? »

 

Qu'est-ce qu'elle est bourrue cette femme. Ce n'est vraiment pas possible.

Malgré tout, je cherche à la voir parce qu'elle me manque énormément. Ça fait un peu plus de deux ans que nous ne nous sommes pas vues, et bien que ça n'en ai pas l'air, nous sommes assez proches.

Du coup, je prends sur moi pour lui proposer une sortie.

 

« — Je passe te voir ou on sort prendre un verre ?

  — J’ai des courses à faire.

  — Ça ne me dérange pas plus que ça. Je n’ai pas ma voiture, actuellement, donc on se retrouve à une station de métro ?

  — Ok, à Châtelet dans une heure ?

  — Ça marche. »

 

6 Mé Balouk 9