127:menteuse et voleuse

Ecrit par Gioia

***Jennifer « la mera » Bemba***

La patience c’est ce qui m’a manqué et conduit ici, donc je m’efforce de m’y accrocher parce que Romelio ne me rend pas la tâche facile. Depuis son message, il ne m’a plus fait signe. Je pense bien qu’il a du mal à convaincre sa mère, mais il pourrait tout de même communiquer non? Voilà la St Valentin qui approche à mille pas et je ne sais même pas si je vais la passer seule. Je ne suis pas habituée à ça moi. Depuis qu’on est ensemble, il a toujours souligné l’évènement, qu’on soit dans le même pays ou non. La pire des choses serait de passer cette journée au milieu des ados de l’école qui s’échangent leurs cadeaux pendant que moi leur vieille mère, je n’aurais rien. Nous sommes à cinq jours de la fête et ils ne font qu’en parler ici. Tu sens vraiment que leur école est dirigée par une personne libre d’esprit, parce qu’en mon temps, quel directeur aurait décrété une semaine de sciences et d’art pour supposément encourager les talents et la collaboration entre élèves? En plus de ça, ils ont divisé cette semaine en diverses présentations et concours dont celui de la classe la mieux décorée pour la St Valentin. Non seulement, chaque participant recevra un certificat pour participation, mais des prix sont annoncés pour les meilleurs. Abonnements pour le restant de l’année à des librairies, clubs de sports, des livres gratuits pour l’année scolaire prochaine, deux laptops et une montre intelligente Michael Kors. Au moins, ils justifient leurs frais scolaires onéreux et je travaille pour que les enfants soient parmi les meilleurs. Quand je dis travailler, je parle principalement de motiver Hadassah, parce que Jérémie s’est impliqué à la seconde où on leur a annoncé le projet. Tout comme les autres, Hadassah paraissait intéressée durant les trois à quatre premiers jours de l’annonce, mais depuis elle en parle moins.

La routine reste la même pour moi les jours de semaine. On arrive vers 11 h à l’école des enfants, le temps d’arranger la place et deux heures après le lunch, nous restons pour ranger, nettoyer, du moins mon équipe, pendant que je m’entretiens au besoin avec les surveillants, ou le vice-directeur s’il me demande. Aujourd’hui, détail inhabituel, c’est Hadassah qui demande à me voir après leur repas.

— Je voulais te remercier pour ta gentillesse envers moi, elle commence une fois que nous sommes seules, mais je préfère manger la même chose que les autres désormais.

— Ah…., il y a quelque chose dans un plat qui ne t’a pas plu? je demande confuse. Elle raffolait de tout ce que je lui apportais pourtant.

— Non non, elle s’empresse de répondre comme si elle ne voulait pas m’offusquer. Tout était nickel. Je ne veux juste pas de traitement de faveur.

— Il s’est passé quelque chose avec les autres? Tu peux tout me dire ma chérie. Je t’ai dit que pour moi, tu es ma nièce autant que Jérémie est mon neveu.

— Non…, je dois retourner en classe maintenant. Encore merci et s’il te plaît, c’est vraiment plus la peine de me faire des plats. Merci, elle dit et s’enfuit.

L’anguille sous la roche est énorme. Je n’avale pas son excuse et une fois à la maison, je mène mon enquête auprès de Jérémie dont les révélations me laissent bouche bée.

— Qui raconte qu’elle sort avec un de mes employés? je demande fulminant de rage.

— Ah, je connais pas la source moi. Juste qu’un matin, on est arrivé à l’école et c’était écrit sur sa table au blanco, sale tepu, retourne dans ton ghetto de St Denis au lieu de te taper les employés de la cantine.

— Non mais c’est quoi ses bêtises? C’est ce qu’on vous apprend à l’école ça?

— Mais enfin, pourquoi tu me frappes la tête? C’est pas moi qui ai écrit, il ose répondre avec un air choqué.

