119: à sa découverte

Ecrit par Gioia

***Océane Ajavon***

Quand tu es heureuse, la vie semble filer à la vitesse de l’éclair. J’ai l’impression qu’Elikem débarquait hier, pourtant plusieurs jours se sont écoulés. Madame est à Pretoria depuis deux jours et ne cesse de me soûler avec un S. Elle ne veut rien lâcher comme info. Qu’est-ce qu’elle fait là? Comment le type sur lequel elle se défoulait verbalement devant moi a réussi à la traîner là-bas? Tant de questions auxquelles son front panoramique doit répondre, mais est-ce qu’elle fait ça? Non. Elle préfère nous narguer avec des photos et vidéos histoire d’accroitre notre confusion. Sa sœur n’en sait pas plus. Idem pour Romelio. Elle nous laisse tous dans le flou! On sait seulement qu’elle est en promenade, ses mots et supposément, on en reparlera quand elle sera à Nairobi. Je ne sais même pas quelle heure il sonne là-bas, mais ici on tend vers 21 h et elle n’a rien mis en statut sur son Whatsapp depuis trois heures donc je vais l’emmerder.

— Alors? On doit te supplier pour voir ce que tu as fait ce soir?

— Rude but OK, elle me répond avec un smiley qui rit aux larmes.

Au lieu de m’envoyer la photo, elle va mettre une petite vidéo de quinze secondes d’elle faisant son intéressante et en arrière une vue spectaculaire de la ville illuminée par les lumières.

—Enjoyment looks good on you huh? je lui envoie en souriant comme une dingue.

— Quelque chose comme ça, elle me répond et ajoute un smiley satisfait.

— Il a déjà essayé de t’embrasser?

Elle m’envoie un smiley à la bouche cousue et je pousse un juron qui fait tiquer la tresseuse sur ma tête.

— Pardon ce n’est pas toi, continue, je la rassure avant de répondre à celle qui mérite mon juron.

— Ma vengeance sera terrible, prends-le en note et va t’amuser au lieu de polluer mon téléphone.

— Tu me tueras toujours. C’est toi qui demandes et c’est moi qui pollue hein. Amuse-toi bien demain aussi.

Oh que oui, je vais bien m’amuser demain! Depuis la nuit qu’on a passé ensemble, Meu bem et moi n’avons pas eu une minute à nous. Il se remettait à peine qu’il devait se déplacer encore pour ses projets personnels. De mon côté, j’ai enfin réussi à me trouver un designer qui pour le moment ne me déçoit pas. Mes appréhensions ont été balayées en un rien de temps. C’est Meu Bem qui s’est occupé de la négociation tarifaire au début, mais j’ai vite repris les rênes. L’anniversaire de Hadassah fut également une réussite et cette expérience m’a donné des idées pour l’avenir de mon centre, mais pour l’heure je vais au lit. Mon mec est rentré jeudi et m’a prévenu qu’on passerait le week-end en dehors de la ville, donc il me faut mes huit heures de sommeil.

Je suis debout aux aurores, change de tenue plusieurs fois parce qu’il n’a pas voulu me donner de détails sur sa surprise. Vu comment il était excité quand il m’en parlait, je suppose qu’il nous a réservé une chambre dans un des nombreux hôtels en bordure de mer d’Avepozo parce qu’on a besoin d’intimité et sa maison est un véritable chantier récemment. Je finis par choisir un t-shirt Adidas blanc sous lequel j’ai un bandeau noir et mon pantalon rouge couvre mon bikini taille haute noir. On ne va pas perdre de temps. Je file dans la piscine dès qu’on débarque et on va mal se tripoter dedans. C’est dingue que ce type n’ait pas encore essayé de me faire l’amour malgré tous les attouchements qu’on se fait et c’est maintenant que je me demande si me faire des nattes était un choix judicieux pour un week-end en amoureux. Bref, je n’ai plus le temps d’y songer et je suis à croquer de toute façon. Un peu d’anticernes puis de la poudre et valisette en main, je vais l’attendre dehors histoire de laisser aussi des instructions à mon gardien.

Dès qu’il débarque, je me dis que ce week-end promet d’être intéressant. Le type est au volant d’un Pickup rouge de Ford que je ne lui connais pas. Je rappelle à mon gardien de m’appeler n’importe quand et nous sommes partis.

— Il sort d’où ce pickup?

— Je l’ai emprunté à mon ami Bruce, je t’ai parlé de lui, tu t’en souviens?

— Oui, mais pourquoi tu as emprunté une si grosse voiture pour un simple week-end?

— Et qui a dit qu’il serait simple le week-end? il me retourne avec humour.

— Je n’ai toujours pas le droit de savoir dans quel hôtel on se rend?

— Hôtel? Je t’emmène chez moi, là où j’ai grandi.

— Euh…, je commence confuse.

— Je prévoyais une descente à Vogan depuis un moment, mais les événements me poussaient à repousser le déplacement jusqu’à présent. Tu pourras rencontrer ma mère ainsi que mon frère et sa famille. On devrait être de retour le dimanche en soirée.

— Quand tu dis Vogan, tu parles de quel Vogan au juste? j’essaie de clarifier et il sourit en me jetant un regard imbittable.

— Tu en connais combien de Vogan?

— Et pourquoi je devrais y aller? Je n’ai pas signé pour ça. Je croyais qu’on allait s’enfermer dans un hôtel, se goinfrer, marcher sur la plage et faire l’amour pendant deux jours. En plus je n’y connais rien à la vie de village. C’est pour me faire regarder étrangement par les gens et qu’on croit que je suis irrespectueuse parce que je serais dégoutée par les latrines à fosse.

— Commençons par clarifier que Vogan n’est pas un village, mais une petite ville moins moderne que Lomé, mais elle n’en est pas moins une ville. Sinon, tu n’as jamais mis pied dans ton village?

— Quel village mon frère? Je suis née aux États-Unis et j’ai majoritairement grandi à coco beach en Floride moi. Je n’y connais rien à ce que font les gens au village.

— C’est noté. On visitera d’autres villes moins modernes et villages alors, il continue naturellement.

— Tu m’as écouté? je lui demande irritée par sa désinvolture.

