
111: Utilisons-nous vivants
Write by Gioia
***Jennifer « la stratège » Bemba***
Khaya est tellement
inutile. Tout ce que j’ai demandé à cette fille, c’est de se tenir prête à
témoigner qu’elle a vu Hana et ses officiers forcer la porte de mon bureau.
Mais sa cervelle de pois chiche me dit en bégayant qu’elle se rappelle que la
porte était verrouillée à mon départ. Est-ce qu’il faut faire un dessein à une
adulte de 27 ans pour qu’elle capte ce qu’on lui demande ? Il faut croire que le cerveau de Khaya en a
besoin et je n’ai pas ce temps. Je dois déjà me chercher un logement parce que
vivre à l’hôtel passé une semaine, c’est inconfortable. Lomé ce n’est pas
Port-Louis avec sa nature reposante. Là-bas j’étais en escapade, ici je suis
chez moi et j’ai besoin de confort. Mais avant ça, je reçois Yasmine au Snack.
Elle a débarqué avec son lot d’exagérations habituel. Woh tu étais où ? Woh ma chérie, je me suis tellement
inquiétée. Woh, ça parle dans ton quartier hein. Woh il paraît que ton mari t’a
jeté dehors et fréquente les petites. Plein de « il paraît » et
elle parlait si fort que l’affaire se serait ébruitée si je n’avais pas eu la
présence d’esprit de la recevoir dans mon bureau.
— Laisse les gens
parler, il n’y a aucun problème avec mon mari.
— Mais je suis
passée plusieurs fois chez toi et ton gardien m’a dit que tu étais absente.
Qu’est-ce qui s’est passé avec sa fille ?
Comment tu as géré ? Il a
avoué ?
— Il n’a aucune
fille, on s’est compris et nous avions voyagé. J’ai juste oublié de t’en parler
avec les tensions entre nous à son retour.
— Ah ça ! L’amie qui lui envoyait les messages__
— Je t’ai dit
qu’elle ne cherche que l’attention de mon mec. Ce n’est pas son premier
stratagème.
— Hum ! J’espère qu’il l’a classé une bonne fois pour
toutes.
— Oui, je m’en
suis chargée. Sinon comment ça va toi ?
Désolée franchement, je t’aurais écrit pendant mes vacances, mais monsieur ne
voulait même pas qu’on touche nos téléphones.
— Eh l’amour des
autres. Hum, ça ne va pas fort ma chérie. Il n’y a vraiment que toi qui as de
la chance au foyer. Tu peux croire que George s’est trouvé un nouvel emploi à
l’INSAO, et mieux payé de surcroît, mais il me l’a caché pendant six mois !
— Mais comment ? Pourquoi il a fait ça ?
— Tu ne demandes
pas toi aussi ? Je ne
cesse de me demander ce que j’ai bien pu faire à George. Hein ? Qu’est-ce que j’ai commis comme crime pour
qu’il me traite comme une pestiférée, moi la mère de ses enfants. Et tu
n’imagines pas ce qu’il a répondu. Il a demandé que je m’occupe de mes
affaires.
— Ouh là, ça va,
ne pleure pas, je dis pour la consoler parce qu’elle s’exprimait avec beaucoup
de douleur.
— Je vais pleurer
quoi ? Qu’est-ce qu’il me reste
à pleurer quand j’ai un mari démissionnaire ? Nous sommes déjà à la mi-août. On avait
promis aux filles qu’elles iraient à la Davidson Nicol’s, et George a préféré
dépenser son salaire dans l’enterrement de sa vieille mère décédée en prison.
Une vieille comparée à des enfants dont on doit construire l’avenir, qui doit
être privilégié Jen ?
Dis-moi toi, c’est exagéré de vouloir donner les meilleures chances à mes
enfants ? George me dit que j’ai
les gros yeux.