— Toi tu as fait quoi en trouvant une saleté pareille sur sa table hein? Pourquoi je dois te demander avant que tu m’en parles? Non mais!

— Beh j’ai effacé avec elle et passé un message sévère à la classe, mais le lendemain on a écrit pire.

— Donc l’enfant se fait intimider et aucun de vous n’a pensé à prévenir un adulte? Les professeurs sont au courant?

— Qu’est-ce qu’il y a ici? Il a encore fait quoi ce bandit?

— Ouais c’est toujours moi non, il dit en regardant de travers sa mère qui nous a rejoints.

— On harcèle une de ses camarades.

— Tcho, qu’elle a fait quoi?

— Est-ce qu’on fait quelque chose pour justifier le harcèlement ma tante? C’est la jalousie. Comme l’enfant vient de France et je l’aime bien, on la jalouse! Des adolescents qui sont déjà envieux, et demain on se demandera pourquoi on a des criminels en société, je m’indigne et subitement, la face d’Amaya se dessine dans mon esprit.

Les échanges entre ma tante et Jérémie ne sont plus que des bourdonnements d’insectes à mes oreilles. Si cette petite a osé! En plus, c’est grâce à moi qu’elle est dans cette école. J’essaie de regrouper mon esprit pour revenir à la conversation.

— Maintenant, l’école dit quoi? ma tante interroge Jérémie.

— On est quatre ou cinq à avoir incité Hadassah à en parler aux profs, mais elle a dit de laisser tomber. Qu’elle ne vivait même pas à St Denis du coup elle s’en fout, donc nous on fait quoi?

— Elle s’en fout? On l’insulte et elle s’en fout? je m’énerve davantage.

— C’est du Tornade tout craché ça. Si elle ne me servait pas de temps en temps du sarcasme, j’aurais affirmé sans aucun doute que son cœur n’est plus fait de chair.

— On va faire quoi avec tes remarques non pertinentes là?

— Oh! Je répondais à tes questions non…

— Ah va loin! je le chasse le cœur chaud comme la braise.

— Hum les jeunes d’aujourd’hui jouent avec l’école, commente ma tante en mâchant son cuir dent.

— Je reviens, j’annonce et me lève d’un coup.

Impossible que je reste tranquille. Bien qu’il sonne déjà 19 h, je me rends chez elle.

— Qu’est-ce qui se passe? Tu fais quoi là? Pourquoi tu n’as pas appelé? elle aligne en un souffle après qu’Amaya m’ait ouvert le portail.

— Nous devons parler urgemment.

— On ne peut pas parler plus tard pardon? George est rentré tendu et s’il te trouve en sortant de la douche, nous risquons de passer une soirée désagréable.

— Non, il s’agit d’Amaya.

— Amaya? elle fait confuse.

— Dis-lui de revenir Yasmine, c’est urgent.

— Euh Ok, elle dit en hochant la tête et hèle le nom de la demoiselle qui arrive en traînant des pieds, le visage gonflé comme si on la dérangeait.

— Assieds-toi, je dis d’un ton ferme.

— Je discutais avec les amies pour notre concours à l’école.

— On te dit de t’asseoir. Le concours va fuir? intervient sa mère.

— C’est pas toi qui as dit que j’ai intérêt à remporter la montre intelligente pour toi? elle continue à rouspéter tout en s’exécutant.

— Je ne vais pas y aller par quatre chemins. On m’a dit que quelqu’un dans votre classe intimide Hadassah?

— Hein? fait Yasmine. C’est quoi cette histoire?

— Une histoire inintéressante, réplique Maya sur un ton désintéressé.

— Ah bon Maya? Ta camarade se fait traiter de pute et ça ne t’intéresse pas?

— De pute carrément.

— Qu’est-ce qui se passe ici? on entend de George qui se tient sur le perron et il n’a effectivement pas l’air joyeux.

— Il se passe que j’étais très concentrée sur un concours important pour mon avenir et tata vient m’interroger sur quelque chose qui ne me regarde pas, elle répond avec une effronterie qui ne dit pas son nom.