— Oui Querida, je t’ai écouté. Tu as grandi à coco beach donc la vie de village que tu connais ne vient que de ton imagination. Certains ont peut-être des latrines à fosse, mais la maison où je t’emmène a le nécessaire de base. Douche et toilettes internes. Tu ne seras pas obligée de tirer l’eau au puits. On a accès à l’eau du robinet. J’ai même interdit à ma mère de cuisiner au feu de bois parce que la fumée est désormais néfaste pour sa santé, donc tu trouveras une bouteille de gaz si tu as envie de te mettre aux fourneaux. On s’approche de la fin des trois mois sur lesquels on s’était entendu. Je t’ai emmené dans des restos, des magasins, au travail et chez moi. Tu connais donc le dragueur, l’avocat et l’homme chez lui, mais il reste d’autres facettes de ma personne. Je suis aussi le fils de quelqu’un et même tonton déjà. J’aimerais que tu les rencontres, mais…, il active son clignotant et finit par se garer puis continue…, le choix te revient. Si tu préfères te contenter de l’Eben qui t’emmène uniquement dans les coins agréables, je peux te ramener à la maison et on se revoit quand je rentre.

— Maintenant que tu me l’as présenté si bien, tu t’attends à ce que je te dise non? je dis en le regardant de travers et il sourit comme quelqu’un qui ne ressent aucune culpabilité.

— Je n’attendais pas moins de ma chérie, il me rajoute une dernière couche de sucre collant avant de reprendre la route.

J’ai seulement accepté, mais je suis encore appréhensive à l’idée d’être dans un environnement inconnu. Je me rappelle des moqueries dont j’ai été victime durant ma première année à Lomé. Ton mina est bancal parce que tu ne l’as parlé qu’avec ton père pendant des années, les gens pensent que tu te prends en cherchant tes mots. Tu ne portes que des compensées pour aller à l’école parce que c’est le style auquel tu es habituée, les surveillants te prennent en mouche sans que tu comprennes les raisons et ils s’amusent à te cibler. Tu découvres que les gens qui ont couru pour devenir tes amis parce qu’ils t’ont entendu converser avec le prof d’anglais radotent dans ton dos et t’inventent des vies. Le pire c’est quand ton père débarque croyant qu’il vient régler la situation et après son départ, tout s’empire. Tu sens l’animosité, mais comme on ne te fait directement rien, tu n’as aucune preuve. C’est dans tout ça que j’ai forcé l’amitié avec Elikem. Je me rappelle très bien de la scène qui m’a attiré vers elle. J’attendais mon chauffeur et juste à côté, tata Belle la réprimandait qu’elle continue à se comporter comme si Antoine était le fondateur de l’école et on verra où elle ira après son renvoi. C’est en haussant les épaules qu’elle lui a répondu qu’elle n’attend que ce renvoi pour faire quelque chose de concret de sa vie au lieu de supporter des vieux croutons qui bavent derrière les lycéennes qu’ils convoitent. Oubliant que j’épiais la conversation, j’ai rigolé. Elle m’a lancé un regard de la mort. C’est Romelio qui m’a sauvé in extremis et ce fut également notre premier regard. Le jour-là, j’ai décidé qu’Elikem allait devenir mon amie qu’elle le veuille ou non. Pénétrer son mur ne fut pas tâche aisée, mais dès qu’on a commencé à nous associer, les moqueries se sont petit à petit estompées. Les détracteurs sont devenus des suceurs, mais je n’en avais plus rien à foutre. J’avais mon petit club. Bref, tout ça c’est si loin, mais les souvenirs remontent au fur et à mesure qu’on s’éloigne de Lomé. Pour clore ce chapitre, je me rappelle l’essentiel. Je suis une femme de 34 ans qu’on peut parfois qualifier de langue de vipère. Que celui qui veut m’intimider s’essaie et on verra.

— Tu ramènes au moins un truc à tes neveux ou nièces tonton? je relance la conversation parce qu’on ne parlait pas. Il avait juste déposé ma main sur sa cuisse que je câlinais depuis un moment.

— Je ne leur suffis pas?

— Come on, quand tu voyais un oncle ou une tante venir de Lomé, tu te réjouissais parce qu’ils étaient beaux ou parce que secrètement tu espérais que leur valise contenait un petit truc pour toi? je l’interroge avec humour.

— Bon tu m’as eu, il avoue et me fait rire.

— Ton frère sait quand même que tu arrives avec moi? Ou tu vas nous imposer sans aucune gêne chez lui?

— Il vit dans notre maison familiale, où j’ai une chambre réservée.

— Ah d’accord. Ta sœur y est aussi? Tu m’as dit que tu avais une petite sœur si je ne m’abuse non?

— Hilda, elle vit malheureusement à Nairobi.

Mon cerveau se met en pause et je ris d’étonnement.

— Tu es sérieux?

— Le malheureusement est long à expliquer, mais pour le moment, comprends juste qu’elle nous a contrariés en se rendant à Nairobi.

— Mon «tu es sérieux» n’est pas pour ton «malheureusement». Lol, qui aurait cru que je serais en couple avec le frère de Hilda.

— Tu connais ma sœur? c’est lui qui me demande avec stupéfaction maintenant.

— Un peu mon neveu! Elle vit actuellement avec ma meilleure amie.

— Ta meilleure amie? Comment? Pourquoi je n’ai jamais entendu ton nom alors?

— Bon c’est vrai qu’elle vit avec Elikem depuis peu, mais avant elle était avec Aïdara et Snam, nos bonnes petites quoi.

— Merde, tu la connais vraiment. Dire que j’ai été à Nairobi et rencontré les deux petites dont tu parles. Ton père, c’est bien Innocent Ajavon hein?

— Oui pourquoi?

— Juste pour m’assurer qu’on n’est pas lié d’une autre façon après t’avoir embrassé et bouffé la chatte en pagaille.

— Tu es con, je rigole à gorge déployée.

— Et tu confirmes que les Lare Aw sont des gens respectables? Je demande parce qu’en presque six ans que ma sœur fait là-bas, je n’ai jamais pu rencontrer ces gens.

— Bah ils vivent ici à Lomé.

— Je sais, mais jamais elle n’a voulu m’indiquer où je pouvais les trouver. À force de m’énerver, j’ai fini par abandonner.

— Bizarre, mais je peux t’assurer qu’ils sont des parents responsables. J’ai presque grandi avec leur fille aînée et leurs deux derniers me considèrent comme une grande sœur, je lui confirme pendant qu’il se gare devant une maison dont la peinture blanche a vu de meilleurs jours.

Je descends, il s’occupe de nos bagages et avant qu’on avance m’attrape par la taille puis me donne un peck sur la bouche.

— Tout va bien se passer, fais-moi simplement confiance.

