Peur bleue

Ecrit par Gioia

***Ludovic EHIVET***

Blair et moi avons continué les cours de sport. Pourquoi? Alors qu’on est bientôt à la fin du deuxième trimestre et qu’on n’aura pas à faire la course au troisième? Elle m’a dit que c’est pour l’année prochaine et elle veut garder un bon cardio. Du coup on s’est beaucoup rapproché et je l’aime bien. Ce n’est pas la fille timide que tout le monde pense qu’elle est. Quand elle n’aime pas un truc, tu entends sa voix clairement et sèchement. Petite certes mais on l’entend très bien. Et elle a un sourire vraiment beau à voir, une belle bouche et.....

– Ohh… Hooo… Ludovic, dit-elle en me faisant des gestes de main pour me ramener sur terre. Concentre-toi sur l’exercice

– Je suis concentré. C’est toi qui piailles dans mes oreilles

– C’est ça. Je compte sur toi han. On doit réussir ce deuxième trimestre. Au moins 12 de moyenne

– Ouais ouais tu me fatigues avec ça

– Encore en train d’étudier vous deux, dit Vince qui revenait de récré avec Clarence

– Vous devriez en faire autant aussi si vous ne voulez pas être sur le mauvais côté de Mr Adou, Blair les met en garde

– Les profs me cassent déjà les oreilles en plein cours. Je ne vais pas en plus gaspiller ma pause sur ses foutus cahiers, lui dit Clari tout en s’asseyant sur les jambes de Vince

– Je vais faire des antisèches de toute façon. Je ne peux pas me rappeler de toutes les dates du début de la monarchie française jusqu’à la prise de la Bastille et en même temps avoir les formules de maths ou physique dans ma tête. Y’a aussi les trucs de génome ou phénotype je ne sais plus trop quoi en SVT. Ne parlons même pas des figures de style en français, râle Vince

– Tu aurais pu apprendre un truc ou deux avec tout le temps que ça t’a pris pour te plaindre

– jii B, tu es dans mon feu hein. Voici ce que moi je veux apprendre, dit-il en embrassant Clarence

Sans tarder, j’ai détourné la tête pour la mettre sur mes bouquins. Mais les bruits qu’ils faisaient me déconcentraient.

– Vous là! On essaie de se concentrer ici, Blair les avertit

C’est ce moment que mon stylo a choisi pour tomber et en me baissant pour le ramasser je les ai trouvés toujours bouches collées. La main de Vincent était sur les seins de Clarence. Il avait enlevé les boutons de sa chemise et je pouvais voir la naissance du soutien-gorge rose fleuri qu’elle avait.

Je n’ai pas pu empêcher mon corps de réagir. La honte et le mal que je ressens à cause de mon entrejambe endurci n’ont pas de nom. C’est dingue qu’ils soient si à l’aise comme si c’est tout ce qu’il y a de plus normal. Même Blair tapait la jambe de Vincent puis Clari tout en leur disant d’aller loin avec leurs choses mais moi je n’osais pas sortir un mot concernant leurs trucs, car trop embarrassé.

– C’est parce que tu es en manque que tu es aigrie B, se moque Clari

– Maintenant que tu t’es détachée de sa bouche, c’est pour m’insulter

– Tu as besoin qu’Arthur te secoue un peu le coco. Vous allez vous réconcilier quand?

Facilement comme ça mon membre s’est relâché. Je ne supporte plus d’entendre le nom de Blair et cet idiot dans la même phrase. Il est trop hautain. Pas que je veux sortir avec Blair mais elle mérite quelqu’un de plus respectueux. Moi je ne m’intéresse pas aux filles et de toute façon elle ne m’aime pas. Je ne pourrais rien lui offrir même si on sortait ensemble. Elle vit dans l’aisance et ne connaît que ce genre de choses.

Elle m’a parlé de vacances à Positano et je ne sais pas où ça se trouve. J’ai demandé à Maman dans quel coin on trouve ça en Côte d’Ivoire. Elle a répondu avec un petit sourire que c’est une ville italienne. Voyez donc le clivage. Moi je n’ai jamais mis pied hors d’Abidjan. Je vais donc lui donner ou lui raconter quoi à une fille pareille? Mieux j’écoute ses explications au lieu de me poser des questions existentielles. La journée a fini avec le sport. Nous rentrions dans la bonne humeur quand Alexis a couru vers moi les larmes aux yeux.

– Ludo ta maman elle et Melvin....

– Melvin quoi? Respire et parle! je m’affole

– Il t’a encore fait quoi ce morveux Al? balance Clarence sur un ton hargneux. Ehivet apprend les manières à ton petit frère brouillon

– Melvin est à l’hôpital. Ta maman est venue le chercher

– Quoi? Lequel? demandai-je paniqué

– Je… je sais pas, on.. était en classe, il a dit qu’il voit trou.. ble et pui..s il est tombé directement. Le gardien a aidé à le mettre dans la voiture. Il doit savoir

J’ai couru vers le gardien qui m’a dit qu’ils sont allés au CHU de Codody. J’ai pris mes affaires pour les rejoindre.