La Davidson Nicol’s
n’est pas une école donnée. Je ne connais pas forcément les frais de scolarité puisque
c’est une école assez récente, mais certains de mes clients y ont inscrit leurs
enfants et de ce que j’ai entendu, c’est une école sélect qui demande aussi le
cachet qui va avec. Je peux comprendre que ça soit pesant pour George si comme
je le suppose depuis un moment, il est le seul à prendre en charge leur foyer.
— Je suis
désolée, je réponds sans me prononcer. En réalité, ça ne me concerne pas. Je
l’ai fait venir parce que j’ai besoin de son aide. Peut-être l’an prochain, il
le fera. Ne désespère pas.
— Tu as trop
confiance. Si tu savais ce que George me montrait là-bas, tu ne me dirais pas
ça, elle continue de se lamenter.
Je me sens mal de lui
parler de mon plan dans cet état, alors je me contente de lui remonter le moral
avant de la renvoyer gentiment avec l’excuse que le travail m’appelait. Le
Snack est ouvert depuis une semaine. Les activités n’ont pas tout à fait
repris. Tous les jours, j’appelle mes clients fidèles pour les inciter à nous
visiter. Je m’attendais aussi à recevoir la visite de Hana, mais Eben m’a
notifié que la police vient à peine de débuter l’enquête préliminaire et
l’officier doit également avertir le procureur de la République. C’est ce
dernier qui rendra une décision à la suite de l’enquête donc normalement, la
vieille devrait recevoir sa convocation bientôt. C’est donc impératif que je
convainque au plus vite Yasmine parce que je peux apporter des éléments à ma
plainte pour la rendre plus sérieuse. J’ai signé et elle ne s’en sortira pas la
vieille peau.
Cette journée finit
comme celle d’hier. Même pas dix clients, ça commence à me stresser un peu,
surtout qu’on me rappellera uniquement à la rentrée pour que je reprenne mon
émission de cuisine. Je ne suis pas fauchée, loin de là. J’ai encore une partie
de l’argent que j’ai pris sur le compte, mais j’ai coupé les ponts avec l’incertitude
depuis que je sortais avec Romelio, alors ça me stresse de ne pas avoir d’assurance
concernant l’avenir. J’ai une folle envie de retourner chez moi, mais je crains
que des voisins me voient. Je ne veux pas alimenter les ragots même si j’en
meurs d’envie. Au lieu de ça, je finis devant la maison de ma tante. C’est Jérémie
qui m’ouvre et crie dans toute la maison que je suis là. Ma tante sort de leur
salon avec un air désapprobateur et me dévisage de la tête aux pieds.
— Jérémie c’est
ma chaussure qui va atterrir sur ta nuque si tu ne laisses pas mon portail ! elle lui hurle dessus.
— Mais j’ai fini
de faire mes devoirs !
— Hey ! je tonne à mon tour. Qui t’a permis de crier
sur ta mère ? C’est quoi ce
comportement ?
— Je veux jouer
depuis, mais elle__
— Et tu veux
répondre en plus ? Tu
dégages vite fait à l’intérieur ! Non,
mais, je rétorque et pousse un juron quand son visage concentré comme un orage
nous dépasse en flèche.
Je me retourne vers ma
tante qui est désormais dos au mur, bras toujours croisés avec le même air
rempli de reproches. Un air déçu qui me blesse.
— Je suis désolée
tata, c’était__trop__difficile, je m’explique d’une voix enrouée parce que j’ai
subitement envie de pleurer.
— Tu es désolée
pour qui ? Hein Jennifer ? Ma vie est rangée. Je suis avec mon mari.
Voilà Jérémie que l’adolescence dérange. Ma préoccupation c’est de m’en occuper
d’ici qu’il prenne son envol. En quoi ma vie t’inspire la désolation ?
— C’est comme ça
entre nous désormais ?
— Ah on dirait
hein, parce que jamais je ne l’aurais cru si on m’avait dit que Jennifer
quitterait le pays sans m’en parler. Pourtant c’est ce qui s’est passé.
