
127:menteuse et voleuse
Ecrit par Gioia
***Jennifer « la
mera » Bemba***
La patience c’est ce
qui m’a manqué et conduit ici, donc je m’efforce de m’y accrocher parce que
Romelio ne me rend pas la tâche facile. Depuis son message, il ne m’a plus fait
signe. Je pense bien qu’il a du mal à convaincre sa mère, mais il pourrait tout
de même communiquer non ? Voilà
la St Valentin qui approche à mille pas et je ne sais même pas si je vais la
passer seule. Je ne suis pas habituée à ça moi. Depuis qu’on est ensemble, il a
toujours souligné l’évènement, qu’on soit dans le même pays ou non. La pire des
choses serait de passer cette journée au milieu des ados de l’école qui
s’échangent leurs cadeaux pendant que moi leur vieille mère, je n’aurais rien.
Nous sommes à cinq jours de la fête et ils ne font qu’en parler ici. Tu sens
vraiment que leur école est dirigée par une personne libre d’esprit, parce qu’en
mon temps, quel directeur aurait décrété une semaine de sciences et d’art pour
supposément encourager les talents et la collaboration entre élèves ? En plus de ça, ils ont divisé cette semaine
en diverses présentations et concours dont celui de la classe la mieux décorée
pour la St Valentin. Non seulement, chaque participant recevra un certificat
pour participation, mais des prix sont annoncés pour les meilleurs. Abonnements
pour le restant de l’année à des librairies, clubs de sports, des livres
gratuits pour l’année scolaire prochaine, deux laptops et une montre
intelligente Michael Kors. Au moins, ils justifient leurs frais scolaires
onéreux et je travaille pour que les enfants soient parmi les meilleurs. Quand
je dis travailler, je parle principalement de motiver Hadassah, parce que
Jérémie s’est impliqué à la seconde où on leur a annoncé le projet. Tout comme
les autres, Hadassah paraissait intéressée durant les trois à quatre premiers
jours de l’annonce, mais depuis elle en parle moins.
La routine reste la
même pour moi les jours de semaine. On arrive vers 11 h à l’école des
enfants, le temps d’arranger la place et deux heures après le lunch, nous
restons pour ranger, nettoyer, du moins mon équipe, pendant que je m’entretiens
au besoin avec les surveillants, ou le vice-directeur s’il me demande.
Aujourd’hui, détail inhabituel, c’est Hadassah qui demande à me voir après leur
repas.
— Je voulais te
remercier pour ta gentillesse envers moi, elle commence une fois que nous
sommes seules, mais je préfère manger la même chose que les autres désormais.
— Ah…., il y a
quelque chose dans un plat qui ne t’a pas plu ? je demande confuse. Elle raffolait de tout ce
que je lui apportais pourtant.
— Non non, elle
s’empresse de répondre comme si elle ne voulait pas m’offusquer. Tout était
nickel. Je ne veux juste pas de traitement de faveur.
— Il s’est passé
quelque chose avec les autres ? Tu
peux tout me dire ma chérie. Je t’ai dit que pour moi, tu es ma nièce autant
que Jérémie est mon neveu.
— Non…, je dois
retourner en classe maintenant. Encore merci et s’il te plaît, c’est vraiment
plus la peine de me faire des plats. Merci, elle dit et s’enfuit.
L’anguille sous la
roche est énorme. Je n’avale pas son excuse et une fois à la maison, je mène
mon enquête auprès de Jérémie dont les révélations me laissent bouche bée.
— Qui raconte
qu’elle sort avec un de mes employés ? je
demande fulminant de rage.
— Ah, je connais
pas la source moi. Juste qu’un matin, on est arrivé à l’école et c’était écrit
sur sa table au blanco, sale tepu, retourne dans ton ghetto de St Denis au lieu
de te taper les employés de la cantine.
— Non mais c’est
quoi ses bêtises ? C’est ce
qu’on vous apprend à l’école ça ?
— Mais enfin,
pourquoi tu me frappes la tête ? C’est
pas moi qui ai écrit, il ose répondre avec un air choqué.
