
120: Lies, lies and more lies
Ecrit par Gioia
***Eben Ezer Tountian***
Voir le numéro de Hilda s’afficher sur mon écran est une rareté donc je me suis assuré de la rappeler à la sortie du cabinet.
— Allô mon frère chéri, elle commence d’un ton très enjoué.
— Ça va ? J’étais un peu occupé quand tu m’avais appelé.
— Oh pas de souci. Je me porte à merveille et toi ?
— On se défend. Qu’est-ce qui me vaut cet honneur ?
— Genre, elle rigole. Je ne peux pas appeler mon grand ?
— Ce n’est certainement pas moi qui te l’avais interdit, mais on sait combien tu aimais me parler ces dernières années, j’ironise.
— Justement, tu as dit dernières années et je trouve qu’on grandit. Il est grand temps de laisser les vieilles querelles dernière et avancer vers de nouveaux horizons, je me trompe ?
— Avançons dans ce cas, j’acquiesce après un soupir. Ce qui est fait est fait de toute façon.
— Superrr ! Dis-moi, tu prends tes vacances quand ? Mon copain veut te rencontrer pour discuter de ma dot.
— Dot ? Qui est ce copain ?
— Il s’appelle Godson Asamoah. C’est le fils de la procureure générale actuelle du Ghana.
— Tu blagues ?
— Haaa, tu me vois blaguer avec un truc si sérieux qu’une dot ? elle m’interroge en rigolant.
— Eh bien…, j’avoue que tu m’en bouches un coin. Je n’ai rencontré sa mère…
— Oh tu la connais ? C’est merveilleux alors, elle se réjouit.
— Laisse-moi finir, je l’ai rencontré une fois dans le cadre d’une mission. Tu rentres dans une immense famille. Tu es au courant ?
— Bien sûr, il s’agit quand même de mon mec.
— Et tu te sens prête à y faire face ?
— Eben je ne suis plus un bébé, j’ai 25 ans et je suis prête à fonder une famille.
— OK petite fille, je dis avec humour pour l’embêter. Raconte-moi un peu comment tu l’as connu. Comment te traite-t-il ?
— Bah le classique. J’ai étudié avec des membres de son cercle et on s’est officiellement rencontré dans une sortie de groupe. Il me traite super bien. Tu devrais voir la bague de fiançailles qu’il m’a offert Eben ! Il a choisi le plus beau bijou pour moi.
— C’est bien, mais une bague ne m’indique pas comment il te traite ma puce. Qu’est-ce que tu penses de votre relation ? Tu t’y sens à ta place, écoutée et soutenue ?
— Bien sûr, sinon je n’y serai pas ! Je ne suis pas comme ses désespérées qui courent après le mariage à tout prix. Il me couvre d’amour.
— Dans ce cas, j’espère que tu le couvres également. Je ne pourrais pas prendre de vacances avant mars, mais il peut passer n’importe quand. Les week-ends existent encore.
— Tu ne peux pas faire une demande spéciale ? Il se déplace juste pour moi et ne connaît pas très bien Lomé donc j’espérais que tu lui ferais découvrir un peu le coin.
— Tu ne viens pas avec lui ?
— Non, on fonctionne en effectif réduit depuis un mois et j’ai déjà épuisé mes vacances pour l’année. S’il te plaît, fais un effort pour te libérer, même si ce n’est qu’une semaine. Je veux qu’il soit bien reçu.
— Je vais essayer, mais je ne promets rien. J’ai commencé cette année au cabinet donc m’absenter régulièrement n’est pas bon pour mes affaires. Donne-lui mon numéro et de mon côté, je te donnerai une date d’ici la semaine prochaine si j’arrive à m’arranger.
— Tu mérites qu’il débarque avec une de ses cousines pour toi.
— Quoi ? je rigole.
— Imagine un peu si on se mariait dans la même famille. Le pied de ça. Nos enfants grandiraient ensemble et les opportunités que tu aurais avec une procureure dans ta famille ? Nos enfants auraient accès aux meilleures écoles, ne parlons pas des vacances.
— Ah bon hein. Tu veux que ton grand frère passe pour un parasite ?
— En quoi tu es un parasite ? Elle sera ta femme, ce qui est à elle t’appartient. Qu’est-ce qui est mal dans ça ?
— Rien, sinon que ce n’est pas ma nature de me mettre en couple avec une femme tout en calculant ce que mes futurs enfants gagneront de sa famille.
— Ah tu devrais hein. Vu comment le monde évolue mon cher, on doit penser sérieusement à nos futurs. Aimer c’est bien, mais aimer quelqu’un qui améliore ta vie c’est 100 fois mieux surtout pour les gens qui viennent de milieux défavorisés. C’est comme ça qu’on éradique la pauvreté à l’échelle nationale, elle conclut et m’arrache un fou rire.
— Dis-moi donc que tu as trouvé la formule pour réduire les inégalités sociales.
— Donne-moi mon trophée hein, elle plaisante, pendant que je m’approche de la maison.
— J’espère qu’en dehors de ce qu’il t’apporte, tes sentiments envers ton petit ami sont sincères parce que rien ne demeure secret éternellement et c’est très difficile de tirer du bon de quelqu’un qui est persuadé qu’on l’a utilisé.
— T’inquiète, il sait que je l’aime aussi.
— Parfait. Je vais te laisser…
— Quand on n’a pas fini de discuter de ta vie sentimentale ? Je dois prendre ton cas en main.
— Un peu de respect, je dis avec humour. Au moment venu, tu connaîtras la personne qui mérite d’être à mes côtés.
— Hum, ne nous ramène pas de clocharde pardon. Pense à l’avenir de la famille.
— Emmène ta sale bouche loin de mon téléphone, je rigole avant de lui dire au revoir et nous nous laissons.
