
113: Nouvelles rencontres
Write by Gioia
***Océane Ajavon***
N’est-ce pas la vie
que chaque individu qui se bat pour construire sa vie mérite en récompense ça ? Un réveil tranquille dans une résidence
fermée où on peut sortir le matin avec la musique à fond dans les oreilles pour
un footing sans crainte qu’un motard débarque à toute vitesse derrière nous.
C’est la vie de Snam en tout cas, et elle la vit à fond. Je l’aime cette petite.
Je ne lui ai certes jamais dit parce qu’on n’a pas ce genre de relation, mais j’apprécie
les gens qui n’ont pas l’air d’attendre la permission des autres pour vivre
leurs vies. Normalement, j’étais logée avec Elikem à l’ancien appartement des
filles, mais la vérité c’est qu’on passe plus de temps chez Snam à cause de
l’adorable et robuste garçon qu’elle nous a donné. J’insiste sur le robuste
s’il vous plaît. La première journée que j’ai passé chez eux, il m’a proprement
baptisé. Sa mère et sa tante l’avaient laissé sous ma supervision, l’instant
d’une course rapide. Monsieur dormait même quand elles quittaient la maison,
donc je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il m’a sorti. J’étais affalée sur
le sofa au salon, perdue sur internet et j’entendais un léger bruit au loin,
mais pour une raison inconnue, je pensais qu’il provenait du dehors. Il a fallu
que le bruit persiste et m’intrigue pour que je me lève pour vérifier. Le comble
c’est qu’en ouvrant la porte de la nursery, le robuste secouait furieusement
les barres de son cerveau, comme s’il voulait le démolir. Je n’en reviens
toujours pas oh, pourtant ça remonte à une semaine. Il secouait le berceau je
vous dis, le drap était même à terre. À leur retour, sa mère m’a expliqué en
rigolant qu’on l’appelle le bourgeois, mais son fils persiste dans la
sauvagerie. Quand il se réveille, il ne pleure pas pour qu’on vienne le
chercher comme la majorité de ses collègues. Il s’attaque à tout et croit que
c’est l’amusement. En tout cas, il a solidifié l’idée que j’avais déjà sur les
petits garçons.
– Définitivement
pas de petit garçon en premier, je répète tout haut quand Elikem esquive de
justesse le pied que le robuste lui a envoyé dans le nez.
– C’est comme ça
que pour se moquer, Dieu te donnera une fille très agitée, elle répond en
faisant semblant de mordre le pied du robuste qui nous gratifie de son rire
mélodieux.
– Reprends ça et
dans tes dents en plus, ma fille sera délicate comme une fleur, je réplique et
elle rigole.
– Tant que tu ne
l’appelles pas Flora, parce que ma mère m’a appelé Perla, et apparemment je
n’avais rien de doux dans ma personnalité en grandissant. Tu as ton second
exemple ici, heyyy, ton père peut acheter mon cou ? elle demande avec humour à l’intéressé qui
encerclait son cou de ses petits bras potelés.
– Oui, dis-lui
que papa va tout acheter à son prince, je dis amusée par le babillage de
Rudyard.
C’est dans cette ambiance
ultra détendue que Snam nous retrouve après son footing matinal. Pendant
qu’elle descend son déjeuner, on papote du programme journalier. Elle est dans
la dernière phase de sa maîtrise. Une date est déjà fixée pour sa soutenance du
coup, elle est assez prise dernièrement. S’occuper du petit n’est pas une
corvée pour nous. Bon, je force avec le nous, c’est Elikem qui s’en occupe
majoritairement. Quand ses jeux brutaux me dépassent, je le repasse comme un
ballon à sa tante. Sinon, je disais que, s’occuper du petit n’est pas une
corvée, alors on donne le OK à Snam de disposer de sa journée comme elle le
souhaite. On se fait un pique-nique à trois dans un parc non loin de la maison
et rentrons après un coup de fil de Dara. Sa voiture est sur le parking quand
nous regagnons la maison.
– La femme
occupée, je lance sur un ton taquin dès qu’on entre dans la maison.
– Si c’étchait
seulement ça, elle soupire néanmoins souriante. Coucou. Ça va vous ?
– Oui. Tu ne
travaillais pas aujourd’hui ? lui
demande sa sœur tout en sortant le petit qui dort dans sa poussette.
– Je me suis pris
la têtche avec une fille que je djois former.
– Bah qu’est-ce
qui s’est passé ?
– L’habitchuel « j’arrive pas à comprendre ce que tchu dis », sauf qu’elle a saupoudjré ça par un coup
bas. Elle m’a envoyé un e-mail kilométchrique et accusateur en identchifiant
tous les higher-ups.
– Non, mais,
c’est sur quel modèle de connasse que tu es tombé ça ? je réplique agacée.
– Laisse, elle
pensait me faire dju tort, en se plaignant du ton que je prends avec elle quand
je lui donne des directchives. Apparemment, elle ne comprend pas la madjorité
de mes mots, et je la punis en lui parlant sur un ton impatient, jusqu’à elle
ne se sent pas en confiance pour progresser dans cet environnement passif
agressif. Ah Djara, ta vie est décidément djrôle, elle rit de dérision.
– Et qu’est-ce
que vos higher-ups ont dit ?
poursuit sa sœur.
– Personne n’a
répondu pour le moment, comme elle l’a envoyé hier.
– Même si c’est
dur, essaie de ne pas trop stresser pour l’instant, on verra ce__, commence
Elikem, mais elle se fait interrompre.
– Oh c’est le
cadjet de mes soucis hein. C’est parce que madame « je ne comprends rien » a subitchement eu besoin de prendjre le
restchant de sa djournée que je suis ici. Je n’avais que sa formatchion à faire
hier et aujourd’hui. Et de tchoutches les façons, je ne vais plus me punir pour
les remarques des autchres. Ils ne veulent pas être tolérants envers moi ? Fine. Je ne vais forcer personne, mais il est
révolu le temps où ce genre de remarques m’aurait envoyé djirectch sous la
couettche avec des larmes.
– Damn right, je
dis avec une pointe de fierté.
– Il est vraiment
loin, rajoute Elikem avec une pointe d’émotion.
L’une des grandes craintes
de mon amie, c’était qu’une fois adulte, sa sœur soit la cible de mépris et ait
du mal à se défendre seule. Je ne compte plus le nombre de savons qu’Elikem a
reçu de sa mère lorsque la première donnait son opinion concernant l’éducation
d’Aïdara. Des savons qui m’auraient fait pleurer si mon père me les avait donnés,
mais est-ce que ça décourageait Elikem? Rarement voire jamais, et c’est aujourd’hui
qu’on voie les résultats, parce que la vie que Aïdara mène est une agréable surprise,
pour ne pas dire un vrai miracle. Je m’étais souvent fait la réflexion, que Dieu
a quand même bien fait les choses dans son cas si on peut le voir ainsi. Ses
parents étant aisés, elle serait à l’abri même si elle n’arrivait pas à
travailler, du coup, je ne comprenais pas pourquoi Elikem se prenait autant la
tête. Bref, j’ai fait du chemin et aujourd’hui, je saisis un peu mieux le point
de vue de mon amie.
