Le baiser

Ecrit par leilaji

Chapitre 5

 

Leila

 

Il y a des moments comme ça où je suis traversée par un million de sentiments divergents en même temps. Je ne sais pas si je suis en colère, humiliée ou carrément déçue par son geste.  Donner de l’argent à une fille pour coucher avec elle, c’est payer une pute non ? Ou c’est mon orgueil qui me fait mal interpréter la situation ? Non je ne crois pas. Je crois que c’est tout à fait censé de me dire que là, il vient tout simplement de me traiter de pute.

 

C’est vrai que j’étais intéressée au début mais là, je préfère faire une croix sur lui. Un indien. Il en a pourtant pas la tête, ni même les manières… Les indiens bien qu’un peu racistes sur les bords sont bien élevés et aucun n’oserait proposer aussi directement ce genre de …. Chose ! Du moins mes clients habituels ne l’ont jamais fait. Il doit vraiment me prendre pour une pute. Mon téléphone sonne et me tire de mes pensées moroses : c’est Elle. Je décroche immédiatement.

 

    Alors, raconte, qu’est-ce qui s’est passé ?

    Pfff. C’est vraiment un enfoiré, laisse tomber.

    Mais raconte…

 

Je lui fais un bref topo et elle éclate de rire dès que je cesse de parler.

 

    Non !!!! Vous deux là !!!! vous tournez des films !!! Un indien ! Qui l’eut cru ? Bon mais ce n’est pas comme si c’était aussi un ramasseur de poubelle. C’est quand même le DG d’OLAM. Je sais que tu ne veux pas sortir avec un client et que tu pensais que c’était un intermédiaire comme toi. Mais cette entreprise touche à tout au Gabon. Tu as vu leur chiffre d’affaires ?

    Je dis hein toi ça ne te dérange pas qu’il pense devoir me payer pour coucher avec moi ?

    Ah, remplis moi le chèque là et tu te fais plaisir avec l’argent. De toute manière tu voulais le séduire. Il te facilite la tache. ne sois pas coincée !

    C’est insultant et dégradant !

    Non. Ca veut dire qu’il va droit à l’essentiel, c’est tout. Il est prêt à y mettre le prix. C’est un homme, pas un gamin. Vous n’allez pas faire semblant de vous tourner autour pendant des semaines et des semaines pour finalement décider que vous pouvez enfin coucher ensemble. Là vous sautez toute la partie roucoulade pour aller droit au but. Moi ce mec me plait. Il t’en faut un comme ça qui te déstabilise, tu es trop têtue.

 

Je ne sais pas pourquoi mais je me sens triste tout d’un coup. J’abrège la conversation avec Elle et range mes affaires. Il est temps que je rentre chez moi. Je ne comprends pas pourquoi Elle trouve ma position indéfendable alors qu’elle connait très bien mon histoire.

 

Ma mère est entrée au Gabon comme une petite frange despetites filles togolaises, de manière tout à fait illégale. Elle a travaillée comme nounou pour une riche famille dès l’âge de 13 ans. La suite est très simple. Quelques années plus tard, elle est tomée amoureuse d’un jeune gabonais qui lui a promis monts et merveilles. Comme une idiote elle est tombée dans le panneau, s’est retrouvée enceinte de moi et a dû quitter la famille pour laquelle elle travaillait depuis sa venue au Gabon. N’eut été l’aide financière du jeune homme qu’elle avait gardé dans la famille gabonaise, elle se serait retrouvée à la rue avec un bébé. Puis elle s’est trouvée un petit comptoir et s’est mise à vendre des sandwichs à l’université Omar Bongo. J’ai été élevée avec cet argent. Mais aussi l’argent des nombreux « tontons » qui ont défilé dans le lit de ma mère. Mais tout ce qu’elle me disait le soir avant de dormir c’était : « tu dois être travailleuse et prendre tes études au sérieux. Il ne faut jamais compter sur un homme pour ton bonheur. Tu comprends ? » et je répondais toujours « oui maman » alors qu’à l’époque je ne comprenais pas pourquoi elle me disait cela et passait son temps à changer d’hommes.  Il y en a eu pour tous les gouts. Les soulards, les violents, les menteurs, les escrocs, les paresseux et j’en passe…

 

Aucun ne l’a aidé à sortir de sa condition, à régulariser sa situation. Aucun.  Je rumine ma colère à l’intérieur de moi depuis toute petite. Je sais que je suis en colère contre les hommes. Je sais que je n’ai pas eu de père. Ma mère a tout sacrifié pour moi, mes études, ma réussite. Elle n’a jamais pu retourner chez elle. Elle avait trop honte d’elle-même, de ne pas avoir pu s’en sortir dignement comme les autres. Elle n’a même pas pu assister à ma réussite professionnelle. Elle est morte du sida quand j’ai décroché ma maitrise en droit. Je n’ai jamais pu lui construire la maison promise depuis mes sept ans. Je lui disais toujours quand je la surprenais en train de pleurer sur les factures à payer : loyers, électricité… « Tu vas voir maman, je vais te construire une grande maison et tu n’auras plus à travailler comme ça ! ».

 

Je laisse ces pensées tristes. Elles me foutent le moral en l’air à chaque fois. Et j’en veux à Alexander de réveiller d’aussi vieilles blessures mal cicatrisées !