J’agrippe son bras qui tient ma valisette et on avance ensemble. Les événements s’enchaînent assez rapidement les minutes qui suivent. C’est un jeune homme ressemblant à Fabien qui lui ouvre et lui tombe dessus en criant de joie avant d’hurler «maman». On entre pendant que le frère nous aide avec les valises. La vieille crie davantage et m’émeut quand elle essaie de soulever son grand garçon. Deux garçons et une fille rejoignent la danse autour d’Eben et une jeune femme s’avance avec un sourire. C’est dans ce brouhaha qu’on m’introduit et deux minutes plus tard, nous sommes assis en cercle dans la cour. Les garçons ne cessent de questionner leur tonton. La petite est plutôt attachée à la mamie et observe la scène avec curiosité. Eben prend les devants et m’introduit enfin.

— Bienvenue ma fille, la dame commence en se levant et je suis le mouvement pour prendre son câlin. Je suis Constance, la maman. Tu peux m’appeler comme tu veux.

— Merci maman Constance, je dis simplement.

— Moi je suis Jérôme, ton beau direct. Voici ma femme Amen et les enfants Benoît, Benito et Belinda. Prends-les comme tes enfants hein. On ne fait pas de protocole ici.

— Ah…euh enchantée.

— Qu’est-ce qu’on vous prépare? Je vais faire un tour rapide au marché.

— Comment ça? Amen va y aller, intervient Jérôme et comme l'Amen en question était sur ma gauche, j’ai naturellement vu la confusion puis l’agacement se succéder rapidement sur son visage avant qu’elle n’y placarde un sourire crispé et confirme qu’elle le fera.

— Qu’est-ce que tu aimerais manger Querida?

— Aucune idée pour le moment, on pourrait aller au marché et peut-être je trouverai un truc qui me tente?

Il me décoche un regard mi-confus mi-étonné avant de hocher la tête et dire OK. Je pousse mentalement un ouf de soulagement qu’il ait marché.

— Le programme est fait alors. Quant à moi, je vais faire un tour au bar. Vous voulez boire quoi? son frère nous demande.

On passe chacun commande et quelques minutes plus tard, nous prenons des chemins séparés. Meu bem et moi sommes avec sa belle-sœur et le deuxième neveu. Leur maison étant à moins de vingt minutes de marche, on décide de s’y rendre à pied au grand dam du petit Benito qui chantonnait depuis la maison qu’il allait s’asseoir sur les jambes de son tonton pour monter dans la grande voiture. Bercés par le bavardage du petit, nous arrivons sans tarder au grand marché. Nous sommes légèrement en retrait avec le petit tandis que la belle-sœur discute avec les vendeuses.

— Qu’est-ce qui trotte dans ta petite tête?

— Rien, pourquoi?

— Toi qui proposes qu’on aille au marché alors qu’on aurait pu se reposer tranquillement à la maison, c’est surprenant.

— Profites-en alors, c’est pour avoir une bonne raison de me défiler lorsque ta mère sera en cuisine, je lui réponds et il rigole.

— C’est comme ça qu’on tisse les relations avec belle-maman?

— Pardon, je vais les tisser à ma manière.

— Tonton regarde là-bas, le petit attire son attention ailleurs, ce qui me permet de pousser un soupir de soulagement.

Je n’ai certes aucune envie de jouer le rôle de la belle-fille travailleuse avec belle-maman, mais c’est pour une autre raison que j’ai proposé qu’on se joigne à la belle-sœur. Ça ne me rassurait pas qu’une personne irritée fasse des courses pour nous, mais je n’allais pas commencer à accuser la meuf chez Eben et prendre le risque de passer pour une psycho. On visite quelques étalages et ce qui m’étonne c’est qu’Eben est souvent reconnu par des jeunes femmes.

— Tu revenais souvent pour draguer ici ou quoi? je lui chuchote après qu’il ait réglé les frais de nos achats.

— Tu vois quand je dis que tu es folle, il dit avec humour. Je vais quitter Lomé juste pour venir draguer ici?

— Beh pourquoi tu es la coqueluche du coin bien que tu aies quitté le vill…la petite ville durant ton enfance?

— Parce que maman a connu la majorité de ses filles quand elles accompagnaient leurs mères vendeuses. Elles ont repris les commerces maintenant que les mamans sont âgées et surtout notre nom était versé dans la bouche à un moment donné à cause des frasques de Jérôme.

— Papa connaît tout le monde tonton, il sort…, commence le petit qui a entendu le nom de son père.

— Hééé, c’est à toi qu’on parle? l’admoneste la belle-sœur.

— Ton papa est célèbre alors, Eben commente en câlinant sa tête et revient me chuchoter à l’oreille, tu vois comment ta jalousie met mon bon petit dans les problèmes?

— La vraie question c’est où étais-tu pour intercéder quand ton frère et sa sœur pensaient à nommer ton bon petit Benito?

— Tu as tellement la langue pendue, il rigole doucement après m’avoir pincé le bout du nez. À ma décharge, ils avaient déjà établi l’acte de naissance du petit avant de me donner son prénom et Belinda aurait probablement fini en Benita ou Benitina si je n’avais pas proposé ce prénom dès que maman m’a annoncé l’accouchement, il murmure et c’est à mon tour de rire.

— Ils ont une histoire particulière avec le b?

— Tu penses que j’ai demandé? J’ai appris avec le temps à ne pas questionner Jérôme sur certains sujets. On connaît le début de ses histoires, mais on ne voit jamais la fin.

— Méchant, je rigole.

De retour à la maison, je trace dans la chambre où l’on a déposé nos valises, pensant qu’Eben me rejoindrait pour se changer, mais il traîne tellement que je finis par sortir pour le trouver en cuisine en train de renverser des tomates dans un panier.

— Tu vois? Je t’avais dit de laisser ça et d’aller te reposer avec ta femme, le réprimande maman qui lui retire le panier en question avant de le pousser légèrement et lui de s’en amuser.

— Besoin de moi bébé? il demande une fois à ma hauteur.

— Non. Qu’est-ce que tu fais?

— Je m’assure que la vieille n’en fasse pas trop et l’embête un peu. Tu as chaud? J’ai texté Jérôme tout à l’heure et il m’a dit qu’il s’apprêtait à quitter le bar avec nos boissons.

— Peut-être tu as faim ma fille? Je peux te chauffer un peu de riz d’hier, la maman qui continue à s’affairer sur ses crabes me propose.