Elle sera surprise de me voir débarquer à Nairobi dans quelques semaines avec Océane à mon bras si j’arrive à libérer mon emploi du temps comme ma belle me l’a demandé. Parlant d’elle, je l’avertis que je prends la route dès ma sortie de douche pour qu’elle me réponde que sa maquilleuse vient à peine de commencer la séance.
— Tu sais quand même que ce n’est qu’une petite soirée entre potes right ? je lui envoie par message.
— Je n’ai pas le droit de briller à une soirée entre potes ?
— Tu aurais dû t’appeler Chimène pour que je te colle le surnom madame chichi.
— Querida me va nettement mieux, elle me répond avec un smiley satisfait.
Je lui envoie un cœur et sors la chercher la minute suivante. Elle m’a fait attendre et j’ai failli entrer pour la presser à un moment, mais le résultat en valait la peine. Des nuances de rose de la tête aux pieds, avec des pendants en perle dans les oreilles et ses longues jambes dévoilées. Je fronce exprès la mine pendant qu’elle s’installe.
— Désolée mon beuboouuu, elle me susurre tout en câlinant ma nuque.
— Si demain je ne t’emmène plus sortir, tu te plaindras que je te délaisse non.
— Bien sûr. Si je ne me plains pas de toi, je dois me plaindre de qui, elle répond avec un sourire espiègle. Tu es beau toi.
— Laisse le charme, je ne vais pas te donner ce que tu cherches, je dis avec un sourire qui lui arrache un petit rire.
Depuis qu’on a couché ensemble, il y a cet air insatiable entre nous qu’on ne cherche même pas à contrôler. Deux jours plutôt, j’ai fait le mur de ma propre maison comme un ado pour aller chercher ma dose à 2 h du mat et sa petite tête ne m’a laissé la quitter qu’au lever du soleil.
— Regarde par ici meu bem, elle dit et quand je me tourne, c’est son téléphone qui se trouve dans ma face. Maman et Parker ont demandé à te voir, elle m’explique.
— Et moi je les vois quand ? je demande d’un ton satisfait.
— Tu sais que ça dépend de toi. Ils seront au mariage à Nairobi.
— Je te promets que j’essaie de me trouver un creux Querida.
— C’est pas grave si tu n’y arrives pas. On trouvera une autre occasion. Alors, c’est quoi ton histoire avec le proprio du resto libanais ?
— Oh…on ne va pas rencontrer le proprio de ce resto.
— Attends, tu as combien d’amis proprio de restos toi ?
— Six ou sept ? Qui sait.
— Et c’est depuis Porto qu’ils ont décidé d’ouvrir tous les six des restos ?
— Lol, toutes mes connaissances ne se connaissent pas Querida. Celle qu’on va rencontrer ce soir, je l’ai connu ici à Lomé. Elle était ma camarade de banc au lycée et nous avons gardé contact depuis.
— C’est même une femme hein.
— La jalousie a déjà commencé ? je la taquine.
— Je ne suis pas comme toi hein, elle me retourne sur le même ton.
— Parce que tu as des amis hommes ?
— Ta chance c’est qu’étrangement, je ne me suis jamais dérangée pour m’en chercher.
— Il n’y a aucun étrangement dedans. Ton cœur savait qu’il allait me trouver donc pourquoi se gêner à trouver un ami ?
— Tu bosses tes petites répliques la nuit ou tu vas me sortir un truc du genre « quel est l’intérêt de bosser quand tu es naturellement inspiré par ce que tu vis ? »
— Un manque de respect flagrant, je dis avec humour et la minute suivante, je gare ma voiture non loin du snack de Jen.
Main dans la main, on entre dans le resto et je reconnais le profil de ce fanfaron de Bruce.
— Qu’est-ce qu’une si belle fleur fait posée au bras du vieil arbre desséché que tu es ? C’est ainsi qu’il choisit de s’introduire avec le sourire tout en se levant dès qu’il nous remarque.
— Rends-toi plutôt utile et prends-nous en photo, je réponds amusé après lui avoir balancé mon téléphone.
— Comme monsieur a trouvé l’amour, il pousse les ailes hein. Je suis Bruce ma belle, on continue après.
— Sans faute, je suis Océane, elle lui répond sur un ton convivial et on se joue les mannequins pour une minute.
— Alors, tu as caché la patronne des lieux où ça ? Je m’enquiers chez le fanfaron tandis qu’on s’installe.
— Tu vois l’humain ? Après ton harcèlement sur ma personne sous prétexte que c’est mal de coller au train à la femme des gens tu viens m’interroger comme si j’étais son gardien ?
— Toi vraiment, je dis avec un sourire. Il n’y a que lui pour admettre tout haut ce genre de choses et ne pas être gêné.
— Elle boucle un rendez-vous et nous rejoint.
— Donc tu savais, mais tu devais faire ton intéressant.
— Bref, ma belle-sœur raconte-moi comment ce loubard a réussi à te mettre dans son sac parce que j’ai du mal à y croire, il se lance sur Océane.
Le courant passe assez rapidement entre eux, ce qui me ravit. Bruce lui livre déjà les secrets de notre vie à Porto, pourtant elle lui a simplement demandé comment on se connaît. J’allais faire signe à une serveuse quand Jen elle-même apparait dans mon champ de mire avec un sourire sur la face et subitement, elle se fige telle une statue tout en me fixant.
— Ah là voilà ta coéquipière notre belle-sœur, commente Bruce sur un ton appréciatif.
Jen reprend contenance, avance, mais je sens que ses mouvements sont raides. Même sa voix paraît différente quand elle se met à parler.
— Désolée, j’étais prise. Ça va vous ?
