<< La voie à suivre >> Chapitre 20

Ecrit par Le Kpetoulogue

Chapitre 20


Luqman et Yohan la rejoignirent ensuite dans le bureau de M. Bathily, qui venait d’être mis au courant du décès brutal de Grâce. Ses parents avaient trouvé son corps inerte dans sa chambre, de la bave au coin des lèvres et des flacons de cachets vides au sol. Après avoir alerté l’un de leurs voisins qui était médecin, ce dernier constata le décès de Grâce. Il était bien trop tard pour la sauver.

Plus tard, alors qu’elle se retrouvait seule avec Luqman et Yohan, Leila sortit son téléphone et leur montra le message de Grâce. Elle n’avait pas osé le montrer plus tôt à M. Bathily, hésitant encore sur la manière d’aborder ce sujet délicat avec les parents de Grâce. Fallait-il vraiment leur infliger cette douleur supplémentaire ? Fallait-il leur révéler l’horrible vérité derrière le suicide de leur fille ?

Luqman prit le téléphone et lut le message à plusieurs reprises. Son visage, d’abord impassible, se durcit au fur et à mesure qu’il parcourait les mots de Grâce. Ses sourcils se froncèrent, et une lueur sombre traversa son regard. Il ne comprenait pas comment Grâce avait pu croire au chantage de M. Koua. Ce dernier ne possédait plus aucune vidéo d’elle, Luqman l’avait lui-même vérifié. Pourtant, la peur et la honte avaient eu raison d’elle.

Yohan, d’habitude si bavard et plein de vie, resta silencieux. Les mots lui manquaient face à une telle tragédie. Il fixait le sol, les mains enfoncées dans les poches de son jean, comme si le poids de la situation l’écrasait.

Leila, assise sur le banc, se tordait les mains. Elle se sentait coupable, comme si elle avait échoué à protéger Grâce. 

Leila : « Je ne savais pas quoi faire, Je ne savais pas si je devais en parler à ses parents… Je n’ai pas eu le courage. »


Yohan leva les yeux, rompant enfin son silence.

Yohan : « Je pense qu’il faut montrer le message à M. Bathily. Il se chargera de partager cela aux parents de Grâce. Ils méritent de savoir pourquoi leur fille s’est donné la mort. »

Leila secoua la tête, frustrée : « Mais qu’est-ce que ça changera ? Ça ne constituera pas une preuve suffisante pour inculper ce porc de M. Koua. Tu as bien lu le message : il a envoyé une note vocale éphémère. On ne peut même pas l’accuser ! »

Yohan ne trouva rien à répondre. Il baissa à nouveau les yeux, impuissant. Luqman, toujours debout, croisa les bras. 

Luqman : « Yohan a raison, Leila. On ne pourra peut-être pas l’accuser, mais les parents de Grâce auront un coupable. Ils auront quelqu’un sur qui déverser leur haine. Ce sera douloureux, mais ce sera mieux que de penser que leur fille s’est suicidée sans aucune raison. »

Leila se tourna vers Luqman, les yeux brillants de larmes refoulées.

Leila : « Luqman… tu ne peux rien faire ? »

Luqman la regarda, perplexe.

Luqman : « Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Leila : « Ne pourrais-tu pas… comme avec Jules… »

Yohan, qui avait jusque-là gardé le silence, releva brusquement la tête. 

Yohan : « Hein ? De quoi vous parlez ? »

Luqman : « Hum … Yohan, tu pourrais nous laisser un instant, s’il te plaît ? »

Yohan, bien que confus, acquiesça. Il se leva et quitta la pièce, emportant avec lui une copie du message de Grâce pour le montrer à M. Bathily. Une fois seul avec Leila, Luqman croisa son regard. L’atmosphère était lourde, presque oppressante.

Luqman : « Leila, qu’est-ce que tu fais ? »

Leila les mains tremblantes : « Je… je ne comprends pas, » 

Luqman : « Penses-tu que je sois une arme que tu peux sortir à ta guise parce que je t’ai aidée une fois ? As-tu ne serait-ce que la moindre idée de ce que tu me demandes ? »

Leila détourna les yeux, incapable de soutenir son regard. 

Leila : « Mais… je… je ne veux pas le laisser faire. Je ne veux pas le laisser gagner. »

Luqman s’approcha d’elle, posant une main sur son épaule. 

