
152: Révélations
Write by Gioia
***Elikem
Akueson Asamoah***
Mon manque de volonté récent
est incompréhensible. En début d’année, je faisais des 14 h d’affilée,
mais me voilà incapable d’étudier après huit heures de travail dans un
environnement détendu. Il paraît que je peux le blâmer sur l’enfant qui grandit
en moi, mais quand même quoi. C’est fou ce qui m’arrive. Ça me prend une heure
pour finir une page de mon premier cours d’introduction à la comptabilité et qu’est-ce
que je le trouve ennuyant ce cours, Seigneur, mais selon mon professeur attitré,
le père de Malike, je ne peux prétendre au titre de gestionnaire sans connaître
les bases d’une entreprise. Apparemment, ce que j’apprends en tant qu’assistante
aux ressources humaines n’est pas suffisant, pourtant je trouve cette méthode
plus facile que m’asseoir chaque soir devant mes gros bouquins, mais il a dit
niet, les deux sont utiles. Je suis particulièrement étourdie ce soir, donc je me
contente de surligner pour me mentir que j’ai fait quelque chose.
Je ferme mon livre quand
je vois depuis le balcon où je suis, le monster Brabus G class de maman Eliza s’avancer
vers notre garage. J’ai retenu le nom de ce bolide grâce à Mally parce qu’il nous
a annoncé qu’il se roulerait par terre si on lui offrait un modèle de Brabus. C’est
Cédric qui la conduit aujourd’hui en revanche. Maman le lui a prêté parce qu’on
a un long trajet à faire ce soir. On va à Abetifi Kwahu où l’on passera le
week-end. On se rencontre quand je suis au bas des escaliers et lui ferme la
porte d’entrée.
— Bonne arrivée
papa, je lance ma dernière trouvaille. Pour une raison inexplicable, je prends
trop de plaisir à l’appeler papa Mali récemment.
— Ça va la
gloutonne?
— Le tact existe
dans ton dico? Qui traite une femme enceinte de gloutonne?
— Le père de son
enfant qui la voit engloutir des quantités incroyables récemment.
— Pfff! vilaine
barbe, je dis en bougeant la tête pour éviter son bisou, mais il tourne
seulement la tête pour me suivre et me le donner.
On papote tout en nous
rendant dans la chambre. Comme je m’y attendais, il veut partir directement parce
que ça prendra environ trois heures pour arriver à Abetifi Kwahu et nous devons
passer chez sa mère avant. Heureusement, j’ai fait nos sacs dès que je suis
rentrée du travail, donc je vais réchauffer la sauce ayoyo que j’ai faite.
— Riz ou ablo? je
lui demande quand je l’entends descendre.
— C’est quoi la
différence? L’ablo est fait principalement de riz, il ironise.
— Ouais petit malin
on sait, choisis quand même.
— Les galettes,
il tranche.
Je lui fais son plat
et mon cœur tombe dès qu’il fronce la mine à la première cuillérée.
— C’est trop
salé? je m’inquiète.
— Non, mais tu as
mis quelque chose d’autre dedans?
— Euh non? J’ai suivi
la recette que j’ai apprise chez tata Cathy, mais j’ai ajouté des épinards
comme on en avait une tonne.
— Je vois, tu
peux manger toi.
— Hein? Comment? je
le questionne confuse tandis qu’il se lève.
— Je ne mange pas
les épinards.
— Depuis quand tu
ne manges pas les épinards?
— Je n’aime pas,
il répond naturellement en sortant du frigo quatre pots de yaourt Activia.
Les épinards sont
cuits. Ils ont quoi de différent aux feuilles de taro que tu manges régulièrement
ici ?
— Les feuilles ne
sont pas pareilles, je n’aime pas les épinards, il insiste.
Je goutte encore ma
sauce et ne vois absolument pas en quoi la présence d’épinards peut empêcher de
la manger.
— Arrête les
caprices Cédric! En quoi le goût est différent des autres fois? Tu vas refuser
un repas chaud pour une raison pareille?
— Si tu comptes
manger, dépêche-toi parce qu’on doit partir tôt, il répond naturellement et
sort du garde-manger une boîte de craquelins qu’il ajoute à ses yaourts.
Excédée, je monte sans
toucher au plat. Mon cœur brûle tellement que je fais tomber les choses dans la
chambre à cause de mes gestes brusques. Je ne peux pas garder ce que j’ai sur
le cœur, donc je redescends et sans m’en rendre compte, je commence à crier.