George s’installe, me mettant mal à l’aise. J’aurais préféré gérer ça entre femmes, mais bon, nous y sommes.

— Quelqu’un ne cesse d’écrire des injures et mensonges sur le banc de sa camarade, j’explique à George.

— Ah…et le lien entre elle et l’histoire vient d’où? me retourne George.

— Je venais aux nouvelles, juste pour savoir si elle en sait plus.

— En la qualité de

— Jennifer s’occupe du service de cantine à l’école chéri, lui rappelle Yasmine.

— S’occuper de la cantine c’est synonyme de débarquer chez les gens à l’heure où leurs enfants sont supposés étudier pour les interroger comme un inspecteur? il rétorque sur un ton arrogant qui me fume.

Sa fille serait à cette école sans mon intervention peut-être? On ne va pas continuer à me prendre de haut. Je me lève, m’excuse du dérangement et prends congé. J’ignore les multiples appels de Yasmine jusqu’à mon arrivée devant mon ancienne maison. Ils n’ont pas voulu coopérer avec moi non? J’espère pour eux que Amaya n’est pas impliquée dans ça, parce que Romelio va entendre de ce pas ce qui se passe. On ne peut pas intimider notre fille à ce niveau et je resterai les bras croisés. Le gardien à la longue face comme l’aubergine mauve me toise quand il me voit descendre.

— C’est dans ton intérêt de me laisser passer, je ne suis pas d’humeur, je lui dis en guise de salutation.

Il s’adosse au portail et se permet de m’ignorer tout en fouillant son téléphone.

— Sois sûr que tu prendras la porte à mon retour, je lui réitère avant d’appeler Romelio qui ne répond pas.

Je m’essaie trois fois et lui envoie un message en grands caractères pour le quatrième essai.

— HADASSAH EST VICTIME D’INTIMIDATION À L’ÉCOLE. ON FAIT QUOI? JE SUIS DEVANT LA MAISON.

En moins de dix minutes, il rappelle.

— Qu’est-ce que je viens de lire?

— Je suis devant la maison, on en parle de vive voix? c’est ainsi que je lui réponds.

Il ne tarde pas à sortir et je m’assure de toiser le gardien pendant que j’entre avec Romelio. On règlera son cas plus tard. Ma maison, mon foyer, enfin! Elle m’a manqué cette place. C’est avec émotion que je regarde mon petit jardin qui a quand même changé. La terrasse en revanche est totalement différente, pourtant je n’avais rien touché ici.

— Qu’est-ce qui s’est passé avec les meubles ici? Tu les as changés?

— Qu’as-tu à me dire concernant ma fille et d’où tiens-tu cette information? il me demande sans me proposer à boire.

Bref, la terrasse attendra, je suppose.

— Depuis l’an dernier, je m’occupe du service de cantine à l’école Davidson Nicol. C’est là que j’ai rencontré Hadassah, je lui réponds et reçois un regard surpris. Elle fait la même classe que Jérémie et c’est en le découvrant que j’ai compris mon erreur. Comme je te l’ai déjà expliqué, je lui ai donné moins que son âge lorsque j’ai vu sa photo. Bref, restons sur le sujet de l’intimidation. C’est elle la priorité, on parlera de nous après, je conclus.

— Continue, il dit simplement après la petite pause que j’ai pris pour le laisser réagir.

— J’avais remarqué depuis un moment qu’elle ne semblait plus emballée par les activités parascolaires destinées à la célébration de leur semaine de sciences et d’art donc j’ai cuisiné Jérémie qui m’a appris qu’elle est la cible d’attaques honteuses. Des inconscients se croient intéressants et écrivent sur son bureau des injures que je ne préfère pas te répéter.

— Tu peux me les dire.

— Crois-moi chéri, ça n’en vaut pas la peine.

— Jennifer, si tu es venue jusqu’ici pour m’informer, j’aimerais que tu ailles au bout, merci.