— Toi tu as fait
quoi en trouvant une saleté pareille sur sa table hein ? Pourquoi je dois te demander avant que tu
m’en parles ? Non mais !
— Beh j’ai effacé
avec elle et passé un message sévère à la classe, mais le lendemain on a écrit
pire.
— Donc l’enfant
se fait intimider et aucun de vous n’a pensé à prévenir un adulte ? Les professeurs sont au courant ?
— Qu’est-ce qu’il
y a ici ? Il a encore fait quoi ce
bandit ?
— Ouais c’est
toujours moi non, il dit en regardant de travers sa mère qui nous a rejoints.
— On harcèle une
de ses camarades.
— Tcho, qu’elle a
fait quoi ?
— Est-ce qu’on
fait quelque chose pour justifier le harcèlement ma tante ? C’est la jalousie. Comme l’enfant vient de
France et je l’aime bien, on la jalouse ! Des
adolescents qui sont déjà envieux, et demain on se demandera pourquoi on a des
criminels en société, je m’indigne et subitement, la face d’Amaya se dessine
dans mon esprit.
Les échanges entre ma
tante et Jérémie ne sont plus que des bourdonnements d’insectes à mes oreilles.
Si cette petite a osé ! En
plus, c’est grâce à moi qu’elle est dans cette école. J’essaie de regrouper mon
esprit pour revenir à la conversation.
— Maintenant,
l’école dit quoi ? ma
tante interroge Jérémie.
— On est quatre
ou cinq à avoir incité Hadassah à en parler aux profs, mais elle a dit de
laisser tomber. Qu’elle ne vivait même pas à St Denis du coup elle s’en fout,
donc nous on fait quoi ?
— Elle s’en fout ? On l’insulte et elle s’en fout ? je m’énerve davantage.
— C’est du
Tornade tout craché ça. Si elle ne me servait pas de temps en temps du
sarcasme, j’aurais affirmé sans aucun doute que son cœur n’est plus fait de
chair.
— On va faire
quoi avec tes remarques non pertinentes là ?
— Oh ! Je répondais à tes questions non…
— Ah va loin ! je le chasse le cœur chaud comme la braise.
— Hum les jeunes
d’aujourd’hui jouent avec l’école, commente ma tante en mâchant son cuir dent.
— Je reviens,
j’annonce et me lève d’un coup.
Impossible que je
reste tranquille. Bien qu’il sonne déjà 19 h, je me rends chez elle.
— Qu’est-ce qui
se passe ? Tu fais quoi là ? Pourquoi tu n’as pas appelé ? elle aligne en un souffle après qu’Amaya
m’ait ouvert le portail.
— Nous devons
parler urgemment.
— On ne peut pas
parler plus tard pardon ? George
est rentré tendu et s’il te trouve en sortant de la douche, nous risquons de
passer une soirée désagréable.
— Non, il s’agit
d’Amaya.
— Amaya ? elle fait confuse.
— Dis-lui de
revenir Yasmine, c’est urgent.
— Euh Ok, elle
dit en hochant la tête et hèle le nom de la demoiselle qui arrive en traînant
des pieds, le visage gonflé comme si on la dérangeait.
— Assieds-toi, je
dis d’un ton ferme.
— Je discutais
avec les amies pour notre concours à l’école.
— On te dit de
t’asseoir. Le concours va fuir ? intervient
sa mère.
— C’est pas toi
qui as dit que j’ai intérêt à remporter la montre intelligente pour toi ? elle continue à rouspéter tout en
s’exécutant.
— Je ne vais pas
y aller par quatre chemins. On m’a dit que quelqu’un dans votre classe intimide
Hadassah ?
— Hein ? fait Yasmine. C’est quoi cette histoire ?
— Une histoire
inintéressante, réplique Maya sur un ton désintéressé.
— Ah bon Maya ? Ta camarade se fait traiter de pute et ça ne
t’intéresse pas ?
— De pute
carrément.
— Qu’est-ce qui
se passe ici ? on entend de George qui
se tient sur le perron et il n’a effectivement pas l’air joyeux.
— Il se passe que
j’étais très concentrée sur un concours important pour mon avenir et tata vient
m’interroger sur quelque chose qui ne me regarde pas, elle répond avec une
effronterie qui ne dit pas son nom.