— Tu ne manges
pas plus qu’un toast le matin et tu refuses un plat qui m’a pris du temps à
faire pour des foutus épinards qui sont cuits Cédric! Tellement cuits que tu n’aurais
pas su si j’avais gardé ma bouche fermée. À ton âge tu crois que c’est mignon de
faire un caprice? Laisse-moi te dire que non! C’est insupportable et tu m’énerves!
Il n’a cessé de m’observer
durant ma diatribe et buvait tranquillement son yaourt. Je ne comprends même
pas pourquoi je fais ce cinéma, mais il me gonfle Seigneur. Comment on peut
être si difficile et ne faire aucun effort pour s’adapter?
— On peut y aller
alors?
— Viens me soulever
pour qu’on parte! je lui lance en colère et pousse un juron avant de remonter.
Il vient me soulever
quelques minutes plus tard, je n’en reviens pas. Bien que je criais de panique
pour mon ventre, il m’a simplement dit de bien m’accrocher et dix minutes plus
tard, mes pieds ne touchaient le sol que dehors. Notre voisin qui nous prend
pour des amoureux transits nous salue de la main avec un sourire amusé sur la
face. Pour fuir la honte, je m’empresse de monter dans la voiture. Il va chercher
nos sacs et nous démarrons un peu plus tard.
Je ne pipe pas un mot
et garde une position de défense, prête à contrer l’attaque verbale que j’attends,
mais c’est le sommeil qui finit par l’emporter sur moi. Je me réveille
doucement et me rends compte qu’il fait bien plus sombre qu’à notre départ. Le paysage
ne me dit rien, signe qu’on n’est même plus à Accra.
— Tu es passé
chez maman? je demande d’une voix endormie.
—Yep.
— Pourquoi tu ne
m’as pas réveillé?
— Tu voulais qu’elle
me tue? Elle me lançait déjà des regards meurtriers sous prétexte que je ne
déposais pas doucement les effets de son frère dans le coffre.
— Elle aurait dû
te tuer un peu, tu le mérites, je dis amusée.
— J’ai toujours
su que ma vie était en danger avec vous.
— Toi aussi tu
peux dire ça quand tu mets le cœur des gens en danger? Je sais que je ne suis pas
une fée du logis, mais je fais des efforts Cédric et ça me mine quand tu me
sors tes phases.
— Pourquoi ça te
travaille autant? Je ne suis pas fâché.
— Ce n’est pas
une question d’être fâché. Ça me travaille parce que tu ne manges qu’une fois mes
repas pendant la semaine de travail. Je comprends que tu n’as pas d’appétit le
matin et si le plat est dégueulasse…
— Tu n’as jamais
fait de plat dégueulasse.
— Je sais, mais là
où je veux en venir c’est que je comprendrais si tu n’en voulais pas parce que
c’était mauvais, mais les caprices sont lourds. Je m’inquiète pour ta santé, c’est
tout. Ce n’est pas normal de se taper un trajet de trois heures avec du yaourt
et des craquelins dans le ventre.
En réalité, je me sens
un peu responsable de son repas du soir et de l’autre, je sais bien que rien ne
m’oblige à réagir à ses caprices. Je peux très bien l’ignorer, mais le mal c’est
que je n’y arrive pas.
— Bon, si ça se
répète, je vais manger simplement sans la sauce.
— Une autre façon
de me dire niet quoi, je dis en le toisant.
Il me regarde un
instant et me fait un clin d’œil. Paris ne s’est pas construit en un jour de
toute façon, donc passons pour aujourd’hui. On se tient compagnie jusqu’à l’arrivée
à Abetifi, une région montagneuse où se trouve la maison familiale des Coleman.
Maman Eliza vient d’ici, on est là pour rencontrer le patriarche des Coleman. Cette
demeure est aussi remarquable que celle des Asamoah, mais elle est d’un style
complètement différent. Tout est en pierre ici, y compris les bancs de l’immense
véranda. Comme elle est en hauteur, j’ai du mal à respirer normalement, donc je
décline la proposition de visite de Saahene qui est ici depuis qu’on l’a viré
de son école en janvier. Le digne frère de Cédric, il aurait bousculé un
professeur qui méprisait une de ses camarades et il a choisi de transformer la
suspension en exclusion. Selon Cédric, il cherchait un prétexte pour quitter
Accra donc il a sauté sur l’occasion. Comme son aîné et Thema qui est à Lomé, Saahene
ne supporte pas l’attention excessive qu’on leur impose à cause de leurs parents.