— J’étais en
proie à mes émotions. J’avais besoin d’être seule pour digérer ma douleur. Je
ne pouvais pas suivre tes conseils. J’aurais perdu la raison.
-Ah__, c’est toi qui
connais le joli français. Je vais dire quoi ? Continue donc à ta façon.
— Si toi aussi tu
m’abandonnes qu’est-ce qu’il me reste ? Je me
mets à sangloter. Je n’ai même pas fait un mois en dehors du pays qu’à mon
retour, la mère de Romelio a fait fermer mon snack et___
— Tu dis qu’elle
a fait quoi ? elle s’écrie et me
surprend.
— Elle a emmené
des gendarmes pour qu’on le saccage et le ferme.
— Jennifer ! Et bien sûr tu ne me dis rien ! Tu es même comment ? C’est moi qui t’ai chassé du pays ou tu es
partie ? C’est pour ça que cette
femme s’en prend encore à toi et tu te laisses faire ? elle réplique avec une rage apparente.
— Je ne voulais
pas te causer davantage d’ennuis, alors j’ai essayé d’y faire face, mais là je
ne sais pas où aller. On dit que Romelio a emmené une autre femme dans sa
maison aussi. Sa mère ne veut pas me laisser respirer. Qu’est-ce que j’ai fait
pour mériter tout ça ? je
pleure de plus belle, mais cette fois dans ses bras.
Elle me tapote le dos
et me console en me parlant tout bas. Je ne peux pas rester seule, alors si je
dois la prendre par les sentiments en salissant un peu la vieille Hana, je ne
vais pas me gêner. De toute façon elle l’a bien cherché. Elle n’est pas la
seule mère au Togo, j’en ai une aussi.
— L’heure n’est
plus aux larmes Jennifer. Si tu avais pris sur toi comme je t’avais conseillé,
cette vieille sorcière n’aurait pas réussi ce coup, alors ressaisis-toi
rapidement et explique-moi ce qui se passe avec ton Snack.
— Elle l’a__,
elle a saccagé mes affaires, dérobé des documents importants et renvoyé le
personnel avant de le faire fermer. Depuis mon retour, le service a du mal à
reprendre. J’ai perdu et continue de perdre de l’argent.
— Hein c’est ça
qu’elle veut ! Comme madame attendait
simplement une faille dans ton mariage, elle en profite maintenant pour te
faire tout perdre. Tu vois ce que ton immaturité a causé ? Voilà que tu lui as donné le bâton pour te
frapper.
-Mais__
— Je n’ai pas
fini. Mais on ne va pas se laisser faire. D’abord, qu’est-ce que ton mari a dit ?
Je détourne la tête
après cette question.
— Je ne sais pas,
je ne l’ai pas vu.
— Mais qu’est-ce
que tu attends ? elle
s’indigne. Tu ne comprends pas que plus tu dures loin de lui, plus tu permets à
son cœur de s’endurcir ?
— On m’a dit que
les gens parlent au quartier alors je__, je n’ai pas osé rentrer.
— Anh ! Donc les racontars te dérangeaient quand tu
brûlais vos affaires hein ?
Je ne me dérange pas
pour répondre. C’est creuser ma tombe ça. Je baisse simplement les yeux.
— Cette
génération franchement, vous n’êtes pas du tout sages. Bref, la première étape
c’est de reconquérir le cœur de ton mari. Pour le Snack, on va attendre le retour
de ton oncle. Je ne connais rien sur les choses de ce genre, mais lui saura
quoi faire.
— J’ai déjà
entamé des démarches à la police.
— Ah d’accord.
Bon ton oncle nous conseillera quand même. Il connaît du monde donc il n’y a pas
à s’inquiéter, elle me rassure.
Elle me conduit par la
suite à la pièce où ils ont stocké mes effets et je pousse un petit ouf de
soulagement après une inspection rapide.
— Il n’a pas tout
envoyé, je dis sur une note d’espoir.
— Ah bon ? Il manque quoi ?