Ils ont gagné. Me voilà gênée à l’idée de manger gracieusement et aller me coucher, pourtant mon projet c’était de me la couler douce. J’accepte son riz parce qu’en vrai je commence à crever de faim, et m’installe sur un petit tabouret pour manger tout en observant Eben le fils dans son élément. Il n’y a pas à dire, c’est un fils à maman. L’adoration qu’il lui voue est palpable et c’était une de mes grandes craintes que j’ai adressées dans ma requête à Dieu, mais…Non pas de, mais pour l’instant. Je ne vais pas me charger l’esprit d’aprioris alors que je ne connais même pas bien la maman. En tout cas, on passe un super moment de l’aprèm jusqu’en début de soirée. De maman jusqu’à Belinda, chacun a reçu son petit cadeau d’Eben, mais maman en a reçu plus. J’en ai appris un peu plus sur leur famille. Même Belinda la timide s’est laissé prendre et se faisait nourrir par son tonton. Avant aujourd’hui, je pensais que les crabes résidaient soit dans la mer soit dans les sauces, mais les Tountian m’ont converti à la pâte de maïs tournée dans la sauce tomate recouverte d’immenses crabes juteux. Quand je dis que j’ai mangé! Plus je savourais, plus Eben remplissait mon assiette et je me goinfrais sans comprendre qu’il me donnait sa part, jusqu’à ce qu’on se rende compte que maman Constance nous avait faussé compagnie. On l’a retrouvé en train d’allumer du feu de bois à l’arrière de la maison, avec la raison qu’elle allait rapidement nous sortir une deuxième tournée comme on mange bien. La journée a même failli prendre un virage malaisant à cause de ça. Eben réprimandant la vieille sur son entêtement et elle le cajolant sans pour autant arrêter sa préparation. Résultat, on a encore mangé et j’ai profité d’une ouverture pour battre retraite parce qu’Eben avait raison. J’ignore si les trois Heineken qu’il a prises l’ont aidé, mais Jérôme nous a égayés par ses histoires loufoques dès son retour, mais jamais on n’entendait la fin. La constipation ne m’aurait pas fait fuir que je serais encore dans la cour essayant de décoder ce qu’il racontait.

— N’entre pas, je dis dès que je perçois du bruit à la porte.

— Pourquoi? la voix d’Eben me revient.

— J’arrêter pas de lâcher des caisses.

Il rigole, ouvre quand même la porte et ose se pincer le nez.

— Tu n’as pas intérêt à commenter. C’est ta faute si j’en suis ici.

— Bien sûr, c’est moi qui te fendais la bouche et t’enfonçais la bouffe dans le gosier, il dit amusé et retire le drap sur mon corps.

— Vous avez fini le chapitre où il est tombé du palmier?

— Où ça? Il était en plein développement de la partie où il s’est arrêté en pleine escalade parce qu’il a pris en flagrant délit un vieux qui voulait voler ses effets, il dit et je rigole.

— Ton frère devait être acteur.

— Dis-le doucement s’il te plaît. Il peut passer par là, t’entendre et croire que tu as raison.

— Lol. Maman est allée se coucher aussi?

— Dès que tu es partie. Elle n’en a plus rien à foutre de moi.

— Haha, c’est quelle vilaine jalousie ça?

— Apprête-toi à me payer ça, il continue et me fait rire, mais mes boyaux choisissent ce moment pour me faire souffrir. Va prendre une douche au lieu de nous polluer l’air ici.

— Une douche? À cette heure?

— Il n’est que 21 h, tu me racontes quoi?

— C’est obligé? Je ne sens pas mauvais. Je vais me faire toute petite, tu ne me sentiras même pas.

Le type me tire carrément par les deux bras et se met à me dévêtir. C’en traînant des pas, et dans mon peignoir que je me fais conduire à la douche où m’attendait un seau d’eau chaude.

— Tu sais comment mettre l’eau dans le pot de yaourt ou tu préfères que je te lave?

— Dégage, je dis en le poussant dehors pour qu’il aille se moquer là-bas.

— Tu m’appelles hein si tu vois un gecko.

— Pfff, je l’aurais expédié en enfer avant que tu ne rappliques.

— Tchieu la fille qui a grandi à cocobeach même?

— Enfoiré!

— Dans la maison de ma mère? Les filles d’aujourd’hui vraiment, il rigole loin.

Le toit de leur douche n’est pas entièrement fermé du coup, le mélange de l’air légèrement frais et l’eau chaude est tellement agréable que je prends tout mon temps. Je sors de la pièce et j’avance à pas de loups avec l’intention d’effrayer Eben que je pensais trouver dans la chambre, mais il est dans leur cour accompagné de maman qui devait être endormie. Les deux sont de dos donc aucun ne me voit et j’aurais rasé doucement les murs pour aller en chambre si je n’avais pas compris qu’ils parlaient de moi.

— Spa c’est quoi? sa mère lui demande.

— C’est un endroit où on se rend pour des soins de corps du style gommage, massage, et dans certains, on offre des soins d’épilation, mais pas le sien. C’est là-bas que je l’ai rencontré.

— Toi-même tu allais faire quoi là-bas?

— J’y ai emmené Bijou qui avait remporté une séance gratuite et elle m’a tellement marqué que je me suis réservé un soin aussi en espérant la revoir.

— Eh mon fils, elle rit de façon de moqueuse. C’est comme ça que tu es? Tu as réservé les soins de femme pour chercher la femme?

— Aux grands maux les grands remèdes ou bien? il rigole en retour. Sinon les hommes aussi peuvent se faire masser. Ce n’est pas réservé aux femmes.

— Je suis d’accord. Ton âge avance. C’était normal que tu cherches sérieusement et je prie que Dieu vous emmène au bout. Tu es grand et c’est la première fois que tu nous emmènes quelqu’un…

Mon cœur fait un bond à cette révélation. La toute première fois?

— Donc te connaissant, je sais que tu es sérieux, elle continue. Maintenant qu’elle connaît notre maison, c’est ici qu’elle viendra si elle doit te signaler donc ne la pousse pas à trop venir hein. Il ne faut pas me faire honte.

— Tu tiens donc autant ta réputation après ce que Jérôme te montrait ici?

Je choisis ce moment pour continuer mon chemin et me faufile sous la couverture, le cœur tambourinant si fort que je l’entends dans mes oreilles. C’est la toute première fois qu’il emmène une femme à sa famille? Je cogite tant sur ce fait que je n’ai aucune idée du moment où le sommeil m’emporte. On se lève au chant du coq avec nos membres entrelacés. Le programme de la dernière journée est plus fourni. On commence par des visites et partage de cadeaux à des gens envers qui Eben se sent redevable. Au fur et à mesure qu’il me met en contexte son enfance ici, je me rends compte que la vie les a vraiment maltraités. Il m’avait certes expliqué qu’il avait perdu son père, mais entendre les détails de leur vie après cette épreuve me laisse pantoise.

— J’ai une question et promis tu ne te fâches pas?

— Je t’écoute.

— Maman passait facilement du mina au français, du coup je me demande pourquoi vous avez vécu ici? Pourquoi elle n’a pas essayé de se trouver du travail à Lomé après le décès de papa?