Au moins, il a l’air heureux pour quelqu’un qu’on a puni depuis janvier. Je
rencontre aussi tonton Red, le patriarche et grand-oncle dont Cédric est le
plus proche chez les Coleman. Il n’était pas présent au mariage parce que la
santé lui faisait défaut, donc c’était important pour Cédric qu’on le voie au
plus tôt. C’est tonton Red qui a secondé papa Nyameba dans la conception de l’ancien
hôtel qui est devenu la maison familiale des Asamoah aujourd’hui. Il a aussi
transformé l’ancienne maison délabrée des Coleman au lieu accueillant dans
lequel il nous a accueillis aujourd’hui.
Le lendemain, je suis
tombée sous le charme de cet homme grâce aux anecdotes qu’il m’a racontées
durant notre visite des alentours. Il y a cinq ans, il a lancé une collecte rémunérée
de plastiques dans la région pour lutter contre la prolifération des nombreux
dépotoirs de plastiques qui naissaient un peu partout. Comme il y avait de l’argent
derrière, les gens ont naturellement adhéré et ils ont rapidement nettoyé les
alentours. Il a ensuite embarqué quelques jeunes pour un projet ambitieux. Le
plastique récupéré a été utilisé comme matériel de base une fois fondu et mélangé
à du sable pour former des briques. Grâce à ce projet, plusieurs sont aujourd’hui
propriétaires des maisons qu’il a construites même s’il y a juste trois ans, personne
ne s’y intéressait. Il a vécu lui-même dans ce qui représente le prototype du
projet pendant trois ans et se faisait questionner régulièrement par les habitants.
Apparemment beaucoup y compris des experts en ingénierie du bâtiment sont venus
d’autres villages, curieux de voir l’homme qui vit dans une maison de plastique.
Maman Eliza ainsi que ses propres enfants qui vivent à l’étranger auraient
tenté de l’en dissuader, craignant que tonton Red mette sa vie en danger en
vivant dans une maison pareille, mais trois ans plus tard, sa ténacité a eu raison
de tous. Le red district, le nom donné aux sept maisons de sept millions CFA qu’il
a construites sont habitées et il continue à recevoir des demandes, mais à 80 ans,
il ne se sent plus capable de continuer.
À force de l’écouter,
j’ai regretté que le dimanche arrive si tôt. J’aurais même demandé une dispense
pour le travail à mon patron Yafeu, mais je sais qu’il a beaucoup à faire récemment.
Tonton Red nous a aussi choqués avec un cadeau pour Malike. Un berceau en bois portant
un symbole que j’ai vu chez les Asamoah ainsi qu’ici. Tonton Red m’a expliqué
que le symbole représentant l’alliance entre les Coleman et Asamoah, traduit un
proverbe adinkra, « owo foro adobe » qui loue la diligence et
persévérance du serpent qui arrive à grimper sur les arbres raphia malgré les
difficultés. Lui et papa Nyameba ont choisi ce symbole pour souligner les
nombreux obstacles que leurs familles ont traversés ensemble afin d’en arriver
ici. Il en fait cadeau à Malike puisqu’il ne sait pas s’il aura la grâce de le porter,
mais il sait que Dieu a déjà planté en lui cet esprit téméraire qui l’emmènera loin.
Cédric ne perd pas souvent ses mots, donc le voir dans cet état tout en regardant
son oncle avec affection a augmenté mon admiration pour tonton Red. Après des
remerciements chaleureux, nous quittions Abetifi sans Saahene qui a décidé d’étendre
son séjour et pourtant il devait repartir avec nous parce qu’il s’envole en fin
de semaine pour ses vacances. Il fera le Gabon, l’Angola et Sao Tomé et
Principe, avant de rentrer pour finir sa dernière année de Senior high à Accra.
Les joies d’être un Asamoah, ils te punissent, mais tu as quand même droit aux vacances
même s’ils t’isolent au village. Comme Cédric a confirmé que ça ne le gênait
pas, j’ai également remis à Saahene un cadeau pour Denola et Ida qui seront à
Libreville lorsqu’il y passera. La cigogne est passée chez eux aussi, mais Ida n’en
est qu’à ses débuts tandis que je suis dans mon cinquième mois. Ma sœur m’a dit
qu’elle et Marley se sentent prêts aussi, donc probablement d’ici l’année prochaine
ils ajouteront leur pierre à l’édifice du baby-boom. C’est le surnom que maman a
dans la bouche depuis l’annonce d’Ida ainsi que celle de son ancienne servante
qui est en couple avec un employé de tonton Tao.
— Tu penses que
tonton Red serait ouvert à donner une interview? je demande à Cédric maintenant
qu’une idée germe dans mon esprit.
— Quel genre d’interview?
— Le genre que tu
as donné au magazine Source. La copine de Romelio se déplace pour les entrevues
et ton oncle a tellement à raconter et transmettre.
