
140: Home is where the heart is
Write by Gioia
***Cédric Yafeu Asamoah***
Finalement, le Kenya a
pris tous mes enfants, commente joyeusement la mère d’Elikem quand nous faisons
notre entrée chez sa belle-sœur Snam.
— Désolée, je
suis rentrée tard de la clinique, s’excuse Elikem pendant que je donne à son
frère les bouteilles de vin qu’on a apporté.
— Après un shift
de 14 heures hier? Vous êtes en pénurie de personnel actuellement?
l’interroge son père.
— Non hein
pourtant. Va savoir ce qui se passe dans l’administration.
— Mais tu as
quand même signalé au gestionnaire que tu ne cesses d’enchaîner des longues
journées sans arrêt depuis la fin d’octobre? Ce n’est pas normal d’être à 14 h
jours par semaine et on ne te laisse même pas tes weekends, continue sa mère.
— Il m’a rappelé
que selon le Code du travail kenyan, chaque travailleur a droit à 24 h de
repos par semaine et ils respectent ça donc il ne peut rien changer pour
l’instant, elle répond sur un ton las.
— La bonne
blague, comme si le code togolais ne fixait pas les mêmes règles, pourtant
l’hôpital offre au moins la nourriture au personnel qui travaille les
week-ends.
— Tu as dit
hôpital AELI maman, est-ce que la clinique où je suis a le même mode de
fonctionnement ou met l’emphase sur la qualité de vie de ses employés?
— Je suspecte que
la direction l’hôpital la fait travailler pour compenser les différents voyages
qu’elle a faits depuis son entrée en service, je leur explique.
— Et pourquoi ils
te punissent maintenant alors qu’ils avaient approuvé tes deux absences? En
plus on parle d’absences de moins d’une semaine.
— Parlons d’autre
chose s’il vous plaît. Maléki n’aime pas cette ambiance stressante, elle répond
sur un ton plus léger et me fait sourire avec la voix de bébé dans laquelle
elle parle au nouveau-né que lui donne sa mère.
Dix jours plus tôt,
Snam a accouché d’un autre garçon qu’ils ont nommé King Maléki. Le second
prénom d’origine Kabyè a réaffirmé à Elikem qu’on aura probablement un garçon
comme premier enfant. Maléki et Malike selon elle, c’est écrit comme Jonathan
et David dans la bible, ce sont des futurs meilleurs amis. Elle le sent, elle
le sait et de toute façon, vu qu’on lui a toujours reproché son manque de
douceur, elle ne s’est jamais projetée comme une maman de filles. J’avoue quand
même que ça m’amuserait de voir si notre fils sera aussi confus que Solim qui
selon les rumeurs s’excitait facilement en ma présence parce qu’il me prenait
pour un parent à son père. L’unique inquiétude que j’ai, c’est qu’elle doive subir
ce rythme de travail pénible lorsqu’elle sera enceinte. Elikem est une femme très
carrée sur certains sujets. Je sais déjà qu’elle n’acceptera jamais de laisser
son emploi pour ma tranquillité d’esprit, seulement je suis aussi et peut-être
plus carré qu’elle. J’attends simplement qu’on arrive à concevoir ce bébé pour
avancer mes pions.
Marley et Dara sont
les derniers arrivants. Pendant que j’ouvre deux bouteilles de vin, Snam,
Elikem et Mally finissent de dresser la table. Nous prenons place, Mr Eli
rend grâce pour le repas et les hostilités sont ouvertes.
— Votre attention
s’il vous plaît, le repas ne va pas pousser des pieds et fuir de la table, dit
Mally en se levant une coupe à la main suivie de sa femme.
— Snam, tu ne
veux pas vivre hein. Trois enfants en bas de trois? lance Mme Belle.
— Tu ne pouvais
pas t’en empêcher hein, rétorque son fils tandis que Snam se plaint de nos
rires.
— Je sais que vous
prenez votre mission abrahamique au sérieux, sa mère continue à se gausser d’eux.
— Bref, vous avez
devant vous le nouveau résident de Nairobi.
— Pour trois mois
du moins, ajoute Snam avec un immense sourire.
— Nouveau rédjident?
Dara interloquée reprend.
— J’ai réussi à
convaincre mon employeur qu’on essaie le télétravail pendant trois mois, il
annonce sur un ton triomphateur.
La surprise se lit sur
tous les visages.
— Télétravail en
animation? Elikem l’interroge déconcertée.
— Je l’ai fait
quelques fois quand j’étais là en juillet histoire de lui montrer que c’était
possible.
— Mais attends,
comment tu vas gérer le décalage horaire? C’est une chose de le faire quelques
fois, mais trois mois? continue sa mère.
— Bah ça
fonctionne plutôt bien avec le décalage horaire. Nairobi a dix heures d’avance
sur Seattle, donc je travaillerai essentiellement de nuit ici. Genre je
commence mes journées à 18 h de Nairobi et finirai entre 2 h ou 3 h
à moins qu’on ait des meetings prévus en dehors des heures régulières. Rien de
nouveau pour moi, puisque je travaillais de nuit à mon premier poste.
— Et en journée,
il pourra dormir tranquillement comme Solim sera à la garderie et nous avons
prévu de prendre une nanny dans un mois pour qu’elle s’habitue à Kiki (Maléki) d’ici
que je reprenne le travail, ajoute Snam.
— Ça nous aurait
coûté plus de faire venir Snam et les enfants à Washington. Même si le coût de
vie est plus abordable à Redmond que Seattle et je suis satisfait de mon
salaire, ça reste l’état de Washington quoi. En plus, il aurait probablement
fallu que Snam reprenne ses études pour augmenter ses chances d’avoir un emploi
bien rémunéré, Mally continue l’explication.