— Oui et toi ? On dirait que tu as vu un revenant, je dis et mon cerveau se rappelle qu’Océane est à mes côtés donc peut-être c’est elle qu’elle regardait. Je me retourne vers la concernée qui a perdu toute trace de gaieté sur sa face.
— Tout va bien bae ? je lui susurre à l’oreille.
— Je vais bien, c’est Jen qui me répond d’abord.
Océane hoche simplement la tête, mais elle a désormais un air satisfait qui me laisse perplexe. Quoiqu’il en soit, Jennifer prend place, je les introduis et une serveuse se présente pour nos commandes. Bruce me lance un coup d’œil inquisiteur puis fixe les filles. Je lui retourne un pour lui exprimer que je n’ai aucune idée de ce qui se passe ici.
— Tu vois un peu la jolie femme qui a eu pitié du célibat de notre Eben, Bruce exagère pour détendre l’atmosphère.
— Tu souffrais dans le célibat et je n’étais pas au courant Eben ? elle m’interroge.
— Tu connais ce con, toutefois je suis ravi d’en sortir pour Océane.
— Je suis ravie que tu en sortes aussi mon amour, elle susurre et se colle à moi.
— Ah ça ! Les vrais mots sortent, Bruce commente en rigolant.
Mon sourire est de façade. Le « mon amour » est venu de nulle part et sonnait étrange à mes oreilles. On a couché ensemble c’est vrai, mais le mot amour n’a pas été abordé jusqu’à présent entre nous.
— Si tu as une petite sœur sous les bras, tu peux l’envoyer dans ma direction hein belle-sœur. Je veux aussi sortir de ce fichu célibat.
— J’en ai une moi, se lance Jennifer tandis qu’on dépose nos commandes.
— Tu as une sœur toi ? Depuis quand ? je demande curieux.
— Depuis que je suis mariée. Les sœurs de mon mari sont miennes.
— Hum, elle est jolie comme toi ?
— Toi aussi, apprends à te tenir, je rappelle à Bruce.
— Anh, quand il s’agit de mes besoins, tu me sors les lourdes règles de conduite, mais tu te rendais régulièrement au spa de la belle-sœur dans l’espoir de la draguer non ?
— Ah bon Eben ? intervient Jen avec un sourcil levé.
— Parfois, il faut saisir le taureau par les cornes, je réponds de façon évasive au lieu du « Idiot, moi au moins je comptais faire la cour à une femme libre » que je me suis retenu de balancer à Bruce.
— En tout cas.
— Est-ce qu’il y a un problème ? Vous vous connaissez ? je demande même si je ne vois pas comment ce serait possible. Il ne peut pas y avoir autant de coïncidences quand même.
— Où vas-tu chercher tes idées toi, rigole Jen.
Océane à mes côtés est bras croisés et observe Jen d’un air amusé.
— Bref, je voulais vous la présenter comme tu me l’as demandé au téléphone. C’est Océane Ajavon, ma compagne. O, voici Jennifer, mon ancienne amie d’école dont je t’ai parlé.
— Ah toi aussi. À ce stade, tu utilises encore amie ?
— Lol c’est vrai, à ce stade c’est presque une sœur, je rectifie.
— Je vois, se contente de dire Océane.
— Alors, cette sœur à qui tu veux me présenter ? Bruce relance la conversation.
— Elle ne sait pas cuisiner hein, je préfère te prévenir.
— Elle vaut quoi alors ?
— Franchement toi hein, je rappelle encore à l’ordre.
— Bah quoi ? Voilà Jen qui est magnifique, travailleuse et sait cuisiner non ? Je parie que notre Océ aussi se défend comme un chef en cuisine. C’est moi qui dois me contenter de peu ?
— Océane, le prénom c’est Océane, l’intéressée lui rappelle.
Je change aussitôt de sujet et leur raconte un cas sur lequel je travaille. Les gens sont toujours passionnés par le quotidien des avocats et sans surprise, l’atmosphère paraît moins lourde les minutes suivantes. Le cas dont je parle oppose un homme et sa maîtresse sur l’affaire d’un terrain que le monsieur aurait acquis pour l’enfant. Ce dernier encore mineur ne peut en disposer et l’homme veut désormais récupérer son dû parce qu’il compte se séparer de la maîtresse, mais cette dernière stipule qu’étant le premier parent de l’enfant, le terrain lui revient de droit jusqu’à la majorité du petit.
— Je suppose que la femme légitime est couchée à la maison et ignore tout des manigances de son mari, commente Océane sur un ton dégoûté.
— Aucune idée. Je représente la maîtresse.
— Ah bon Eben ? C’est dans le camp de la moins que rien que tu te ranges ?
— Doucement hein, on ne m’envoie pas de flèches. C’est elle qui a demandé mes services, qui plus est, je ne suis pas garant de la moralité moi, je dis avec humour.
— De toute façon, ça ne m’étonnerait pas si tu te rangeais dans ce camp vu tes goûts récents.
— Où veux-tu en venir ? je demande confus.
— Oh non rien.
— Beh non salope, va au bout de tes pensées.
Je suis figé comme les autres. Je n’ai pas entendu cette phrase venir de ma gauche. Je ne l’ai pas entendu d’Océane et elle ne l’a pas dit à haute voix.
— Alors ? Tu as redonné au diable sa langue de vipère ? elle continue juste pour me confirmer que je suis bien dans la réalité.
— On y va ! je gronde en me levant d’un bond.
Elle s’exécute, mais ne manque pas de toiser Jennifer et pousser un long juron.
— Tu avances ! je répète fulminant.
On fait à peine quelques pas que Jennifer dit tout bas
— C’est ça ! Qu’elle retourne dans la bergerie d’où on l’a sorti.