— On la traite de pute, lui demande de repartir dans son ghetto, et il paraît que des photos de sa nudité se promènent entre les élèves, j’ajoute sur la fin. Jérémie ne m’a pas confirmé la dernière partie, mais à ce stade tout est possible. Jérémie a bien évidemment incité Hadassah à dénoncer ce qu’on lui fait vivre à un professeur, mais elle a refusé supposément qu’elle s’en fout, ce qui n’est absolument pas normal! Quelle vie menait-elle en France pour croire que ce genre de traitement est acceptable?

— C’est tout? il demande le visage aussi dur que du granit.

— Pour l’instant, mais je suis entrée en contact avec quelques profs de Jérémie avant de venir ici. Ils vont se mettre sur le cas dès demain chéri. Tu n’as pas à t’inquiéter, je le rassure tout en prenant note mentalement qu’il me faut appeler Oyena pour qu’elle m’aide sur ce coup. Je ne connais aucun prof de Jérémie.

— Si c’est tout alors, je te remercie.

— Je t’en prie mon amour, tu n’as pas besoin de me remercier. C’est normal que je veille sur elle. Tu veux qu’on lui parle ensemble ou je le fais?

— Je vais m’en charger.

— Tu es certain? Ça ne me dérange pas. En plus, entre femmes, on se fait plus facilement des confidences, surtout que c’est une ado et elle est naturellement réservée.

— Je vais m’en charger, il réitère.

— OK…, je dis et gênée, je ne sais quoi ajouter. Je n’ai aucune envie de partir, mais comment demander si je peux rester vu qu’il n’a….

— Le gardien va te raccompagner, il continue m’interrompant dans mes pensées.

— Euh…., nous alors…, je laisse flotter.

— Je règle le cas de Hadassah en premier et on parlera de nous chérie.

J’ai entendu le chérie. Je ne l’ai pas rêvé. Mon corps bondit vers le sien pour une étreinte avant que mon cerveau ne réagisse. Je l’embrasse à pleine bouche et mouille instantanément quand il me rend mon baiser. Il me conduit au portail tandis que je me love contre lui.

— Ne sois pas trop dur avec elle du fait qu’elle te l’ait cachée hein chéri. Les ados sont ainsi. J’ai l’expérience avec Jérémie.

— D’accord.

— Tiens-moi régulièrement au courant, je t’aime, je dis bien haut et l’embrasse à nouveau pour que le gardien voie. Ses jours sont comptés.

***Romelio Bemba***

Hadassah dort chez mes parents aujourd’hui. Ils l’avaient demandé depuis un moment, mais elle ne s’est décidée que récemment et maintenant je me demande pourquoi elle a insisté pour que ça soit aujourd’hui. Non seulement, elle m’a annoncé tardivement qu’elle aimerait aller chez eux, et quand j’ai refusé, elle m’a supplié et semblait agitée, chose qui n’est pas son habitude. Maintenant je me pose mille et une questions. Pourquoi me cacher un fait si grave? Ne l’ai-je pas assez mis en confiance? Dois-je demander à Stella? Non, je dois me ressaisir. Stella au courant, m’aurait tapé un énorme scandale. Se peut-il que Hadassah était gênée de m’en parler, d’où l’insistance d’aller voir mes parents? Je n’ai que des questions dont les réponses se trouvent avec elle, donc je finis par craquer et me rends au domicile familial.

— Eh Seigneur, envoie vite la femme ainsi que les autres enfants que tu as prévus pour mon fils parce qu’on ne va pas s’en sortir, exagère ma mère dès que j’arrive sur la terrasse où ils se trouvent.

— Je te salue aussi. Ça va mon vieux? Je demande à mon père.

— Mieux que toi qui nous visites un jeudi soir après 19 h au lieu d’aller groover.

— Groover hein? je rigole. C’est quel conseil ça pasteur Bemba?

— Au lieu de rire, applique son conseil. C’est en groovant que tu rencontreras des femmes. Dieu ne va pas faire tout le travail pour toi.