— Et même si je
me forçais à le faire, on aurait dû dépenser pour mon retour aux études, alors
qu’ici je travaille déjà donc on contribue ensemble aux charges. Je n’ai pas
envie de perdre un revenu pour retourner sur les bancs. Ce sont les paramètres
qui nous ont poussés à mettre de côté l’option de Seattle pour Nairobi. Qu’est-ce
que vous en pensez? On a fait une bêtise?
— Vous avez
intérêt à dire non même si vous pensez le contraire.
— Enfin Mally, le
gronde légèrement sa femme, mais ça se voit que les deux sont stressés par les
réactions de leurs proches.
— Je ne dirais
pas que c’est une mauvaise décision, mais ça sera un challenge, commence
Elikem.
— Ouais. Quelques
djours c’est pas la même chose que tchrois mois d’affilée. Moi je crains plus
qu’ils soient moins tolérants et pour une petchite erreur ou je sais pas moi,
un souci de connexion qui t’empêche d’être disponible pour le tchravail, on te
renvoie, leur explique Dara.
— Bon déjà, on a
pris en compte le facteur internet dès le début. Dieu merci, l’internet à
Nairobi est vraiment fluide pour ce qu’on paie.
— Pour les appels
vidéo, se faire un film et les trucs simples oui, mais animer tes films là? I don’t know Mally, I don’t know,
réplique Dara perplexe.
— Lol, après je
ne sais combien d’années tu insistes que je….,puisqu’on est sur le sujet, Snam,
tu peux expliquer ce que je fais comme boulot à moins que…,dit Mally avec
humour, mais il se fait interrompre par sa femme.
— Concepteur de
storyboard, membre de l’équipe pré production, il traduit le script d’un
réalisateur en images, planches et panels grâce à des logiciels 2D et parfois
des 3D dépendant du jeu sur lequel l’équipe travaille.
— No way,
s’exclame le petit Solim qui nous arrache un rire à cause du timing.
— Mon respect est
où petit chenapan? réplique sa mère avec humour avant de lui remettre la
cuillère qu’il avait fait valser en criant son « no way ».
— Comprenez le pauvre,
on n’espérait plus ce jour, vu le nombre incalculable de fois que Snam se
trompait sur ce que je fais en dépit de mes explications, Mally rigole tout en
câlinant la tête de son garçon.
— Comme si tu
arrivais à expliquer ce que je fais moi, Snam lui retourne en le regardant de
travers.
— Hors sujet.
— C’est ça!
— Bref, je ne
travaille pas derrière les caméras comme certains parmi vous dont je tais le
nom aiment raconter, il dit, mais tousse exagérément et prononce les prénoms de
sa mère et Dara puis continue. J’ai des tablettes et logiciels spécialisés pour
mon travail. La majorité de ce que je fais, c’est lire et décortiquer les
scripts, dessiner, corriger, m’accorder avec les responsables des autres
scènes, suggérer des idées au réalisateur et répéter le processus jusqu’à ce
que le storyboard soit approuvé puis je le transmets à la prod. Comme on a
droit au temps personnel illimité, nous avons techniquement le droit de prendre
autant de temps libre que nécessaire tant que ça n’affecte pas notre travail.
Un de mes collègues s’est installé au Mexique depuis près de huit mois, c’est
même son exemple qui m’a convaincu de me lancer, mais comme j’ai mentionné que
j’allais en Afrique, leurs têtes dures d’Américains là ont commencé à me sortir
des inconvénients, donc j’ai opté pour trois mois comme compromis pour un
début.
— Notre espoir
c’est qu’ils lui accordent six mois d’ici l’an prochain, ajoute Snam.
— Ce n’est pas
pour rien que je m’impliquais partout dans l’équipe au point de faire des 12 h
de travail sans demandé un sou de plus l’an dernier. Je voulais me rendre
indispensable pour qu’ils aient du mal à refuser mes demandes, mais dans
l’éventualité où ça ne fonctionne pas, on considère aussi la ville de cœur de
Marley comme terre d’accueil dans trois à cinq ans.
L’amoureux de Cape
Town sourit grandement. Je ne suis pas étonné qu’il en ait fait la pub. Il a
même gardé son appartement six mois après s’être installé à Nairobi sous
prétexte qu’il ne se voyait pas faire plus d’un an ailleurs, puis la vie l’a
surpris.
— Ton père a
réussi à te communiquer son aversion de la vie aux États-Unis hein, rigole la
mère d’Elikem.
— Il y a quoi à
aimer su un pays où l’argent pousse des ailes pour fuir de ton compte dès qu’il
y entre, il réplique et nous fait marrer. Depuis un moment, je ne me sentais
plus à ma place là-bas, il continue sur un ton plus sérieux. Je n’ai jamais
détesté mon emploi, mais durant la grossesse de Maléki, je devais me forcer
pour m’impliquer à fond parce que mon cœur ne désirait qu’une chose, être à la
maison près des miens. C’est ici que je me sens en paix, à tes côtés, il dit et
s’abaisse pour embrasser sa femme qui pose la main sur sa poitrine sous le
regard ému des leurs.
— En plus, contrairement
aux États-Unis, ici, je ne risque pas de retrouver ma tête au journal du soir
avec le label de thug pour avoir terrorisé un garnement qui aurait osé rire de
l’aspect physique de Maléki, il reprend sur un ton plus léger.
— Tchu viens me
chercher si quelqu’un rit de son piebaldjisme, l’appuie Dara.
— Des vieux comme
vous? Solim va apprendre quoi? leur demande leur mère.