George s’installe, me
mettant mal à l’aise. J’aurais préféré gérer ça entre femmes, mais bon, nous y
sommes.
— Quelqu’un ne
cesse d’écrire des injures et mensonges sur le banc de sa camarade, j’explique
à George.
— Ah…et le lien entre
elle et l’histoire vient d’où ? me
retourne George.
— Je venais aux
nouvelles, juste pour savoir si elle en sait plus.
— En la qualité
de ?
— Jennifer
s’occupe du service de cantine à l’école chéri, lui rappelle Yasmine.
— S’occuper de la
cantine c’est synonyme de débarquer chez les gens à l’heure où leurs enfants
sont supposés étudier pour les interroger comme un inspecteur ? il rétorque sur un ton arrogant qui me fume.
Sa fille serait à
cette école sans mon intervention peut-être ? On ne va pas continuer à me prendre de haut.
Je me lève, m’excuse du dérangement et prends congé. J’ignore les multiples
appels de Yasmine jusqu’à mon arrivée devant mon ancienne maison. Ils n’ont pas
voulu coopérer avec moi non ?
J’espère pour eux que Amaya n’est pas impliquée dans ça, parce que Romelio va
entendre de ce pas ce qui se passe. On ne peut pas intimider notre fille à ce
niveau et je resterai les bras croisés. Le gardien à la longue face comme
l’aubergine mauve me toise quand il me voit descendre.
— C’est dans ton
intérêt de me laisser passer, je ne suis pas d’humeur, je lui dis en guise de
salutation.
Il s’adosse au portail
et se permet de m’ignorer tout en fouillant son téléphone.
— Sois sûr que tu
prendras la porte à mon retour, je lui réitère avant d’appeler Romelio qui ne
répond pas.
Je m’essaie trois fois
et lui envoie un message en grands caractères pour le quatrième essai.
— HADASSAH EST
VICTIME D’INTIMIDATION À L’ÉCOLE. ON FAIT QUOI ? JE SUIS DEVANT LA MAISON.
En moins de dix
minutes, il rappelle.
— Qu’est-ce que
je viens de lire ?
— Je suis devant
la maison, on en parle de vive voix ? c’est
ainsi que je lui réponds.
Il ne tarde pas à
sortir et je m’assure de toiser le gardien pendant que j’entre avec Romelio. On
règlera son cas plus tard. Ma maison, mon foyer, enfin ! Elle m’a manqué cette place. C’est avec
émotion que je regarde mon petit jardin qui a quand même changé. La terrasse en
revanche est totalement différente, pourtant je n’avais rien touché ici.
— Qu’est-ce qui
s’est passé avec les meubles ici ? Tu les
as changés ?
— Qu’as-tu à me
dire concernant ma fille et d’où tiens-tu cette information ? il me demande sans me proposer à boire.
Bref, la terrasse
attendra, je suppose.
— Depuis l’an
dernier, je m’occupe du service de cantine à l’école Davidson Nicol. C’est là
que j’ai rencontré Hadassah, je lui réponds et reçois un regard surpris. Elle
fait la même classe que Jérémie et c’est en le découvrant que j’ai compris mon
erreur. Comme je te l’ai déjà expliqué, je lui ai donné moins que son âge lorsque
j’ai vu sa photo. Bref, restons sur le sujet de l’intimidation. C’est elle la
priorité, on parlera de nous après, je conclus.
— Continue, il
dit simplement après la petite pause que j’ai pris pour le laisser réagir.
— J’avais
remarqué depuis un moment qu’elle ne semblait plus emballée par les activités
parascolaires destinées à la célébration de leur semaine de sciences et d’art
donc j’ai cuisiné Jérémie qui m’a appris qu’elle est la cible d’attaques
honteuses. Des inconscients se croient intéressants et écrivent sur son bureau
des injures que je ne préfère pas te répéter.
— Tu peux me les
dire.
— Crois-moi
chéri, ça n’en vaut pas la peine.
— Jennifer, si tu
es venue jusqu’ici pour m’informer, j’aimerais que tu ailles au bout, merci.
