Un choix douloureux

Ecrit par Saria

***Quatre mois plus tard***

***Sous d’autres cieux***

***Eaubonne – France***

***Maman Zouhé***

Booba vient de m’appeler ; il arrive et a des nouvelles pour moi de Ouagadougou. Je descends l’attendre au séjour. Dès qu’on sonne, je me dépêche d’aller ouvrir. C’est bien lui qui se tient devant moi.

Moi : Entre mon fils !

Il entre et je le serre contre mon cœur. C’est comme un fils et maintenant que le mien est condamné à l’errance, je n’ai plus que lui !

- Quelles sont les nouvelles, mon grand ?

Booba : Ils se sont partagé les biens comme prévu. Mais ils n’ont pas les moyens d’accéder aux comptes bancaires. Il est clair que le patriarche a laissé un testament ! Tout ce qui est comme terres et maisons, tout a été partagé par Kôrô Issa !

Moi : Hum… Issa ! Maintenant qu’il a eu ce qu’il voulait… J’espère qu’il nous laissera en paix !

Booba : Ma tante ça va aller… Ils vont se calmer !

Moi : Merci mon grand… Que le ciel t’entende !

Booba : Ma tante… Comment vont les enfants ici ? Et leur mère ?

Moi : Les petits vont bien hamdulilah… C’est Chérifa qui n’en fait qu’à sa tête… Je crois que son père lui manque. Quant à Marlène… Elle est là ! Celle-là même, je me demande si elle a jamais aimé mon fils !

Booba : Ma tante, ne sois pas trop dure avec elle. Je me demande si elle n’est pas un peu perdue ! Diaby a toujours été son appui. Elle n’a jamais eu à se soucier de rien… Regarde même moi, c’est difficile d’avancer !

Moi : Il te manque hein ?!

Booba : Il nous manque à tous. C’était Diaby le fédérateur !

On discute un peu et il s’en va. Je m’assois péniblement dans le fauteuil après l’avoir raccompagné. En presque deux ans, j’avais vieilli de dix ! Vous vous demandez qui je suis ? Je m’appelle Kaltoumi Zouhé Bah Sidibé. J’ai 62 ans, je suis la fille illégitime d’Ousmane Kanaté. L’un des hommes les plus fortunés du Burkina Faso. J’ai un fils, quelque part sur cette terre qui s’appelle Kader Diaby Sidibé.

Ma mère Sanata Bah était une peuhle de Guinée Conakry qui servait chez les Kanaté. Une famille de riches commerçants dioulas établis depuis plusieurs générations à Ouagadougou. Elle était vraiment très belle et son maître succomba à son charme. Je suis née de cette liaison.

Mon père ne m’a jamais reconnue mais ma mère et moi avons été mises dans d’excellentes conditions. Les épouses de mon père nous persécutèrent sans arrêt. A 20 ans, j’ai décidé de venir tenter l’aventure en France. Je n’avais pas un très grand niveau de scolarisation. De mon temps, envoyer une fille à l’école n’était pas une priorité. Néanmoins, j’ai rapidement trouvé un travail de caissière dans une usine de fabrication de papier. C’est là que j’ai rencontré Dramane Sidibé… Dra comme je l’appelais n’avait pas grand-chose à part le cœur sur la main. Il m’a soutenue et a facilité mon insertion ; les fois où j’avais le mal du pays et que c’était dur, il était là pour me réconforter.

Contrairement à moi, Dra était d’une grande instruction mais la vie ne lui avait pas permis de grandir socialement. Lorsque je tombai enceinte de Kader, il était heureux comme un enfant ! J’ai arrêté de travailler un moment parce que la vie du bébé était en danger et mon homme cumulait deux, voire trois boulots. Hamdulilah, j’ai accouché sans aucun problème et mon fils et moi nous portions bien.

A l’époque, je n’avais plus vraiment des contacts avec le Burkina Faso, ma mère étant décédée entre temps. Je me tenais à l’écart de la grande famille.