— Parce qu’on ne se trouve pas si facilement du travail à Lomé. Quand tu as quatre enfants à charge, tu redoutes deux choses, le loyer et leurs besoins. Au village, elle pouvait se défaire du souci de loyer grâce à sa famille qui était prête à nous héberger. Il ne lui restait plus que la bouffe et notre scolarité à gérer.

— Papa n’a rien laissé?

— Papa était un camionneur bébé. Ils se sont connus quand maman a repris le commerce d’oignons venant du Burkina de sa mère parce qu’on ne pouvait plus assurer sa scolarité après sa quatrième. En grandissant, je me suis même dit que peut-être papa avait une autre famille à bobo, ce qui expliquerait le pourquoi les Tountian ne se sont jamais intéressés à notre sort. Du vivant de papa, nous sommes allés au Burkina deux fois. Fabien et Hilda par exemple n'y ont jamais mis les pieds.

— Ta maman a été obligée de travailler toute sa vie et malgré son âge actuel, ça ne la gêne pas de se mettre aux fourneaux pour nous?

— Avec elle, j’ai appris que l’humilité, tu l’as ou pas. Même si je lui construisais un château, elle ne se comporterait jamais comme la reine. Elle n’arrive pas à s’identifier à ça. Parfois, ça m’attriste qu’elle ne veuille pas plus de la vie, mais elle me rassure qu’elle vit trois fois mieux que ce qu’elle imaginait et tout ce qui lui reste, c’est de porter nos petits-enfants, il dit avec une pointe de fierté.

— Heureusement que vous lui avez permis de mener une vie meilleure que son imagination, et j’espère que tu n’attends pas de l’humilité de ma part hein. Ce n’est pas mon ministère.

— Ah bon hein, il pouffe de rire. Ton ministère c’est donc quoi?

— Enjoy physiquement et verbalement ma life. Je n’en ai qu’une après tout.

— Lol, enjoy en paix Querida, tant que tu ne tombes pas dans le mépris et mon nom ne se promène pas sur vos choses de Snap et IG.

— Nos choses? je dis avec humour.

— Tu n’as pas lu le résultat des études faites sur les dangers de ces trucs?

— Il y a un danger dans tout chéri. C’est le monde moderne qui est ainsi.

— Monde moderne mon œil. Mes enfants n’y auront pas droit avant la majorité.

— Quoi? j’éclate de rire. Tu veux créer des rébellions dans notre maison?

— Ils vont se rebeller parce qu’ils contribuent aux charges? C’est mon navire, ce seront mes règles.

— Kieee, je continue amusée. On peut juste mettre plein de filtres pour bloquer ce qu’on juge tendancieux pour eux.

— C’est ça. Dès que tu ouvres votre truc IG là, on t’affiche sur ton fil d’actualité ce que tu n’as pas demandé. Dis-moi même, c’est quoi le but d’aller mettre, «merci bébé pour le Chloé» quand bébé est dans la maison avec toi et tu peux lui dire merci directement? Si le but n’est pas de frimer, c’est quoi?

— Est-ce qu’on a refusé notre frime? La vraie question c’est pourquoi tu es déchaîné contre notre mouvement?

— Mouvement néfaste là, vous m’énervez jusqu’à, il avoue et me fait rire aux éclats. Ça va aller chéri. Je viendrai te dire merci bébé avant de le poster.

— Parce que c’est toi qui m’as donné l’argent de Chloé?

— Come on, si mon chéri connaît Chloé c’est que son argent ne va pas tarder.

— Lol c’est ça. En attendant, c’est l’argent des champs que j’ai, donc attache-bien tes lacets, on va un peu marcher, il m’annonce après s’être garé dans un coin perdu.

— Rhooo Eben, tu m’as dit qu’on allait se balader, je proteste.

— Et dans la balade on est arrivé devant ma plantation, où est le souci? il me retourne sur un ton qui indique qu’il ne me prend pas au sérieux.

Il descend et s’éloigne, donc je suppose qu’il a compris mon désintérêt à l’activité, mais le type revient quelques minutes plus tard m’annoncer que son frère est là. Je ne me gêne pas pour rouspéter à chaque caillou qui se faufile dans mes espadrilles durant la marche jusqu’au champ dont la vue me laisse sans voix et lui est admiratif. Il y a trois bœufs dans un petit enclos emménagé vers lequel son frère nous conduit tout en lui faisant le topo de la plantation cette année. J’écoute d’une oreille distraite, car perdue dans la contemplation des pastèques cachées dans le feuillage fourni. Après les animaux, on se dirige vers un oranger moyen, Jérôme tenant un sac et c’est ainsi que commence officiellement la récolte. Les garçons munis de houes s’attaquent à ce qui ressemble à des ignames une fois sorties de terre. J’observe avec stupéfaction cet homme dont je connais le côté raffiné, se livrer sans rechigner à une tâche rudimentaire et carrément manier l’outil avec tant de dextérité que mon corps en tremble. C’est la folie dans ma tête, que personne n’essaie de me comprendre. Il parle à mon côté primitif là. Au lieu de rester bêtement prostrée là et fantasmer sur les compétences de mon homme, je me propose d’aider. Son frère me sort une pelle et Meu bem me montre comment l’utiliser pour déterrer des oignons. J’ai bien tiré et massacré quelques bulbes dedans. La main verte ce n’est pas chez moi qu’on la trouvera. À un moment donné, on est rejoint par la femme et les deux garçons de Jérôme dont l’aide nous fait quand même gagner du temps, pourtant c’est en fin de soirée qu’on quittera officiellement le champ. Les vêtements sont sales. Mes ongles on n’en parle pas, mais qu’est-ce que je m’en fiche maintenant. À la maison, c’est un peu la débandade. Maman veut qu’on mange avant de partir, mais Eben décline pour sa part. Il préfère prendre une douche rapide et qu’on parte parce que la récolte a pris plus de temps que nécessaire, aussi il est attendu quelque part à 21 h. Je suis prise en otage par maman en revanche. Elle arrive à me convaincre d’avaler un truc pendant qu’Eben est dans la salle de bain. C’est la bouche pleine que mon cerveau fait tilt.

— Oh merde, on a oublié de décharger le camion dans le bavardage, j’annonce tout haut.

— Finis de manger ma fille. Jérô, il y a les choses de ton frère à sortir de leur voiture, l’interpelle maman.

— Je vais quand même l’aider. On a récolté beaucoup de choses, il ne pourra pas le faire seul, je dis tout en me levant.

— Les récoltes là sont pour vous hein belle-sœur, tu es sûre? C’est Eben qui a dit de faire ça?

— Pour nous? je l’interroge estomaquée. L’arrière du pickup est plein à craquer.