– En tout cas, on
ne va pas gaspiller la soirée sur ça hein. Comme tu es rentrée tôt, profitons-en
pour voir ce que dit le dehors.
– Océane, me lance
Elikem comme si elle me rappelait à l’ordre.
– Quoi ? On est quand même jeudi, je n’ai plus
beaucoup de temps à faire ici et en plus je n’ai pas eu le temps de m’asseoir
avec la fiancée de l’heure depuis mon arrivée.
– Tchout à fait, on
dchoit y remédjier, approuve notre fiancée avec un sourire plus que convaincant.
Eat and dance? Ça vous va ? elle
nous propose.
– Tant que c’est
dans un lounge pardon. Je n’ai plus l’âge pour faire couler mon makeup sur la piste.
– Je réserve, elle
rigole en pianotant sur son téléphone. Kiza dans une heure Snam ? elle demande à l’intéressée qui venait de
nous rejoindre.
– On ne prévient
plus les gens à l’avance de nos jours ? Intervient
Elikem après avoir donné le petit à sa mère.
– Le « dans une heure » là, ce n’est plus l’avance ça ?
Le regard qu’elle m’a envoyé
les gens, mieux je ne le décris pas.
– Trop de fumeurs
là-bas. C’est quoi le projet d’abord ?
– Manger, causer
et faire les belles, Aïdara répond et ma foi, je n’aurai pas dit mieux.
– Explorer tavern,
c’est un meilleur choix dans ce cas, je pense en tout cas.
– Oh yeah tchrue,
je vais voir là-bas plutchôt, et tchu es comptchée dedans hein.
– Lol, et je fais
quoi de mon sac à main ici ? elle demande
en désignant le petit qui tapote sur son sein pendant qu’il est allaité.
– Beh je suis là,
je vais m’en occuper, Elikem se propose.
– Beh bien sûr
que non. Marley est là, en plus il y a son oncle c-djoux en ville.
– Tonton c-doux ? je répète intriguée, tandis que l’intéressée entame
sa réservation téléphonique, mais heureusement Snam nous renseigne.
– Un mec sombre
et taciturne qui rend fou mon fils dès qu’il le voit.
– Ah ça, je dis
amusée.
– Je vous jure,
dès qu’il débarque, Solim se met à babiller de joie et s’agiter. Ma théorie c’est
qu’il doit voir Mally en lui comme ils ont les mêmes teints et des voix un peu
similaires.
– Ou, il est
justche tchrop djoux, n’est-ce pas mon bourgeois, Dara gazouille à Solim qu’elle
vient de prendre.
– Tellement doux
que tu m’as dit qu’il t’effrayait et tu trouvais intriguant qu’il soit le
meilleur ami de Marley hein, Snam l’embête.
– C’est le passé
ça. Désormais, c’est notchre oncle c-djoux, han que c’est notre onclo mon bébé ? elle continue à gazouiller au petit qui s’enjaille
avec elle.
– Et tu as quand
même averti l’oncle avant de compter sur lui ? lui rappelle sa sœur.
– J’ai avertchi Marley
qui passera la soirée avec lui. Un petchit homme de plus n’ajoutchera que du
piment à leur rencontchre.
Elikem n’était pas emballée,
mais n’ayant plus le choix contre la majorité, elle s’est laissée embarquer. Sinon
pour quelqu’un qui n’était pas emballé, elle était bien apprêtée quand nous
sortions de la maison hein. Vingt minutes dans notre soirée, et je confirme,
les petites connaissent. L’ambiance, la bouffe, l’alcool, tout est à mon goût. Je
fais tellement la belle en tournant mon cou sur la musique que je risque de me lever
avec un torticolis demain, mais on vit l’instant présent.
***Hilda Tountian***
Un lourdaud, c’est ce
qu’est le frère de Godson. Il débarque sans prévenir et Godson annule notre
sortie à la dernière minute. Je suis trop mignonne dans ma tenue pour me
gaspiller, du coup je rejoins le groupe de Aïdara qui m’avait invitée à la
dernière minute. La première surprise à mon arrivée, c’est la présence de face
de cactus alias Snam. Quand on a un enfant en bas d’un an, on fout quoi dehors
à 22 h ? Lui demander serait lui
donner de l’importance, donc je m’installe tranquillement auprès de mon bébé Dara.
– C’est comment ? On célèbre quoi ? je me lance après avoir passé ma commande.
– La vie, on s’amuse
seulement, répond Dara.
– Ah non hein, on
te célèbre toi ma chérie, c’est ton moment alors tu nous le vis à fond, même si
tu dois nous rabâcher les oreilles avec, c’est de bonne guerre, ajoute Océane
en appuyant sur le « fond », et nous arrache des rires. Celle-là, je l’adore
tout simplement.
– Vous rabâcher
les oreilles pour que vous refusiez de sortchir avec moi la prochaine fois ?
– Si Elikem ose,
tu m’appelles simplement.
– Mon nom te
donne quoi au juste et tu aimes le garder dans ta bouche ?
– Demande à Dara pourquoi
elle garde le truc de Marley en bouche__
On éclate de rire
avant qu’elle ne finisse sa phrase. Par on, je parle de Dara, Océane, moi et
bon Snam. Rien d’étonnant pour la dernière. Dès que ça ou sous-entend le sexe,
elle est dans tous ses états comme une chienne en chaleur. Il n’y a que la sœur
de Dara qui est mortifiée et secoue la tête avec une main sur sa face.
– C’est le seul
moment que tu auras pour embarrasser ta sœur qui croyait que tu tricotais avec
Marley apparemment, Océane continue à la charrier.
– Je vais
sérieusement te cogner, lui répond son amie sans aucun sérieux.
– Oh là, on
gardje les mains sur les cuisses ou en l’air pour danser hein. Je ne veux pas
voir de sourires édentchés sur mes photchos dans trois mois, rigole Dara.
– Trois mois
hein, et les préparatifs ?
Toujours pas besoin d’aide ? j’en
profite pour intervenir.
– Non non, on a
presque fini, Elikem ramènera vos tchenues lorsqu’elle reviendjra, n’est-ce pas ?
– Super, je dis avec
un faux sourire après que sa sœur ait donné sa confirmation.
Ces deux mois passés,
j’ai appris à ne pas trop m’impliquer dans les histoires de Dara, parce qu’honnêtement,
à quoi ça sert quand l’intéressée même ne se soucie pas de son honneur ? On parle d’un événement important dans la vie
d’une femme. Madame commande sa tenue chez un prêt-à-porter et elle me l’a
annoncé avec fierté en plus. Une robe même pas splendide et le pire, en rose,
ou plutôt blush pink, hein, c’est comme ça qu’elle me l’a décrite. Si la fille
de Lare AW porte du prêt-à-porter, nous autres on portera quoi ? Si encore, je me mariais avec un no name, on
ne m’en voudrait pas de faire du basique. C’est mon niveau, mais tu ne peux pas
être la seconde fille d’une famille nantie, qui plus est, le premier enfant de
ton père et négliger ton mariage. Tu ne peux pas, à moins que tu sois en couple
avec un boulet en fait. Un boulet qui ne s’intéresse même pas à ta culture. Un
boulet qui ne sait pas qu’on doit mettre en valeur une femme, ne serait-ce que
pour honorer sa famille. Les amis de papa Eli seront présents le jour-là.