Luqman : « Est-ce que tu comprends ce que tu me demandes, Leila ? Pourquoi penses-tu que Jules est encore en vie ? »

Leila : « … »

Luqman : « Il n’est en vie que parce que tu n’es pas morte. Mais là, il y a une vie qui s’en est allée. Me demander mon aide revient à dire que je devrais appliquer MA justice. On parle de la vie de quelqu’un, Leila. Est-ce vraiment une ligne que tu veux franchir ? Si tu me demandes cela, une part de toi devra en prendre la responsabilité. Es-tu vraiment prête à cela ? »


Leila sentit une boule se former dans sa gorge. Elle haïssait M. Koua de toutes ses forces. Elle voulait qu’il souffre, qu’il paie pour ce qu’il avait fait. Mais l’idée d’être responsable de sa mort… cela la terrifiait.

Leila : « Alors… il va s’en sortir ? » 

Luqman soupira, retirant sa main de son épaule. 

Luqman : « Leila, je veux que tu restes innocente. Je ne veux pas te voir franchir cette ligne, parce qu’on n’en revient pas. Parle-moi de tes peurs, livre-moi tes cauchemars, partage-moi tes craintes… c’est tout ce que tu as à faire. Le reste, laisse-moi m’en occuper. Je ne veux pas que tu ressentes la moindre culpabilité. »

Leila comprenait. Luqman voulait la protéger d’un monde qu’elle ne comprendrait sans doute jamais. Mais cela la fit se demander ce qu’il avait bien pu vivre pour avoir franchi cette ligne dont il la mettait en garde. Il parlait comme si, pour lui, il n’y avait plus d’espoir. 

Quelques jours plus tard, les funérailles de Grâce eurent lieu. Le ciel était gris, lourd de nuages qui semblaient retenir leurs larmes, comme si même la nature hésitait à pleurer ce jour-là. L'église était remplie d'un silence oppressant, brisé seulement par les sanglots étouffés des proches de Grâce. Les bancs étaient occupés par des visages marqués par la douleur, l'incompréhension et la colère.

Au premier rang, les parents de Grâce étaient assis, raides et pâles. Le père, un homme d'habitude si imposant avec sa stature de pasteur, semblait s'être ratatiné sur lui-même, comme si le poids de la honte et du chagrin l'avait écrasé. Sa mère, une femme toujours si fière et réservée, tenait un mouchoir serré dans sa main, les yeux rougis et fixes sur le cercueil devant eux.

Le cercueil était là, au centre de l'autel, simple et modeste, recouvert d'une couronne de fleurs blanches. Grâce était à l'intérieur, silencieuse pour la première fois, loin de la douleur qui l'avait rongée pendant si longtemps. Leila était assise quelques rangées derrière, les poings serrés sur ses genoux, les ongles s'enfonçant dans ses paumes. Elle fixait le cercueil, incapable de détacher son regard. Elle avait lu la lettre de Grâce, chaque mot gravé dans sa mémoire comme une cicatrice. » Je ne veux pas être une honte pour eux … » Ces mots résonnaient encore dans sa tête, lui rappelant à quel point Grâce avait souffert en silence.

Le pasteur monta à l'autel, sa voix tremblante mais solennelle. "Nous sommes réunis ici aujourd'hui pour dire au revoir à Grâce, une jeune femme pleine de vie, de douceur et de lumière…"

Leila sentit une boule de colère monter dans sa gorge. De la lumière ? pensa-t-elle amèrement. Où était cette lumière quand elle avait besoin de vous ? Quand elle criait à l'aide sans que personne n'entende ?

Les parents de Grâce ne bougeaient pas, leurs visages fermés, comme s'ils étaient prisonniers de leur propre douleur. Le père de Grâce avait été mis au courant de la lettre d'adieu de sa fille par Mr Bathily, et depuis, il semblait avoir vieilli de dix ans. Il avait lu et relu les mots de sa fille, chaque phrase un coup de poignard. 

« Je ne veux pas que vous voyiez ces vidéos… Je ne veux pas être une honte pour vous… »

Sa mère, elle, n'avait pas dit un mot depuis. Elle avait simplement pris la lettre, l'avait lue, et était restée assise, immobile, comme si elle espérait que le temps s'arrêterait. Le pasteur continua son homélie, parlant de pardon, de paix et de rédemption, mais Leila n'entendait plus rien. Elle sentait une rage sourde monter en elle, une rage dirigée contre M. Koua. Ce dernier avait fui l’on ne sait ou apres avoir appris le décès de Grâce. Tres certainement de peur de se faire accuser d’un homicide involontaire. Meme son grand frere, le président de l’université ne savait pas où est ce qu’il s’était caché. 