***Yvette EHIVET***

Tout l’argent de mon emploi et mes petits commerces est passé dans les frais de consultation. J’ai appelé Henri en vain mais il n’a pas décroché. Je nettoie encore les larmes que je versais. Dieu merci que l’école primaire où je suis enseignante n’est pas loin du lycée des garçons. On m’a appelé que mon petit Melvin s’était évanoui. Heureusement j’étais dans les parages et j’ai accouru. Mon pauvre petit garçon convulsait tellement qu’il s’est blessé. J’ai vu Ludo accourir vers moi quand je faisais les cent pas dans le hall.

– Maman il a quoi? demande-t-il apeuré

– Tout va bien, je le rassure. On l’a déjà pris en charge.

On est restés main dans la main pendant près de deux heures. Le docteur nous a reçus plus tard pour nous dire que selon les premiers résultats, il semble que Melvin nous fait une crise de neuropaludisme. Il a demandé des tests additionnels et bien sûr l’argent pour les faire. Nous avons pu voir Melvin. Le pauvre petit couché sur le lit me paraissait si amaigri. Tout ça parce qu’il refuse dernièrement tout ce que je cuisine parce qu’il n’y a pas de viande ou poisson dedans. J’ai beau crier et le punir mais rien.

Il a fallu que je manque de tomber pour me rendre compte que je dormais debout sur la chaise. À mon réveil il était 19 h. Ludovic s’est endormi avec sa tête sur le lit de Melvin. Sur mon téléphone, rien venant d’Henri. J’ai réveillé Ludo pour l’avertir que je vais faire un tour rapide à la maison. En arrivant à la maison, j’ai vu Henri qui garait sa moto.

– C’est à cette heure que tu finis ton fameux travail d’enseignante au primaire? me nargue-t-il

– Je t’ai appelé et envoyé un message. Melvin est à l’hôpital. Il a le neuropalu

– Hein! Tu vois ce que j’ai toujours dit. Au lieu de surveiller les enfants et t’assurer qu’ils restent à la maison, tu les laisses se promener dehors et les moustiques les piquent régulièrement. Bref vous êtes dans quel hôpital?

– CHU de Cocody. J’ai donné mon salaire aujourd’hui pour qu’ils puissent commencer les examens. Mais il reste 75000 francs à régler

– Soixante combien?? Tu es folle?? 75.000 quoi pour traiter le palu?

– Le neuropalu Henri! je m’insurge. Il a convulsé… il… tu devrais voir mon petit garçon, dis-je ne pouvant retenir mes larmes

– Tu veux que je trouve 75.000 où? Tu ne pouvais pas l’emmener dans un hôpital abordable ou lui acheter les remèdes? Toi et tes enfants vous ne savez que prendre mes sous

– Tu n’es qu’un homme indigne!

– Pardon? s’écrie-t-il

– Indigne et gonflé pour rien!

J’ai reçu une gifle mais rien ne pouvait me démonter aujourd’hui tellement je le hais.

– Je fais vivre mes enfants de mon salaire de tata à la maternelle et des biscuits que je vends à l’école. J’ai étudié comme toi en France. Mais je ne suis pas restée avec la grosse tête sous prétexte que mon diplôme français est trop bien pour certains métiers. Toi tu te complais dans notre situation. Tu flânes les rues au nom des marches pour la politique pendant que tes enfants souffrent.

– Femme de petite ambition. Ce sont tes petits billets qu’on te donne à cette école qui te monte à la tête hein. Je marche pour l’avenir de mon pays. Quand on dégagera ce vaurien qui est à la tête et que je serais attaché à la présidence, je vais demander le divorce. Tu vas t’en mordre les doigts. Ingrate! Tu penses que la maison se paie seule? L’école de tes enfants tu paies ça? Pauvre cruche

– Dix ans que tu parles de carrière en politique!! Et on ne voit rien comme résultat. Cette maison tombe en lambeaux et est à peine construite à l’intérieur. Quand ça te chante, tu paies l’électricité. Sinon c’est moi qui gère pour que les enfants puissent avoir la lumière pour au moins étudier. Quand ça te chante, tu donnes l’argent pour la nourriture. Je suis une pauvre femme mais toi tu n’es qu’un irresponsable et je te jure sur la tête de ma mère au village que si quelque chose arrive à mon fils je vais en découdre avec toi Henri! lui dis-je avec hargne avant de me diriger à l’intérieur, ramasser le nécessaire et retourner à l’hôpital.