— Certaines
chaussures. Il y a aussi une bonne partie de ma vaisselle et d’autres petits
effets.
— Hum, tu as
vraiment de la chance ma fille. Énormément de chance que cet homme même dans sa
colère n’essaie finalement que de te donner une leçon sinon il aurait renvoyé
tout ce que tu as ici.
C’est le cœur un peu
plus léger que je sors de cette chambre. Il ne m’a certes pas fait signe depuis
là, mais il ne m’a pas oublié. Ma tante me donne le feu vert pour me servir à
manger tandis qu’elle va prendre sa douche. Une fois mon plat fait, j’appelle Jérémie
pour causer un peu avec lui.
— Comment ça va
Jeje ?
— Bien, il répond
bougon et les bras croisés.
— Il paraît que
tu as fini ta quatrième avec un 14 de moyenne ? Tu veux quoi comme cadeau ?
L’air bougon disparaît
aussitôt comme le pollen emporté par le vent. Il faut voir son visage ici me
réciter ce qu’il veut.
— Des jeux, changer
d’école et tu veux passer les vacances de Noël chez moi hein ? je répète et il hoche la tête en guise de
confirmation.
— Quelle école vises-tu ?
— Tant qu’on ne
frappe pas les gens là-bas, ça me va.
— C’est comment ? On t’a frappé au collège ? je demande avec humour.
— Non pas moi,
mais les professeurs là-bas sont trop durs Jen. Et quand je me plains à maman,
elle me dit qu’ils ne sont pas là pour me dispenser la gentillesse. En plus une
vieille école avec des professeurs qui draguent souvent les filles. C’est comme
ça que je vais devenir gâté et compromettre mon brillant destin, il m’explique
et déclenche mon fou rire.
— Ah bon hein ? Brillant destin même.
— Papa a dit que
je dépasserai tonton Romelio, il dit d’une voix emplie de fierté.
— Pour dépasser quelqu’un,
tu sais qu’il faut le connaître non ?
— Beh je le
connais. C’est ton mari. Il a étudié en France, puis au Canada où il t’a emmené.
Ici, il fait partie de la direction du meilleur hôpital du pays. Il prend l’avion
comme la blague, conduit une voiture trop classe et me donnait souvent 5000 francs
CFA quand il venait nous visiter.
— Pour se hisser
là où il est aujourd’hui, il a travaillé dur, mais surtout écouté ses parents.
Il ne criait pas sur sa mère quand elle lui donnait une directive.
— Très bien, on
entend de tata qui nous rejoint. Toujours à me parler comme si j’étais de son
âge.
Le pauvre commence à voir
et comprendre que le piège dans lequel il a marché est en train de se refermer
sur lui.
— C’est vrai ça
Jeje ? je demande sur un ton
posé. Le but de cette conversation n’est pas tant de l’incriminer, mais l’écouter.
— C’est faux Jen.
— Anh ? Donc je suis ici et tu veux m’accuser de
mensonge ?
— Ma tante, laisse-le
finir s’il te plaît.
— C’est exactement
ce qu’elle fait dès que je veux vivre ma vie, il réplique sur un ton rempli de
reproches tout en regardant sa mère de travers.
— Maman n’est pas
ton ennemie, alors parle mieux. Je suis là pour t’écouter aussi.
— Je n’ai pas dit
qu’elle est mon ennemie, mais elle ne veut pas me laisser m’épanouir. Je n’ai
pas le droit de sortir dans le quartier, discuter avec les voisins, je dois rentrer
dès que je sors de l’école, alors qu’il n’y a personne avec qui parler dans
cette maison.
— Ah ! Donc nous ne sommes pas des humains dans cette
maison hein, ma tante intervient malgré mon interdiction précédente.
— Quand je te
parle de mes choses, qu’est-ce que tu dis en dehors de critiquer ? En plus on n’est pas de la même génération.
Il y a plein de choses que je peux pas te dire.
— En tout cas, ne
me dis pas. Ce qui est sûr, je ne veux pas voir tes pieds dehors, tu ne feras pas
la loi dans cette maison, c’est tout, insiste ma tante.