La main d’Océane est sortie si vite de la mienne que le temps de me retourner, elle rigolait sur un ton moqueur devant Jennifer qui venait de bondir à côté de Bruce et ce dernier s’est mis en face d’Océane.
— Quand on est une demi-portion, mais qu’on se prend pour un colosse. Ce n’est pas avec moi que tu t’en tireras….
J’accroche un bras à sa taille et la tire pour qu’on s’en aille définitivement, mais ça ne l’a pas empêché de vociférer des insanités à Jennifer sous les regards dédaigneux et ébahis de la salle.
— Oh c’est bon avec la force hein ! Tu ne vas pas me casser une jambe non plus ! elle ose la ramener quand je l’ai déposé dans la voiture.
Je bouillonne tellement que je claque la portière avant de réagir et regretter. De retour au resto, un membre du staff de Jen m’indique qu’elle s’est retirée dans son bureau. Je m’y rends et la trouve visiblement mal en point, en compagnie de Bruce fumant de rage.
— C’est quoi ces conneries Eben ?
— Tu peux commencer par nous répondre Jennifer, on serait avancé ! je réponds tout aussi agité. Je vous ai demandé si vous vous connaissiez oui ou non? Que m’as-tu répondu ?
— Tu aurais préféré que je te dise oui, en fait c’est l’ex de mon mari ? C’est ce que tu aurais voulu entendre ?
— Quoi ? je demande pris de court et recule comme si on venait de me gifler.
— Purée, on est dans quoi ici ? réagit Bruce.
— Franchement tu me déçois totalement Eben. Je te croyais plus digne que ça !
— De quoi tu me parles ? Comment ça l’ex de ton mari ? je continue toujours confus.
— Du calme Jen, je pense qu’Eben n’était pas au courant de…
— Et alors ? C’est une excuse pour ramener un rat d’égout pareil dans mon resto ? Je mettrai ma main au feu que c’est l’autre débile qui l’a mis sur le coup. Comment vous vous êtes connus ? Eben ? elle crie, mais je suis déjà sorti.
J’entends simplement Bruce qui essaie de la calmer et lui dire que j’ai besoin de temps. De retour à la voiture, Océane est sur son téléphone. Je démarre sans un mot et fais de mon mieux pour me calmer ainsi qu’analyser tout ce qui me traverse l’esprit. J’essaie, je fais de mon mieux, mais la digue cède en chemin.
— Qu’est-ce que je t’ai dit concernant cette rencontre ?
— Va droit au but au lieu de m’interroger comme si on était en cour ici, elle me répond avec insolence. Très bien !
— Tu as cinq minutes pour m’expliquer ce qui vient de se passer. Cinq !
— J’ai manqué l’occasion de refaire son portrait à une timbrée qui fout le bordel depuis un moment dans la vie des gens que j’aime. En plus, on ne va pas m’insulter et croire que je vais m’asseoir gentiment.
— Qui t’a insulté Océane ? C’était quoi l’insulte ? On était quatre assis là-bas et l’insulte que mes oreilles ont entendue venait de ta sale bouche !
— Normal que tes oreilles n’aient rien entendu puisqu’elle a sûrement noyé ton putain de cerveau !
— Je jure sur les seins de ma mère, tu descendras à la prochaine obscénité que j’entends.
— Beh gare-toi et je descends maintenant alors. Genre je t’ai dit que j’avais besoin de toi pour rentrer peut-être. Vas-y gare-toi, elle me provoque sur un ton belliqueux de surcroît.
J’ignore si elle croyait que je plaisantais, mais je me gare rapidement, mais au lieu de sortir, elle prend sa ceinture et l’attache.
— Descends !
Elle s’enfonce dans le siège et croise ses bras tout en fixant devant elle.
— Tu ne descends pas quand je finis de compter, tu me sentiras passer.
— Heureusement mon père te connaît déjà donc fais-ce que tu veux, tant que tu pourras supporter les retombées, elle répond tranquillement.
— Pour qui tu me prends au juste ? j’explose. On est camarades ? Non contente d’avoir créé la merde, tu te permets de me défier. Je mange ton père ? J’ai dit tu descends !
Elle s’enfonce davantage, donc c’est moi qui le fais et contourne le véhicule avec l’intention de la tirer dehors, mais elle a bloqué la portière. J’essaie de remonter, mais mon côté aussi est verrouillé. Là, je me rends compte qu’à cause de la précipitation, j’ai oublié de retirer la clé du contact.
— J’ouvre uniquement si tu promets d’arrêter les cris, elle me propose après avoir baissé légèrement sa vitre.
***Océane Ajavon***
Je pensais qu’elle était plutôt juste ma proposition, mais il a préféré s’éloigner et le temps que je l’interpelle pour qu’il revienne, il arrêtait un zem. J’ai la désagréable sensation d’avoir reproduit ce que j’ai reproché à Elikem, à savoir marcher les pieds liés dans les pièges de la chiennasse. Comme le loup qui répond à l’appel, c’est Elikem qui m’écrit quand je me mets au volant.
— C’est urgent ! Je peux t’appeler ?
Je lance l’appel, active les mains libres et dépose le cell sur mes jambes.
— Ton gars c’est un type de Jennifer, elle commence d’entrée de jeu.
— No shit Sherlock, c’est maintenant que tu me le dis, je réponds sans pouvoir retenir le sarcasme.
— Ce n’est pas aujourd’hui que tu m’as envoyé sa photo ?
— Je te signale que je ne te partageais rien pour te rendre la monnaie de ta pièce parce que tu refusais de me raconter ce que tu fichais en Afrique du Sud.
— Je reconnais ce ton nerveux, qu’est-ce que tu as fait ?
— Pas le temps de t’expliquer pour le moment. Je te fais signe après.
— OK, j’attends.