— À défendre ceux
qu’on aime, renchérit Mally avant d’effleurer tendrement la marque blanche qui zèbre
une petite partie du front de son fils et finit sur une petite mèche blanche
dans ses cheveux. En dehors de cette marque qui lui vient de sa mère, je trouve
déjà qu’il est la copie de son père, du teint noir jusqu’à la forme du nez,
tandis que son frère aîné tient totalement de sa mère sans la marque.
Ayant peut-être
compris que je pensais à lui, Solim dans son mince vocabulaire essaie de
prononcer Maléki et se cache la face couverte de sauce sur le bras d’Elikem
quand il se sent observé. Snam sermonne le petit concernant la tenue de sa
tante qu’il vient de salir, mais Elikem amusée fait semblant de lui bouffer la
joue, déclenchant l’hilarité du petit.
— La conversation
a trop duré pour le bourgeois et vous ne l’incluez même pas dedans, se moque
son grand-père.
— Je te dis. Les
grands bavardent tellement que tu as été obligé de finir ton repas tout seul
hein mon chou, on a compris, renchérit sa grand-mère.
— Unlimited PTO
ça sonne comme le rêve sur le papier, mais le piège c’est que les employeurs
sont très regardants sur la qualité de ton travail, donc la seule chose que je
te dirai c’est de t’appliquer davantage, dit son père. On sait tous qu’un
employeur peut choisir n’importe quelle raison pour se défaire de toi s’il le
veut, mais ne lui donne pas la facilité de trouver un motif. Travailler de la
maison ne doit pas être une excuse pour roucouler à tout va.
— Et surtout pas
se déshabiller n’importe comment.
— Les enfants
maman! la réprimande Dara.
— Les enfants que
tu vois ici ont votre temps? réplique leur mère avec humour.
— Laisse. Belle
ne peut pas être elle si elle ne me nargue pas, rétorque Mally en lui lançant
un mauvais regard.
— Elle a raison,
reprend leur père sur un ton sérieux. C’est la première fois que vous ferez
autant de temps ensemble. C’est facile de s’emporter, remettre les choses à
demain et vivre comme si le temps était une notion négligeable. Je ne
sous-entends pas que tu dois te tuer à la tâche, rester enfermé dans ton bureau
ou te sentir coupable si jamais il t’arrive de repousser ton heure de réveil de
trente minutes. Tu es là aussi pour être proche des tiens, mais garde en tête
que tu as toujours des responsabilités. Faites un emploi du temps et
efforcez-vous de le respecter.
— Et si jamais
vous avez du mal à le respecter, communiquez. Ne laissez pas la frustration
s’installer. Travaillez ensemble pour tirer le maximum de ce temps ensemble,
c’est mon dernier mot, conclut leur mère.
— Merci pour vos
conseils, leur dit Snam sur un ton soulagé.
On trinque sur cette
phrase et c’est le moment des félicitations. Les discussions vont bon train
pendant qu’on mange. Il nous explique qu’il s’était pris depuis un moment un
coloc avec qui il partage le loyer, histoire d’économiser ses dépenses. Il
considère aussi l’option de sous-louer sa chambre (céder son bail sans contrat
pour une durée déterminée) si jamais il trouve un preneur. Ils nous annoncent
aussi qu’ils prévoient se marier d’ici la fin de novembre. Les exclamations de
surprise fusent de partout.
— Et vous
attendez qu’on arrive pour nous informer alors que j’aurais pu vous apporter le
nécessaire de Lomé? se plaint leur mère.
— C’est justement
pour t’empêcher d’en faire une tonne que j’ai forcé celle-ci à te le cacher,
répond Mally. On ne veut rien d’extra. Cérémonie civile simple et une soirée au
resto. Le plus important c’est de vous avoir avec nous.
— Tu approuves ça
Snam? l’interroge la maman.
— Oui, elle
confirme. On veut juste régulariser puisqu’on attendait que papa et maman
rentrent de croisière.
Comme les parents
d’Elikem rentreront dans trois semaines, la mère s’attaque aussitôt aux
préparatifs bloc-notes à la main. Nous quittons nos hôtes un peu avant 22 h
et dès qu’on démarre, Elikem reçoit un appel de sa sœur qu’elle prend sur Bluetooth.
— On a oublié
quelque chose?
— Non, on vient
de partchir aussi. Avec Marley on se djisait qu’on pourrait faire quelque chose
de bien pour Mally et Snam. C’est vrai que Snam n’a jamais étché une meuf à
cheval sur l’aspect de son mariadje, mais je pense qu’ils choisissent la
cérémonie simple pour économiser. Tchu en penses quoi?
— On sait que si
Mally avait les moyens, il aurait fait un destination wedding, c’est ce dont il
m’a parlé quand ils venaient juste de célébrer la dot.
— Qu’est-ce qu’on
peut faire alors?
— Je ne peux investir
que 2000 USD dans quelque chose actu, donc ça sera compliqué pour un
destination wedding.
— C’est tchrop
tard pour ça de tchoute façon, mais Marley proposait un petit getaway ici au
Kenya? Genre, ils pensent qu’on va au resto, mais on ira dans un resort pour
une journée? C’est quoi notchre budget baby?
— Dans deux
semaines, on peut faire l’équivalent de 1500 USD, intervient Marley.
— C’est on ne
peut plus parfait alors, confirme Elikem ravie. Vous pouvez m’envoyer la liste
des resorts que vous avez en tête comme ça je prends les infos.
— Avec ton rythme
de travail actuel, c’est mieux que je m’en charge, lui explique Marley. Je vais
m’y mettre dès demain.
—Thank you baby, on
entend de Dara après qu’Elikem ait remercié Marley.
— Vous pouvez me
laisser le déplacement, j’interviens. Donnez-moi une liste des invités qui
viendront d’ailleurs pour qu’on affrète le jet.
— Que quoi? elle
s’exclame au même moment que sa sœur crie « Han » sur la ligne. Je te
rappelle Dara.