Certainement des PDG, des ministres et qui sait, des anciens présidents. La honte
de ça, en tout cas, c’est son choix et elle rigole tranquillement des blagues d’Océane
ici, donc je dois m’inquiéter pour quelle raison ? Mon esprit retrouve le fil de la conversation
quand j’entends un truc qui m’intéresse.
– Attends, j’ai
bien compris ? Toi qui brilles autant,
tu es célibataire ? je
demande à Océane.
– Libre comme l’air,
mais ça dépend pour qui. Tu as un frère riche et intéressant ?
– Lol, riche et
très intéressant même, mais pas mon frère. J’ai plutôt un beau-frère qui serait
parfait pour toi, je dis on ne peut plus satisfaite. S’il ne veut pas se caser
ce type, je vais l’aider.
– Hum, on va
parler affaires après.
– Oh, mais non, réglons
ça sur le tas. Il se fait qu’il est en ville actuellement.
– Ne me dis pas
que c’est c-djoux ? rigole
Aïdara.
– Respecte mon beau
avec ce vilain surnom. Il s’appelle Cédric, je dis et elles rigolent.
– Le c-doux sort
d’où dans ce cas ? m’interroge
Océane.
– C’est comme ça
que Solim l’appelle.
– Nuance, c’est
toi qui jures que mon fils l’a appelé ainsi. Un bébé qui n’a même pas un an.
– Je sais ce que
j’ai entendju de mon neveu moi, Dara réplique en tirant la langue après l’intervention
de Snam.
– Non merci en
tout cas si c’est le monsieur sombre, Océane continue et m’interloque. Snam
nous a dit que ton beau est sévère. Je ne peux pas pardon.
– Parce que tu le
connais d’où toi ? je
demande à la sotte en question.
– J’ai donné mon
opinion, elle répond de façon expéditive.
– Je donne mon
opinion en météorologie peut-être ?
– Les filles,
Dara commence sur un ton d’avertissement, mais c’est mal me connaître si elle
croit que je vais louper cette occasion, surtout que je cherche face de cactus
depuis un moment.
– Non, mais c’est
quoi ce comportement ? Tu aimerais
un jour questionner mon frère et l’entendre dire que ta sœur est nulle ?
– On se calme, la
sœur en question intervient. Snam n’a pas dit que ton beau-frère était nul.
– Oui, c’est moi,
c’est l’alcool, il ne faut pas regarder ma sale bouche, enchaîne Océane, tout
en rigolant, mais c’est clair qu’elle ment.
– Une sale bouche
remplie d’orgueil, et c’est pour me demander par la suite, pourquoi tu atterris
souvent sur ta face, pourtant tu dis que tu lis la bible régulièrement. Tu n’as
pas lu que l’orgueil précède la chute ?
– Comme on a dit aussi
que sept fois le juste tombe, je ne fais que suivre ma destinée en réalité,
elle enchaîne et nous arrache un fou rire.
Je l’ai déjà dit ? Si non, je l’adore. Elle a une répartie étonnante
et n’essaie pas de jouer à la gentille fifille. Je m’attendais plus à ça de
Elikem, parce que j’ai entendu dans les échanges de Dara, que l’aînée de leur
famille avait une forte personnalité. Selon une telle description, je m’attendais
à ce qu’elle ramène l’ambiance et secoue l’appartement à son arrivée, mais elle
m’a plutôt déçue. Lorsqu’elle est à l’appart, elle passe la majorité de ses
journées dans l’ancienne chambre de Snam, sinon elle est dehors. Je n’irai pas
jusqu’à dire qu’elle est timide comme l’était sa sœur au début de notre cohabitation.
Elle semble plutôt déprimée, et je sais qu’elle a perdu son fiancé, mais quand
même, ça fait déjà deux ans si mes calculs sont bons. Est-ce qu’on doit s’abandonner
à l’épreuve quand on est si jeune ? Bref
de retour sur Océane.
– Mon beau-frère n’est
pas sombre. Il ne s’adresse simplement pas à tout le monde, tu connais un peu les
riches non ?
– Non non, mais
on dirait que tu les connais toi, elle répond.
– T’inquiète, tu
les connaîtras rapidement grâce à lui. De l’extérieur ils ont l’air complexes
dans sa famille, mais quand ils t’intègrent, tu te sens à ta place comme un
poisson dans l’eau.
– Hum, et il n’est
pas vieux ?
-35 ans bientôt,
teint noir ghanéen, une barbe bien taillée. Regard ténébreux, et de surcroît, PDG
de l’unique fournisseur médical africain. Nyameba BME, tu peux chercher
toi-même sur le Net.
– Une seconde, elle
dit, sort son cell et ne cesse de hocher la tête en multipliant les « hmm »
appréciateurs.
– Impressionnant
hein, je la relance.
Il est peut-être nul
en drague, mais sur le papier, il a tout de l’homme idéal et du fils parfait,
raison pour laquelle, Godson m’a expliqué qu’il méprise facilement les autres,
mais bon, une femme comme Océane peut facilement apprivoiser ce côté. De toute façon,
l’argent aide à tout encaisser.
– Effectivement, elle
commence, mais la question qui me vient c’est comment il est libre alors ? C’est quoi le piège, parce que tu ne vas pas me
dire qu’il cherche l’amour. Ce ne sont pas les femmes aimantes qui sont difficiles
à trouver ici-bas quand on a son niveau.
– Est-ce que tout
le monde a ton niveau alors ? Il
attend quelqu’un de son calibre. Pas forcément financier hein, mais caractère
quoi.
– Lol bien envoyé.
En tout cas, il n’est pas mal.
– Je pourrais
vous organiser une rencontre bientôt ?
– On parle
affaires après ma chérie, revenons sur la fiancée de l’heure, elle conclut ainsi.
Je n’abandonne pas pour
autant. Dans un coin de ma tête, je dessine le plan et à mesure que la soirée avance,
je suis convaincue en observant Océane qu’elle est le match parfait pour mon
beau-frère et l’avoir comme belle-sœur n’en sera que meilleur. On va se taper
des barres de rire et nos enfants voyageront ensemble. Qui sait, d’ici là, ma
Dara se réveillera de son sommeil de belle au bois dormant et on pourra lui
brancher un vrai mec. Des frères et cousins célibataires, Godson en a une pléthore
de toute façon. Nous sommes pour la plupart bien éméchées à la fin de la soirée,
quoique Dara l’est plus. Elle ne pouvait pas conduire dans cet état donc c’est
face de cactus qui est passée au volant. C’est parce que Godson se trouve avec
son frère qui est lui-même chez Marley que je ravale mon orgueil et monte dans
le véhicule conduit par le thon. J’étais à l’arrière avec les grandes et Dara à
l’avant nous faisait rigoler avec ses histoires. Soûle comme elle était, elle a
non seulement appelé Marley, mais essayait de taper la conversation avec lui. En
un rien de temps, nous sommes devant le nouvel immeuble où réside Marley. Je
lui concède, il loge dans un coin sympa. Au moins sur ce plan, il respecte son
titre d’ingénieur mécanique. Snam nous laisse devant l’immeuble, le temps de
faire un U-turn pour se mettre en position de départ après avoir récupéré son môme.