— Et les nombreux
jeux que je t’ai achetés alors ? je
reprends toujours sur un ton posé parce que le pauvre a un visage bien tendu
ici.
— C’est pas chic
de jouer seul Jen. C’est relou la vie quand tu es seul, il réplique d’une voix enrouée
qui signifie qu’il est près de craquer.
Je ne le comprends que
trop bien et comme ma tante nous laisse un instant, j’enroule son épaule de mon
bras.
— Je sais, je le
rassure. J’ai été seule aussi à 14 ans alors je comprends. Ce qu’on va
faire en premier, c’est changer cette manière de parler à maman. Ça seulement,
je n’approuve pas.
— Même si je
change, elle te dira encore que j’ai crié.
— Je vais rester
un peu ici alors je pourrais me faire mon opinion.
— Ah, tu ne
rentres plus chez toi ?
— Oui, plus tard,
mais pour le moment, je veux passer du temps avec vous. Ou bien ça ne t’intéresse
pas ?
— Si si, j’aime
quand tu es là, il me dit sur un ton qui me réjouit.
— Je vais
discuter du changement d’école avec tonton et on verra.
Là seulement, il me
saute au cou en me remerciant profusément. Clairement, il l’attendait depuis. Son
père klaxonne sur ça. Il va lui ouvrir pendant que je débarrasse la table. Il
ne faut pas être devin pour comprendre que mon oncle n’a pas vraiment envie de
me voir. Il me lorgne quand il me voit et me dépasse. Environ deux heures plus
tard, ma tante me fait appeler par Jeje. Je me retrouve devant ce qui ressemble
à un tribunal parental. Mon oncle est en face de la télé, commande à la main,
totalement désintéressé par ce que ma tante qui est à sur sa droite essaie de
lui expliquer.
— Ama, il se
décide à dire après un silence hyper long.
— Oui chéri.
— C’est à cet âge
que tu te vois entrer dans une bagarre avec une autre femme ? Tu as fini de teinter tes mèches grises ?
— De quelle
bagarre tu parles ?
— Mais c’est à
toi de me le dire Ama. C’est toi qui m’apportes une histoire que quelqu’un que
la jeunesse dérange a créée. Maintenant tu me demandes conseil sur comment faire
payer à une femme qui n’est pas ta camarade en influence, et certainement pas la
mienne. Ou tu ignores qu’elle est une ancienne médecin ? Tu ignores que dans ce pays, ils font partie
avec les politiciens et avocats de ceux qui ont les bras longs parce qu’ils
rencontrent un peu de tout ? En
plus tu me parles d’un ancien médecin d’une clinique prestigieuse. Qu’est-ce qu’un
vieux barbu comme moi qui me débrouille dans ma retraite doit aller chercher
là-bas ?
— Gaëtan, on ne
peut pas rester les bras croisés aussi. Qu’elle connaisse du monde ne lui donne
pas le droit de s’attaquer aux gens qui ne lui ont rien fait.
— Le droit hein ? Que chacun exerce sa part en paix.
Laissez-moi dans ma retraite, je ne veux pas raccourcir mes jours ici-bas, il termine
sur ce ton sans m’avoir donné ne serait-ce qu’une fois l’occasion de m’expliquer.
De toute façon, j’ai
déjà pris les choses en main. Je peux parfaitement m’en sortir seule. C’est sur
cette note que je ferme les yeux et le lendemain, la routine reprend. Vers onze
heures, je reçois une visite inopinée. Oyena débarque dans toute sa splendeur.
— Je suis là pour
tester que tu fais de bon ici. Je suis sortie sans prendre le petit-déj aujourd’hui,
elle annonce pendant qu’on se fait la bise.
Je lui donne le menu
et prends sa commande moi-même. Elle choisit notre burger végétarien au cremini
alors je passe moi-même aux commandes. Les plats délicats comme ceux-là, je
préfère m’en charger. Une trentaine de minutes plus tard, elle finit la moitié
de son burger et s’en lèche les doigts.