On se laisse sur ça. J’appuie sur le champignon pour arriver au plus tôt chez Eben. Son frère me confirme qu’il est en haut et je prends courage surtout qu’il ne semblait pas irrité de me voir. Je suppose qu’Eben ne lui a rien dit. Il est dans la cuisine du haut en train d’ouvrir une bouteille d’arachide quand je le rejoins. Je me sens coupable maintenant que les éléments me reviennent. On venait à peine d’entamer le repas principal quand les choses ont dérapé donc il n’a pas mangé. La preuve, ma tenue porte encore les traces de bouffe que j’ai essayé de nettoyer avec du kleenex quand il était retourné au resto. Lui s’est débarrassé de sa chemise et n’a qu’un single T pour haut. Il épluche une banane et la mange avec ses arachides.
— C’est à moi qu’elle faisait référence quand elle a parlé de tes goûts récents après avoir dit que la maîtresse était une moins que rien.
Il continue de manger sa banane, donc je continue.
— Nous avons un passé, c’est vrai. J’aurais probablement dû te le dire quand tu as posé la question, mais elle m’a pris de court en jouant à l’ignorante, du coup je voulais voir jusqu’où elle comptait aller.
Le silence, rien que le silence de son bord.
— Je ne regrette pas de lui avoir dit le fond de ma pensée, mais je regrette d’avoir sapé notre soirée.
— Qu’est-ce qui vous lie ? il me demande enfin.
— Elle foutait la merde dans la vie de ma meilleure amie juste parce que cette dernière est aussi la best de son mari.
— Donc tu te lèves gaillardement pour insulter quelqu’un dans son resto juste pour une histoire de meilleure amie ?
— Il n’y a pas de « juste » quand il s’agit d’Elikem. Tout comme on ne t’aurait pas trouvé rigolant avec une personne qui aurait causé des troubles entre Fabien et Jérôme par exemple. Cette chienne représente tout ce que je hais chez les gens. Pendant plusieurs années et tranquillement dans l’ombre, elle essayait de briser la relation entre Elikem et Romelio, juste parce que ses petites hormones de dégénérée ne pouvaient pas supporter la vérité qu’une femme en dehors d’elle soit importante pour son type. Pendant des années, Elikem s’est tue et a supporté l’inconfort pour qu’en guise de remerciement, madame l’insulte, mais aussi la menace pour quelque chose qui ne regardait même pas mon amie. Alors non ! Il n’y a pas de juste quand j’apprends qu’on emmerde les gens que j’aime. Et certainement pas quand dans la foulée on me traite indirectement de moins que rien. Aujourd’hui, demain et jusqu’à ma mort, je serai toujours prête à arranger le portrait de quiconque ose parler indirectement ou directement de moi.
— C’est tout ce que tu as à me dire ?
— C’est aussi une poule mouillée et j’aurais besoin du numéro de Bruce pour m’excuser.
Un rictus prend forme sur sa face tandis qu’il enfonce les mains dans son pantalon. Une pose qui le rend terriblement sexy, je sais que ce n’est pas le moment, mais bref ça m’est venu comme ça.
— Pour reprendre ta formule, aujourd’hui, demain et jusqu’à ma mort, je détesterai toujours qu’on me prenne pour un con. Quand comptais-tu me dire que tu as entretenu une liaison avec le mari de Jennifer au lieu de me pondre l’excuse de « je l’ai fait pour ma meilleure amie » ?
— Hein ? je fais prise de court et confuse. Mon cerveau s’allume aussitôt et je rigole de dérision. Purée, c’est pas possible. Alors c’est ça qu’elle t’a dit quand tu es retourné la voir ? Moi Océane, avoir une liaison avec un homme marié ? En fait toi tu me prends pour qui au juste ?
— À toi de me le dire Océane. Qui es-tu ?
— Je suis une femme de 34 ans qui avait du vécu avant de te rencontrer ! Romelio je l’ai connu dans mon adolescence ! Est-ce qu’il a été mon mec ? Oui. Et si quelqu’un devait s’inventer des scénarios rocambolesques, ça devrait être moi parce que j’étais avec Romelio quand on a connu ta débile qui m’invente des vies. Elle ne se gênait pas pour jouer à la petite ingénue et comme le con de Romelio à l’époque aimait jouer au chevalier blanc sur son destrier, elle n’a eu aucun mal à s’infiltrer dans notre cercle fermé de trois personnes. Ce que je te raconte date de 17 ans et je tiens à préciser bien qu’elle ne m’a pas dégagé de sa vie si c’est ce qu’elle t’a vendu et essayé d’utiliser pour justifier le pourquoi je la hais. Romelio m’a quitté parce que j’étais une conne en terminale. À 17 ans, j’étais une bonne petite conne qui se cherchait après avoir découvert des vérités sur sa famille. Depuis j’ai fait du chemin, vécu ma propre vie, commis des erreurs et j’en suis arrivée ici. Ma liste de défauts est kilométrique, mais s’il y a bien un qu’on ne m’ajoutera jamais, c’est d’avoir entretenu une liaison avec un type marié alors elle et toi, vous pouvez aller vous faire foutre. Et lorsqu’elle t’appellera pour te raconter le second chapitre de son encyclopédie mensongère, tu pourras lui rappeler qu’elle reste une bonne salope ! je dis et pars sans demander mon reste.
— Tu aurais pu….
—No fuck him! Et si tu essaies de me convaincre, fuck you too ! j’aboie à Elikem le soir dans mon lit après lui avoir fait le topo de la journée.
— Moi tu me fuck depuis, je suis habituée et tu vas souffrir de m’écouter. Je disais donc que tu aurais pu attendre qu’il réagisse avant de t’en aller.
— Pour qu’il me demande si j’ai pratiqué sur Romelio pour bien le sucer?