On essaie ensemble de donner un coup de main à Dara pour qu’elle avance, mais
ce n’était finalement pas nécessaire. Son blondinet sort de l’immeuble sans
tarder suivi de mon beau qui portait le fils de Mally.
– Ouais, moi aussi
je t’aime, Marley répond au charabia de Dara qu’il prend dans ses bras.
– J’aurais fait
plus attention à elle si j’avais remarqué qu’elle était déjà pompette, s’excuse
Elikem.
– Mais bon, c’est
pas grave. L’essentiel c’est que vous vous soyez amusées. Je m’occupe du reste.
– Merci, on se
parle demain toi ? elle
dit en câlinant le front de Dara qui continuait sa scène depuis les bras de Marley.
Encore du charabia qui
fait rire les autres. J’en profite pour introduire mes gens.
– Yafeu, je te
présente Océane, une bonne amie d’Elikem, la sœur de Dara. Océane, voici Yafeu
ou encore Cédric.
– Je vais prendre
le petit, propose Elikem. Une proposition judicieuse que j’apprécie.
-With those
hooker shoes? I think not*, il dit
en fixant ses pieds et le temps se suspend l’espace d’un instant. (Avec ses
chaussures de pute ? Tu peux
toujours courir.)
– Huh ? On entend de Dara qui ne paraît plus soûle
tout d’un coup.
La bouche d’Océane est
fendue en deux. La mienne n’est pas meilleure. Marley s’est figé. Snam de
retour, descend du véhicule et Cédric qui essayait d’avancer avec le petit dans
les bras se fait arrêter par Elikem qui le tient par le bout de son vêtement.
– Excuse you ? elle dit sur un ton qui m’annonce une altercation
imminente.
– Pardon, je
demande pardon, je m’interpose sur le champ, embarrassée plus que jamais. Et il
est où Godson quand son frère me honnit en live ?
– Tu bouges, elle
me dit froidement.
– Euh qu’est-ce
qui se fasse ? demande Snam.
– Hehehe, je
rigole nerveusement, une petite blague qui a mal tourné.
– Il se passe que
ce goudjat a insultché ELIKEM ! Dara
crie comme si elle était dans une foule. Lâche-moi Marley ! elle se débat maintenant tandis que Marley
essaie de calmer la situation.
– Je ne l’ai pas
insulté. J’ai décrit les chaussures qu’elle a portées, Cédric réplique au lieu
de nous laisser faire.
– Tu me redonnes Solim.
Maintenant.
– Non, il répond
sans aucune crainte.
-Yafeu please, she’s a
friend, je le supplie. Est-ce que c’est le twi que je dois parler à ce type
aujourd’hui ? Godson est où pour l’amour
du ciel ?! je hurle dans ma tête.
– Euh, je peux reprendre
le petit ? Snam fait enfin quelque
chose.
– Bien sûr, lui
aussi coopère enfin.
Dara ne s’est toujours
pas calmée et à force de s’agiter, elle vomit sur Marley.
***Elikem Akueson***
C’est la petite scène
avec ma sœur qui a rompu la tension. On s’est occupé d’elle et nous sommes de
retour chez Snam. Quelqu’un doit m’expliquer ce qu’il y a de drôle dans ce qu’on
vient de vivre parce qu’Océane n’arrête pas. Elle a tellement rigolé qu’elle est
sortie de la voiture en courant parce qu’elle devait se soulager.
– Tu rigoleras
moins quand j’aurai écrasé ses boules avec mes talons, je la préviens
sérieusement, mais c’est maintenant qu’elle rit de plus belle. Snam finit par s’y
mettre aussi.
– Sorry, je vais
me coucher avant qu’on me décoche des flèches, elle lance et disparaît.
– C’est avec un
grand plaisir que je vais lui planter chaque coup de talon dans les burnes. On
verra d’où sortiront tes enfants.
– Ma vieille ce
sont tes enfants que tu attaqueras alors.
– Hein ? je fais interloquée.
– Tu vas me dire
qu’après une introduction pareille, tu me vois avec ce type ? Parmi quatre filles, il a remarqué tes pieds
en premier. C’est le début du commencement, guidiguan !
Je pousse un juron
kilométrique et me rends dans la chambre qu’on partage. Ma nuit fut courte et
énervante. C’est sa grand-mère qui porte les hooker shoes.
– Toujours fâchée ? j’entends d’Océane.
Je ne me gêne pas pour
lui répondre, mais comme elle est nuisible, la voilà qui se colle à moi dans le
lit.
– Ahrgg, je peste
et tape ses doigts qui me chatouillaient.
– Non, il t’a
vraiment piqué là où il ne fallait pas. Il a osé monter jusqu’à la tour de Zénitude
où tu dors pour t’en sortir. Une vraie demi-portion, elle continue à se moquer.
– C’est avec ce
comportement que tu veux avoir le titre de meilleure amie ? Les meilleures amies des gens sautent quand
on insulte leurs personnes. Tu étais où ? Nulle
part. Le matin venu, l’humain est dans son coin, mais tu ramènes ta gueule d’alcool
pour le provoquer.
– Est-ce qu’on
avait besoin de mes immenses compétences quand Dara était prête à fuser sur
lui, elle commence puis imite le bruit de ma sœur quand elle a vomi hier.
OK, j’ai rigolé. Elle est
trop conne. Une heure plus tard, la journée débute officiellement. Je parle
avec Dara qui m’assure qu’elle va régler le cas de la demi-portion. L’essentiel
pour moi, c’est de connaître l’issue de la situation qu’elle vit au travail.
Elle me répond qu’aucune réponse n’a été formulée pour le moment, mais elle a
un meeting en fin de journée avec sa patronne.
De l’autre côté, il ne
reste plus que deux jours à Océane, et elle n’a pas fait de shopping depuis son
arrivée, donc nous mettons cette journée à profit. Je ne connais pas tant
Nairobi, mais on suit les recommandations de Snam. En pleine sortie, et tel un oiseau
de mauvais augure, nous croisons la demi-portion.
– Il faut qu’on
revoie son surnom, il n’y a rien sur cet homme qui soit en demi-portion, commence
Océane.
– Il n’a qu’une demi-portion
de bonnes manières.
– OK, tu m’as
convaincue, on le garde.
– Il n’y a pas de
« on » ici. Ce que tu crois qu’il se passe ne se
passe pas. C’est toi qui cherches un mec riche et beau depuis belle lurette. La
voilà ta commande.