— Je peux t’en
faire livrer de temps en temps si ça t’intéresse, je lui propose amusée et
ravie de la régaler autant.
— Est-ce que tu
peux livrer une école aussi ?
— Comment ça ? Genre livrer quelqu’un dans une école ?
— T’occuper de la
cantine je veux dire. Je connais quelqu’un qui cherche un traiteur polyvalent
pour un collège et lycée.
— Euh oui oui,
certainement, j’en suis capable. De quelle école parle-t-on ?
— Une nouvelle, j’ignore
si tu la connais, c’est la Davidson Nicol’s. Je donne ton numéro à ma
connaissance.
— Oui oui, je m’empresse
de confirmer, le cerveau secoué par cette nouvelle.
Le secouement se
transforme en folie quand trois jours plus tard, je ressors d’une rencontre
avec le directeur de l’école, ainsi qu’en main une ébauche de contrat on ne
peut plus lucratif. Le genre de contrat que je n’ai jamais signé de ma vie. Sans
réfléchir, je loue un taxi direction mon ancienne maison. Je descends, mais ma
clé n’arrive pas à ouvrir la porte. Le gardien sort quand je veux m’essayer à
nouveau et se permet de me lorgner.
— Tu vas me
laisser passer oui, je dis en essayant de le dépasser, mais il se place à
nouveau devant moi.
— Mon patron n’est
pas là, il répond sur un ton très hostile qui m’horripile.
— Et ta patronne
te dit de dégager du chemin !
— Quand le patron
va me dire, je vais faire.
Je n’y crois pas. J’en
rigole et le dévisage étonnée. Le mécréant me laisse carrément là et referme la
porte sur mon nez avant que je puisse me faufiler à l’intérieur.
— Tu as de la chance
que j’ai trop de classe pour froisser mes vêtements, mais sache que tu ne feras
pas une seconde plus dans cette maison quand je reviendrai, je lui lance avant
de m’en aller.
Mais regardez-moi ça. Les
gens ne s’occupent jamais de leurs affaires dans ce pays. Voilà une voisine
aussi qui me regarde passer comme si je lui devais quelque chose. Genre un
couple ne peut pas avoir quelques problèmes. Tout le monde veut s’en mêler, n’importe
quoi. C’est avec la colère que je rentre chez ma tante et après une petite
sieste, mes neurones se replacent. Je me rappelle qu’Oyena s’appelle Nicol,
exactement comme l’école en question. Pourquoi le lien m’a échappé ? Je l’ignore, mais je comprends mieux ce contrat
que j’ai obtenu.
— Merci pour ton
amitié Oyena. Je l’apprécie énormément, je lui envoie en message.
Je vais y envoyer Jérémie,
c’est décidé. Et connaissant mon oncle, il deviendra aussi doux qu’un agneau
lorsque je lui ferai la proposition. Bon, j’en ai d’abord parlé à ma tante qui a
recommandé de la laisser faire. Le lendemain, j’étais de nouveau la favorite de
mon oncle. Il me promettait qu’il organiserait bientôt une réunion avec la famille
de Romelio pour qu’on règle ce petit problème entre nous et me rassurait même
que ça arrive les mauvaises passes en couple, mais qu’on doit s’accrocher. Son
support même s’il m’a fallu le négocier m’est essentiel. Je ne compte pas non
plus me ridiculiser même si je veux retourner chez mon mari. Quelqu’un doit
menacer Romelio et qu’il me demande pardon devant nos familles parce qu’il n’a
pas tenu ses promesses. Une fois qu’il l’aura fait, je laisserai tomber la
plainte contre sa mère.