— Comme tu l’as remarqué,
il aime parler donc je ne le vois pas refuser, mais de quelle copine tu parles?
Je le pensais célibataire.
— Beh tu l’as
entendu évoquer quelques fois une certaine Mini durant nos appels non?
— Je pensais
avoir compris qu’il discutait avec quelqu’un d’intéressant et t’en parlerait au
bon moment? Pourquoi tu forces tes envies sur lui? il ironise.
— Laisse. J’ai
appris à lire entre les lignes avec ce garçon et si je me fie à la façon dont
il riait avec l’employée du magazine Source durant la fête, je suis prête à
parier qu’il s’agit de la même personne.
— Forcing à mort,
va savoir comment il te supporte.
— Il y a des gens
qui m’aiment ici hein, c’est toi qui me vois comme une teigne.
— Tu es ma teigne
chérie, c’est ce que j’aime.
— Mais oui bien
sûr, je réponds avec un sourire amusé.
J’appelle donc tonton Red
pour connaître son opinion sur le sujet. Il est plus que partant, du coup je
vais chercher Romelio, mais il ne répond pas. J’allais demander à Cédric s’il a
toujours le contact du magazine Source, quand il reçoit un appel déroutant. Le
directeur des ressources humaines lui annonce le décès d’une employée survenu
dans des conditions qui vont causer des problèmes. Elle serait morte de coups
reçus dans une bagarre domestique avec l’un des conseillers juridiques de Cédric
à Nyambe BME et ce dernier est actuellement introuvable. On change de trajet
pour l’hôpital où se trouve le DRH. Ce n’est qu’à 23 h qu’on finit par
rentrer. Nous sommes encore sous le choc. Les voisins qui ont séparé la bagarre
étaient sur place avec le DRH qui a trouvé étrange que Cédric soit avec moi. Personne
chez Nyameba BME n’était au courant de leur fréquentation pourtant selon les voisins,
les deux sont ensemble depuis trois ans, mais cet homme est marié à la propriétaire
de l’atelier de décoration où nous avons acheté nos premiers meubles. L’affaire
a été confiée à la police, mais Cédric cherche comment aborder l’histoire avec sa
femme. Nous n’avons presque pas dormi, donc j’ai complètement oublié de lire la
réponse de Romelio qui est entrée.
***Min Tessa Attiba***
(La scène commence quand
Elikem gronde Cédric pour ses caprices.)
Mon téléphone est rempli
d’appels à la sortie du cabinet dentaire. Comme Bruce a plus appelé que Maman,
je retourne son appel en premier.
— Où es-tu? il demande
sur un ton agressif.
— Je sors de chez
le dentiste. Il y a un problème?
— Tu m’envoies ta
position, je viens te chercher!
— Pour quelle
raison? Je dois retourner au magazine.
— C’est au magazine
que tu retournes en passant le temps avec Romelio n’est-ce pas? il lance sur un
ton accusateur qui me prend de court.
— Qu’est-ce qui
se passe Bruce?
— J’ai demandé
que tu m’envoies ta position. Je viens te prendre et on en parle.
— OK, je confirme,
le fais et j’appelle quatre fois Lio, mais il ne répond pas.
Entre-temps, maman me
rappelle donc je la prends.
— Tessa, dans
quoi tu t’es mise ici? Bruce est parti le cœur chaud hein à cause de ton gars
hein.
— Comment ça?
— Tu ne l’as pas
envoyé pour chercher tes clés?
— Lio? Mais non.
Tu parles de quelles clés?
— Tu as laissé un
trousseau de clés sur la table quand tu vidais ton sac pour prendre tes
lingettes à main, donc je l’ai pris, mais j’ai oublié de te remettre.
Un coup de klaxon brusque
me fait sursauter. Il vient de Bruce et il est hors de son véhicule. J’oublie
de dire au revoir à maman et coupe, le cœur anxieux. Je m’assois à ses côtés et
pendant dix bonnes minutes, il me passe un savon qui augmente mon anxiété. Je n’y
comprends rien à son baratin.
— Qu’est-ce que j’ai
fait enfin? j’explose à mon tour. Pourquoi tu te mets dans cet état?
— Qu’est-ce que
tu as fait Thérèse? Comment tu peux te laisser manipuler par un homme au point
de me cacher ta relation? Qu’est-ce que je n’ai pas fait pour toi? Je suis
ouvert, je te traite comme une petite sœur et pour ce type à la tête énorme
comme un potiron, tu choisis de me mentir?