– C’est toi qui te
trouves à Nairobi, tandis que je rentre demain.
– Et je rentre dans
deux semaines, donc je ne vois pas où tu veux en venir.
– Parce que tu
veux vraiment rentrer ? Genre
tu n’as pas remarqué que tu es bien ici ? Tu ne
vois pas comment tu as retrouvé tes couleurs, et un peu le goût de vivre? Tu ne
vois pas que c’est grâce à ton entourage ?
– J’ai une vie aux
États-Unis je te signale.
– Tu avais une
vie à Lomé que tu as laissé pour une France avant de te retrouver en Amérique.
Qu’est-ce qui t’empêche d’en construire une ici ?
– Euh, tu oublies
que j’ai un travail à faire ?
– Tu vas me faire
croire qu’on ne cherche pas des pédiatres hématologues ici à Nairobi ? C’est même quoi l’autre spé que tu as fait en
plus de l’hématologie ?
– Oncologie, mais
ça ne répond pas à ma question. J’ai étudié aux États-Unis. Mally m’attend en plus
parce qu’on s’est entendu qu’on emménagera ensemble à mon retour. Qu’est-ce que
tu essaies de me dire au juste ?
– Pourquoi tu te
fâches Elikem ? elle
me demande sur un ton plus calme.
– Mais je ne suis
pas fâ__, je commence, mais ne termine pas ma phrase. Je n’avais même pas remarqué
que mon rythme cardiaque avait changé.
– J’ai vu sur ta
tablette que tu faisais des recherches sur les permis de travail au Kenya. Tu n’as
pas besoin de te justifier, je ne suis pas en train de t’imposer un choix, mais
j’essaie plutôt de te rappeler l’essentiel. Tu n’es ici que depuis peu, mais tu
sais au fond de toi que tu as trouvé un petit équilibre. Tu as ta routine qui
te plaît. Tu adores Solim et ça te fait du bien d’être avec lui. Rien ne t’empêche
de travailler ici. Si c’est de Mally que tu me parleras, toi et moi on sait que
jamais ton frère ne t’en voudrait. C’est tout ce que je voulais dire.
Je n’ai pas le courage
d’adresser tout ce qu’elle vient de dire, du coup on continue nos emplettes,
mais le silence au retour est pesant. Je me sens tout d’un coup envahie et bien
que je sois au volant, je ne peux m’empêcher de pleurer.
– Gare-toi Elie,
elle m’ordonne et je m’exécute dès que je le peux.
– Parle-moi, qu’est-ce
qui se passe ?
– J’ai l’impression
d’être comme une chenille. Si je ne dois pas me coller à mon frère pour trouver
la motivation d’aller de l’avant, c’est à son fils, sinon ma sœur. J’ai pas
envie de retourner à Springs. Je ne veux pas déménager en Californie non plus. Parfois,
je n’ai même pas envie de reprendre le travail. Tout ce qui m’intéresse, c’est
d’être avec Solim, ou discuter avec la décoratrice qui s’occupe de l’emménagement
du resto Raperla, pourtant j’aime la médecine. Je n’ai pas étudié pour rester
chez moi. Je dois rentabiliser l’investissement de papa Eli, et ce n’est pas en
travaillant à Nairobi que j’y arriverai. Ici, même si je reçois le meilleur
salaire, je n’attendrai même pas 70 k par an, pourtant je suis dans les
six chiffres aux États-Unis. Je ne veux pas décevoir ma famille qui me soutient
depuis le début, mais je n’arrive pas à trouver la motivation malgré mon désir.
– Pourquoi
penses-tu que tu décevrais ta famille ?
– Parce que je
connais mes parents. Tous les trois croient en moi et attendent le meilleur.
– Je ne vais pas
remettre en cause tes dires parce que tu connais tes parents, c’est un fait.
Mais heureusement, je les connais un peu aussi. Imagine que c’est ta mère qui
se tient en face de toi à l’instant. Penses-tu réellement qu’elle te dirait,
Elikem, je refuse que tu fasses ce dont tu as besoin parce que tu ne gagnerais
pas un salaire à six chiffres ici ? Tu
penses que papa Eli le dirait ? Ton
papounet aussi ?
– Non, mais ils
le diraient en pensant à moi, parce que je suis vulnérable, donc ils tairont leurs
pensées pour me mettre en avant, et j’en ai marre qu’ils me mettent en priorité.
C’est à cause de moi que maman a abandonné sa maison pendant une année
complète. C’est à cause de moi que papa a vécu seul malgré son vieil âge. Rien
que pour ça, je me dois de les honorer comme il se doit. Je reste ici et quoi
par la suite ? Je colle au train à Snam ? C’est son fils. Je l’adore le petit, mais ça
n’en reste pas moins son fils. Je ne veux pas devenir cette belle-sœur qui étouffe
les gens et crée les tensions. Je ne sais pas où me positionner et trouver ma motivation
sans déranger les gens.
-I hear you. Crois-moi,
I do, et je veux que tu remplaces le « à cause
de moi » par « pour moi ». C’est
pour moi que maman a, c’est pour moi que papa a. Tout comme c’est pour Mally
que tu rentrais épuisée de l’hôpital et tu te mettais sur ton ordi à la
recherche des meilleures méthodes pour que ton frère soit accepté dans l’université
de ses rêves. C’est parce qu’il a intégré ce programme que ton frère vit une
vie limite phénoménale à son jeune âge. Ils sont combien à vivre comme lui ? Ils sont combien à pouvoir gérer deux loyers sur
deux continents différents ? C’est
parce qu’il est à ce niveau que Snam et Solim ne s’inquiètent de rien ici. On
est d’accord que tu n’as pas fait ton frère. Il s’est débrouillé pour réussir,
mais on ne va pas cacher le fait que tu l’as aidé à se positionner sur le
chemin. Snam, je ne la connais pas super bien, mais s’il y a une chose que je
sais, c’est que Mally est loin d’être ingrat. La Snam qui est aux petits soins
avec nous, ne m’a pas l’air de l’être aussi, et si elle devait le devenir à l’avenir,
tu sais où me trouver. Tu sais très bien, que rappeler aux gens la réalité, c’est
mon passe-temps favori, ironique pour quelqu’un comme moi qui ne demande pas la
permission pour rêver, tu me diras, mais on ne choisit pas son caractère. On le
travaille seulement. Bref, je m’éloigne du sujet.
– Effectivement,
je dis avec un sourire, tout en nettoyant mon visage avec ma main.
– Si on ne peut
pas être vulnérable avec ceux qui nous aiment, dis-moi un peu, où va ce monde ? Hein ? Si on
ne peut pas compter sur eux pour nous couvrir, qu’est-ce qu’il nous reste d’humain ? Je suis d’accord que tu perds de l’argent en
travaillant à Nairobi, mais tu gagnes en paix. Tu gagnes de la motivation. C’est
ce dont tu as besoin actuellement. Lorsque tu te sentiras prête à retourner aux
États-Unis, les emplois seront prêts pour toi. Tu es médecin, et tu as étudié
là-bas. Tu peux te détendre. Le chômage ne peut rien contre toi. Toi et moi on
sait que tu rends déjà tes parents fiers. Même si c’est la salive que tu craches,
ton papounet dira que personne ne crache comme toi.
