Père-fille

Ecrit par Saria

Chapitre 6 : Père-fille                               

***Villa Oasis – Wemtenga – Ouagadougou***

***Kader***

Non ! Chérifa est allée trop loin dans ses frasques ! Hier après dîner, elle s’est dépêchée de se réfugier dans sa chambre. Moi, je n’étais pas d’humeur bavarde ; je me suis enfermé dans mon bureau. Elle m’a menti, manipulé ! « Et surtout ramené Selma dans ta vie », me chuchote une voix insidieuse. En parlant même de ça, il faut que je mette la main sur certaines personnes : Lulu ! Mais en attendant, je vais régler son cas à « Miss je me mêle de tout ». Je monte les marches et prends le couloir qui mène à la chambre des enfants.

Je toque et avant d'entendre la réponse, j’entre ; la chambre est vide. Je m’apprête à en ressortir quand nous nous croisons à l’entrée. Je m’écarte pour la laisser passer et referme la porte.

Chérifa : Bonjour pa…

Moi (sévère) : Où étais-tu passée ?

Chérifa : Je suis allée vérifier si tata Selma est revenue… Elle est sortie tôt ce matin et je m’inquiète un peu.

Moi : Tu sais où elle est allée ?

Chérifa : Non… Mais elle m’a dit qu’elle connaît un peu Ouaga.

Moi : Hmmm… Toi et moi avons des choses à nous dire…

Chérifa : …

Moi : J'attends !

Chérifa : Je suis désolée…

Moi : Mais encore ?

Chérifa : Je voulais bien faire… Je m’inquiète pour toi…

Moi : Ça n’est pas ton rôle !!! Tu as passé toutes les limites cette fois !

Chérifa : Je sais… Mais tu es seul et pas bien… Tu t'enfermes dans ton rôle, papa ! Tu bosses trop ! Je veux juste être sûre que tout va bien… Que tu vas bien !

Moi : Pardon ?!

Chérifa : Papa ! Je ne sais pas ce qui s'est passé avec Marlène… Ni ce qui se passe avec « ta » famille que nous n’avons pas encore rencontrée… Nous avons des gardes dans la maison, même s’ils sont discrets… Notre vie a changé ! Tout ça te mine ; même si tu n’en parles pas… je le vois et je le sens encore malgré tout ce que tu fais pour avancer… Et puis, je veux que tu sois heureux… Comme avant toute ces histoires-là !

Vous voyez l’enfant-là ? Je n’ai pas de mots tellement je suis ému… Mon bébé qui s’inquiète vraiment pour moi… Je suis en colère… enfin le peu qui reste en moi le dispute à une forte envie de la serrer contre moi. Je cède sur la dernière option et la prends contre moi.

- Je vais bien poussin… crois-moi ! Tu n’as pas à t’inquiéter pour moi, je suis un grand garçon !

C’est une grosse embrouille mais il faut que je trouve le moyen de sortir Selma de ma vie. Il n'y a plus de place pour elle ici. Comme lisant dans mes pensées…

Chérifa : Daddy… laisse-lui sa chance… s’il te plaît !

Je l’écarte et encadre son beau visage. Elle me ressemble énormément, Quelques traits de sa mère mais la ressemblance est là… surtout le caractère. Chérifa ne lâche rien quand elle a une idée en tête.

Moi : C’est plus complexe que ça… Et surtout… Ce ne sont pas tes oignons.

Chérifa : Un jour tu m'as dit que c'est une personne merveilleuse qui a pris soin de toi… pourquoi…

Moi (la coupant) : On se voit au petit-déjeuner.

Chérifa : Aide-la au moins pour son travail !

 

Je sors de là rapidement. Cette enfant va me rendre dingue ! Je sais ce que je lui ai dit sur Selma… Juste la vérité. Mais c'est beaucoup plus compliqué aujourd’hui ! Selma ne peut pas rester c’est tout.

Je me dirige vers la cuisine, j’entends des voix… Apparemment c'est Loubna et… mon invitée malgré moi qui semble être revenue.

Loubna : Hey Tanti… C’est bon de te revoir dèh !

Selma : Merci… Je…

Moi (entrant brusquement) : On mange dans cette maison ce matin ou pas ?

Loubna : Oui tonton… Dans cinq minutes… Je m'en occupe.

Moi (plus sèchement) : On ne dirait pas !

Selma (gênée) : Dis-moi… En quoi puis-je t'aider ?

Moi (me tournant vers elle) : Non laisse-la finir… je dois te parler.

Selma : OK.

Elle me suit sans rien dire, je me dirige à pas rapides vers mon bureau. Je lui tiens la porte et referme après qu’elle soit entrée.

Moi : Bien… Je réalise que Chérifa t’a piégée… Tout comme moi… J’en suis navré, ce n’est pas faute de l’avoir éduquée…

Selma : …

Moi : Il est clair que toi et moi… Enfin, je ne veux pas que tu te fasses des illusions et…

 

***Selma***

Ses mots me révoltent et me mettent en colère. Je me redresse de toute ma taille.

Moi (froidement) : Tu ne voudrais pas que je me fasse des illusions ? De quoi parlons-nous ?! Je ne suis pas en quête d’un homme, Kader ! Si je devais revenir te supplier, je l’aurais fait depuis… Tu ne crois pas ? Ça fait un peu plus d’un an là !