— Primo,
rétablissons les choses! Personne ne m’a manipulé. J’ai choisi de garder ma
relation secrète au début. Secundo, je ne vois pas où est le mal, tu
fréquentais Jennifer bien avant non, mais j’ai entendu parler d’elle quand? Ce
n’est pas après votre dot? Et tertio, mon gars n’a pas une tête énorme comme un
potiron!
— Ah bon hein Thérèse?
Ah bon? Tu le défends? OK, dis-moi donc, comme tu trouves avoir trouvé la perle
qui justifie que tu te compares à moi…
— Je ne me
compare pas à toi Bruce.
— Tu te tais
quand je parle! Ce n’est pas toi qui viens me lancer en pleine face que tu as
choisi les cachoteries pour me ressembler? Permets donc que je te demande. Ton
Romelio pour qui tu mens là, tu sais quoi de sa vie?
— Si tu as
quelque chose à dire, explique-le au lieu de poser des questions bizarres. Je
suis assez nerveuse comme ça, je réplique sur un ton mordant.
— Tu sais qui est
cet ex de Jennifer? Tu sais? L’ex qui a couché avec la femme d’Eben? L’ex qui a
empêché Jennifer de remettre le pied dans leur maison à cause d’un malentendu? Cet
ex qui dormait dans une maison confortable tandis que Jennifer devait se promener
d’hôtel en hôtel alors qu’elle a une maison? Cet ex qui ne s’est pas soucié du
bien-être de sa femme pendant de longs mois alors qu’il la savait malade? Cet
ex qui est passé par ses contacts pour faire renvoyer Jennifer de son ancien
boulot? Comme tu l’ignores, sache que ma première rencontre avec Jennifer se produit
quand elle appelle Eben à la rescousse parce que sa belle-mère a fait fermer
son resto par pure méchanceté et cet homme n’a rien fait pour l’empêcher. C’est
pour cet homme que tu me fais des cachoteries?
J’ai le tournis. Mon
cerveau analyse tout ce qu’il m’a lancé, mais je n’arrive pas à rapprocher ses
révélations à l’image que j’ai de Lio dans ma tête.
— Tu vois comment
il t’a manipulé hein? il continue.
— Non Bruce
attend, c’est…c’est…il doit y avoir une explication. Je..je sais pas moi, il n’a
jamais été méchant avec moi.
— Mais bien sûr
qu’il ne le sera pas! Ouvre les yeux, tu penses qu’il s’est rapproché de toi
pour quelle raison sinon atteindre ma femme?
— Tu te trompes! Je
réponds avec véhémence. Il ne sait même pas que Jennifer est ta femme. Je ne l’ai
jamais mentionné.
— C’est ça! Tu l’as
rencontré où?
— Puisque je te dis
que…
— Réponds
simplement à ma question Thérèse!
— À l’église. Je
me suis assise à ses côtés, il n’y avait rien de calculé. On n’a même pas
échangé nos noms là-bas. On s’est revu quand je suis allée au Ghana pour la
couverture du mariage des Asamoah.
— Très bien! il
dit satisfait. Tu sais qui était au Ghana aussi? Eben et sa femme qui te
connaissent. Ce que tu ignores, c’est que la femme d’Océane, Elikem Asamoah et ton
manipulateur de copain se connaissent très bien. C’est évident qu’il a entendu
d’eux que tu es ma cousine et Jennifer ma femme. Son but est précis! Ça ne lui
a pas suffi de se débarrasser de Jennifer comme un vieux meuble inutile après plus
de dix ans de mariage. Il veut être dans sa face pour la tourmenter parce qu’il
lui est rancunier et tu n’es qu’un outil dans son plan.
— Tu peux me ramener
au magazine s’il te plaît? je demande d’une petite voix, à bout de force.
— Tu n’as rien à
dire après mes révélations?
J’ouvre simplement la
portière et je descends. S’il ne veut pas me ramener, je peux très bien prendre
un taxi. J’ignore ses « reviens Tessa » et continue à marcher. Je n’ai
rien foutu sinon m’enfermer dans mon bureau et revisionner la copie de la célébration
des Asamoah que nous avons dans nos archives. Je suis à la recherche des scènes
de Lio et plus j’avance, plus les doutes m’envahissent. Comme j’étais dans le
feu de l’action le jour là, je n’ai pas remarqué qu’il allait souvent vers son
amie Elikem, mais parfois il rigolait avec la femme d’Eben. Étrangement, on le
voit même disparaître avec elle à un moment et toutes les fois que les deux
interagissent, Eben n’est pas dans les parages. Aurait-il pardonné à sa femme
la tromperie croyant qu’elle n’est plus d’actualité, mais ils continuent en
douce? Et moi alors? Pourquoi il viendrait me chercher Lio? Je crains de l’appeler
parce qu’actuellement je suis partagée. Une partie de moi lutte fortement
contre tout ce que j’ai appris et l’autre n’arrive pas à rejeter les preuves qui
semblent donner crédit aux dires de Bruce. Il sonne 21 h quand Sia passe
me demander si je compte quitter l’atelier ou pas. Je m’en vais un peu après elle.