— On la traite de
pute, lui demande de repartir dans son ghetto, et il paraît que des photos de
sa nudité se promènent entre les élèves, j’ajoute sur la fin. Jérémie ne m’a
pas confirmé la dernière partie, mais à ce stade tout est possible. Jérémie a
bien évidemment incité Hadassah à dénoncer ce qu’on lui fait vivre à un
professeur, mais elle a refusé supposément qu’elle s’en fout, ce qui n’est
absolument pas normal ! Quelle
vie menait-elle en France pour croire que ce genre de traitement est acceptable ?
— C’est tout ? il demande le visage aussi dur que du granit.
— Pour l’instant,
mais je suis entrée en contact avec quelques profs de Jérémie avant de venir
ici. Ils vont se mettre sur le cas dès demain chéri. Tu n’as pas à t’inquiéter,
je le rassure tout en prenant note mentalement qu’il me faut appeler Oyena pour
qu’elle m’aide sur ce coup. Je ne connais aucun prof de Jérémie.
— Si c’est tout
alors, je te remercie.
— Je t’en prie
mon amour, tu n’as pas besoin de me remercier. C’est normal que je veille sur
elle. Tu veux qu’on lui parle ensemble ou je le fais ?
— Je vais m’en
charger.
— Tu es certain ? Ça ne me dérange pas. En plus, entre femmes,
on se fait plus facilement des confidences, surtout que c’est une ado et elle
est naturellement réservée.
— Je vais m’en
charger, il réitère.
— OK…, je dis et
gênée, je ne sais quoi ajouter. Je n’ai aucune envie de partir, mais comment
demander si je peux rester vu qu’il n’a….
— Le gardien va
te raccompagner, il continue m’interrompant dans mes pensées.
— Euh…., nous
alors…, je laisse flotter.
— Je règle le cas
de Hadassah en premier et on parlera de nous chérie.
J’ai entendu le
chérie. Je ne l’ai pas rêvé. Mon corps bondit vers le sien pour une étreinte
avant que mon cerveau ne réagisse. Je l’embrasse à pleine bouche et mouille
instantanément quand il me rend mon baiser. Il me conduit au portail tandis que
je me love contre lui.
— Ne sois pas
trop dur avec elle du fait qu’elle te l’ait cachée hein chéri. Les ados sont
ainsi. J’ai l’expérience avec Jérémie.
— D’accord.
— Tiens-moi
régulièrement au courant, je t’aime, je dis bien haut et l’embrasse à nouveau
pour que le gardien voie. Ses jours sont comptés.
***Romelio Bemba***
Hadassah dort chez mes
parents aujourd’hui. Ils l’avaient demandé depuis un moment, mais elle ne s’est
décidée que récemment et maintenant je me demande pourquoi elle a insisté pour
que ça soit aujourd’hui. Non seulement, elle m’a annoncé tardivement qu’elle
aimerait aller chez eux, et quand j’ai refusé, elle m’a supplié et semblait
agitée, chose qui n’est pas son habitude. Maintenant je me pose mille et une
questions. Pourquoi me cacher un fait si grave ? Ne l’ai-je pas assez mis en confiance ? Dois-je demander à Stella ? Non, je dois me ressaisir. Stella au courant,
m’aurait tapé un énorme scandale. Se peut-il que Hadassah était gênée de m’en
parler, d’où l’insistance d’aller voir mes parents ? Je n’ai que des questions dont les réponses
se trouvent avec elle, donc je finis par craquer et me rends au domicile
familial.
— Eh Seigneur,
envoie vite la femme ainsi que les autres enfants que tu as prévus pour mon
fils parce qu’on ne va pas s’en sortir, exagère ma mère dès que j’arrive sur la
terrasse où ils se trouvent.
— Je te salue
aussi. Ça va mon vieux ? Je
demande à mon père.
— Mieux que toi
qui nous visites un jeudi soir après 19 h au lieu d’aller groover.
— Groover hein ? je rigole. C’est quel conseil ça pasteur
Bemba ?
— Au lieu de
rire, applique son conseil. C’est en groovant que tu rencontreras des femmes.
Dieu ne va pas faire tout le travail pour toi.