– Laisse mon papounet,
je dis en rigolant.
– Haaa, tu ne sais
pas comment le type me tensionnait avec ses remarques. Un petit coup, « tu es tellement intelligente mon étoile, j’ai l’impression
de me revoir en toi », entre
temps, tu lui as seulement dit que tu préférais du jus d’orange pressé à celui
en boîte. Romelio a une patience de fer pour l’avoir supporté pendant je ne
sais combien d’années, sans jamais mal prendre son excès de compliments sur
toi.
Je ne fais que
rigoler.
– Je dois parler
de maman et papa Eli ?
– Non.
– Alors ? Le petit cœur est calmé ?
Je bouge vers son siège
et l’enlace avec ardeur.
– Doucement hein,
je ne m’égosille pas pour des câlins, tu devras me supporter dans toute ma
splendeur lorsque je vivrai bientôt mon conte de fées.
– Lol, ai-je
réellement le choix, surtout que le conte de fées a commencé hier, il semble.
– Arrête de
forcer, je t’ai dit que l’histoire avec tonton c-doux, c’est toi qui vas l’écrire.
En plus, j’ai un dossier épineux en cours.
– Un dossier ? Pourquoi je sens une combine étrange en
dessous ? je demande après avoir démarré.
– Tu te rappelles
du type qui a fait passer sa femme pour sa sœur ? Je compte lui donner une bonne leçon.
-Océane__
– Il va comprendre
qu’il s’est frotté à la mauvaise herbe.
– En général
quand on essaie de montrer un truc, ça ne finit pas bien.
– Laisse-moi avec
ton pessimisme. Il ne me peut rien.
– Pas qu’il te
peut quelque chose, mais que tu te retrouves piégée dans ton propre plan. Il est
marié, ne l’oublie pas.
– T’en fais pas, je
ne compte pas lui ouvrir mes cuisses. Celui qui ouvrira quelque chose c’est
lui, et le plan c’est qu’il vide sa bourse. Sa hein, pas ses bourses.
Le ton malicieux sur
lequel elle l’a dit m’indique qu’elle est si loin dans son projet que je ne
peux plus l’atteindre. Il ne me reste plus qu’à prier que ça ne finisse pas
mal. Le soir, ma sœur débarque avec une excellente nouvelle. « La connasse qui croyait faire son intéressante avec
son e-mail a subi un interrogatoire musclé à la suite duquel, elle était
incapable de pointer ce qu’elle ne comprenait pas dans sa formation ». Ce sont les mots de ma sœur, qui pour sa
part est sortie de son entretien avec des encouragements. Maintenant qu’elle
parle, je me rends compte qu’hier, elle était quand même nerveuse, mais elle a
réussi à le masquer, ou du moins le mettre de côté l’espace d’un instant. Elle
et Snam ont sauté de joie quand je leur ai annoncé mon intention de
potentiellement m’installer ici. J’ai bien dit potentiellement, mais elles
étaient loin dans leurs prédictions, chacune me dressant les raisons pour
lesquelles je devais vivre chez elle. Ça m’a étonné et ému, je l’avoue. À force
de bavarder, Dara n’a pas vu le temps passer et c’est avec une petite voix qu’elle
a répondu au coup de fil de Marley.
– OK, oui, je
rentchre bientchôt, elle chuchote et raccroche. Au faitche, pourquoi je lui parle
avec une petchite voix alors que c’est lui le vilain dans l’histchoire actchuellement ?
– Tu demandes à
qui ? Océane rigole avant de l’imiter
vomissant hier.
Celle qui a dit qu’elle
rentre bientôt s’est lancée dans une course avec mon amie puis Snam qui l’avait
également imité. Dans la foulée, Solim qui croyait que c’était l’heure du jeu a
essayé de faire quelques pas, mais il s’est retrouvé les fesses au sol. Sept
mois, il veut aller où ce petit, c’est ce que je me demande.
Le lendemain, la seconde
chose que j’ai faite après ma prière, c’est de parler à Mally de mon projet.
– Donc si je te suis,
après m’avoir fait rêver d’une vie à deux, tu me largues comme une vieille chaussette ?
– Rien n’est
décidé, je commence. Je n’ai pas encore touché à mon__
– Relax Elie, je
t’emmerde, il m’interrompt avec un sourire. Tu veux que j’aille quand à Springs
pour libérer ton appart ?
-Je__, je vais commencer
mes recherches en premier et quand je trouverais un truc, je t’en parlerai.
– OK, tu auras
besoin de thune d’ici que tu te trouves un truc ?
– Non, j’ai mes
économies.
– OK, si ça
change, tu me dis.
– Merci, je dis
émue.
– Always. Et puis,
tu me gardes un œil sur mon bébé. Snam me parle de copines qu’il se fait quand elle
l’emmène dans les clubs là, je ne sais pas ce que les femmes trouvent de drôle
dans ça, mais tu dis bien aux mamans de ses gamines que mon garçon est encore
dans les couches. Qu’on me laisse l’enfant grandir en paix, il dit sur un ton
tellement sérieux qu’en fait j’y crois.
Je croyais que les
pères étaient protecteurs avec leurs filles, mais depuis qu’il est papa, Mally
nous sort des phases étonnantes. Comme on m’a confié une mission, je vais la
respecter non ? Est-ce
que j’ai le choix en tant que tante ? Le reste
de la journée, je cherche des emplois pendant qu’Océane me distrait avec son
bavardage, que non elle aimerait trop repousser son billet pour être témoin de
la prochaine confrontation entre la demi-portion et moi, parce qu’apparemment,
ce n’est pas le genre de choses qu’on raconte. J’ignore ce qu’elle attend
concrètement. Comme elle a entendu de Dara que Marley et le Cro-Magnon se sont parlé,
elle s’imagine qu’une suite est prévue. Le soir, Snam et moi allons la déposer
à l’aéroport. On se laisse avec des câlins et la promesse de se revoir en
décembre au mariage de Dara. Il me faudra justement étendre mes visas de 90 jours
supplémentaires parce que primo, je ne pense pas trouver rapidement du travail.
Je suis réaliste. Et secundo, c’est du gaspillage de retourner aux États-Unis alors
qu’il me faudra revenir ici en décembre. Je m’arrange avec Mally pour qu’il
ramène les robes que Dara a commandées, et le lendemain, je partage mon plan
avec les parents. Encore une fois, ils me font pleurer par leur soutien. Maman
oublie carrément que je suis l’aînée et Dara a une vie. Elle me dresse déjà
toute une liste de ce que Dara doit me faire faire, et insiste qu’on aille
découvrir les autres coins du Kenya dès que ma sœur aura des congés. Papa Eli veut
carrément que je me loue une maison pour être à l’aise, pourtant il y a la
chambre de Snam de dispo à l’appart des filles. Elle me convient amplement et
puisque Snam a réussi à me convaincre que je ferais une semaine sur deux chez
elle, je ne vois pas l’intérêt de me chercher un logement pour le moment. Mon
papounet est tellement optimiste qu’il m’annonce que je trouverai un emploi avant
la fin de septembre.