Mes relations avec mon père étaient bien… Oui bien, c’est le mot que je choisis. Vous savez, en Afrique on n’est pas vraiment dans la démonstration. Mon père était affectueux mais sans plus : il me parlait avec une grande tendresse, tout se voyait dans son regard mais les choses s’arrêtaient là également.

Je lui ai dit quand je me suis mariée, je lui ai dit quand j’étais enceinte, je lui ai dit quand mon fils est né. Il s’est alors produit l’inimaginable : Ousmane Kanaté est venu me voir ! Mon père est venu ! Je m’en souviens encore comme si c’était hier !

 

***Flash-back 40 ans plus tôt***

Debout dans la chambre. Il touche le bois lisse du berceau de Kader et laisse glisser son index dessus.

Moi (fière) : C’est Dramane qui l’a fait.

Père : C’est une œuvre d’art digne d’un lawbe worworbe[1] ! Ton fils travaillera également le bois… Mais mieux que son père !

Je lève un regard perdu vers lui. Je ne comprends pas comment il peut faire une pareille affirmation. Dra travaille le bois comme un hobby, rien d’autre.

Moi : Pourquoi dites-vous cela ?!

Père : Zouhé… Je suis à la tête d’une immense fortune… De mon vivant, les mères de mes fils les élèvent dans la méfiance et la haine… Chacune y va de son marabout et de son gri-gri pour me tourner la tête… Sanata m’a apporté de la fraîcheur et de la tendresse. C’est à dessein que je ne t’ai pas reconnue, pour te permettre de grandir à l’abri de tout ça !

J’ai consulté l’oracle… Je mourrai centenaire. L’après-moi sera catastrophique ; la seule personne qui pourra empêcher ça, c’est toi !

Moi (surprise) : Moi ?! Mais comment ?

Père : Selon l’oracle, tu partiras loin des terres du Faso… Et tu mettras au monde un fils… C’est lui qui sauvera mon héritage !

Je secoue la tête incrédule comme pour nier tout ce que j’entends. Je connaissais ceux dont il parlait et personne ne peut les empêcher de faire quoi que ce soit ! Ce sont des rapaces ! Mon père parle de sauver son héritage ! Surtout pas mon enfant !

Moi : Non père !

Père (doucement) : Pourquoi crois-tu que je t’aie laissée partir aussi loin quand tu en as manifesté le désir ?! C’est pour que la destinée s’accomplisse !

Moi (protestant) : Non !

Père : L’oracle est clair ! Il grandira également loin du Faso reviendra quand il sera temps. Il apprendra à travailler le bois… Car c’est une matière qui se patine avec le temps ! Il aura suffisamment de grandeur et de qualités en lui, il aura l’étoffe d’un chef !

Moi (sanglotant) : Père, ne me faites pas ça, je vous en prie !

Père : Ce n’est pas moi, mon enfant ! C’est la Providence qui l’a choisi !

Mon inquiétude était telle que je revivais les douleurs de l’enfantement. Tout le temps où il parlait, Kader était dans ses bras et souriait.

***Fin du Flash-back***

 

Je n’ai jamais rapporté cette conversation à Dramane. Convaincue que ça n’arriverait jamais !! Nous n’étions pas riches mais nous ne manquions de rien. Quand Kader a eu six ans, son père est mort dans un accident de la route. J’ai élevé mon fils dans le souvenir de ce père fier et noble ! J’ai élevé mon fils du mieux que je pouvais, en lui inculquant des valeurs. On recevait régulièrement de l’argent venant de mon père.

J’avoue que ça m’a énormément aidée, surtout pour envoyer mon fils dans les meilleures écoles. Après son Bac, il m’annonce qu’il veut entrer à l’Ecole d’ébénisterie. C’était une époque très tendue entre nous ! Je ne voulais pas qu’il approche le bois, ni de près ni de loin ! A cela était liée la prophétie ! Au bout d’un moment j’ai dû céder, mon fils est tout pour moi. Contrairement, aux jeunes de son âge qui traînaient dans tout, il était travailleur et droit.

Mes craintes se sont complètement estompées, Kader est devenu ébéniste. Il a été recruté dans les Ateliers d’ébénisterie Albeza. S

L'homme qui n'avait...