***Océane Ajavon***
Ce type est encore
ici. Le compagnon devenu frère. Il se pointe une fois par semaine pour un
massage et c’est devenu un gag entre mes employées. C’est Emily qui pour m’embêter
me notifie souvent de sa venue. Je ne sais plus trop à combien de visites il
est, mais je compte bien lui donner ce qu’il veut. Quelqu’un qui renie si vite
son mariage mérite d’être utilisé et sucé jusqu’à la moelle. On verra s’il aura
le courage de voir ailleurs après ce que je lui réserve. Mais pour le moment,
je me dirige à l’aéroport. Direction Nairobi où je vais faire un peu la folle
avec Elikem qui y est enfin. Je n’ai pas pu la rejoindre directement à cause du
travail qui m’a cloué sur la place à la dernière minute, mais je m’y rends
enfin. Ce à quoi je ne m’attendais pas en revanche, c’est de tamponner Romelio qui
a perdu de la masse musculaire. Il me salue de la tête, mais son air avachi m’interpelle.
— C’est quoi ? Tu es malade ? je ne peux m’empêcher de lui demander.
— Non. Tu vas bien ? Tu as bonne mine.
— On ne peut pas
dire pareil de toi. Tu ressembles à un zombie qui ère sans volonté.
Un rictus ironique tord
ses lèvres minces.
— La langue
toujours pendue à ce que je vois.
— Bah mange mieux
ou dors un peu plus. En tout cas, fais quelque chose contre ça. On n’est pas sorti
de la période noire des deux années passées pour que tu nous replonges dedans.
Je veux vivre en paix.
— J’ignorais que
mon sort était lié à ta paix.
— Pardon hein, ma
paix est liée au bien-être d’Elikem et la sienne de paix est liée à toi, alors
prends tes responsabilités.
— Bon voyage Océane,
il m’annonce et s’en va en tirant son trolley sans attendre que je lui souhaite
en retour.
Quelque chose me dit
que le souhait n’aurait rien changé sur son état et je n’aime pas ça. Je sais
que ça ne me regarde pas, mais je n’ai pas aimé ce que j’ai vu.
***Romelio Bemba***
Grâce au coup de main d’Arthur,
me voilà à bord d’un avion un peu plus tôt que prévu. Je vais confronter
Stella. Qu’elle soit prête ou non, ce n’est pas mon problème. Je parlais régulièrement
à Estelle, l’amie de ma fille, donc je sais où réside Stella. Personne n’est au
courant de cette visite. Par personne, j’inclus ma famille au pays. Mon but en
venant ici, n’est pas de lancer l’assaut sur Stella. Je lui en veux. Je ne vais
pas mentir, mais je ne pourrai pas entrer dans la vie de Hadassah si je m’en
prends à sa mère, alors je me dois d’essayer la négociation pour un début. Inclure
ma famille en ce début m’aurait compliqué l’affaire, parce que maman n’a pas de
patience. Depuis qu’elle connaît le nom de la petite, elle ne cesse de la
réclamer. Papa pour le coup n’arrive également pas à se retenir, pourtant c’était
lui la voie de raison entre les deux. Bref, je ne les ai pas mis dans la
confidence. L’issue de ce voyage déterminera ma prochaine étape.
Je parle de mes
parents, mais en réalité, je n’ai pas plus de patience qu’eux. Ça m’a pris presque
neuf heures incluant mon vol et le trajet de Paris jusqu’à l’Air bnb que j’ai
loué à Arras. Je dépose simplement mes effets, et prends un Uber jusqu’au
domicile de Stella qui se trouve en face d’un parc. Nous sommes encore en août.
Il fait beau alors je me trouve une place judicieuse non loin de la maison. Avec
un peu de chance, je la verrai rentrer du travail puisque nous sommes encore en
journée ici. Sinon, j’aviserai par la suite.
Dieu a décidé d’être clément
avec moi parce qu’en moins de trois heures, j’ai facilement reconnu une silhouette
qui sortait de leur maison avec des sacs à ordure dans les bras. Je m’approche
et hèle son nom aussitôt. Elle se retourne et son air qui était plutôt normal
devient automatiquement livide. Elle n’a pas vraiment changé. Les sachets lui
tombent des mains. Elle recule d’un pas, le visage toujours livide et je sens
qu’elle veut peut-être prendre la fuite.