L’église était pleine d’étudiants de l’université. Ses camarades de classe, certains qui la connaissaient et d’autres qui ne la connaissaient meme pas, mais La plupart avait été mis au courant de la sombre histoire derrière le suicide de Grâce. Quand vint le moment de partager des souvenirs, personne ne se leva. Le silence était pesant, comme si personne ne savait quoi dire, comme si personne n'osait briser le mur de douleur qui entourait la famille. Finalement, Leila se leva. Elle ne pouvait plus rester assise. Elle marcha jusqu'à l'autel, ses pas résonnant dans le silence de l'église. Elle se tourna vers l'assemblée, les yeux brillants de larmes non versées.

Leila avec une voix tremblante mais forte : « Grâce … Grâce était la personne la plus courageuse que j'aie jamais connue. Elle a porté un poids que personne ne devrait jamais avoir à porter, et elle l'a fait seule, parce qu'elle pensait qu'elle n'avait pas le choix. Mais elle avait tort. Elle n'aurait jamais dû se sentir seule. Elle n'aurait jamais dû croire qu'elle était une honte »

Leila jeta un regard vers les parents de Grâce, un regard dur et accusateur.

Leila : « Elle vous aimait tellement qu'elle préférait mourir plutôt que de vous décevoir. Mais vous savez quoi ? Elle ne vous a jamais déçus. C'est vous qui l'avez déçue. Vous et ce monde qui n'a pas su la protéger »

Les parents de Grâce baissèrent les yeux, incapables de soutenir son regard. Leila sentit des larmes couler sur ses joues, mais elle ne les essuya pas.

Leila : « Grâce, si tu m'entends… Je te promets que je ne laisserai pas ton histoire être oubliée. Je te promets que justice sera faite. Je te promets de faire tout mon possible pour empêcher que cela arrive à qui que ce soit d’autres. Tu mérites tellement mieux que ça »

La plupart des étudiants se sentaient concernés par les mots de Leila. C’était comme si elle s’adressait à eux personnellement. Ils avaient tous appris comment elle avait essayé, avec détermination, d’aider Grâce. Tous se disaient que c’était une personne en qui ils pouvaient avoir confiance. 

Leila retourna à sa place, laissant un silence lourd et tendu derrière elle. Les regards étaient partagés entre la tristesse, la colère et la culpabilité.

Quand la cérémonie se termina, les parents de Grâce sortirent les premiers, suivis par l'assemblée. Leila resta un moment, fixant le cercueil, comme si elle espérait que Grâce apparaîtrait pour lui dire que tout allait bien. Mais il n'y avait que le silence.

De son côté, Luqman avait recontacté M. Tariq afin que celui-ci fasse jouer ses connaissances pour retrouver où M. Koua William s’était caché. M. Tariq l’en avait informé deux jours avant les funérailles de Grâce. Luqman voulait laisser M. Koua croire qu’il s’était tiré d’affaire.

Luqman : « Au fait, M. Tariq, j’aurais besoin de deux ou trois choses… Je vous paierai le prix qu’il faudra. »

M. Tariq : « Si je peux t’aider, pas de souci. »

Ce que Luqman avait demandé à M. Tariq prit quelques jours supplémentaires, mais ce dernier finit par le recontacter pour lui dire qu'il avait trouvé tout ce qu’il voulait. Luqman se rendit ensuite à la pharmacie pour acheter certains médicaments, ainsi que d'autres produits dans des supermarchés. Il concocta un liquide étrange qu’il remplit dans deux seringues.

Ce soir-là, vêtu de noir, alors qu’il sortait de chez lui, Luqman ressentit une sensation étrange. Il n’entendait pas le moindre murmure du masque dans son tiroir et pourtant, il se sentait empli d’amertume. C’était surprenant pour lui de le savoir si silencieux dans un moment comme celui-ci, au point qu’il ouvrit son tiroir pour vérifier s’il était toujours là. En ouvrant la mallette, il vit que le masque était bien à sa place, mais restait simplement… silencieux. Pour cette raison, Luqman décida de l’emporter avec lui. Il se sentait capable de garder le contrôle et de rester lui-même.

A Suivre …


La voie à suivre