— Euh…OK, djemain
alors, bye.
— Je t’ai dit que
c’est avec le jet de ma mère que j’ai réussi à arriver à temps à Lomé la
dernière fois, je lui rappelle.
— Mais monsieur,
tu viens de dire jet de ta mère. C’est le tien?
— Elle le partage
avec d’autres depuis son acquisition de toute façon.
— Comment ça?
—Le fly sharing? Tu
connais les vols semi-privés? En gros, des compagnies privées offrent la
possibilité à leurs membres de voyage en privé tout en partageant le jet avec
d’autres. Tu économises ton argent, tu évites les temps d’attente
interminables, la paperasse et parfois si les autres passagers ne sont pas trop
bruyants tu peux travailler jusqu’à l’arrivée.
— Tu veux me dire
que dans ce monde, le covoiturage en avion aussi existe?
— Il n’y a que
toi pour le présenter ainsi, mais oui, je dis amusé.
— Est-ce que je
risque de m’évanouir si tu me dis combien ce genre de service te coûte?
— Vu combien tu
es pingre oui.
— Imbécile, je
suis frugale, elle répond avec humour.
— La version
polie pour cacher ta difficulté à ouvrir ton portefeuille, je continue à
l’emmerder. De toute façon, je n’aime être dans les airs donc le moins de temps
que je fais en avion, le mieux je me porte. Le prix m’importe peu quand le vol
excède cinq heures.
— Nous autres, on
n’est pas CEO oh. On va trouver l’argent où même si on dit que c’est semi? Ça
nous dépasse.
— Ils voudraient
avoir combien de personnes?
— Tu nous gères?
— Les autres
passagers vont payer, je lui annonce et provoque un fou rire chez elle.
— Quels autres?
Ce sont tes cobayes?
— Depuis qu’elle
a son jet, ma mère voyage souvent avec des connaissances qui lui versent un
tarif pour le déplacement. Il me faudra les dates de départ et différents pays
pour que je lui demande, mais normalement elle ne refusera pas tant que les
tiens ne mentionnent pas qu’ils voyagent gratis.
— Attends, c’est
une offre sérieuse? elle s’étonne encore. Qu’est-ce que tu cherches chez moi
monsieur? Cette avalanche de gentillesse ne te ressemble pas.
— C’est toi qui
aimes me coller l’étiquette du méchant, sinon je suis un mec sympa.
— Ouais ouais, à
d’autres. Tu me dis ce que tu attends de moi ou pas?
— Tu arrêtes de
travailler dès que tu seras enceinte, j’introduis ma demande et poursuis
l’explication avant qu’elle saute sur ma gueule avec un « jamais de la
vie ». Je ne veux pas que tu sois dans des conditions qui te compliqueront
la tâche. Mon idée, c’est qu’on s’installe directement au Ghana. Même si
l’entrevue que tu as passée la dernière fois n’a pas été concluante, je suis
confiant qu’on te trouvera quelque chose, mais je veux qu’on passe la première
année de la vie du bébé ensemble. C’est aussi pour ça que je ne compte plus
ouvrir le siège de ma compagnie ici. La lenteur et la paperasse m’épuisent.
J’en ai marre de faire Nairobi-Pretoria-Accra sans arrêt. Je vais simplement
ouvrir nos bureaux administratifs à Accra et laisser la manufacture ainsi que
le département de qualité en Afrique du Sud. C’est ce à quoi je pense depuis
peu. Ma famille est énorme et parfois je les trouve lourds, mais je
n’échangerai mon enfance pour rien au monde. Comme ton frère, je veux me sentir
à la maison et ce n’est pas ici à Nairobi. C’est au Ghana, avec toi et nos
futurs enfants, je conclus.
— Deux choses
avant de te répondre. Premièrement, tu n’as pas besoin de m’amadouer avec une
gentillesse accrue pour me demander ce que tu juges d’important pour toi.
— La gentillesse
accrue c’est pour t’encourager à accepter, je lui explique.
— Deuxièmement,
elle dit avec un sourire, je n’ai qu’une inquiétude concernant ton projet. Je
n’ai certes jamais été enceinte, mais de ce que je vois et j’entends auprès de
mes proches, neuf mois c’est long quand tu ne fais rien. Si tu rajoutes les six
mois que je compte prendre pour profiter de la maternité, je trouve ça long
comme période d’inactivité. Je n’ai pas accompli grand-chose sur ma liste de
projets donc me passer d’un salaire pendant plus d’un an, c’est un peu complexe
pour moi. Je veux pouvoir faire des petits cadeaux à ma famille comme la
contribution au mariage de mon frère. J’aimerais offrir un voyage à mon
papounet et ma tante Loussika pour ses 70 ans que j’ai complètement oubliés
parce que bref, tu connais mon histoire. C’est un projet que j’espérais
accomplir l’année prochaine, donc je ne peux pas me passer de revenu. Je ne
demande pas non plus que tu me finances. Ce que je préfère si possible, c’est
que tu m’offres un poste d’administration dans ta compagnie d’Accra ou
ailleurs, tant que c’est dans l’administration médicale. J’avoue que je ne suis
pas la plus compétente dans ce domaine. Ce que je sais de la gestion médicale
vient de mes observations et discussions avec papa Eli quand je vivais à Lomé.
J’en sais un peu par Romelio aussi, mais je préfère être honnête. Je suis
novice, mais prête à apprendre parce qu’un jour, j’espère ouvrir une clinique pédiatrique
en hémato-oncologie et immunologie. Je justifierais mon salaire si tu m’accordes
cette chance.
C’est moi qui suis
bouche bée. Comment elle a retourné mon idée à sa faveur et je me retrouve avec
une potentielle employée?