— Et votre part
de groove alors ? Elle
se fait à l’air libre devant un bol de mûres ?
— Je te ferai
savoir que les mûres sont excellentes pour la circulation sanguine et il nous en
faudra une bonne pour maintenir la cadence avec notre petite fille lorsque tu
te décideras à nous laisser jouir pleinement de nos droits, ma mère continue à
peindre son tableau hautement coloré.
— Parce que je
vous brime même hein, pauvre vous, je me marre.
— On ne peut même
pas l’avoir pendant trois heures que tu débarques. Qu’est-ce que tu veux même ?
— Doucement avec
moi s’il vous plaît, je voulais seulement passer voir la tête de mes vieux
parents.
— C’est ça, on te
croit, dit mon père avec humour.
— Où est la
petite-fille pour laquelle on me fait la guerre ?
— Au lit, après s’être
cassé la tête avec ta mère sur ses devoirs. Honte à toi si tu vas la réveiller,
il me lance sur un ton moqueur quand je les dépasse et me dirige vers l’intérieur
de la maison.
Je ne compte pas la
réveiller. J’ai juste besoin de me rassurer qu’elle ne s’est pas enfermée pour
pleurer au lieu de se confier à quelqu’un, parce que des devoirs compliqués
elle en reçoit souvent et jamais elle ne s’est couchée tôt parce qu’épuisée à
cause d’eux. Pour ne pas la réveiller si elle dormait réellement, j’avance à
pas de loups mais je me fige quand son dos apparaît dans mon champ de mire.
Elle avance sur la pointe des pieds vers la chambre de mes parents et avant d’y
entrer, jette un coup d’œil en arrière. Heureusement, je suis loin d’elle et j’ai
eu le temps de me mettre à l’abri dès qu’elle a tourné la tête. Confus, je la
vois doucement ouvrir leur porte puis disparaître à l’intérieur. J’avance doucement,
mais en activant le pas cette fois et par la petite ouverte qu’elle a laissée,
j’assiste à l’une des scènes les plus incongrues de ma vie. Ma fille qui fouine
dans les vêtements et sacs de mes vieux parents, puis en sort des billets qu’elle
glisse dans ses poches. Je recule et m’adosse au mur en face de la chambre,
tandis qu’elle continue sa besogne. Qu’est-ce que me fait cet enfant ? Pourquoi ? On a
commencé l’année sur des promesses pourtant. C’est elle qui m’a dit après un
mois que l’argent de poche n’était pas nécessaire parce qu’entre son petit déjeuner
à la maison et le repas de midi à l’école, elle n’a jamais faim, du coup elle
ne fait rien avec l’argent. À la fin de chaque mois, je recharge son téléphone
d’unités. Je m’efforce de la faire sortir un weekend sur deux, en plus d’Arthur,
mes parents et même la servante d’Arthur l’emmène avec elle de temps en temps
pour des courses au marché. Elle ne manque pas de loisirs ici et de toute
façon, elle ne s’est jamais plainte. Au contraire, parfois, elle déclinait mes
propositions, préférant rester dans sa chambre ce qui m’a permis de comprendre
avec le temps qu’elle n’est juste pas extravertie comme enfant. L’unique raison
qui me vient là et que je trouve logique, c’est qu’on l’a fait peut-être
chanter pour cette histoire de photos nues dont Jennifer m’a parlé, mais
pourquoi ? Pourquoi ma fille de 14 ans
enverrait des photos nues quand depuis des années, on parle du danger de ce
phénomène ?
Elle ressort de dos de
la chambre, ferme doucement la porte, se fige dès qu’elle me voit et recule
instinctivement. La peur, c’est ce à quoi elle ressemble actuellement. Sa bouche
est entrouverte, ses épaules sont tendues et ses poings sont tellement serrés
que ses mains tremblent. Ses grands yeux se remplissent de larmes et elle se
met à hoqueter.
***Jennifer Bemba***
Après une nuit bien
méritée, je me lève au taquet. Mon planning étant chargé, je sors très tôt de
la maison. Oyena là c’est une hirondelle. Si tu ne te magnes pas, tu ne pourras
pas lui mettre la main dessus, donc j’espère arriver chez elle avant qu’elle
sorte pour le travail. Par formalité, je lui envoie quand même un message et
reçois à ma grande surprise une réponse d’elle.