Dès que j’arrive, Bruce m’isole.
— Jennifer n’a
pas besoin d’être troublée actuellement. Elle accouche bientôt, donc je compte
sur toi. N’emmène pas les problèmes dans ma maison, on se comprend?
Je hoche la tête et vais
me réfugier dans ma chambre, espérant la paix, mais quand je glisse vers le
sommeil, on cogne à nouveau à ma porte.
— C’est Bruce, il
s’annonce et entre. Ça va? il demande d’un ton soucieux.
— Qu’est-ce que
tu veux?
— Je t’ai un peu
secoué aujourd’hui hein ma grande, je suis désolé, il me dit sur un ton rassurant
qui me fait fondre en larmes.
Il s’assoit sur mon
lit et me tapote le dos en guise de réconfort.
— Ça arrive à toutes
les filles, mais ce n’est pas la fin du monde Tessa. Tu rencontreras un bon
gars au moment voulu et si tu as de la chance, il sera comme ton cousin, il tente
de plaisanter, mais je suis trop peinée pour en rire.
— Pourquoi il passerait
par moi Bruce? Je comprends ce que tu veux dire par le fait de tourmenter Jen,
mais on a parlé de choses intimes.
— Pitié, il a couché
avec toi?
— Mais…
— Bref, il me
coupe. Ce n’est que le sexe. Oublie même, je suis sûr qu’il n’a pas assuré.
— Enfin Bruce…
— Vous avez parlé
de quoi d’intime? il m’interrompt à nouveau.
— De choses, je
dis simplement, ne voulant pas laisser un autre entrer dans notre intimité qui
m’est chère. Quelque part, je m’accroche à l’idée folle que Lio a une bonne explication.
— Comprends qu’un
bon manipulateur te révélera des choses pour te faire croire que tu es sa confidente,
pourtant il ne t’a même pas révélé le nom de son ex-femme. C’est quoi cette intimité?
— C’est quoi ce malentendu
qui l’a poussé à maltraiter Jen? Tu le sais?
— Ça concerne sa
fille, si déjà il t’a dit qu’il en a une. Comme il n’était pas sérieux, il a
fait un enfant dans le dos de Jen et elle l’a appris par une autre bouche. Tu
connais votre jalousie féminine. La douleur l’a poussé à le provoquer un peu et
depuis monsieur est le plus rancunier de la terre. Il est passé par tous les
moyens pour la dépouiller et dans son esprit, il l’imaginait crever lentement donc
la savoir en couple alors qu’il est seul et amer lui donne des boutons. Pour que
tu comprennes, sache que je le connais ce Romelio. Je le connais par des
connaissances et honnêtement, je n’aurais pas cru si j’avais entendu des
bouches ce que je te raconte là, parce qu’il a la réputation d’un homme gentil,
mais j’étais présent je te dis Tessa. J’étais dans la vie de Jen quand il lui
faisait la misère.
— OK, je conclus
simplement parce que je sature, c’est bon pour aujourd’hui.
— Bon je te laisse
dormir, ne pleure pas hein. Tu mérites mieux que lui.
Étrangement, je dors
et en plus je n’ai rêvé que de belles choses sur lui. Le lendemain, je suis debout
aux aurores. Je n’ai aucune envie de papoter, donc je décide de quitter la
maison plus tôt tout comme Lio a décidé de se planter devant notre portail. Je
n’y crois pas en sortant, mais il est adossé à son véhicule. Plusieurs nœuds se
forment dans mon ventre alors qu’il s’approche de moi, mais son air est plus
dur que ce à quoi je suis habituée.
— J’ai passé la
nuit à cogiter sur toi et tes motivations, il commence.
— Pareil. Mon
cousin m’a dressé un tableau peu glorieux de toi. Il paraît que tu t’es
rapproché de moi pour atteindre Jennifer à qui tu en veux profondément?
Il me bouge si
rapidement sur le côté que je dois sauter sur son bras qui s’apprêtait à secouer
le portail.
— S’il te plaît! Tout
le monde dort!
— S’il me plaît?