***Elikem Akueson***
La clinique refuse de
me rétablir un horaire humain, mais ça ne me touche plus parce que mon esprit
est à Nanyuki et au Ghana. Après de longues discussions et une entrevue de
trois étapes, dirigée par le chef de recrutement qui sera mon superviseur chez
Nyameba BME, j’ai reçu une offre comme assistante aux ressources humaines pour
un salaire surprenant, disons-le ainsi. Je suppose que Yafeu est passé par là,
même si je ne lui ai jamais parlé durant le processus d’entrevue. Il ne
l’évoquait même pas quand nous étions seuls et de toute façon, on s’est entendu
que chez Nyameba BME, je serais Elikem Akueson, une personne régulière et non
la petite-amie du CEO. Le 24 décembre, je vais gentiment déposer mon
préavis de démission et ils auront jusqu’au 24 janvier pour trouver une solution
qui leur convient.
Pour l’instant, je
file à l’aéroport pour récupérer les nombreuses surprises qui sont là pour les
parents de Solim et Maléki. Les trois semaines que mes parents ont faites ici
se sont écoulées rapidement à mon goût, mais c’est ainsi quand on a tout le
temps à faire. Comme nous avons souvent les mêmes idées, le lendemain de la
discussion avec ma sœur, c’est maman qui m’a contacté avec leur idée de
surprise. Nous pensions à un resort en bordure de mer au départ, mais c’est
Mukima house, un manoir en campagne qui l’a emporté dès que Marley nous a
transmis les photos. Nous allons séjourner dans ce manoir pittoresque entouré
d’une végétation dense avec une vue splendide du mont Kenya pour le week-end.
Comme chaque couple a décidé de participer, on s’est retrouvé à 500 USD
pour deux personnes au lieu des 2000 que je prévoyais donner. J’en ai donc
profité pour préparer un cadeau à Ida et Deno qui seront du voyage. Tonton
Magnim et tata Ciara ont rejoint la mère de Yafeu à Accra pour s’envoler vers Rennes
où ils ont laissé les autres passagers et pris le convoi européen. Macy, Aurore
ainsi qu’Ida et Deno, à qui j’ai proposé des places après que Yafeu m’ait
confirmé que sa mère nous donnait sept places. Ça ne pouvait pas mieux tomber
parce que j’ai dû me désister comme témoin du mariage du couple Ekim à cause de
la pression du boulot donc c’est la première fois que je vais les revoir depuis
qu’ils sont mari et femme. J’ai tellement hâte que je conduis imprudemment pour
me garer devant l’air b n b que le convoi européen a loué pour leur séjour.
— Jet quoi? Hian!
Le flex de ça! c’est avec ça qu’Aurore décide de m’accueillir.
— Pitié, ne me
dis pas que tu as sorti ton comportement là-bas.
— Est-ce qu’elle
pouvait en ma présence? rétorque Macy.
— Tu ne parles
pas de la dame sur son téléphone qui mentait fort durant le vol qu’elle a
bouclé un deal d’un milliard hein. C’est ma pauvre joie qui te dérangeait.
— Qui a menti
qu’elle a bouclé un deal d’un milliard? je leur demande curieuse.
Aurore éclate de rire
tandis que Macy se frappe la face. L’histoire qu’elles me racontent est si
cocasse que j’en oublie presque l’absence des autres invités.
— Vous avez
laissé Deno et Ida où? je demande une fois le four rire sous contrôle.
— Ce n’est pas
mieux de demander où ils nous ont laissés? Parce qu’ils nous ont abandonnés dès
notre arrivée pour se…
—Jesus! I
love your dick! Ida hurle avec ardeur
depuis la chambre.
La face d’Aurore
n’indique rien de bon. Elle ricane et se dirige vers l’endroit d’où prenait le
cri, mais Macy est plus rapide. Je la suis sans tarder. On soulève Aurore qui
nous crie de respecter son poids et nous sortons avec notre colis. Comme des
malades, on éclate de rire une fois dehors devant les regards curieux. Cette
Ida est la même qui me parle d’une voix angélique une heure plus tard quand on
les voit sortir de la chambre. Elle est la représentation du dicton qui stipule
que parfois les images ne collent pas avec les personnalités.
Le mariage a lieu
demain. Ce soir c’est la mise au point. Pour les mariés, ils n’auront que
quinze invités, Yafeu et moi, le couple Boulder, les parents, les parents
Wiyao, un collègue de Snam, deux parents et enfants de la garderie où va Solim
puis Hilda qui fut un sujet contentieux entre ma sœur et maman. On a décidé de
garder les parents hors de l’histoire avec Hilda. Moi-même j’ignore les tenants
et aboutissants de ce qui se passe entre les filles. Océane m’a brièvement
expliqué ce qu’elle pouvait et Dara m’a simplement dit qu’elle ne voulait plus
aborder le sujet Hilda. Pour maman, l’éloignement des filles résulte des
différents chemins qu’elles ont empruntés. Dara et Snam sont épouses et mère. Hilda
est seule, et comme la solitude a poussé Belle à m’avoir pour combler le vide,
elle a fait la leçon aux filles sur leurs responsabilités d’amies envers Hilda,
chose que ma sœur a mal prise. Bref, c’est Snam qui a tranché et choisi
d’inviter Hilda à la cérémonie civile.
Une fois que chacun
confirme qu’il a compris le plan, je rentre à mon appart où m’attend Yafeu comme
c’est le cas depuis notre retour de Lomé. Le pauvre était dégoûté de sa maison depuis
qu’il a connu les penchants de son frère, donc il s’est graduellement installé avec
moi avant de remettre sa maison sur le marché il y a un mois de ça. L’inconvénient
de cette cohabitation improvisée c’est que je dois me farcir ses caprices.