 

Quoi je suis aussi froide et répugnante que ça ? Est-ce que je ne mérite pas qu’on me fasse une cours assidue comme toutes les autres femmes ?  Ma mère m’a –t-elle passé son gêne qui l’empêchait de se faire aimer par un homme digne de ce nom ?

 

Trente minutes plus tard, je prends une grande inspiration et je sonne à l’interphone en bas de l’immeuble.

 

Oui je sais, moi aussi je me demande ce que je fais là. Je ne sais pas ce qui m’a prise, j’allais chez moi quand tout d’un coup j’ai changé d’itinéraire. Il fallait impérativement que j’aille lui faire ravaler son geste ! L’interphone grésille, puis j’entends un bip.

 

    Oui ?

    C’est moi… Leila.

 

La porte s’ouvre. Je traverse le petit couloir décoré de quelques plantes vertes et je prends l’ascenseur. J’appuie sur le bouton du 7e étage. Mon cœur s’est mis à battre à un rythme effréné. J’étais stressée, j’avais peur de le voir et … Je ne sais pas moi, de voir ma colère fondre comme neige au soleil sous son regard vert. On n’a pas idée d’avoir des yeux pareils.

 

L’ascenseur s’arrête enfin au bon étage. J’en sors et m’arrête devant la porte orangée. J’inspire une grosse goulée d’air et je sonne. Il m’ouvre la porte quelques secondes après. Mon cœur fait un horrible bon dans ma poitrine. J’ai cru qu’il allait en sortir. Il porte un sweat-shirt à manches longues noires et un jean délavé.  J’ai en main son chèque mais ça il ne le voit pas. Ses yeux sont braqués sur moi et c’est comme s’ils me défiaient de faire quelque chose d’interdit.  J’arrête de réfléchir et je l’embrasse. Il sent un peu la cigarette mais je reconnais tout de suite son odeur... Je ne le savais pas fumeur. Ses lèvres sont douces et son baiser est tendre. Ça je ne m’y attendais pas. Je voudrais qu'il dure toute ma vie ce baiser. Il gémit. Un long frisson me parcourt l’échine et je me sens obligée de m’accrocher à lui pour ne pas m’effondrer. Pourquoi son baiser est si tendre? Ce n'est pas juste. Il l'approfondit et à mon tour je gémis. Il me fait entrer dans l’appartement sans décoller ses lèvres des miennes et ferme la porte d’un vigoureux coup de pied.

 

Euh Leila. Ce n’est pas toi qui était en colère il y a encore à peine une minute. Mais tu deviens dingue ma parole ! Ressaisis-toi !

 

J’ai envie de le caresser de faire courir ma paume sur tout son corps mais j’ai quelque chose en main. Oh le chèque. J’avais complètement oublié ce putain de chèque !

 

De manière brutale je redescends sur terre et le repousse violemment.  J’agis exactement comme une traînée finalement. J’essuie ma bouche du revers de la main. Je sais bien que c’est un geste complètement puéril mais bon, au point où j’en suis, je ne saurais être plus ridicule encore.  Je prends sa main, en ouvre la paume, froisse le chèque, le place dans sa paume et referme sa main.

 

    Je suis venue te rendre ça.

 

Puis je tourne les talons, prête à m’en aller mais il me retient par la main et m’amène tout contre lui. Mes fesses se collent contre ses hanches et je sens son trouble. Il a envie de moi et ne s’en cache pas. Je crois que pour une fois dans ma vie, je ne maîtrise rien de la situation dans laquelle je me trouve. Il murmure tout doucement à mon oreille.

 

    Tu as du caractère, j’aime ça.

 

Sa voix est enrouée par le désir. Ca me fait un effet dingue.

Il me retourne et on peut se regarder droit dans les yeux. Bon pas vraiment, moi je dois lever les miens et lui baisser la tête. Il semble reprendre ses esprits lui aussi.

 

     Mon geste t’as … blessé ?

 

Je ne réponds pas.

 

    Ecoute je suis dans ce pays depuis assez longtemps pour savoir que les choses marches ainsi. Les hommes donnent de l’argent aux femmes qui les intéressent. J’ai juste voulu nous épargner des discussions inutiles. Je n’aime pas perdre mon temps.

 

Et il est tout content de lui quand il me dit des conneries pareilles ! J’inspire un grand coup et mordille mes lèvres. Il les regarde et se colle un peu plus à moi. Je recule mais il me suit. Seigneur dans quoi je me suis fourrée ?

 

Reprends-toi Leila. Ce n’est qu’un homme ! A mon tour, je sors de ma poche intérieure une liasse de billets violets. Il recule.  Je le regarde et compte un, deux, trois billets. Je le regarde de nouveau et continue de compter les billets. Au total deux cent mille francs CFA. Je les lui jette au visage.

 

    Tiens c’est pour ton baiser.

 

Alexander porte ses mains collées l’une à l’autre à sa bouche. Il semble scandalisé par mon geste.

Puis cette fois-ci, je tourne les talons et m’en vais aussi rapidement que mes jambes flageolantes le permettent. Je crois qu’il est trop abasourdi par mon geste pour réagir. Il a dit qu’il aimait les femmes de caractère non. Ben, il en a trouvé une et j'espère le lui avoir fait comprendre!

Les amoureux du Taj...