— Hey babe, je
vais bien. On quitte la maison dans dix minutes environ, donc c’est mieux qu’on
se voit plus tard. J’essaierai de passer au Snack dans la journée.
— D’accord. S’il
te plaît, c’est assez urgent, donc je compte sur toi, je lui envoie avant de
démarrer pour le travail.
La matinée est
pareille. Il n’y a que Khaya qui veut emmener du changement dans notre routine en
me racontant une histoire dont je ne comprends pas l’utilité.
— Tu veux une
avance sur ton salaire pour t’occuper de ta petite sœur ?
— Oui madame.
Notre père a décidé de ne pas payer le reste de ses frais de scolarité, mais ma
sœur est en première. Toi-même, tu sais que c’est une classe importante.
— Et pourquoi ton
père a pris une décision pareille ?
— Ah madame, elle
commence sur un ton déplorable, il nous frappe avec l’eau de notre aînée.
— Je t’ai dit de
bien t’exprimer, tu as quand même fait la seconde même si tu n’as pas fini le
lycée non ? C’est quoi avec les
traductions littérales qui me cassent les oreilles ?
— Pardon madame. Je
veux dire qu’il reporte les fautes de celle qui vient après moi sur notre
dernière. C’était l’espoir de la famille et le vieux s’est sacrifié pour l’envoyer
en Italie, mais elle nous a vraiment déçus, donc mon père s’est découragé.
— Elle vous a déçu
en faisant quoi ? Elle n’a
pas fini ses études ?
— Elle voulait s’en
sortir rapidement pour nous aider, mais elle a pris un mauvais chemin pour le
faire.
— Hum, fais-je
voyant qu’elle ne comptait pas mieux s’expliquer. En tout cas, tu vois comment
les affaires évoluent. Tous les prix ont aussi augmenté donc je ne pourrais
pas.
— Awo madame, je t’en
supplie, même si ce n’est que la moitié du salaire mensuel, je te demande
pardon. Ma petite sœur Ariel est vraiment intelligente. Je ne peux pas l’abandonner,
elle m’implore carrément à genoux. Je te laisse toujours mon portable et même
quand ça me crée des problèmes avec mon mari madame. S’il te plaît, je ne te
demanderai plus rien en dehors de ça.
— Ah…., comme madame
m’a quelques fois passé son téléphone, tu commences à me sortir des exigences
hein.
— Non mad…
— C’est comme ça
que vous êtes dans ce pays. On ne peut pas s’associer à vous et avancer. Parce
que je t’ai demandé des petits services, tu te crois tout permis ? C’est bien.
— Je m’excuse
madame, je n’ai pas mentionné ça avec l’intention de réclamer quelque chose. J’implore
ta pitié.
— Pardon quitte
de mon bureau et estime-toi heureuse que je ne te renvoie pas, je dis remontée.
Mais regardez-moi ça. Qui
l’a empêché de prendre ses études au sérieux et d’ouvrir aussi son resto ? Un téléphone que j’ai pris de temps en temps
et voilà qu’on me demande de l’argent pour ça. Déjà que j’ai retourné à Romelio
une grande partie de mes économies, je devrais avancer son salaire pour une sœur
que je n’ai jamais vu ? Ça
change quoi à ma vie ? Bref,
je vais m’occuper du plus important. Je rappelle par message à Jérémie de me
tenir régulièrement au courant. Pendant que je fais l’inventaire du stock, je
reçois sa réponse.
— Le cours d’anglais
est plus barbant que d’habitude comme Hadassah n’est pas là.
— Comment ça elle
n’est pas là ? je lui réponds.
— Beh, elle ne s’est
pas présentée aujourd’hui quoi. Tu me couvres hein si jamais le prof me surprend
sur mon téléphone. Tu signeras à la place de maman ?
— Dépose ton téléphone
sur le champ ! je lui renvoie et j’entreprends
d’appeler Romelio.