— C’est la vulgarité que le beau a dit ne pas aimer ça.
— Qu’il aille au diable. Imagine un peu ! Moi Océane ! Genre moi, je vais sciemment entretenir une liaison avec un homme marié. Il aurait pu tout insinuer sauf ça, je dis les yeux embués de larmes. Tu sais toi combien de mecs j’ai barrés avant de l’accepter lui et il me sort ça ? D’ailleurs pourquoi elle est partout cette meuf ? Elle est pire que la moisissure sur le pain rassis.
— Hum. Je maintiens quand même qu’il ne faut pas se précipiter en lançant les fuck him. Il vient d’apprendre beaucoup de choses. Tout le monde ne réagit pas sur le coup. Il a probablement besoin d’y penser au calme.
— Qu’il me raye de ses pensées plus tôt, parce que ma réaction de cette aprèm sera de la gnognotte comparée à ce que je ferai désormais à Jennifer. Imagine qu’elle a osé sous-entendre que Macy ne sait pas cuisiner. Une sale menteuse. Je ne sais pas ce qui me retient de la balancer à Romelio.
— Macy ne sait pas cuisiner ? Depuis quand ?
— Je sais ? L’ami d’Eben mentionnait qu’il cherchait une meuf et elle nous sort que les sœurs de son mari sont siennes désormais, mais il y a une qui ne sait pas cuisiner. Snam étant avec Mally, j’ai conclu qu’elle parlait de Macy.
— Elle parlait de moi.
— Hayiii, de toi ? je répète choquée. Depuis quand tu ne sais pas cuisiner ?
Je ne pensais pas que ma colère pouvait monter d’un cran, mais je fume littéralement des oreilles après qu’elle m’ait raconté ce qui s’était passé durant une visite chez Romelio du temps où ils vivaient à Saint John.
— Vous avez tous les foutaises en réalité. Tous !
— C’est le passé, concentrons-nous sur l’essentiel. Ce que je veux te faire comprendre c’est que tu es la nouvelle venue dans cette équation. Je ne connais pas trop leurs liens, mais de ce que m’a dit Romelio, ils sont amis de longue date. Entre une vieille amie et une nouvelle petite amie, on croit facilement qui ?
— Romelio écoutait qui entre toi et sa femme ?
— Les cas sont différents. Pour commencer, les problèmes entre Romelio et moi découlent de plusieurs incompréhensions qui se sont entassées. En plus, on n’a commencé à se prendre sérieusement la tête qu’après des années. Il était déjà fou amoureux de Jennifer. Je ne dis pas que ton type ne t’aime pas hein, mais une relation toute fraîche est plus fragile à mon humble avis.
— Bref, console-moi plutôt. Tu t’es bien envoyée en l’air à Pretoria quand même ?
— Tu vois comment tu es bête? On te parle de toi et c’est sur ça que tu tombes.
— Bah autant que je te demande hein, puisque je découvre qu’avec toi, si on ne t’interroge pas tu la boucles comme si tu avais prêté serment.
— Je ne me suis pas envoyée en l’air.
— L’air s’est envoyé en toi alors ? Au final, le résultat est le même.
— Tu sais quoi, je vais dormir. Demain il y a des gens sérieux qui ont besoin qu’on mette les dernières touches pour leur mariage qui aura lieu dans six jours. On aurait pu se casser la figure pour toi dans un an aussi, mais comme tu n’en as pas envie, notre part c’est quoi dedans ?
— Lol, qui parle de mariage dans une relation toute nouvelle ?
— N’est-ce pas toi qui rêves depuis deux ans que ta relation suivante serait la dernière ? Je te suis dans ton délire, elle dit et arrive à me faire sourire.
Le soir-là, je me couche le cœur libre parce que je me suis vidée, mais l’esprit quand même anxieux tout en fixant mon téléphone. Pourquoi il n’écrit pas ? Est-ce qu’il compte réellement me rayer de ses pensées ? Je sais que je l’ai dit, mais ce n’est absolument pas ce que je veux. En même temps, me farcir Jennifer, rien que l’idée me débecte. Je devrais la côtoyer si on continue, parce que je ne me vois pas débarquer dans sa vie et exiger qu’il jette quelqu’un pour moi. Je ne le ferais certainement pas s’il me le demandait, alors impossible d’aller sur ce terrain. Comment côtoyer quelqu’un qu’on hait ? C’est la question sur laquelle mon cerveau se met à disserter au lieu de se reposer.
***Jennifer Bemba***
Après des mois à supporter et porter mes épreuves seule, ça fait un bien de fou d’entendre quelqu’un d’autre s’indigner pour moi. Ce quelqu’un c’est Bruce. Non seulement il est resté à mes côtés suite à la scène horrible que la guenon m’a fait vivre, mais il m’a aussi conduit à l’hôpital quand j’ai commencé à me sentir mal. Dieu merci, il y a eu plus de peur que de mal. Je dois subir des examens additionnels par pure précaution, sinon on m’a simplement recommandé le repos après avoir renouvelé mon ordonnance.
— Ce qui m’enrage en fait, c’est qu’elle voulait s’attaquer à toi connaissant ton état, il reprend. Quel être humain ose porter main à une malade ?
— C’est comme ça la jalousie. Depuis que mon mari l’a largué, elle n’a cessé de recourir à différents stratagèmes pour me faire sortir de mes gonds. Tu peux te garer ici, c’est bon, je lui dis en lui pointant le portail de ma tante.
— Et lui alors ? Qu’est-ce qu’il fait ?
— Comment ça ?
— Excuse-moi, mais ton mari, c’est comment avec lui ? Je suis régulier au Snack et jamais je ne l’ai vu.
— Romelio est occupé. Il fait partie du comité de direction de l’hôpital Li si tu le connais.