Le lendemain Ludovic a refusé d’aller à l’école malgré mes insistances. J’ai expliqué et supplié la directrice de l’école primaire où j’enseigne et elle a accepté de m’avancer la moitié de mon salaire suivant. Henri s’est pointé le soir là avec trente mille francs. J’ai pris et je n’ai rien rajouté. Avec lui c’est toujours comme ça. Il a profité de la visite pour insulter Ludovic comme quoi il profite de la maladie de Mel pour faire le paresseux et l’échec l’attend les bras ouverts. J’aime les trois garçons que nous avons eus, mais cet homme je regrette amèrement de l’avoir épousé. Toutes les fois qu’il insulte ou critique mes deux derniers, je le hais davantage. Si je reste, c’est simplement parce que je ne peux pas supporter les frais scolaires des garçons toute seule. Pas Blaise Pascal en tout cas. Et je sais qu’Henri fera cesser l’aide de son ami si j’ose. Je ne veux pas retirer les garçons de leur milieu familier pour leur faire vivre un autre genre de précarité. Le soir, un petit garçon est passé visiter mon Melvin suivi d’une fille

– Blair, tu fais quoi là? s’étonne Ludo en les voyant

– On vient voir Melvin pas vrai Al, dit la fille avec un sourire chaleureux et le garçon hoche la tête

– Nos excuses maman, on ne s’est même pas présenté. Je suis Blair, une camarade de Ludovic et Alexis celui de Melvin. J’espère que ça va

– Bien ma fille et toi?

– ça peut aller maintenant qu’on a vu Melvin. Eh coucou toi, tu nous as fait peur, dit-elle à Melvin qui venait de se réveiller. Alexis nous a dit ce qui s’est passé. Tu vas bien?

– Oui B. Mais je ne me rappelle rien, salut Al

– Gars tu m’as fichu une bonne trouille, ne me fais plus jamais ça

– ça risque pas, façon tu as crié comme une fille

– Tu n’as pas dit ne pas avoir de souvenirs idiot, l’insulte l’autre petit, ce qui nous fait rire

– L’essentiel est qu’il aille mieux, dit-elle en se baissant pour lui faire un bisou sur le front

La douceur et tendresse dont elle faisait preuve avec lui m’a réchauffé le cœur. Jamais je ne voyais d’amis d’école venir chez mes enfants. Eux-mêmes ne m’en parlaient pas donc j’ai souvent cru qu’on les mettait à l’écart à cause de leur condition sociale. Je suis ravie de voir que non.

– Bro excuse-moi pour le truc avec co..., commence Mel mais il se fait couper la parole par son ami

– Pas la peine de dire son nom bro. On oublie

– D’accord mais raconte ce qui s’est concrètement passe s’il te plaît. Tu sais que la curiosité peut me tuer

Son ami s’est mis à raconter de façon animée la scène jusqu’aux convulsions ce qui m’arrachait des sourires.

– Ah ça! Moi seul? Je te jure en dehors de tes cris je me rappelle que dalle, commente Mel

– C’est sûrement mieux comme ça. Je t’ai photocopié les cours

– Non pas encore les cours! Maman je suis malade, dit-il en faisant la moue ce qui nous fit rire

– Bon c’est pas tout ça mais je vais rentrer maintenant. Ton chauffeur passera te chercher après Al?

– Oui je l’ai envoyé me ramener ma Ps4 pour qu’on joue ensemble

– Bro t’es le best, se réjouit Mel

– Toi aussi c’est évident

– OK, ne traîne pas trop sinon Clarence va me sauter dessus. Maman Melvin prenez soin de vous, dit-elle en s’approchant pour me faire l’accolade

– Merci d’être venue ma fille. Tu dis merci, Melvin? Ludo va raccompagner ton amie s’il te plaît

– Ouais merci B. T’es super. Rentre bien

Elle lui fit un bye de la main et sortie suivi de Ludo

***Ludovic EHIVET***

Je la raccompagne et une fois hors de l’hôpital, je commençais à la remercier mais le temps que je finisse, elle m’a pris dans ses bras et me parlait tout bas.

– Tu as dû avoir peur mon pauvre. Je ne sais pas comment j’aurai réagi si un truc comme ça était arrivé à Kate

J’ignore quand je me suis mis à pleurer. J’ai cru qu’on allait perdre mon frère quand je l’ai vu le soir là. Quand le médecin a dit qu’on aurait besoin d’argent, mon cœur a sombré. J’ai paniqué et appelé mon patron au chantier pour avoir de l’aide mais il a dit ne pouvoir rien faire. Je me suis senti si impuissant. Dieu merci maman a trouvé et payé assez vite. Je pense que c’est le trop-plein que j’évacue. Elle a voulu se détacher mais je l’ai retenu.

– Encore un peu s’il te plaît

On est resté comme ça pendant je ne sais trop combien de temps. C’est la voix de Vincent qui m’a alerté et je l’ai lâché comme un voleur pris sur le coup.

– Mec il est arrivé quoi avec Mel, dit-il en panique

– Rien il… il va mieux maintenant, je réplique en me nettoyant le visage

– Putain tu m’as fait peur! Je pensais qu’un truc grave s’était produit vu que tu pleurais.

– C’était juste une poussière que mes yeux évacuaient, m’expliquai-je à ma façon

– Oui oui, ironise Blair. Bon je vous laisse. À demain Vince

– Désolé de ne pas être venu plutôt bro. Ma vieille dérangeait avec ses histoires de sortie. Je n’ai eu la voiture que ce soir

– Yafoye mon gars, dis-je en tapant son épaule

– Le parfum de Blair sur toi te va bien hein lol. Dommage qu’elle soit déjà prise sinon vous iriez bien ensemble

– Les filles ce n’est pas mon truc, je lui rappelle, alors qu’on retournait tous les deux à l’hôpital

Le destin et nos pla...