— Et votre part de groove alors? Elle se fait à l’air libre devant un bol de mûres?

— Je te ferai savoir que les mûres sont excellentes pour la circulation sanguine et il nous en faudra une bonne pour maintenir la cadence avec notre petite fille lorsque tu te décideras à nous laisser jouir pleinement de nos droits, ma mère continue à peindre son tableau hautement coloré.

— Parce que je vous brime même hein, pauvre vous, je me marre.

— On ne peut même pas l’avoir pendant trois heures que tu débarques. Qu’est-ce que tu veux même?

— Doucement avec moi s’il vous plaît, je voulais seulement passer voir la tête de mes vieux parents.

— C’est ça, on te croit, dit mon père avec humour.

— Où est la petite-fille pour laquelle on me fait la guerre?

— Au lit, après s’être cassé la tête avec ta mère sur ses devoirs. Honte à toi si tu vas la réveiller, il me lance sur un ton moqueur quand je les dépasse et me dirige vers l’intérieur de la maison.

Je ne compte pas la réveiller. J’ai juste besoin de me rassurer qu’elle ne s’est pas enfermée pour pleurer au lieu de se confier à quelqu’un, parce que des devoirs compliqués elle en reçoit souvent et jamais elle ne s’est couchée tôt parce qu’épuisée à cause d’eux. Pour ne pas la réveiller si elle dormait réellement, j’avance à pas de loups mais je me fige quand son dos apparaît dans mon champ de mire. Elle avance sur la pointe des pieds vers la chambre de mes parents et avant d’y entrer, jette un coup d’œil en arrière. Heureusement, je suis loin d’elle et j’ai eu le temps de me mettre à l’abri dès qu’elle a tourné la tête. Confus, je la vois doucement ouvrir leur porte puis disparaître à l’intérieur. J’avance doucement, mais en activant le pas cette fois et par la petite ouverte qu’elle a laissée, j’assiste à l’une des scènes les plus incongrues de ma vie. Ma fille qui fouine dans les vêtements et sacs de mes vieux parents, puis en sort des billets qu’elle glisse dans ses poches. Je recule et m’adosse au mur en face de la chambre, tandis qu’elle continue sa besogne. Qu’est-ce que me fait cet enfant? Pourquoi? On a commencé l’année sur des promesses pourtant. C’est elle qui m’a dit après un mois que l’argent de poche n’était pas nécessaire parce qu’entre son petit déjeuner à la maison et le repas de midi à l’école, elle n’a jamais faim, du coup elle ne fait rien avec l’argent. À la fin de chaque mois, je recharge son téléphone d’unités. Je m’efforce de la faire sortir un weekend sur deux, en plus d’Arthur, mes parents et même la servante d’Arthur l’emmène avec elle de temps en temps pour des courses au marché. Elle ne manque pas de loisirs ici et de toute façon, elle ne s’est jamais plainte. Au contraire, parfois, elle déclinait mes propositions, préférant rester dans sa chambre ce qui m’a permis de comprendre avec le temps qu’elle n’est juste pas extravertie comme enfant. L’unique raison qui me vient là et que je trouve logique, c’est qu’on l’a fait peut-être chanter pour cette histoire de photos nues dont Jennifer m’a parlé, mais pourquoi? Pourquoi ma fille de 14 ans enverrait des photos nues quand depuis des années, on parle du danger de ce phénomène?

Elle ressort de dos de la chambre, ferme doucement la porte, se fige dès qu’elle me voit et recule instinctivement. La peur, c’est ce à quoi elle ressemble actuellement. Sa bouche est entrouverte, ses épaules sont tendues et ses poings sont tellement serrés que ses mains tremblent. Ses grands yeux se remplissent de larmes et elle se met à hoqueter.

***Jennifer Bemba***

Après une nuit bien méritée, je me lève au taquet. Mon planning étant chargé, je sors très tôt de la maison. Oyena là c’est une hirondelle. Si tu ne te magnes pas, tu ne pourras pas lui mettre la main dessus, donc j’espère arriver chez elle avant qu’elle sorte pour le travail. Par formalité, je lui envoie quand même un message et reçois à ma grande surprise une réponse d’elle.