— Et alors ? Je suis cadre à l’INSAO, ça ne m’empêche pas de passer déjeuner chez toi.
— Je ne vois pas où tu veux en venir, je réplique sur la défensive. Je ne vais pas me justifier concernant mon mariage.
— Et je ne te le demande pas, mais merde Jen, ce que tu as vécu aujourd’hui m’a sidéré. C’est lui qui garde son ex dans son entourage. C’est lui ton mari. Pourquoi il ne te protège pas mieux ? C’est lui qui aurait dû se mettre devant toi pour t’épargner des coups. J’aurais été ton homme que cette fille n’aurait jamais eu l’opportunité de t’approcher.
— Tu sais quoi, merci pour ton aide, on va s’arrêter ici, je dis en essayant de descendre, mais il me retient carrément par la main.
— Pense à ce que je t’ai dit.
Je lui retire au plus vite ma main et sors en claquant la portière. Non, mais, c’est quoi son plan ? On ne peut plus recevoir de l’aide sans se faire draguer maintenant ? Et le pire, il ose se comparer à Romelio. La première chose que je fais, une fois en chambre, c’est de retourner l’appel d’Eben.
— Je venais aux nouvelles, il commence.
— J’ai dû faire un tour à l’hôpital avant de rentrer.
— Punaise, dis-moi que tu n’as rien de grave.
— On le saura après des examens plus approfondis. Pour l’instant, j’ai un peu de mal à respirer.
— Tu seras au Snack demain ? Je passe te voir.
— Non, j’ai besoin de repos donc demain je serais off.
— Je peux venir chez toi aussi. Ça ne me dérange pas.
— Non, ce n’est vraiment pas nécessaire. Romelio s’occupe de moi. Je préfère plutôt qu’on parle de ces restes là….
— Évite d’utiliser ce mot quand tu parles d’elle. Je ne le supporte pas, il m’interrompt.
— Tu m’excuses, mais c’est ce qu’elle est. Romelio a une meilleure amie un peu collante qui nous a causé des ennuis à un moment, mais on a vite cerné son jeu. Les deux marchent toujours ensemble, donc ça ne m’étonnerait pas que ça soit l’amie qui ait déposé Océane sur ton chemin.
— Impossible, elle ne me connaissait pas au début, il répond catégoriquement et me fait rire.
— L’amie s’appelle Elikem et crois-moi elle te connaît. Tu as défendu la tante de Romelio dans l’affaire du terrain de sa compagnie et elle est la meilleure amie de celle d’Elikem. Elle t’a déjà vu. Ton Océane t’a roulé dans la farine.
— Admettons que tu aies raison. Qu’est-ce qu’elle gagnerait à faire ça ?
— Ça va te sonner bizarre, mais tout ça c’est pour m’atteindre. Elikem n’a pas supporté que son amitié soit reléguée au second rang quand Romelio m’a trouvé. Dans sa cervelle de pois chiche, on devait partager mon mari. Imagine qu’elle a osé lui caresser la tête devant moi. C’est le genre de personne qui a douze ans d’âge mental malgré ses 34 ans, donc c’est tout à fait dans ses cordes de se dire, comme elle m’a piqué mon meilleur ami, je vais m’assurer qu’on lui pique le sien.
— C’est ridicule Jennifer. On n’est plus à la maternelle.
— Ah je te l’accorde, mais que veux-tu que je te dise ? Elikem est tarée. Elle a tellement bourré le cerveau d’Océane qu’une fois elle a appelé la ligne de mon mari et m’a traité de pute quand j’ai simplement demandé la raison de son appel.
— Mon Dieu, c’est quoi ces conneries, il soupire sidéré.
— C’est ce dans quoi tu marches actuellement. Enlève-toi de cette équation avant qu’il ne soit tard. Des femmes, il y en a une tonne à Lomé. Si j’avais su que tu cherchais, je t’aurais branché plein de cas.
— Ton commentaire concernant le fait que je me range dans le cas des moins que rien, il voulait dire quoi ?
— Comment ça ?
— Le commentaire que tu as fait après l’histoire que je t’ai racontée.
— C’était en rapport à Elikem. Je n’aurais probablement pas dû le faire, mais c’est sorti avant que je puisse me retenir.
— Je vois. Bref, je tenais à m’excuser pour la tournure qu’ont pris les événements aujourd’hui.
— Pas de ça entre nous voyons. L’essentiel c’est qu’on a évité que tu tombes dans une ineptie monumentale.
— Tiens-moi au courant de ta santé et s’il y a un besoin d’argent, n’hésite pas. Je vais te laisser.
— Sans faute. Merci et repose-toi bien.
On se laisse sur ça et je me lève, satisfaite d’avoir réglé en une journée ce problème. J’ai presque suffoqué aujourd’hui quand je l’ai vu à ses côtés et Dieu seul sait d’où j’ai trouvé la retenue dont j’ai fait preuve même si elle fut de courte durée. Bon débarras à la guenon. Qu’elle aille se chercher ailleurs. Elikem ne m’aura pas piqué plusieurs fois l’attention de Romelio pour que le thon d’Océane me nargue en appelant Eben mon amour devant mes yeux. Over my dead body et je ne compte pas crever avant de me réconcilier avec mon homme ainsi que de porter nos enfants.
Croyant la maison endormie parce qu’à mon retour, mon oncle et ma tante étaient absents, je me dirige à pas de loup dans la cuisine, mais une voix venant de la véranda me stoppe. Elle appartient à Jérémie et il semble d’excellente humeur.
— Tu te prends hein Tornade. Un numéro on fait quoi avec sinon l’appeler ?
— Appeler c’est synonyme de vidéo peut-être ? la fille lui retourne dans un accent français qui éveille ma curiosité.