— Ne fais pas ça,
je suis là pour discuter.
— Je ne sais
pas__
— Tu sais très bien
qui je suis Stella, je dis sur un ton plus dur que prévu.
Elle continue de m’observer
comme si le pire de ses cauchemars venait de se matérialiser.
— Je suis là pour
Hadassah. On peut faire ça simple ou compliqué, à toi de choisir.
Hadassah en question
choisit ce moment pour apparaître avec aussi un sachet en main. C’est en l’entendant
dire « maman » sur un ton dubitatif qu’on a remarqué sa présence.
Son regard est craintif et passe de moi à sa mère.
— Rentre à la
maison ! lui hurle Stella.
La petite hésite, je
le vois bien. Elle hésite en regardant sa mère avec crainte, mais quand elle me
voit, c’est plutôt avec colère comme si elle m’en voulait d’être là. C’est avec
cet air qu’elle s’en va en pressant le pas. Et sa colère déclenche aussitôt la
mienne et me fait oublier mes résolutions.
— Tu savais
comment me joindre Stella ! Tu
savais où me trouver et tu as sciemment décidé de me cacher mon enfant !
— C’est ma fille ! elle ose me répondre avec indignation.
— C’est pour ça
que tu lui as donné un prénom que j’aimais ? C’est
comme ça qu’elle est ta fille et me ressemble ? Dans quel monde je t’ai donné l’autorisation
de m’utiliser comme un donneur de sperme et disparaître ?
— Oh ! C’est bien quand c’est toi qui couches avec
moi et un beau matin décide que tu n’es plus emballé par moi hein, elle
réplique avec un sarcasme qui brise la dernière retenue que j’avais.
— Très bien, tu
auras des nouvelles de mon avocat demain, je lui annonce et elle me rattrape avant
même que je me retourne.
— Ne fais pas ça,
je t’en supplie ! Je…s’il
te plaît Elio, ma famille a traversé des temps durs et__
— Mon avocat sera
chez toi demain et je ne quitterai pas la France tant que je n’aurais pas___
— Qu’est-ce que
tu veux à la fin merde ! elle s’exclame
et éclate en sanglots. Tu ne peux pas débarquer un beau matin et commencer à foutre
le bordel dans la vie des autres.
— C’est Hadassah
que je veux. Je veux un tête-à-tête avec ma fille. Si je dois camper chez toi
tous les jours pour l’obtenir, je le ferai et ne pense même pas à porter
plainte croyant qu’une potentielle injonction d’éloignement me découragera. J’ai
dans ma poche mon téléphone dont l’enregistreur est allumé depuis un moment.
Tout ce qu’on vient de se dire est enregistré et prêt à être transmis à mon
avocat___
— C’est bon j’ai
compris ! Tu vas la voir, mais
donne-moi du temps ! elle m’interrompt
rudement.
— Je serais ici
le lend___
— Non, donne-moi
ton numéro et on___
Je l’interromps en
récitant les chiffres et réitère que je viendrai quand même ici.
— S’il te plaît,
mon mari__, elle me supplie à nouveau, mais je m’en fiche. Ils ont eu treize
ans pour jouer à ça.
— Je serais devant
chez toi tous les jours. Si tu veux que ça cesse, active-toi, je conclus et la
laisse.
Je n’ai rien
enregistré. Je n’ai même pas encore pris d’avocat, mais elle se fourre le doigt
dans l’œil si elle croit que je vais faire confiance à quelqu’un qui en plus de
m’avoir caché mon enfant, essaie d’insinuer qu’elle l’a fait pour me rendre la
monnaie de ma pièce. Je n’ai jamais profité ni utilisé une femme. Nous nous
sommes fréquentés, ça n’a pas marché pour moi. En quoi c’est une raison qui justifie
son comportement ? J’en
ai ras le bol des femmes.