Il hoche la tête. Le concerné sort de douche avec pour tenue sa serviette à la taille, histoire de bien me faire baver sur ses tablettes définies qui forment un v vers son entrejambe. Je détourne la face avant que maman me surprenne et soit choquée. Jérôme l’interroge concernant ma requête et il me confirme que c’est à nous. Dix minutes plus tard, on est prêt à partir. Les enfants sont tristes et chacun demande à son oncle quand il reviendra. Benito me surprend à me poser la même question. Maman nous embrasse à tour de rôle.

— La prochaine fois, nous irons les voir à Lomé, Jérôme console ses enfants. N’oublie pas de sécher au soleil pendant deux jours au moins les oignons avant de les mettre dans un coin humide.

— Ça marche, un grand merci Jérôme et Amen, à la prochaine, je leur dis en leur faisant bye de la main.

— Vas-y Querida, je te rejoins, m’annonce Eben.

Je m’exécute et vois maman, Amen ainsi que les enfants retourner aussi à la maison. Il n’y a plus qu’Eben et Jérôme dont le sourire a l’air crispé. Mon chéri me rejoint par la suite et dépose sur mes jambes mon téléphone.

— Je l’ai trouvé dans notre chambre et tu as deux appels manqués ainsi qu’un message d’un Elio.

— Ah…., je fais et lis le message de Romelio qui me fait pouffer de rire.

— Qu’est-ce qu’il y a?

— Un truc bête. C’était quoi ça avec Jérôme? Vous vous disputiez?

— Non. Je lui ai seulement rappelé que la bouteille de gaz de maman était juste pour elle et non un bien commun.

— Comment ça?

— Tu te souviens quand on l’a surpris cuisinant au feu de bois la seconde fois et elle a dit que le gaz était fini?

— Ouais?

— Cinq jours avant ma visite, j’avais envoyé de l’argent pour qu’on lui remplisse sa bouteille de gaz donc impossible qu’elle soit vide si elle l’utilisait seule.

— Oh je comprends, mais il ne l’a pas mal pris? Je veux dire qu’après tout l’effort qu’il s’est donné au champ pour nous, c’était peut-être maladroit de lui dire ça?

— Jérôme est serviable, je le reconnais et n’en profite pas. Il reçoit une compensation pour le travail qu’il fournit à la plantation en plus d’avoir le droit aux premières récoltes avec maman. Je ne vois pas pourquoi il touche au gaz de ma mère quand je sais qu’en plus de la compensation, il vend une partie des récoltes. Maman ne dira jamais rien parce qu’elle n’aime pas qu’on ait ne serait-ce que l’ombre d’un désagrément.

— N’ayant que vous, ça doit lui faire mal quand vous n’êtes pas soudés, je dis sans pouvoir cacher ma petite peine. Pauvre petite femme.

— Je sais, mais aimer c’est aussi se dire la vérité même si elle est désagréable.

— C’est vrai aussi. Tu penses quand même qu’il t’a compris?

— Avec lui, c’est le temps qui nous le dit. C’est la première fois que je lui fais ce reproche spécifique, mais il m’est arrivé de lui refuser des choses qu’il a refaites après que l’eau ait coulé sous les ponts. À sa décharge, ça date d’une époque où il n’était pas père de trois enfants, donc j’ose croire qu’il ait gagné en maturité. Alors, on est un morceau après ce tour dans la cambrousse? Impressions, insultes? il me relance sur son ton gai.

— Tu es fou tu sais. Tu as pris tout un pickup pour qu’on ramène l’équivalent de genre six mois de bouffe. Comment on va finir ça à deux?

— Lol au risque de gâcher le romantisme, c’est le régiment de six personnes qu’on a à l’arrière.

— Six? Toi, moi, Fabien et Bijou?

— Bien, tu es sur la bonne voie, il dit avec un sourire.

— Qui d’autre?

— Bruce, mon ami qui m’a prêté le pickup.

— Ah. Et l’autre? Je le ou la connais?

— Ton père. Il est temps que je le rencontre, tu ne crois pas?

Il m’a arraché toute pensée cohérente après ça. J’ai répondu, mais en réalité, j’ignore ce que j’ai dit. C’est drôle d’être dans la relation pourtant, quand il fait certaines choses, j’ai l’impression que mon esprit recule pour se positionner en spectateur et se demande si la vie est aussi facile que ce type la présente. Il a été super speed sur le chemin du coup on était à Lomé en moins de temps qu’à l’aller. Le premier stop c’est ma maison. On devait décharger ma part et celle de papa, mais j’ai réussi à l’entraîner dans la maison avec quelques bisous.

— Bruce m’attend Querida, il répond en me mangeant la bouche et ses mains ne sont pas pressées de quitter mon corps.

— Les gâteaux à l’orange ne durent pas je t’assure, je serais rapide si tu pouvais enlever tes mains pour que j’ouvre mon frigo, je rigole.

Il refuse d’enlever les mains hein et continue à me distraire, mais c’est lui qui me rappelle encore l’heure. C’est avec le poids humain contre moi que je sors le nécessaire, mets mon batteur électrique en marche et j’assemble le tout. Ses grandes mains n’ont servi à rien sinon caresser mon corps. Quelque chose me dit qu’il était prêt à tout risquer si je ne lui avais pas rappelé qu’un parmi nous ne s’est pas douché après des heures au sol à transpirer durant la récolte.

— Bon, j’ai mis le minuteur en marche. Normalement, le four devrait s’éteindre seul. D’ici là, j’aurais fini ma douche, donc tu restes sage.

— OK maman, je vais jouer avec la télécommande, il blague et s’installe royalement dans mon sofa.

Pfff sur sa grosse tête. D’autres auraient dit, «je viens te frotter le dos bébé», mais lui non. Sa spécialité c’est de te tomber dessus comme s’il ne pouvait pas se rassasier et s’arrête généralement quand ça devient intéressant. Je l’épargne pour cette fois parce que je sens la crasse sur mon corps, mais aussi son 21 h est proche. Les vêtements tombent dès que je suis dans la chambre. Inspirée par la délicieuse odeur d’orange, cannelle et sirop d’érable qui régnait dans ma cuisine, je me tourne vers mon Orange Body scrub de Lush pour traiter un peu ma peau avant de me laver. Je commence à peine à rincer le gel de douche de mon corps quand j’entends une porte s’ouvrir et c’est Eben qui fait son entrée. La cabine embuée m’empêche de voir son visage, mais je distingue facilement son corps qui fait son entrée, queue la première qui se dresse fièrement tel un étendard. Il est magnifiquement représenté mon chéri. Je ne peux m’empêcher de m’humecter les lèvres, pourtant l’eau ruisselle sur mon corps.