— Hey babe, je vais bien. On quitte la maison dans dix minutes environ, donc c’est mieux qu’on se voit plus tard. J’essaierai de passer au Snack dans la journée.

— D’accord. S’il te plaît, c’est assez urgent, donc je compte sur toi, je lui envoie avant de démarrer pour le travail.

La matinée est pareille. Il n’y a que Khaya qui veut emmener du changement dans notre routine en me racontant une histoire dont je ne comprends pas l’utilité.

— Tu veux une avance sur ton salaire pour t’occuper de ta petite sœur?

— Oui madame. Notre père a décidé de ne pas payer le reste de ses frais de scolarité, mais ma sœur est en première. Toi-même, tu sais que c’est une classe importante.

— Et pourquoi ton père a pris une décision pareille?

— Ah madame, elle commence sur un ton déplorable, il nous frappe avec l’eau de notre aînée.

— Je t’ai dit de bien t’exprimer, tu as quand même fait la seconde même si tu n’as pas fini le lycée non? C’est quoi avec les traductions littérales qui me cassent les oreilles?

— Pardon madame. Je veux dire qu’il reporte les fautes de celle qui vient après moi sur notre dernière. C’était l’espoir de la famille et le vieux s’est sacrifié pour l’envoyer en Italie, mais elle nous a vraiment déçus, donc mon père s’est découragé.

— Elle vous a déçu en faisant quoi? Elle n’a pas fini ses études?

— Elle voulait s’en sortir rapidement pour nous aider, mais elle a pris un mauvais chemin pour le faire.

— Hum, fais-je voyant qu’elle ne comptait pas mieux s’expliquer. En tout cas, tu vois comment les affaires évoluent. Tous les prix ont aussi augmenté donc je ne pourrais pas.

— Awo madame, je t’en supplie, même si ce n’est que la moitié du salaire mensuel, je te demande pardon. Ma petite sœur Ariel est vraiment intelligente. Je ne peux pas l’abandonner, elle m’implore carrément à genoux. Je te laisse toujours mon portable et même quand ça me crée des problèmes avec mon mari madame. S’il te plaît, je ne te demanderai plus rien en dehors de ça.

— Ah…., comme madame m’a quelques fois passé son téléphone, tu commences à me sortir des exigences hein.

— Non mad…

— C’est comme ça que vous êtes dans ce pays. On ne peut pas s’associer à vous et avancer. Parce que je t’ai demandé des petits services, tu te crois tout permis? C’est bien.

— Je m’excuse madame, je n’ai pas mentionné ça avec l’intention de réclamer quelque chose. J’implore ta pitié.

— Pardon quitte de mon bureau et estime-toi heureuse que je ne te renvoie pas, je dis remontée.

Mais regardez-moi ça. Qui l’a empêché de prendre ses études au sérieux et d’ouvrir aussi son resto? Un téléphone que j’ai pris de temps en temps et voilà qu’on me demande de l’argent pour ça. Déjà que j’ai retourné à Romelio une grande partie de mes économies, je devrais avancer son salaire pour une sœur que je n’ai jamais vu? Ça change quoi à ma vie? Bref, je vais m’occuper du plus important. Je rappelle par message à Jérémie de me tenir régulièrement au courant. Pendant que je fais l’inventaire du stock, je reçois sa réponse.

— Le cours d’anglais est plus barbant que d’habitude comme Hadassah n’est pas là.

— Comment ça elle n’est pas là? je lui réponds.

— Beh, elle ne s’est pas présentée aujourd’hui quoi. Tu me couvres hein si jamais le prof me surprend sur mon téléphone. Tu signeras à la place de maman?

— Dépose ton téléphone sur le champ! je lui renvoie et j’entreprends d’appeler Romelio.