Maman se moque que c’est l’amour qui me dérange parce qu’elle ne voit pas où on
m’a obligé, mais soyons honnête, qui peut supporter d’entendre un ventre
gargouiller pendant des heures sans s’énerver? C’est la méthode que Yafeu utilise
pour m’obliger à lui préparer ce qu’il veut manger. Jusqu’à présent, je suis
choquée par la maîtrise digne des moines Shaolin que ce type a de lui-même. S’il
te dit qu’il veut manger du capitaine frit, sois certain qu’il n’acceptera rien
en dehors de ça. Tu peux lui apporter du merlan, il n’y touchera pas. Il ne
fera pas non plus de bruit. Il ne va juste pas manger, mais il s’occupera de
son travail. Tu le grondes, tu l’interroges, il répond avec le flegme
légendaire qui le caractérise, et comme mon imbécile de conscience s’inquiète
qu’il développe un ulcère à force, je finis par lui faire ce qu’il veut.
Pourtant, jamais je ne me suis projetée comme la femme qui céderait aux
caprices des gens. Dieu sait que je déteste déranger donc ça m’énerve quand les
gens ne se gênent pas pour me déranger. J’ai déjà dit qu’il ose dire,
« thank you honey » poliment quand je lui dépose furieusement son
repas sur la table? Bref, je me calme. Je n’ai pas abandonné. Un jour, on
réglera ce problème, mais en dehors de ça, je me sens si bien quand j’ouvre la
porte et j’entends sa voix grave en réunion avec ses employés, ou l’eau couler
signe qu’il est sous la douche, ou lorsqu’il lève sa tête avec ses lunettes sur
les yeux et me fait un clin d’œil pour flirter. Sa présence a transformé mon
petit appart en maison remplie de joie et j’ai hâte qu’on s’installe au Ghana.
Nous dormons après une
courte nuit de galipettes et le lendemain, on se sépare sur le pas de l’immeuble.
Marley est passé le chercher tandis que je conduis sa jeep pour aller chercher
le convoi européen. On s’était entendu sur les consignes hier, pourtant les
choses de dernière minute ont commencé ici. On se chauffe un peu, mais nous
quittons leur location avec tous les effets dans le coffre. Mukima house se
trouve à Nanyuki donc on a environ 4 h et quelques minutes de route devant
nous pour arriver. Sheria house où se déroulera le civil est bondé comme
d’habitude, le samedi c’est le jour de mariage par excellence. Le couple est
choqué de voir les invités surprises. Snam n’en revient tellement pas qu’elle
n’entend pas lorsqu’on nous invite à rejoindre la salle d’attente le temps que
sonne 10 h 45, l’heure prévue pour leur célébration.
Cinq heures et une
longue route plus tard, nous voyons enfin Mukima house pointer le bout de son
nez. Les émotions envahissent Snam devant la pièce préparée par le personnel à
notre demande. En réalité, ils se sont dépassés. Nous avions simplement demandé
un menu spécial ainsi qu’un gâteau de mariage pour quatorze adultes et un
enfant, mais ils ont ajouté des éléments qui ont élevé le niveau. Les
accolades, les rires, les étonnements, se succèdent, mais ce sont les yeux
mouillés de mon frère qui m’ont touché.
— Thank you so
much, il me répète tout en me serrant à me couper le souffle.
Je lui câline le dos
et le félicite et bénis son mariage avant de le laisser aller vers Dara à qui
il fait la même chose. Quand je pense qu’hier il n’était qu’un garnement qui
m’embêtait toutes les fois que je devais veiller pour étudier. Je suis
tellement fière de lui. Du petit grande gueule, ambitieux, arrogant et égoïste
sur les bords, il est devenu un homme digne de confiance pour les siens,
toujours égoïste sur les bords, mais on l’aime malgré tout. Solim dans son
franglais essaie de nous expliquer qu’il a vu des oiseaux et Snam qui déborde
de joie lui dit qu’il doit nous remercier parce que demain on verra plein
d’oiseaux et d’autres animaux. Son « thank you » innocent et timide
fait fondre nos cœurs et nous éclatons de rire quand il dit à son frère de dire
merci aussi tout en l’appelant Maléking comme lui a appris son papi Magnim qui
ne lâche pas le bébé depuis son arrivée.
Je m’éclipse quand
Snam monte avec Macy pour changer de tenue. Tata Ciara et son amie Belle
efficaces comme toujours ont trouvé le temps qu’on fasse à sa fille une robe
blanche longueur midi couverte de perles. Une tenue bien festive différente de
l’élégant tailleur blanc ajusté qu’elle portait ce matin, c’est ce qu’il faut
pour annoncer le début des réjouissances de la soirée. Nous avons la salle à
dîner pour cinq heures et comme ils ont une cheminée, on aura droit à un feu un
peu plus tard. Dara a préparé une playlist et ramené son bose speaker, donc l’ambiance
sera top. Je récupère le cadeau des Ekim et rejoins les autres. On admire le
coucher du soleil sous la recommandation du gérant du manoir, on entame le
repas et deux heures plus tard, nous admirons les tourtereaux, les Ekim, les
Boulder et les parents qui dansent du slow sous les lueurs du feu de cheminée. Le
bois qui crépite nous berce autant que la faible musique. Solim s’endort
doucement contre mon torse tandis que Macy couche Maléki endormi dans son siège
auto avant de rejoindre la piste avec Aurore.
— Je le dépose
bientôt et on pourra danser aussi, je dis à Yafeu qui a la main sur mon épaule
et sirote de temps en temps son digestif.
— Je suis bien
comme ça.
— Rabat-joie, je
le taquine et il me sourit.
— Demain on verra
qui est le rabat-joie durant la randonnée à cheval.