Il gueule si fort dans ma face que ça m’effraie, mais je reste agrippé à son
bras. En quoi c’est supposé me plaire que Jennifer fasse circuler des bobards
sur moi? Et tu oses la croire?
— Noooonnn! je n’y
crois pas, je m’empresse de dire.
— Menteuse! Tu viens
juste de me dire que tu as passé la nuit à cogiter!
— Et toi aussi tu
as cogité alors pourquoi tu me traites de menteuse? j’aboie également dans sa
face.
Le masque que je pensais
dur est en réalité un de tourmente. La peine que je lis dans son regard me
déchire, donc j’essaie de m’adoucir.
— Elle est
enceinte Lio. La dernière chose que veut mon cousin c’est la brusquer et c’est
ce qui se passera si tu entres là pour faire un scandale.
— Ce n’est pas
vrai, il rigole d’ironie en se passant la main dans les cheveux. On s’attend à
ce que je me contrôle pourtant c’est mon nom qu’elle a sali chez ton cousin. Pourquoi
tu veux m’empêcher de la confronter?
— Je t’arrête de
suite si ce que tu veux insinuer, c’est que je suis de mèche avec quelqu’un! J’essaie
de t’éviter une scène qui dans ta tête te semble justifiée, mais dans les faits
t’embarrassera plus qu’autre chose. Tu vas forcer ton entrée dans la maison des
gens et tu penses obtenir quel résultat? Qu’est-ce qui empêchera Bruce de te traiter
de désespéré qui poursuit sa femme? Qu’est-ce qui empêchera Jennifer de te honnir
en te criant dessus? C’est ce que tu veux? Imagine, le choc rend sa grossesse
compliquée à l’avenir, tu penses qu’on tournera l’histoire à quelle sauce? Tu
veux le stigmate de l’ex qui est venu faire le tapage chez la femme qui est heureuse
dans son foyer? Si c’est le cas, tiens, je dis en lui remettant la clé du portail.
Entre tranquillement. Sinon, tu me rejoins dans ta voiture, j’annonce ne
sachant sur quoi je compte et me dirige vers son véhicule.
Romelio! je m’écrie mentalement
priant qu’il ne cède pas à ce qui le bloque devant le portail. Mon cœur tambourine
tellement que j’ai envie de me faire dessus, mais enfin il se décide à revenir
sur ses pas, déverrouille et s’installe.
— Elle m’énerve
putain! il s’écrie et tape violemment sur son volant.
Je n’ai même pas bougé
d’un iota, pourtant Dieu sait combien son coup m’a effrayé. Il respire comme un
fauve, je reste tranquille dans mon coin sans piper un mot. Je ne fais que
jouer avec la bandoulière de mon sac, les yeux fixés sur mes cuisses. Les minutes
s’écoulent et quand je ne l’attends plus, il parle.
— Qu’est-ce qu’elle
t’a dit sur moi?
— C’est mon
cousin qui m’a raconté un tas de choses, mais on n’est pas obligé d’en parler
maintenant.
— Regarde-moi, il
m’intime et je le fixe.
Il a l’air toujours
tourmenté, mais je lis aussi de la crainte dans son regard. Il prend ma main et
la pose sur sa cuisse.
— J’ai douté, je
l’avoue, j’ai pensé à un moment que vous étiez de mèche parce qu’elle a ce
passif de s’infiltrer dans mon cercle par des méthodes fourbes, mais ce qu’on a
partagé….ce qu’on s’est dit…, je refuse de croire qu’il y avait de la
mesquinerie derrière.
— Je ne suis pas
mesquine Lio. Je me suis ouverte à toi par choix, parce que tu m’as donné envie
de le faire. Jennifer n’a rien à avoir avec ça.
Il m’écrase la bouche
de la sienne dans un baiser qui noie la majorité des accusations de Bruce. Il
me reste toujours à comprendre cette histoire de tromperie avec la femme d’Eben,
mais pas aujourd’hui. Il est assez à fleur de peau comme ça, donc je choisis de
révéler des détails minimes quand il me questionne à nouveau.
— On parle ce
soir après le travail, il me dit d’un air confiant.
J’acquiesce et nous
partons ensemble. Il est ponctuel à l’heure de fin et une fois chez lui, il me
montre des choses qui me sidèrent. Des photos de ce qu’étaient sa maison, son
salon et ses effets il y a deux ans. Il me parle de la venue de Hadassah, des
raisons que Jennifer a avancées pour détruire leurs effets. Il a également
adressé Océane et Elikem sans connaître les accusations de Bruce sur le sujet.