Bien sûr, il ne décroche pas. C’est bien ma veine. Qu’est-ce qui se passe avec Hadassah au juste? Je ne peux me déplacer à cause de l’inventaire qui est important et que je reporte depuis un bail, donc je m’active, mais au moment où je peux m’en aller, Oyena débarque avec une foule de personnes. Par foule, je parle d’une vieille, sa sœur et un garçon vraiment beau.

— Maman c’est Jennifer, une amie. Jen voici ma mère, Siaka que tu connais déjà, Timothy mon neveu et….oh là voilà, elle dit avec un sourire et tourne la tête vers une femme à l’allure sobre et distinguée qui nous rejoint. Voilà Deborah, ma sœur.

— Enchantée et bienvenue dans mon établissement, je dis avec un sourire accueillant.

Ils répondent de concert et de suite, je note la différence des accents qui sont plus prononcés que celui de Siaka. Oyena m’avait expliqué que contrairement à elle qui est née et a fait une bonne partie de son primaire ici, Siaka est née à Birmingham et n’a appris le français qu’à la maison.

— Alors, vous êtes là pour des vacances? Comment trouvez-vous le retour au pays? je leur demande pendant qu’on leur sert ce qu’ils ont demandé à boire.

— Le changement, je n’ai même pas reconnu l’aéroport, la vieille me dit dans un accent togolais pur.

— Bah en même temps, tu n’as pas remis les pieds ici depuis sept ans, c’est normal. Les choses évoluent, lui répond Siaka.

— Les gens se débrouillent, ça c’est sûr. Je vous encourage à poursuivre dans cette voie.

Je prends le compliment, la remercie au nom du peuple et m’éclipse en cuisine pour mettre la pression au personnel. Ils doivent leur offrir un service de choix et qui sait, je pourrais négocier une augmentation après ça. La providence étant de mon côté, j’entends dans leurs échanges qu’ils prévoient se rendre à l’école à la sortie d’ici.

— Ça sera sans moi, je dois même m’en aller là. On m’attend à l’hôpital.

— Same, j’ai rendez-vous avec mon éditeur, ajoute Siaka.

— Tu respectes les heures maintenant tata? lui demande son neveu sur un ton moqueur.

— C’est juste pour ne pas donner raison à ta grand-mère qui pense que je ne peux pas prendre mon travail au sérieux.

— Je n’ai dit que ce que mes yeux ont vu, dit la vieille. N’oublie pas de payer avant de t’en aller hein.

— Oh non, c’est la maison qui offre, je rectifie aussitôt.

—Oh wow, really? Thanks, le petit répond avec entrain.

— Tu es sure? On veut pas profit, dit Deborah, ce qui me fait rire. Le franglais de ça.

— Don’t worry, Oyena est l’une de mes meilleures amies.

— Tu as entendu ça Chantal Nicol? Tu as entendu ce qu’on raconte de ta fille?

— Va travailler au lieu de fatiguer nos oreilles, dit la vieille avec un sourire avant de remercier chaleureusement.

C’est ainsi que leur groupe se scinde en deux et environ vingt minutes après eux, j’embarque avec mon équipe pour l’école aussi. Pendant qu’on monte les escaliers, je remarque des détails étranges. Certains élèves sont hors des classes, ça chuchote un peu et à l’étage où se trouve la classe de Jérémie, le constat est pareil. Il n’est pas dehors en revanche. Ce sont des profs que je remarque et comme les élèves, ils semblent affairés. N’étant proche de personne, je monte avec ma curiosité qui me ronge tellement que je craque et j’écris à Jérémie.

— J’ai vu du monde attroupé un peu partout dans votre école. Une idée de ce qui se passe?

— Tout le monde est excité parce qu’il paraît que le fondateur de l’école est dans les parages.

— Et c’est maintenant que tu me le dis? Toi franchement tu mérites des gifles. J’aurais pu m’habiller nettement mieux.

— Lol tata, tu étais bien ce matin. En plus on vient tout juste de l’apprendre. Si je me fie à ce qui se dit, la visite était imprévue. Elle fait le tour des classes depuis donc on attend qu’elle arrive à notre niveau.