– Merci pour
tout, je ne te le dis pas souvent, mais merci, et j’espère que tu as bien
repris, j’envoie à Océane.
Ensuite, l’émotion aidant,
j’écris aussi à Romelio. Ça ne me semble pas juste d’avertir tout le monde et
le garder dans l’ombre. Je n’y suis pas habituée, même si je ne veux pas créer
des tensions dans son couple. J’essaie de trouver la formulation la plus
générique pour que ça n’énerve pas sa femme si jamais c’est elle qui le lit.
– Salut, je voulais
juste te saluer et te dire qu’il se peut que je m’installe pour un moment à
Nairobi. Bonne journée.
Il a répondu
tardivement. À un moment, je pensais qu’il ne le ferait même pas.
– Super, c’est
une bonne idée. Prends soin de toi et bonne journée aussi.
Une réponse qui ne me
permet pas de le relancer. Je sais que les gens voyaient en mal l’amitié garçon
fille parce que pour beaucoup, un homme et une femme ne peuvent pas se partager
des pensées intimes sans être tentés de partager aussi leurs corps. Toutefois,
je commence à croire que peut-être, certains la déconseillent parce que c’est
une relation naturellement compliquée une fois qu’on est adultes ? Parce que Dieu m’est témoin que tout était si
simple entre nous quand nous étions jeunes. Ou l’amitié doit s’arrêter sur les
bancs ?
***Romelio Bemba***
Je l’ai lu très tôt
son message. Dès que j’ai vu son nom sur son écran, je n’ai pas résisté. J’ai
écrit plusieurs réponses avant de les effacer et choisir celle-là. C’était la
seule qui respectait le désir qu’elle m’a formulé à notre dernière rencontre
alors je me suis contenté de ça. Je vis beaucoup récemment, mais étrangement, je
n’ai pas envie d’en parler. Je veux simplement m’en sortir et mettre tout ça
derrière moi.
Nous avons atterri
hier à Lomé, et Hadassah somnolait déjà du coup, je n’ai pas vraiment eu le
temps de la présenter à Arthur chez qui nous logeons. L’état de ma maison ne m’encourage
pas à l’y conduire pour le moment. Je ne veux pas qu’elle s’en plaigne à Stella
et que ça me disqualifie. Chez Arthur au moins, elle a le confort de base. Il a
pris son temps pour construire sa maison, mon bandit. Elle n’est pas espacée,
mais très bien emménagée. Quand tu vois l’intérieur, tu sens que tu es chez un
architecte. Il a optimisé son quart de lot au point d’avoir un petit jardin,
deux places de garages et deux portails sur sa maison. Tu entres par l’avant
comme par l’arrière. Monsieur est chaud pour sa future famille, ce qui fait
chaud au cœur. Je m’attendais à ce que Hadassah souffre du décalage horaire,
mais elle était toujours couchée à mon réveil. Arthur et moi avons fini la
prière avant que j’aille la réveiller. Je lui montre comment utiliser la douche
et lui donne de l’intimité par la suite.
***Hadassah Muamini***
Je sors de la chambre
d’un pas hésitant, et cherche des yeux le type d’hier. C’est la faute d’Estelle
si je me retrouve dans cette galère et lorsque je m’en sortirai, je vais lui rompre
le cou. Je toussote, espérant que quelqu’un m’entende, mais on ne répond pas.
Qu’est-ce que je dis ?
Romelio ? Ou monsieur ? Monsieur c’est mieux, je pense. On se connaît
pas de toute façon.
– Euh, monsieur ? je m’essaie à nouveau.
J’entends enfin du
bruit venir d’une chambre sur ma droite. La porte s’ouvre, mais c’est un autre
homme qui en sort.
– Tu es enfin
debout ?
Je soulève un sourcil
inquisiteur. Je suis debout comme il voit non ? Il est qui lui ?
– Je suis Arthur,
ton oncle.
– Il est où le
monsieur d’hier ?
-Ah__oh, tu veux parle
du chef ? Il est allé t’acheter
des baguettes pour le petit déjeuner. Allez suis-moi, je vais te montrer un peu
les alentours.
– Euh non merci,
je réponds suspicieuse.
Je ne le connais pas
et la dernière chose que je veux c’est d’être embarquée par un autre type
chelou qui me sourit sans aucune raison.
– Si jamais tu
changes d’avis, fais-le-moi savoir, il dit et s’éloigne.
Je ne vais pas non
plus rester dans ce couloir comme un piquet donc je me décide à le rejoindre
après un moment. Il est à table et mange copieusement, ce qui ressemble à du
riz ? Des haricots ? Un mélange des deux et à côté du spaghetti ? Le mélange est non seulement bizarre, mais en
plus il a des tranches d’avocat à côté. Genre dans le même plat.
– Ça n’en a pas l’air,
mais je t’assure que c’est divin, il m’annonce sans que je lui demande.
– Si tu le dis, je
réponds peu convaincue.
– Sinon je suis
architecte.
– OK ? je réplique confuse.
– Je me présente,
puisqu’on ne se connaît pas. Tu connais déjà mon prénom. Le nom de famille c’est
Sodji.
– D’accord.
– Alors qu’est-ce
que tu dis de beau ?
Raconte-moi un truc sur toi.
– Bah, je sais
pas, je lui retourne interloquée. Pourquoi il est super bavard lui ?
– Comment ça tu
sais pas ? Tu ne sais pas par où commencer?
– J’ai rien à
dire.
– Une fille aux
cheveux colorés et godasses immenses aux pieds ? Je ne l’achète pas, il me renvoie et sur le
coup je ne sais pas quoi dire. Je ne m’attendais pas à ce qu’il réponde. En général,
les gens captent quand on ne veut pas leur parler non ? Mon ventre choisit cet instant pour gargouiller,
mais j’ai de la chance. Son téléphone sur la table se met à vibrer.
– Je reviens. Ne
te gêne pas pour manger si tu as faim. Mi casa tu casa machin machin, il ajoute
et s’éloigne tout en décrochant.
Ce qui me paraissait étrange
me fait saliver maintenant que mon ventre se sent vide. J’essaie de résister,
mais je finis par flancher et cours me chercher une cuillère dans la cuisine à
côté. Mon intention c’était de manger juste une cuillère. Je goutte timidement
et me surprends à aimer. Je goutte à nouveau ce qui ressemble à de la viande et
j’apprécie vraiment, juste que la viande ne veut pas céder sous la force de mes
dents. J’essaie de la couper, pour en manger un morceau, mais impossible et il
choisit ce moment pour revenir. Obligée, je m’assois, la bouche pleine de
viande, la cuillère cachée et tête baissée pour que mes cheveux cachent ma face.
– Une souris est
passée dans le coin, il ironise, mais je refuse de répondre.