Bien sûr, il ne
décroche pas. C’est bien ma veine. Qu’est-ce qui se passe avec Hadassah au
juste ? Je ne peux me déplacer à
cause de l’inventaire qui est important et que je reporte depuis un bail, donc
je m’active, mais au moment où je peux m’en aller, Oyena débarque avec une
foule de personnes. Par foule, je parle d’une vieille, sa sœur et un garçon
vraiment beau.
— Maman c’est Jennifer,
une amie. Jen voici ma mère, Siaka que tu connais déjà, Timothy mon neveu et….oh
là voilà, elle dit avec un sourire et tourne la tête vers une femme à l’allure
sobre et distinguée qui nous rejoint. Voilà Deborah, ma sœur.
— Enchantée et
bienvenue dans mon établissement, je dis avec un sourire accueillant.
Ils répondent de
concert et de suite, je note la différence des accents qui sont plus prononcés
que celui de Siaka. Oyena m’avait expliqué que contrairement à elle qui est née
et a fait une bonne partie de son primaire ici, Siaka est née à Birmingham et n’a
appris le français qu’à la maison.
— Alors, vous êtes
là pour des vacances ? Comment
trouvez-vous le retour au pays ? je
leur demande pendant qu’on leur sert ce qu’ils ont demandé à boire.
— Le changement,
je n’ai même pas reconnu l’aéroport, la vieille me dit dans un accent togolais
pur.
— Bah en même
temps, tu n’as pas remis les pieds ici depuis sept ans, c’est normal. Les
choses évoluent, lui répond Siaka.
— Les gens se
débrouillent, ça c’est sûr. Je vous encourage à poursuivre dans cette voie.
Je prends le
compliment, la remercie au nom du peuple et m’éclipse en cuisine pour mettre la
pression au personnel. Ils doivent leur offrir un service de choix et qui sait,
je pourrais négocier une augmentation après ça. La providence étant de mon
côté, j’entends dans leurs échanges qu’ils prévoient se rendre à l’école à la
sortie d’ici.
— Ça sera sans
moi, je dois même m’en aller là. On m’attend à l’hôpital.
— Same, j’ai
rendez-vous avec mon éditeur, ajoute Siaka.
— Tu respectes
les heures maintenant tata ? lui
demande son neveu sur un ton moqueur.
— C’est juste
pour ne pas donner raison à ta grand-mère qui pense que je ne peux pas prendre
mon travail au sérieux.
— Je n’ai dit que
ce que mes yeux ont vu, dit la vieille. N’oublie pas de payer avant de t’en
aller hein.
— Oh non, c’est
la maison qui offre, je rectifie aussitôt.
—Oh wow,
really? Thanks, le petit répond avec
entrain.
— Tu es sure ? On veut pas profit, dit Deborah, ce qui me
fait rire. Le franglais de ça.
— Don’t worry,
Oyena est l’une de mes meilleures amies.
— Tu as entendu
ça Chantal Nicol ? Tu as
entendu ce qu’on raconte de ta fille ?
— Va travailler
au lieu de fatiguer nos oreilles, dit la vieille avec un sourire avant de
remercier chaleureusement.
C’est ainsi que leur
groupe se scinde en deux et environ vingt minutes après eux, j’embarque avec
mon équipe pour l’école aussi. Pendant qu’on monte les escaliers, je remarque
des détails étranges. Certains élèves sont hors des classes, ça chuchote un peu
et à l’étage où se trouve la classe de Jérémie, le constat est pareil. Il n’est
pas dehors en revanche. Ce sont des profs que je remarque et comme les élèves,
ils semblent affairés. N’étant proche de personne, je monte avec ma curiosité
qui me ronge tellement que je craque et j’écris à Jérémie.
— J’ai vu du
monde attroupé un peu partout dans votre école. Une idée de ce qui se passe ?
— Tout le monde
est excité parce qu’il paraît que le fondateur de l’école est dans les parages.
— Et c’est
maintenant que tu me le dis ? Toi
franchement tu mérites des gifles. J’aurais pu m’habiller nettement mieux.
— Lol tata, tu étais
bien ce matin. En plus on vient tout juste de l’apprendre. Si je me fie à ce
qui se dit, la visite était imprévue. Elle fait le tour des classes depuis donc
on attend qu’elle arrive à notre niveau.
