
38.La vie continue
Write by Samensa
ELA
Les larmes aux yeux, j’entends mon bébé vagir. Quand on le
pose sur mon ventre, je ressens une horde de sentiments inexplicables. Mes lames
ne peuvent s’empêcher de couler. Une chose est sûre, j’aime mon petit garçon. Je
l’aime tellement que mon cœur ne peut battre à un rythme régulier quand je le
regarde.
Je remercie intérieurement Dieu pour ce cadeau.
Plus tard, alors que je me repose dans ma chambre, Eric
arrive en compagnie de Nancy. A l’aide de ses béquilles, il avance lentement et
surement. Mes yeux se mouillent quand je pense que tout cela est de ma faute. Nous
nous saluons tous du regard.
Eric se penche sur le bébé et sourit.
-Tu as choisi un nom ? me demande-t-il.
-Non. Je voulais te laisser le privilège de le faire.
-Ah, tu me confies une tâche énorme… On pourrait l’appeler
Angel, il a l’air d’un ange. Toutefois, je vais réfléchir encore.
Je suis heureuse de voir son air d’admiration devant le
nourrisson.
-Merci Ela. Merci pour ce don exceptionnel. Ce bébé est tout
simplement waouh. Merci Ela.
-Félicitations Ela. Me dit Nancy.
-Merci.
Alors que nous discutons de notre enfant, les membres de ma
famille entre dans la chambre avec des cris de joie, des bouquets de fleurs et
des cadeaux.
-Félicitations !!
Agréablement surprise, je laisse éclater ma joie en
pleurant. Les autres me consolent en me taquinant. Ils s’extasient tous devant
mon fils.
Pendant un moment, je reste là à regarder tout le monde être
heureux. Je suis soulagée d’avoir enfin pu apporter un moment de bonheur à ces
personnes. J’attends que l’euphorie retombe avant de demander à être seule avec
Eric. Je dois impérativement lui parler avant de me reposer, je suis
extrêmement fatiguée.
-Qu’est-ce qu’il y a Ela ?
-Eric, je voulais juste te demander quelque chose.
-Je t’écoute.
-Je veux que tu prennes soin d’Angel.
-Angel ?
-Oui. Je souris. Je retiens le premier nom que tu lui as
donné. Angel. Il me plait bien.
-D’accord, j’en tiendrai compte pour la déclaration… Et tu
sais que c’est mon enfant, donc je pendrai soin de lui quoi qu’il arrive.
-Je sais. Malheureusement, je ne serai toujours pas là pour
lui Eric.
-Qu’est-ce que tu racontes ?
-Je le sens, c’est tout.
-Tu es fatiguée, il faut que tu te reposes. Et surtout pour
arrêter de dire des bêtises.
Je bois difficilement le verre d’eau qu’il me tend et me
force à afficher un sourire.
-Je vais bien. Mentis-je.
-Tu t’es vu ? Tu es blanche comme un linge.
-C’est normal, je viens d’accoucher. Mais, ce n’est pas la
question. Eric, je suis sérieuse. Il faut que tu prennes soin de lui, que tu te
charges de faire tout ce que je ne pourrai pas faire.
Apparemment fâché, Eric soupire.
-Il est ce que j’ai de plus cher au monde. J’ai lutté jusqu’à
présent pour lui. Eric, tu m’écoutes ?
-Oui.
-Je ne le demanderai jamais assez mais j’aimerais que tu
demandes pardon à tes parents de leur avoir enlevé un fils. Pardon à ma famille
pour la honte que je leur ai infligé. Je te demande aussi pardon pour avoir été
un poison dans ta vie. J’espère de tout cœur que Nancy comblera toutes les
blessures que je t’ai faites. Et je m’excuse aussi pour tout le mal que je lui
ai fait. Pardon.
-Ela, je ne sais pas ce qui t’arrive mais ce n’est pas drôle
de parler comme ça. Vraiment pas. Tu parles comme si…
Sentant mes forces décroitre, j’interromps Eric et lui demande
de me passer mon bébé pour que je l’embrasse avant de dormir. Lorsqu’Eric sort
de la chambre, je m’étends en regardant les néons au plafond et ferme les yeux.
J’ai besoin de repos.
ERIC
Je laisse Ela se reposer et me rend dans la salle d’attente.
Je planifie avec Api les préparatifs pour ramener Ela à la maison et aller
déclarer mon fils. J’écoute les conseils des uns et des autres lorsqu’un
infirmier entre dans la salle, tout essoufflé.
-Les parents de la patiente de la chambre 13 s’il vous plait !
crie-t-il.
-Nous sommes là ! répond Api.
-On a besoin du nom du bébé pour pouvoir l’identifier et le
placer dans la crèche avec les autres. C’est urgent.
-Angel. Je lance. Il s’appelle Angel. Mais que se passe-t-il ?
J’ai bien fait de demander car rien ne parait normal à cet
instant. Qu’y a-t-il se si urgent ? Et pourquoi cet homme a l’air si
inquiet ?