Ce fut une torture, mais
il se lève à nouveau après quelques minutes. J’avale la viande, cours me chercher
de l’eau et le trouve en compagnie à mon retour. Des personnes âgées sont avec
lui.
– Romelio ne sera
pas content, il dit en me fixant.
– On va le gérer
plus tard. Ma petite fille, ça va ? la
dame me demande d’une voix tremblante.
Je hoche la tête, ne
sachant comment me comporter, surtout que le vieux a l’air d’être au bord des
larmes et parle une langue qui m’est inconnue.
– Je suis Essohana,
ta mamie. Tu peux m’appeler mamie Hana.
– Et moi
Auxanges, ton papi. Papi Anges ça me va.
Je hoche à nouveau la
tête. Enfin une tête familière apparaît dans mon champ de mire. C’est le
monsieur d’hier et effectivement il n’a pas l’air content quand il voit les
personnes âgées. Il demande que j’aille dans ma chambre, ce que je me dépêche
de faire. J’y reste et j’écris à maman qui m’appelle.
– Ma pupuce, qu’est-ce
que tu fais debout ?
– C’est le lundi
maman. Qu’est-ce que je dois faire sinon ?
– Euh c’est vrai.
Alors, comment ça va ? Tu as
bien dormi ? Ta chambre était
confortable ?
– Ouais, c’est plus
grand ici qu’en France. En plus j’ai une douche pour moi.
– C’est normal,
la vie est moins chère là-bas. Qu’est-ce que tu as mangé ?
– Des céréales,
je lui réponds. Je vais probablement en avoir tout à l’heure, pas la peine de l’alarmer.
– OK, c’est
super. Tu me manques trop.
– Toi aussi. Papa,
il est de retour ?
– Euh oui, tu lui
manques également. Il voulait te parler, mais tu sais, il se sent mal.
– D’accord.
– Il te fera
signe bientôt, elle s’essaie sur un ton qui ne convainc qu’elle seule.
On cogne à la porte alors
j’écourte la conversation avec elle.
– Tu m’écris au
cours de la journée s’il te plaît. Je t’aime.
– Promis. Je t’aime.
Je raccroche sur ça,
et j’ouvre la porte.
– Désolée, j’étais
avec maman.
– OK, tu as fini
avec elle ou tu veux continuer ?
– Non, c’est fini.
Il demande que je le
suive et me fait le petit déjeuner. C’est un peu bizarre, parce que je sais mettre
de la confiture dans du pain et chauffer du lait, mais il a commencé à le faire
quand je lui ai confirmé que ça me convenait, du coup je l’ai laissé faire. Arthur
l’architecte n’est pas dans les parages. Idem pour les vieux. Il n’y a que nous
deux à table, baignant dans un silence un peu dérangeant, parce que je me sens
observée pendant que je mange. Gênée, je tire sur les manches de mon haut pour
cacher mes poignets. Je débarrasse une fois mon petit-déj dans le ventre et il
m’indique de me rasseoir à table.
– Je ne vais pas
tourner autour du pot. Je sais que je ne suis pas ta personne favorite
actuellement. On ne se connaît pas, et tu dois te poser plein de questions auxquelles
j’aurais préféré répondre graduellement. Mais voilà, les circonstances nous ont
fourrés ensemble. Je n’ai pas d’enfant en dehors de toi. En réalité, je n’ai eu
que des cousines en grandissant. J’aime les enfants, mais je n’ai jamais vécu
avec un, alors on va devoir coopérer sur ce coup. Je ne suis pas là pour te
pourrir la vie, loin de là. Mon désir c’est qu’on apprenne à se connaître et on
le fera naturellement, mais en attendant qu’on se familiarise, on va peut-être
se prendre la tête. La seule façon de rendre cette cohabitation agréable pour chacun,
c’est qu’on soit honnête l’un envers l’autre. Tu me suis jusque-là ?
– Oui.
– J’aurais aimé te
mettre dans mon ancien collège sinon un où je connais du monde, pour te confier
officiellement à quelqu’un, seulement je n’ai pas fait le programme français. J’ai
opté pour un bon choix selon les recommandations d’Arthur que tu as rencontré ce
matin. Ici, la vie est un peu différente. Je serais là pour te guider, mais il
te faudra t’adapter un petit peu à nous coutumes. À l’école, tu recevras le règlement
intérieur. Il faudra t’efforcer de le respecter et n’hésite surtout pas à venir
vers moi si tu as des incompréhensions, tu sens qu’on t’embête, si tu ne te
sens pas bien encadrée, bref quel que soit ce qui t’arrive à l’école, sens-toi
libre de m’en parler. Tant que tu es honnête avec moi, je serais toujours dans
ton camp. On est toujours sur la même longueur d’onde ?
– Oui.
– Bien. Tu as des
questions ?
– Je prends quel
bus pour me rendre à l’école ?
– Je vais t’y
conduire dès qu’on finira cette conversation, il dit avec un sourire.
Comme convenu, on se
met en route environ vingt minutes plus tard. C’est le frère qui nous conduisait.
En plus, il m’a fait une boîte à repas, insistant que c’est au cas où la bouffe
à la cantine ne me convient pas. C’est également lui qui m’a remis quelques
cahiers et stylos pour cette journée, ajoutant qu’on fera les courses pour mes
fournitures bientôt. Sur mes jambes, j’ai un second téléphone avec lequel je me
familiarise. C’est le monsieur qui me l’a remis, en m’expliquant qu’il y a mis
une puce de Lomé. Je peux l’appeler directement dessus et j’ai le droit de
joindre Arthur ainsi que maman. J’ai le droit de le faire quand je veux.
– Allez, nous y
voilà, Arthur annonce.
Je lève les yeux à la
recherche d’une école, mais je ne vois qu’un immeuble de haut standing et sur
sa façade, le nom « Davidson
Nicol’s » est mis en relief. Deux
drapeaux qui me sont inconnus trônent également sur la face. Je descends
timidement et j’accroche mon sac à mon épaule. Je n’ai jamais vu autant de grosses
voitures dans un lieu de ma vie entière.
– Tout va bien se
passer, le monsieur me dit après m’avoir pris la main.
Pour la première fois
depuis notre rencontre, je suis soulagée qu’il soit là. Lui et Arthur me conduisent
à l’intérieur puis ma classe quand on la trouve enfin. Il me réitère notre
entente de ce matin. Je lui écris si j’ai un problème. À un moment, j’ai même l’impression
qu’il ne veut pas s’en aller et honnêtement, je ne le voulais pas, mais le son
de cloche nous a ramenés à la réalité. C’est à contrecœur qu’il m’a laissé et j’ai
rejoint le reste de l’école au vaste rez-de-chaussée.
– C’est quoi le
look ? Tornade ? j’entends d’une voix masculine alors que je
me plaçais simplement dans le rang comme les autres.
– C’est quoi le
nom ? Ducon ? je lui retourne avant de fixer l’intervenant
en avant.
– Lol, le nom c’est
Jérémie Ekoue. Tu t’en souviendras Tornade.
Ducon, c’est ce que j’enregistre.