— N’écris pas quand elle sera là hein. Tu m’en parleras à votre pause, je dis et commence à m’interroger sur la nature du fondateur de l’école.

Ça ne peut pas être Timothy non? Je sais que l’école appartient aux Nicol, mais ce gosse ne doit pas avoir plus de 22 ans. Avec le coup que Hadassah m’a fait sur son âge, je lui donne même 20. Ou c’est le frère d’Oyena qui a envoyé sa mère en visite? Non, ce n’est pas logique. Ils n’auraient pas dit «le fondateur» pour elle.

Ne pouvant attendre, je descends aussi pour voir la face du fondateur. Avec un peu de chance, je vais le croiser et peut-être sécuriser un rendez-vous sur le coup. Cette augmentation me tient à cœur. Au bout du troisième escalier, ce n’est nul autre que Romelio que je vois monter. Ma bouche est grande ouverte. Sa posture est rigide et derrière, on entend quelqu’un lui demander ce qu’il fait là.

— Monsieur, mais attendez, vous n’avez pas le droit de monter sans autorisation, continue une pauvre fille qui aurait dû choisir de meilleures chaussures si elle savait que les talons n’étaient pas son fort.

— Qu’est-ce que tu fais ici chéri? je demande une fois qu’il est à ma hauteur.

— Tu sais où se trouve le bureau du directeur?

— Euh oui, tout droit, tu prends le premier couloir et c’est la porte au fond, mais…

Il s’est déjà élancé, mais ne va pas bien loin. La fille qui souffrait sur ses talons nous a enfin rejoints, mais devant certains profs se sont rapprochés de Romelio.

— Vous cherchez quelqu’un, monsieur?

— Celui qui pourra répondre de ce qu’on fait vivre à ma fille dans cette école, il dit d’un ton si ferme que je prends peur et me rapproche.

Au même moment, le groupe qui était au resto sort d’une classe entourée d’une cohorte d’individus, hommes comme femmes dont le directeur.

— Que je vous suive parce que je n’ai pas le droit d’être ici? on entend la voix de Romelio tonner avec rage. Je te conseille de t’éloigner gentiment demoiselle.

Le groupe se rapproche de Romelio et la dame qui parle franglais l’adresse.

— Qu’est-ce qui passe ici?

— Il se passe que votre piètre service est la goutte de trop! il répond sèchement et déclenche les foules.

— S’il vous plaît, pardonnez-lui, il est juste en….

— Quand il faut prendre l’argent que des parents gagnent à la sueur de votre front, vous n’avez aucun protocole, mais pour un simple entretien concernant ma fille, on me fait attendre pendant trente minutes sans aucune raison fondée? Vous avez choisi le mauvais parent aujourd’hui! il continue sa diatribe.

— Eh Romelio s’il te plaît….

— Toi tu la fermes! il claque si fort que je recule instinctivement.

— Non mais respectez-vous monsieur. Vous manquez de respect à une femme devant nous et osez réclamer on ne sait quoi? Qui a même laissé cet alcoolique entrer ici? s’indigne le directeur.

— On peut avoir un bureau? on entend d’une voix très posée contrastant avec les tons chauds qui s’échangeaient depuis quelques minutes.

— Ce n’est pas nécessaire de perdre votre temps Mme Nicol, nous allons…

— J’ai demandé un bureau Mr Douti, ça sera tout, merci, elle réitère en prenant un ton qui n’aurait encouragé personne à contredire.

Les minutes suivantes, elle et Romelio disparaissent dans la direction que je lui avais indiquée. Romelio qui me dit de la fermer, en public de surcroît. J’espère pour lui qu’il me prépare une méga surprise pour la St Valentin parce que je ne risque pas de lui pardonner ça facilement. Sinon, on a appelé Deborah madame Nicol? Elle serait donc la femme du fondateur? Affaire à suivre, je suppose.

D’amour, D’amitié