Kader (penaud) : Je sais… écoute…

Moi : Non ! Toi, écoute ! Je suis venue pour un travail… Un travail pour lequel mon magazine compte sur moi ! Je ne viens pas réchauffer une ancienne amourette !

A ces mots, son visage se referme automatiquement, comme si mes mots l’ont heurté. Eh ben tant pis… c’est le recadreur recadré. Je ne suis pas venue lui courir après ! Même si tout le monde n’est pas de mon avis.

Un lourd silence s’ensuit, interrompu par Loubna : « Tonton le petit-déjeuner est servi ».

Kader (les yeux fixés sur moi) : Ok… Nous arrivons !

Je le contourne et prends la direction de la porte. Le cœur en émoi, je m’oblige à marcher le buste droit et fier. Lorsque nous arrivons, Audrey est installée devant un gros bol de céréales, son regard passe de son père à moi. Je lui fais un large sourire qu’elle me rend, son père garde le visage fermé. La jeune fille et moi devisons gaiement. De temps en temps, je sens le regard de Kader sur moi mais je n'en ai cure.

Après le repas qui est vite expédié, la maison se vide et moi, je me retire pour travailler à tête reposée.

Je me plonge très vite dans mes tâches, il y a une bonne connexion Wi-Fi dans la villa ; ce qui me permet d’avancer. A 14 h, je décide de prendre une pause ; il fait excessivement chaud. Je me change et porte une robe courte à volant jaune citron avant de descendre à la cuisine.

Loubna n’est nulle part, je décide de me faire un plateau rapidement. Je constate qu’il y a à manger ; je prends juste une assiette de crudités et un fruit de la passion, une bouteille d’eau, direction le jardin. J’ai remarqué ce matin qu’il y a des arbres fruitiers et à cette heure de la journée, ils donnent de l’ombre. Je pose mon festin sur la petite table en bambou et tire l’un des sièges.

J’attaque mon assiette avec appétit. Un moment je reste pensive : il faut vraiment que je me trouve autre chose… Je ne veux pas attendre que les choses dégénèrent avant de recourir à cette option. Je pourrais voir du côté de la maison d’hôtes chez Nora à Zone du Bois. C’est une maison paisible où je me suis senti bien.

J’en suis là de mes réflexions quand je vois venir vers moi un jeune homme de grande taille… Il avait les traits de Kader… Yacine, je suppose. Arrivé à mon niveau, il se penche et me fait… la bise. O…K ! Avant que je ne réagisse, il se redresse et va à l’intérieur de la maison. Il revient quelques minutes plus tard changé, un verre de limonade à la main.

Il vient s’installer en face de moi. J'ai l’impression de passer un examen minutieux : Yacine me détaille… de la tête aux pieds et moi j'ai la bouche sèche, les mains qui transpirent. Au bout de quelques minutes qui me paraissent une éternité, il hoche la tête et me fait un sourire.

Yacine : Bonjour tata Selma… Moi c’est Yacine.

Moi : Bonjour… Yacine…

Yacine (me tendant son verre) : Tu en veux ?

Moi : Non merci… Euh ça a été aujourd’hui ?

Yacine : Ouais… Si on veut !

Il m’observe un moment avant d’ouvrir à nouveau la bouche.

- Chéri a raison… Tu es différente des copines de papa.

Mon Dieu c’est quel sujet ça ?! Décidément les enfants de Kader n’ont pas leur langue dans leur poche hein ! Mal à l’aise, je remue sur mon siège. Imperturbable, il poursuit :

- Tu n’es pas… surchargée… Pas de faux cils, pas de faux ongles, pas de faux cheveux… Pas de faux teint !

J’éclate de rire, amusée.

Moi : C’est quoi le faux teint !

Yacine : Elles passent la pommade… Ma mère aussi le fait… C’est l’une des choses que je ne supportais pas chez elle.

Moi (prudente) : Hum… Tu en parles au passé… Elle est…

Yacine (comprenant mon allusion) : Oh non ! Non non ! Ma maman est tout ce qu’il y a de vivant ! Ils ont divorcé et elle mène sa vie à Paris… Nous nous parlons de temps en temps…

Moi : Ah au temps pour moi alors… Hum… Je crois que tu es trop jeune pour savoir des choses sur les femmes et leurs styles. Non ?

Yacine : Bah non ! Je sais exactement le genre de filles que je veux…

Moi : Ah ! Tu as une copine ?

Yacine : Pas vraiment, il y en a une en classe de 3ème qui m'intéresse. Mon drame, c'est qu'elle adore danser… Elle est inscrite au Club de danse moderne au collège. Et moi ? Sur la piste, c'est la catastrophe.

Moi : Si j'ai bien retenu les propos d'Audrey… Tu es en classe de 4ème non ?  Comment ça se fait que ce soit une fille de…

Yacine : Oui ! Mais je ne crois pas que ce soit important la différence d’âge… les filles de ma classe sont immatures.

Moi : Sais-tu à peu près ce qu'elle aime ?

Yacine : Les sons Naija, camer et ivoiriens… Moi je ne sais pas bouger

Moi : Je pourrais t’aider !

Le regard qu’il me lance me fait pouffer de rire… Le message est clair : il me trouve trop vieille pour savoir danser sur ces sons. Je ne dis rien et chausse mes lunettes, prends mon téléphone et lance ma playlist. Il me lance un sourire entendu. Nous continuons à deviser tranquillement. Etrange, j’ai l’impression de l’avoir toujours connu.

 

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