-La patiente va mal.
-Quoi ? Je viens de la laisser à l’instant. Elle allait
bien.
-Plus maintenant.
Ela, qu’est-ce que tu es en train de nous faire ?
Renonçant à nos plans, nous nous asseyons tous en attendant
un retour des médecins. Je me sens mal à l’aise en me rappelant les paroles de
mon ex-femme dans la chambre. J’en fait part à Nancy qui, malgré les
inquiétudes que je perçois à son air, me rassure.
Le docteur arrive. Nous l’encerclons.
Parfois, le silence parle plus que les mots.
Je porte les mains sur la tête en lâchant mes béquilles. Elle
a osé nous faire ça.
Mme Aké pousse un cri avant de s’écrouler. Les cris de
douleur s’élèvent dans la salle. Personne n’écoute plus les paroles du médecin
qui nous explique qu’elle a eu une forte baisse de sa tension artérielle et
etc.
Je comprends à présent les dernières paroles de ma défunte
femme. Et je suis en colère contre elle. Elle savait qu’elle était sur le point
de quitter ce monde et n’a rien fait pour rester. Qui laisse son enfant de
quelques heures orphelin ? Je lui en veux de ne pas avoir pensé à Angel. Elle
a fait preuve d’un égoïsme sans pareil. Elle a su encaisser jusqu’à présent
alors pourquoi elle fait ça ?
Ela, qu’est-ce que je vais dire à notre fils quand il
demandera à te voir ? Comment je vais gérer tout ça ? Ah Ela…
Quelques années plus tard
-Angel ? Viens ici ! Et puis, Elie, ne fais pas
comme ton petit frère s’il te plait.
Je ris en regardant Nancy courir après les enfants.
-Eh, la vieille, ne te brise pas les os en jouant avec les
enfants.
Elle me jette un regard noir avant de les menacer de leur
confisquer leurs tablettes. Ce qui a le don de les calmer net. Ils montent à l’arrière
de la voiture. Direction : le cimetière. Nous allons à une cérémonie
organisée par les Aké pour leur fille.
5 ans maintenant qu’elle nous a quitté. Depuis ce temps,
chacun de nous a fait son petit chemin.
Mes parents se sont retranchés dans leur village à l’ouest
de la Côte d’Ivoire. Après la mort de David, la vie n’avait plus vraiment de
goût. Retourner sur leurs terres leur a permis d’avoir une nouvelle vision de
la vie. Ils s’y sentent bien.
Les Tra Lou, eux, n’ont pas réussi à oublier le passé. Ils culpabilisent
toujours pour ce qui est arrivé. On a tous essayé de les aider à aller de l’avant
sans succès. Chaque année, il organise cette cérémonie pour elle, pour prier
pour le repos de son âme. C’est pour cela que je suis au pays en plein milieu
du mois de Mars.
En effet, je suis marié à Nancy depuis quatre ans maintenant.
Nous vivons en Angleterre où j’ai développé les affaires de PICI.
Quand nous arrivons, la petite Esther me court dans les
bras. A force de parler avec nous et ses cousins par appel vidéo tous les
jours, elle nous connait bien. Je la fais virevolter dans les airs avant de la
poser au sol. J’embrasse Api en la serrant contre moi. Elle a bien grossi
depuis le temps avec ses grossesses : trois au total. Et Dieu l’a même
gratifié de jumeaux. Elle est heureuse dans son couple.
Je salue mes ex beau parents et nous passons à la cérémonie.
Le prête commente un passage de la bible puis prie pour l’âme.
A mon avis, de là où elle est, si elle peut voir comment
nous vivons, rien ne saurait la troubler. C’est vrai que ça a été difficile au
début. Surtout avec Angel qui lui aussi, ne voulait pas de ce monde. On a dû
lutter pour qu’il reste parmi nous et il est aujourd’hui un petit garçon fort.
-Alors c’est qui sur la photo ? Lui demandai-je en lui
montrant du doigt la photo jaunie gravée dans la pierre tombale.
-Maman.
-C’est bien. Tu sais que maman t’aime ?
-Oui. Elle veille sur moi du ciel.
-C’est bien ça.
-I love you too mommy. Crie-t-il en levant les yeux au ciel.
(Je t’aime aussi maman).
Insouciant, il sautille rejoindre ses grands-parents. Moi je
reste agenouillé devant la tombe.
-Je ne sais pas si je reviendrai ici encore Ela. Angel peut
être reviendra quand il sera plus grand. Je tenais juste à te dire que j’ai
tenu ma promesse et je continue de la tenir. De là où tu es, j’espère que tu
vois ce que ton fils est devenu. Et si jamais, tu n’as pas encore trouvé la
paix, il est temps. Tu as certes commis des erreurs mais nous t’aimons. En tout
cas, moi, je t’ai pardonné. Jusqu’aujourd’hui, je n’approuve pas ta manière d’avoir
pseudo réglé la situation. Mais bref, qui suis-je pour te juger ?