— Le gâteau est prêt, c’est tout ce qu’il me dit d’une voix rauque avant de réduire la distance entre nous.

Je lui donne automatiquement le dos contre lequel bute son membre dur et ses mains se posent sur mon ventre qu’il caresse en remontant jusqu’à mes seins toujours recouverts d’un restant de gel douche extramousseux dont j’abuse quand je me lave. Je recadre mieux le pommeau de douche sur nous. Ses mains rincent avec précision le savon de mon corps. Ma tête se tourne sur la gauche et rencontre la sienne dont la bouche venait à ma rencontre. On s’embrasse avec ferveur, la friction de nos corps me fait gémir doucement. Mais quand ses mains tiennent chaque côté de mes hanches pour que je me cambre, c’est avec passion que je chuchote son prénom et m’exécute.

— J’ai trop envie de toi O, il me dit et frotte enfin sa queue contre mon minou.

Qu’est-ce que j’ai rêvé de cet instant alors! J’en ai rêvé depuis nos premiers attouchements. Je soulève une jambe en guise de réponse et colle mon genou au mur carrelé. Il fléchit les genoux, s’essaie quelques fois et enfin je le reçois en moi. La sensation est à couper le souffle. Ce n’est plus le genou seul que j’ai contre le mur. Je veux y coller tout mon corps et qu’il me nique si fort contre que le carreau s’imprime sur ma face, mais en quelques coups, j’ai senti que mon homme n’était pas à l’aise.

— Meu bem…, je commence

— On sort bébé, j’ai besoin de plus, il me dit sur un ton impérieux et par la main il m’entraîne hors de la cabine.

On n’est pas allé bien loin. Il s’est assis sur le couvercle des toilettes, m’a pris en adromaque inversé et demandé que je pose mes pieds sur ses jambes tandis qu’il me pénétrait lentement.

— Adosse-toi contre mon torse…oui parfait, il me guide et avec ses mains sous mes cuisses il me fait rebondir plus profondément sur son manche.

La position était bizarre au début, mais croyez-moi que j’ai oublié ce détail aux premières contractions de mon minou sur lui. Je passe un bras derrière sa nuque. Sa tête se retrouve collée à mon aisselle et tout près de mon sein gauche se balançant dans tous les sens à cause de la rapidité de ses coups de reins. Je ne gémis plus. Je pleure de plaisir. Mes yeux se promènent entre mon entrejambe qui se fait nourrir copieusement et sa face déformée par la concentration du plaisir.

— Tu sens comment tu me fais couler sur ta queue? je demande bouche contre la sienne.

— De fou bébé, j’ai trop attendu ce moment, il confesse d’une voix rauque et me rentre dedans si fort que j’en mordille violemment sa bouche.

Deux doigts sur mon clito, quelques petits cercles, c’est tout ce qu’il me faut pour griller mes neurones et jouir si férocement qu’il tonne «Poha». Du moins c’est ce que j’ai cru entendre. Il me balance au sol. Heureusement pour la germaphobe que je suis, j’avais changé mes tapis de douche avant notre voyage. Je suis à quatre, tête un peu abaissée, postérieur bien relevé par ses soins. Il se penche légèrement, me pénètre en deux coups mouillés et c’est reparti pour un tour de folie. J’en redemande, je balance mes tresses dans tous les sens, il me gère à sa guise. Je suis son jardin, il me laboure comme il le sent. Je n’ai presque plus de force quand il finit par jouir en jets importants sur mon dos. C’est lui qui m’aide à me relever après avoir nettoyé mon dos. J’enroule mes bras autour de son cou sans perdre une seconde et me love contre lui.

— Rien que pour ça, tu mérites de partir avec tout le gâteau, je lui dis et le fais rire.

— J’en ai déjà servi une part à beau-papa.

— Hum, tu étais sensa….QUOI? je me détache brusquement de notre étreinte amoureuse.

— Disons que je venais aussi pour te dire que ton père était ici, mais ta vue m’a troublé alors…, il essaie de s’excuser oh, je ne sais quoi, mais c’est à la course et en râlant que je m’apprête.

— Alors comme ça, tu as seulement la bouche pour gémir des insanités, mais tu crains encore papa hein, il se moque depuis la salle de bain.

— À ta place, je n’aggraverais pas mon cas. Non, mais j’aurais tout vu avec toi. Tu reçois un parent et tu montes baiser sa fille tranquillou. Tu es gonflé monsieur, je dis et ne peux m’empêcher de rire devant l’air faussement coupable qu’il prend.

— Il a été jeune, je suis certain qu’il ne m’en tiendra pas rigueur.

— Pfff, ne va pas te doucher hein. 21 h ce n’est pas demain aux dernières nouvelles, je lui rappelle, lui lance un bisou aérien et déguerpis de la chambre avant que retomber sous l’emprise de son regard ensorceleur.

Papa est vraiment dans mon salon et le type ne lui as pas uniquement servi du gâteau hein. Non il lui a rajouté une petite tasse de thé et offert du miel.

— Quelque chose m’avait dit de faire un tour ici pour comprendre les raisons de ta rareté récente.

— Mon papa d’amour adoré, désolée, Eben m’aidait à débloquer un truc avec ma sécheuse, je me lance.

— La même sécheuse qui se trouve dans ta cour? il me questionne en me toisant.

— Je me disais bien qu’on ne débloquait pas la bonne machine. Enfin bref, ça va? Tout baigne?

— C’est évident que ça baigne ici. Tu m’abandonnes sans nouvelles.

— Ah papa, on se parle tous les jours. En plus, je ne vais pas squatter tous les jours chez toi. Je me dois quand même de penser à la santé mentale d’Emily. Personne ne veut voir son boss 24/24.

— C’est curieux que tu considères sa santé mentale maintenant pourtant il y a moins de six mois, tu vivais plus chez moi qu’ici, il ironise.  

— Il n’est jamais tard pour changer. Encourage-moi au lieu de devenir un détracteur.

***Eben Ezer Tountian***

Je voulais être un parfait gentleman, attendre de rencontrer son père avant de lui faire l’amour, mais dès que j’ai vu ses dessous neufs posés sur son lit en entrant dans sa chambre, mon désir a eu raison de moi. Je suis dans sa chambre, elle est en bas, mais j’ai l’impression qu’elle a laissé son goût en moi. Avant de descendre, j’arrange ma queue dans mon jean pour ne pas donner une raison additionnelle à futur beau-papa de me foutre dehors. Le tapis d’escalier doit noyer les bruits que je fais parce que je les entends parler de moi. Océane commence à lui raconter ce qu’on a fait ce week-end, du coup je m’arrête curieux de connaître sa réelle opinion de mon initiative.