— Je ne sais pas
d’où tu tiens que j’ai peur des chevaux hein, mais je vais te honnir.
— On verra bien,
il continue avec son rire moqueur.
Mon téléphone clignote
dans la pénombre. Il me le prend et le déverrouille comme je lui demande.
— Désolé de
t’écrire à cette heure Elikem. Ton amie veut ma mort. Le travail a commencé il
y a quelques heures. Prie pour nous et surtout pour elle, je te tiens au
courant, il me lit et je saute presque sur le téléphone pour appeler Eben.
Heureusement qu’il me
rappelle qu’un mari stressé n’a pas besoin d’une amie ultra agitée à l’heure
actuelle. Je n’ai aucune idée de ce que je dois faire pour passer le temps. Je
prie, mais mon esprit ne pense qu’à Annie.
***Eben Tountian***
Il fallait que ça
m’arrive aujourd’hui. Il fallait qu’on se rende compte à la dernière minute que
nous avions déposé le sac du bébé dans la mauvaise voiture. L’homme cherche
même quoi avec deux voitures sur cette terre quand il ne s’assoit que sur un
siège? L’homme veut même quoi? Bref, je tape le klaxon pour qu’on me cède le
passage. J’ai laissé ma chipie seule à l’hôpital pour récupérer ce fichu sac parce
que Fabien n’était malheureusement pas à la maison pour nous l’apporter à la
clinique. Je klaxonne comme un malade également devant mon portail et risque
d’embrasser Bijou quand je la vois me rejoindre à la course avec le sac dans
les mains. Je ne sais même pas comment elle a appris à ouvrir le coffre, mais
bref, je suis déjà parti et le temps que je puisse relâcher mon souffle, je
cours comme un athlète dans les couloirs de l’hôpital AELI bien qu’une
infirmière me l’ait interdit.
— Querida, je
suis là, je dis essoufflé une fois dans sa chambre.
La contraction qui la
tient l’empêche de me répondre. Je me mets directement au travail. Océane a
décidé de m’infliger le stress maximum. Madame veut un accouchement naturel
pourtant on la connaît. Elle m’a formellement interdit de lui proposer autre
chose même si je la vois agoniser donc je commence à faire pression sur les
différents points qui l’aideront à mieux tolérer la douleur. On essaie tant de
méthodes, les heures s’écoulent, j’ai mal de la voir ainsi, mais je tiens parce
qu’elle tient plus que moi. Elle tient malgré tout et enfin vient le moment de
pousser. Je suis à ses côtés. Elle s’agrippe aux poignées du lit comme lui
conseille la sage-femme pendant que l’assistante lui tient une jambe. Elle
pousse, agonise, transpire, répète. Je lui fais du vent avec mon t-shirt que
j’ai retiré je ne sais plus quand. J’ai quand même un single T sur le dos.
— Vas-y Océane,
tu peux le faire! je me retrouve à l’encourager avec plus d’entrain que les
deux femmes.
Elle grince des dents,
pousse à nouveau jusqu’aux cris et mon t-shirt me glisse des mains quand la
sage-femme annonce que la tête est visible.
— Querida! je martèle
sans raison tandis qu’elle pousse le visage déformé, le corps de notre enfant
hors d’elle.
La sage-femme et
l’assistante se réjouissent tout en nous félicitant. On sort de son entrejambe
un bonhomme silencieux pendant une seconde puis il se met à pleurer à pleins
poumons quand on le dépose sur la poitrine de sa mère en larmes et le visage en
sueur. J’oublie le sang, l’odeur et la matière bizarre qui recouvre mon fils.
J’embrasse à tour de rôle ma femme et mon garçon pendant que la sage-femme
continue à le nettoyer. Je suis tellement saisi par l’émotion que mes mains
tremblent pendant que je coupe le cordon. Elle le regarde avec tant d’amour et
caresse sa joue avec un doigt. J’embrasse son front et colle le mien au sien.
— Ezer Théo, la
photocopie de son papa, elle commente et me regarde tendrement.
— Je t’aime
tellement, je vous protégerai au prix de ma vie mon amour, tu as tenu si
longtemps, je n’arrive pas à le croire, je confesse en proie à l’émotion.
— Je n’y crois
pas aussi, elle rigole doucement signe qu’elle est épuisée.
On continue à
s’occuper d’elle pendant qu’on nous retire le bébé pour les premiers tests.
Deux heures plus tard,
ma femme dort paisiblement dans son lit tandis que notre fils repose dans mes
bras. Cinq ans plus tôt, je rêvais déjà de ces moments et je suis si heureux
d’avoir patienté au lieu de prendre n’importe qui comme mère. Il faut être une
Océane pour installer deux arbres de Noël à la maison en plein novembre sous
prétexte que le bébé doit être dans le mood de Noël dès qu’il franchira le
seuil de la maison. Je me moquais de la têtue couchée pour son excitation
exagérée et son chenapan de garçon a décidé de me foutre la honte en arrivant à
36 semaines et trois jours. Dieu merci, Ezer Théo n’a aucun problème
respiratoire bien qu’on l’ait accueilli un peu tôt et dans 48h on le ramènera
dans une maison qu’à quatre on s’est amusé à décorer sous l’œil expert de sa
mère. J’exagère peut-être, mais je n’arrive toujours pas à croire que O, ma
douillette, celle qui détale devant les geckos a enduré devant mes yeux tant de
douleur. Je menace doucement Ezer qu’il n’a pas intérêt à fatiguer ma femme
après le courage qu’elle a démontré.