— Rhooo c’est quoi ce comportement de vieux ? Les potes s’appellent en vidéo.
— Abrège et dis-moi c’que tu m’veux, la fille rouspète et il rigole.
Amusée, je m’avance et m’adosse au mur pour entendre ce que fiche ce petit. Étant de dos, il ne peut me voir. Quatorze ans seulement, il drague déjà. Où va le monde ?
— Alors, t’en es où sur les devoirs d’enseignement scientifique ?
— Compte pas sur moi pour que j’te balance ce que j’ai fait.
— Lol, mais tu peux arrêter de me charger comme si j’étais le pire criminel au monde ? Je venais juste demander à ma bonne poto si on pouvait le faire en groupe.
— Et le prof a dit qu’on ne rend rien en groupe.
— La bonne fifille qui suit toujours les règles, il ironise. Bascule un peu de l’autre côté avec nous pour voir. C’est pas si effrayant que ça.
— Je vais raccrocher dans une minute si tu n’as rien d’autre à dire.
— Qu’est-ce que t’es mignonne quand tu es relou toi.
Je sors doucement de ma cachette pour stopper sa drague de bas étage au même moment que la fille choisit de raccrocher.
— Tata Jennifer…euh…ahem ça va ? il commence l’air mi-effrayé mi-sérieux.
Je n’arrive pas à répondre. Avant qu’elle raccroche, j’ai pu la voir. J’ai vu la face de cette fille sur l’écran.
— C’était juste une camarade de classe han. Elle est très studieuse et…
— D’où sort-elle ? je ne peux m’empêcher de hurler et il sursaute tout en regardant comme un animal effrayé.
— Euh…c’est ma camarade de classe, il répète sur un ton hésitant.
— Et pourquoi tu ne me l’as…, attends tu dis ta camarade ? Tu me prends pour une conne ? Comment une fille de onze ans peut être ta camarade de classe ?
— Hadassah Muamini ? Elle a mon âge tata. Tu es certaine qu’on parle de la même chose ?
J’ai soudainement l’impression de voir flou. Il accourt et m’aide quand je commence à tituber.
— Je vais te chercher tes médicaments. Tiens bon ! il s’écrie et détale en chambre avant de revenir avec mon sachet ainsi qu’un peu d’eau.
— J’appelle papa tout de suite. Ils ont dit qu’ils sont allés saluer quelqu’un dans le quartier, il continue l’air paniqué.
— N’appelle personne, je vais bien.
— Mais tu as l’air d’avoir vu un zombie.
— Viens t’asseoir près de moi Jérémie. Je t’assure que je vais bien, je dis tout en essayant de contrôler ma respiration. Dis-moi plutôt comment tu connais cette fille. D’où elle sort. C’est très important s’il te plaît.
— Bah c’est une camarade de classe comme je t’ai dit. Je t’ai une fois parlé d’elle, tu te souviens Tornade ?
— Et tu es certain qu’elle a ton âge ? Tu en es persuadé ?
— Bien sûr. Je pense que son père ou peut-être son oncle, je ne sais plus, mais bref, quelqu’un a fait livrer un chic gâteau pour elle à l’école pour son anniversaire. On s’est goinfré comme des porcs le jour là.
— Eh Seigneur, je dis bras croisés sur ma tête et me rappelle d’une phrase qu’Arthur m’avait dite à notre visite. Il m’avait réprimandé concernant ma réaction avant de me dire qu’en m’expliquant avec Romelio, on se comprendra mieux.
— Je dois appeler papa ? Tu m’effraies là.
— Non non, ça…ça va. Tu sais quoi d’autre sur elle ?
— Elle adore la musique. Bon ça elle ne me l’a pas dit, je l’ai conclu en voyant sa playlist. Elle n’aime pas le sport, s’habille un peu étrangement, vivait en France si je me fie aux trucs qu’elle dit parfois, sinon elle n’est pas très bavarde pour être honnête. Je suspecte que ses parents sont divorcés et elle a suivi son père ici parce que souvent, elle lâche des commentaires du genre, c’est l’heure de la pause de maman, je dois l’appeler avant cette heure sinon il sera tard là-bas, ainsi de suite. Sinon, elle aime rester dans son coin en général.
— Tu pourrais peut-être l’inviter à la maison ?
— Ah…comme ça ?
— Mais oui, pourquoi pas ? C’est ton amie et si comme tu me dis, elle vient de la France, je suppose qu’elle doit être dépaysée. Tu peux l’aider à s’intégrer.
— Pas faux. J’y avais jamais pensé, mais je doute qu’elle accepte. Elle se plaint souvent que je suis relou.
— Laisse ça, on est comme ça les filles. On aime se plaindre de ceux qu’on apprécie.
— Ah ouais ? il demande le visage rayonnant comme si je venais de lui annoncer la nouvelle du siècle.
— Mais oui. C’est pour garder un air cool et paraître non affectée.
— Débile, mais bon, si tu le dis. Je vais l’inviter alors. Il faut que je demande aux parents la permission d’abord.
— Ça marche, mais ne lui donne pas mon nom hein. Invite la simplement et si elle doute, invite d’autres camarades aussi. Ça vous fera une belle activité maintenant que vous êtes en vacances de Noël. Je vous ferai une petite soirée hamburgers.
Il danse et s’y voit déjà. Si elle a quatorze ans, il y a de fortes chances que Romelio l’ait eu au début de notre relation ? Peut-être avant moi. Ça collerait un peu avec la suspicion de Jérémie s’il dit vrai et je prie que ça soit le cas. Toutefois, je me demande quel genre de mère laisse son enfant partir avec un homme? Tant de questions qui me traversent l’esprit, mais j’ai une certitude, une mère n’est pas celle qui accouche. Je saurais être la bonne mère pour Hadassah.