— N’écris pas quand
elle sera là hein. Tu m’en parleras à votre pause, je dis et commence à m’interroger
sur la nature du fondateur de l’école.
Ça ne peut pas être Timothy
non ? Je sais que l’école appartient
aux Nicol, mais ce gosse ne doit pas avoir plus de 22 ans. Avec le coup
que Hadassah m’a fait sur son âge, je lui donne même 20. Ou c’est le frère d’Oyena
qui a envoyé sa mère en visite ? Non,
ce n’est pas logique. Ils n’auraient pas dit « le fondateur » pour elle.
Ne pouvant attendre,
je descends aussi pour voir la face du fondateur. Avec un peu de chance, je
vais le croiser et peut-être sécuriser un rendez-vous sur le coup. Cette
augmentation me tient à cœur. Au bout du troisième escalier, ce n’est nul autre
que Romelio que je vois monter. Ma bouche est grande ouverte. Sa posture est
rigide et derrière, on entend quelqu’un lui demander ce qu’il fait là.
— Monsieur, mais attendez,
vous n’avez pas le droit de monter sans autorisation, continue une pauvre fille
qui aurait dû choisir de meilleures chaussures si elle savait que les talons n’étaient
pas son fort.
— Qu’est-ce que
tu fais ici chéri ? je
demande une fois qu’il est à ma hauteur.
— Tu sais où se
trouve le bureau du directeur?
— Euh oui, tout
droit, tu prends le premier couloir et c’est la porte au fond, mais…
Il s’est déjà élancé,
mais ne va pas bien loin. La fille qui souffrait sur ses talons nous a enfin rejoints,
mais devant certains profs se sont rapprochés de Romelio.
— Vous cherchez
quelqu’un, monsieur ?
— Celui qui
pourra répondre de ce qu’on fait vivre à ma fille dans cette école, il dit d’un
ton si ferme que je prends peur et me rapproche.
Au même moment, le
groupe qui était au resto sort d’une classe entourée d’une cohorte d’individus,
hommes comme femmes dont le directeur.
— Que je vous
suive parce que je n’ai pas le droit d’être ici ? on entend la voix de Romelio tonner avec
rage. Je te conseille de t’éloigner gentiment demoiselle.
Le groupe se rapproche
de Romelio et la dame qui parle franglais l’adresse.
— Qu’est-ce qui
passe ici ?
— Il se passe que
votre piètre service est la goutte de trop ! il
répond sèchement et déclenche les foules.
— S’il vous
plaît, pardonnez-lui, il est juste en….
— Quand il faut
prendre l’argent que des parents gagnent à la sueur de votre front, vous n’avez
aucun protocole, mais pour un simple entretien concernant ma fille, on me fait
attendre pendant trente minutes sans aucune raison fondée ? Vous avez choisi le mauvais parent aujourd’hui ! il continue sa diatribe.
— Eh Romelio s’il
te plaît….
— Toi tu la
fermes ! il claque si fort que je
recule instinctivement.
— Non mais respectez-vous
monsieur. Vous manquez de respect à une femme devant nous et osez réclamer on
ne sait quoi ? Qui a même laissé cet alcoolique
entrer ici ? s’indigne le directeur.
— On peut avoir
un bureau ? on entend d’une voix très
posée contrastant avec les tons chauds qui s’échangeaient depuis quelques minutes.
— Ce n’est pas
nécessaire de perdre votre temps Mme Nicol, nous allons…
— J’ai demandé un
bureau Mr Douti, ça sera tout, merci, elle réitère en prenant un ton qui n’aurait
encouragé personne à contredire.
Les minutes suivantes,
elle et Romelio disparaissent dans la direction que je lui avais indiquée. Romelio
qui me dit de la fermer, en public de surcroît. J’espère pour lui qu’il me
prépare une méga surprise pour la St Valentin parce que je ne risque pas de lui
pardonner ça facilement. Sinon, on a appelé Deborah madame Nicol ? Elle serait donc la femme du fondateur ? Affaire à suivre, je suppose.