Un mois plus tard, je ne reviens toujours pas
de ce qu’est devenue notre vie. Nous sommes généralement fatigués, mais
tellement comblés. C’est la St Sylvestre ici. L’année n’est pas finie, mais je
suis dans le mood pour un bilan. Cette année est simplement la meilleure de ma
trentaine. Ma surexcitée de femme donne un tutoriel à Bijou sur comment
emballer un cadeau. Mon frère s’amuse à faire une raie dans les cheveux de mon
fils que maman vient juste de laver. Je précise que mon fils gagne en charisme
à chaque seconde qui s’écoule. Demain nous passerons Noël chez les Ajavon à la
requête du papi d’Ezer qui est fou de lui et le 26 je tombe en congé jusqu’au 4 janvier
pour profiter de ma famille parce que Fabien et Bijou prendront leur envol le
10 janvier. Notre obstiné de Fabien est le nouveau propriétaire du coin.
Après des années de persévérance, mon frère et Bijou ont réussi à se construire
une maison de neuf pièces. Ils n’ont pas fini l’aménagement en revanche. Il
leur reste du chemin à faire, mais ils ont réussi à se procurer l’essentiel
pour vivre décemment. Je lui ai souvent reproché son « je
m’enfoutisme » concernant les petits loisirs de la vie, mais il n’y a pas
plus fier que moi à l’heure actuelle. Il faut être dur et persévérant de nos
jours pour accomplir ce que lui et Bijou ont fait à leurs niveaux. Maman n’est
pas au courant. On lui réserve la surprise et la connaissant, elle risque de
s’évanouir. Désormais, elle aura deux maisons accueillantes à Lomé. Quel
bonheur. J’aurais aimé le partager avec Bruce en revanche. C’est avec lui que
j’ai passé la majorité des fêtes de fin d’année, mais depuis qu’il a doté
Jennifer, chacun est resté dans son coin. On n’a pas de ses nouvelles. Il ne
sait pas qu’Ezer est né. Je ne vais plus au Snack de Jennifer. Elle a également
disparu. Parfois, je me demande si j’exagère. Peut-être, je devrais faire un
pas vers eux, mais je n’arrive pas à oublier comment ils m’ont tenu à l’écart
jusqu’à la dernière minute. J’ai besoin d’explications, parce que l’excuse de
« Jennifer avait honte » ne m’a jamais convaincu. On a honte entre
amis? Ou nous ne sommes pas amis?
***Jennifer traditionnellement Attipoe***
Cette fin d’année se déroule plutôt bien.
Professionnellement, je suis occupée. Personnellement, c’est nettement
meilleur. Je suis à nouveau enceinte et je prie que cette fois, ma grossesse
arrive à terme. Je prépare activement la venue de ce bébé qui je l’espère
m’aidera à renouer avec ma tante qui me manque. Elle avait sa face des mauvais
jours durant ma dot. Encore heureux que mon oncle était présent et nous ait
donné sa bénédiction. Je ne suis pas dupe. Je sais très bien qu’il est attiré
par le statut de Bruce. L’INSAO jouit d’une excellente réputation à Lomé,
surtout que l’ancienne ministre Wanké est connue. En plus, Bruce est plus
généreux que Romelio. Il a déjà promis à mon oncle une nouvelle voiture et supposément,
on se mariera à l’étranger. C’est ce qu’il prévoit pour nous. Le mariage pour
être honnête ne m’intéresse pas actuellement. Je suis concentrée sur cet enfant
qui m’a redonné le goût de vivre. Romelio et son entourage malsain croyaient
venir à bout de moi, mais me voilà bénie aujourd’hui. Je vais chercher la
source de ma bénédiction qui est au téléphone devant la télé. Je me couche sur
le sofa et dépose mes pieds sur ses cuisses.
— Tessa je te dis de rentrer, il n’y a
rien en Afrique du Sud que tu ne trouveras ici. J’ai une maison prête à te
recevoir, il dit à son interlocuteur.
— C’est qui? je demande en me redressant.
— Un instant Tessa, c’est ma femme qui me
parle. C’est Thérèse, ma cousine dont je t’ai parlé.
— Hum, je fais dubitative.
Il continue à l’encourager à rentrer et
lorsqu’il raccroche, je lui demande des explications.
— Elle a perdu son emploi et on les a
cambriolés un peu après.
— Oh les pauvres. Tu dis qu’elle vit avec
sa mère c’est ça?
— Oui, ma tante Eglantine.
— OK, mais on ne peut pas les recevoir
toutes les deux ici. On n’a pas de place avec le bébé.
— Lol Jennifer, le bébé qui n’a même pas
plus de deux semaines a besoin de quelle place? Elles ne vont pas s’éterniser.
Ce n’est qu’une solution temporaire le temps qu’elles se remettent sur pied.
Comme je t’ai expliqué, mon oncle Bill Attiba est décédé dans d’étranges
circonstances donc elles n’ont personne de confiance pour les aider. J’ai vécu
à un moment chez eux quand mes parents rencontraient des difficultés pour subvenir
à nos besoins, donc c’est le moment que je leur retourne la faveur.
— OK. Tu as une photo d’elle?
— Hein?
— Je suis curieuse. J’aimerais la voir.
Il fouine et celle qu’il me montre me donne
automatiquement des céphalées. Les jambes interminables, le regard félin, c’est
la marque de fabrique des enquiquineuses. La providence a eu pitié de moi et
convaincu Bruce de prendre un peu de recul avec les Tountian parce que Dieu
sait que je n’aurais pas supporté de croiser Océane et qu’elle me nargue sachant
que j’ai couché avec Bruce. Je n’ai aucune envie de cohabiter longtemps avec
quelqu’un qui a les mêmes airs qu’elle. Mon bébé doit naître dans une maison
paisible donc je leur donne une semaine pour se trouver la fameuse place ou
crécher. Bruce c’est ma bénédiction et celle de personne d’autre!