La première fut son amour de jeunesse et l’autre est son amie. À la fin, je
pense mieux saisir le tableau. Jennifer est entrée dans quelque chose qu’elle
ne maîtrisait pas, a foutu un peu n’importe quoi et Bruce ne l’a connu que
lorsqu’elle subissait les conséquences de ses actes, donc c’est normal qu’il prenne
sa défense.
— Je ne prétends
pas avoir tenu le rôle du parfait mari pendant tout mon mariage, parfois elle m’a
peut-être trouvé insensible, mais Dieu m’est témoin que je n’ai fait preuve d’aucune
mesquinerie envers elle. Je n’ai pas terni sa réputation après notre séparation
et même si ça m’a fait un choc d’entendre qu’elle est en couple avec ton
cousin, je t’assure que jamais je ne t’aurais fait la cour pour l’atteindre. Dieu
sait que j’aurais fermé les yeux sur toi si j’avais su pour votre lien dès le
début.
— C’est probablement
pour ça qu’il a laissé les choses se faire ainsi.
— Je le crois aussi
Tessa, il dit en me tenant la tête de façon possessive et m’embrasse la tempe
et répète tout bas, je le crois.
J’enlace ses hanches,
le cœur tranquille. Je ne me suis pas trompée sur lui, je le crois en tout cas.
***Bruce Attipoe***
Il sonne 21 h et
Tessa n’est toujours pas rentrée et pourtant j’ai parlé à cette enfant hier. Sa
mère ne prend même pas mes appels. J’attends juste le kiné de Jennifer qui
devrait être là dans moins de dix minutes. Comme elle n’a le droit qu’à du
doliprane pour gérer ses douleurs tant qu’elles sont modérées, on lui a
également pris un kiné parce que les massages facilitent une bonne circulation
sanguine selon nos recherches. Une fois que le kiné s’occupera d’elle, je
pourrais partir à la recherche de Tessa. C’était le plan, mais cette dernière rentre
d’elle-même un peu après l’arrivée du kiné.
— Si tu me dis que
tu étais avec lui hein…, je commence menaçant.
— J’étais avec
lui, elle me répond naturellement. Il fallait bien que j’entende sa version.
— Ce n’était pas
la peine d’accorder une seconde à ce type! Il t’a encore sorti des balivernes
je parie, et j’espère que tu l’as confronté avec mes révélations.
— Il m’a révélé
aussi des choses et en fin de compte, je trouve la chose plutôt simple Bruce.
Lui et Jennifer, ça n’a pas marché, elle a détruit sa maison et leurs affaires en
colère…
— Parce qu’il lui
a caché un enfant!
— Laisse-moi
finir s’il te plaît. Un enfant dont il a appris l’existence le même jour qu’elle,
juste que Jen était ici et lui en France. Ils n’ont pas eu le temps de parler,
elle a réagi comme tu sais, ça l’a fâché et tu connais la suite.
— Je connais la
suite Tessa? Tu trouves normal qu’un homme jette une femme dehors avec ce « tu
connais la suite » que tu me sors si facilement? Une femme comme toi?
— Pourquoi on devrait
porter un regard de jugement sur ce qui s’est passé quand nous n’étions pas
dans la vie de ces gens? Tu connais bien la vérité sur Jen toi et ça ne t’inquiète
pas qu’elle détruise tes effets si à l’avenir vous avez un malentendu non? Je
choisis aussi de croire que Romelio a appris de ses erreurs dans son mariage donc
je ne vois pas le mal de lui accorder une chance.
— Tu es malade?
Tu vas coucher avec l’homme qui a couché la mienne? je m’indigne. C’est quoi le
projet? Nos enfants seront cousins? Je t’ai tendu la main pour que tu me
remercies avec de l’ingratitude?
— Je vais m’en aller
alors.
— Quoi? je fais
pris de court.
— Je ne cherche
pas à créer des noises Bruce, elle m’explique sur un ton compréhensif. Le temps
que j’aie fait avec toi m’a été bénéfique et je pense avoir apporté du bien
dans vos vies aussi. Si ma relation risque de causer des problèmes pour toi, je
peux aller la vivre ailleurs. Je n’ai aucune idée de ce que sera la dynamique
avec nos enfants parce que je n’ai pas de projet d’enfants à l’heure actuelle.
— Tu quittes ta
famille pour t’isoler à cause d’un homme Thérèse? Tu ne vois pas que c’est le
procédé typique d’un narcissique ça? Il veut t’avoir seul pour te détruire!
— Ne t’en fais
pas pour moi. Je suis solide, elle me répond sur un ton confiant et s’en va.
Qu’est-ce que ce
maudit a fait à ma petite Tessa?