— Donc tu vas rencontrer la famille des gens, mais c’est à moi de me déplacer pour te voir?

— Mais non, qu’est-ce que tu vas t’imaginer? Figure-toi qu’on t’a ramené plein d’oranges et des grosses pastèques du voyage. Imagine un peu, ta fille qui fait du jardinage, qui l’aurait cru?

— Dans tout ça, je ne sais toujours pas qui il est.

— Eben, je t’ai donné son prénom. C’est son avocat spécialisé en droit immobilier, très brillant, né dans des conditions précaires qui s’est hissé à ce niveau grâce à sa témérité, mais aussi le soutien de sa famille. On aime les histoires inspirantes, rappelle-toi quand tu essaieras de le griller.

— Pourquoi je me fais attaquer?

— On se connaît monsieur.

— Hum. C’est dans ce pays que tu as critiqué les fils de mes amis sous prétexte qu’ils mettaient en avant leurs accomplissements professionnels comme si c’était un trait de personnalité. La première chose que tu me dis de ce jeune homme, c’est qu’il est un brillant avocat.

— Pardon, on parle des vraies gens, tu me sors «les fils de tes amis».

— Tu vois quand on dit que les règles ne s’appliquent qu’à ce qu’on n’aime pas?

— L’exception confirme la règle, ce n’est pas moi qui l’ai inventé, elle répond et fait rire son père.

Avant de sortir de ma tanière, j’essaie de garder mon sourire sous contrôle et toussote.

— Donc comme je te disais, les impôts ne veulent pas me lâcher! Ils ont dit qu’ils vont faire l’audit de mes comptes datant de trois ans.

— Je t’avais dit de prendre un comptable fiscaliste pour t’éviter ça pourtant, son père aussi se prête au jeu, m’arrachant un sourire quand je les rejoins enfin.

Malheureusement, je n’ai pas pu rester autant que j’aurai souhaité. Le vieux ne m’a pas sauté dans les bras, mais il était quand même cordial. Sa fille aurait préféré qu’il s’en aille en revanche et je le tiens d’elle qui me raccompagnait.

— Tu penses qu’il est né hier? Il ne s’en ira pas sachant ce qu’on a fait tout à l’heure.

— Laisse, il se venge simplement parce que je débarquais à l’improviste, elle rouspète.

— Je le laisse profiter de ses derniers moments avec sa fille, parce que bientôt elle sera dans ma maison, je lui annonce le regard rempli de promesses.

Elle se colle à moi et essaie carrément de me grimper dessus. Je finis par la porter.

— Tu es obligé de t’en aller?

— Lol Querida, il est 21 h passé, mais je dois quand même rendre le pickup.

— OK, mais tu repasses alors? Mon minou se sent vide, elle se plaint dans une petite voix.

— Arrête, j’ai eu du mal à perdre mon érection avant de descendre.

— Si tu reviens, je te laisse me coucher sur le dos et me faire une gorge profonde avec tes couilles dansant sur mon front.

— Pourquoi tu aimes autant être trash? je lui demande choqué et pourtant excité.

— Ça balance mon visage angélique.

— C’est ça. Descends avant que je perde la raison et revienne te détruire le larynx.

— Oh le frimeur, elle rigole tout en s’exécutant.

Main dans la main, on sort quand mon téléphone sonne. C’est Bruce, je le sais avant de décrocher.

— J’arrive gars, je quitte la maison de ma meuf.

— J’avais dit ça non Jen? J’avais dit qu’il était dans une go raison du retard.

— Dégage, je dis amusé. Je t’ai prévenu du retard ou pas?

— Rapplique en vitesse avec tes oreilles ici.

— Je rapplique où ça comme tu es avec la femme d’autrui?

— Tu as commencé hein. Je suis là où tu sais que je dois être.

— Bref, j’arrive.

— Madame ne se joint pas à nous? Il y a Jen qui demande pourquoi tu la caches.

— C’est quelle bande de curieux que vous faites sur moi ça?

— Attends, je passe la ligne à Jen.

— Eben Ezer, qu’est-ce que j’entends là? Tu as trouvé une femme dans ce pays et je ne suis pas au courant? C’est arrivé là-bas entre nous?

— Jamais, je dis avec humour tout en observant la femme en question qui secoue la tête dépassée par les lubies de son gardien.

— Ou je te fais honte? C’est ça?

— Si j’ai honte de toi, c’est que j’ai honte de moi. Je m’assurais juste de bien la charmer avant de te l’emmener. Je ne peux pas te montrer n’importe qui.

— En tout cas hein. Je vous attends alors. On veut la rencontrer avant que les enfants sortent en pagaille hein.

— Sans faute. Je te donne une date bientôt.

Elle me redonne Bruce qui me reconfirme de passer au Snack et nous raccrochons.

— La voiture est prête patron, m’annonce fièrement le gardien d’Océane.

— Tu me vois ce bandit? Je dois parfois crier pour qu’il lave ma voiture, mais voilà qu’il a bien lavé la tienne sans qu’on lui ait demandé. Je suis outrée. C’est quel favoritisme ça?

— On te dit bien «le patron». C’est ton titre? je rigole.

— Pfff! Rappelle-moi de te faire un colis avant de partir demain.

La façon dont le petit saute carrément de joie nous fait pouffer de rire. Je monte, mais avant de démarrer, j’attrape d’une main sa face angélique et lui roule une pelle. Tout le quartier saura que cette femme est mienne aujourd’hui.

— C’est pour me confirmer que tu reviens?

— Si je reviens, je vais passer toute la nuit entre tes cuisses et même Jésus n’arrivera pas à me motiver pour que j’aille travailler demain.

— Lâcheur, elle boude.

— On va remettre ça, t’en fais pas. Ta trachée souffrira comme tu en rêves, mais avant, quand auras-tu du temps?

— On va dans quelle petite ville d’abord? Je dois m’acheter des bottes?

— Lol laisse le drame. On reprend la vie BCBG, je t’emmène dans un endroit spécial, rencontrer les dernières personnes qui me sont chères.

— Hum, j’ai la couverture du magazine à faire bientôt, donc il me faut faire la préinterview, choisir mon look, faire le shooting, bref une foule de choses en plus des impôts qui me font chier. Je peux la fin de semaine prochaine, je crois.

— OK je file, on s’en reparle au téléphone de toute façon.

Je démarre sur cette phrase et quand je jette un dernier coup d’œil dans mon rétro, sa silhouette est encore visible devant sa maison. Tout se passe si naturellement entre nous que parfois j’ai du mal à croire que c’est réel. 

D’amour, D’amitié