
128: Problèmes et solutions
Ecrit par Gioia
***Romelio Bemba***
En plus d’avoir passé
une sale nuit, on m’a fait poireauter sans aucune raison donc qu’on m’excuse,
la politesse ne sera pas de mise aujourd’hui.
— OK so, on peut
commencer par se présenter ? Je
suis la fondatrice de l’école, Deborah Nicol, elle dit après que chacun ait
pris place.
— Je suis Romelio
Bemba, le père de Hadassah Muamini et j’espère avoir des réponses madame.
Comment se fait-il qu’on fasse attendre un parent d’élève à qui on avait fixé
un rendez-vous ?
— Qui vous a
donné un rendez-vous, Mr Bemba ? Ma
secrétaire me fait un résumé journalier et n’a rien mentionné de tel, le
directeur au crâne bossu réplique avec un air confiant comme s’il croyait
m’avoir pris la main dans le sac.
— Ce matin à 7 h 50,
j’ai appelé votre école pour signaler l’absence de ma fille et dans la foulée,
j’ai demandé un rendez-vous avec le directeur dans les plus brefs délais.
Doriane, celle avec qui je me suis entretenu a demandé que je me présente pour
prendre cela.
— Doriane, la
fille qui est chargée de l’accueil a demandé que vous vous déplaciez pour un
simple rendez-vous ? il
m’interroge sur un ton dubitatif.
— Je n’apprécie
pas que l’on me traite de menteur Mr Douti, je dis agacé après leur avoir
déposé mon téléphone sur la table pour qu’ils voient que j’ai bel et bien
appelé.
— Je vois. Je
n’ai pas sous-entendu que vous mentiez, mais peut-être avez-vous mal compris
ses mots parce que…
— Peut-être aussi
qu’on pourrait économiser du temps et passer au sujet pour lequel je suis ici,
je l’interromps.
— Monsieur, je
vais vous demander de respecter notre établissement. Déjà, vous a causé une
commotion qui ne dit pas son nom en une journée spéciale pour nous.
— Gustave, je
vais m’en charger. Tu peux voir Doriane pour comprendre ce qui se passe ? Merci, abrège la seule personne sensible de
la pièce.
Gustave Douti se lève
lentement, visiblement mécontent du choix de la fondatrice et nous laisse
seuls.
— Je vous écoute
Mr Bemba, elle reprend.
Je lui raconte donc ce
que Jennifer m’a appris en plus de ce que j’ai tiré de la conversation étrange
avec Hadassah hier. Je lui raconte et j’ai l’impression de revivre ce qui s’est
passé hier.
C’est en hoquetant
qu’elle est retournée déposer les billets dérobés et à la sortie, je l’ai pris
par la main pour l’emmener dans ma chambre où elle dormait. Debout dans la
pièce, tête baissée et froissant des bouts de sa robe de chambre entre ses
doigts, elle s’est mise à sangloter.
— Je…c’est…par…parce
que j’ai…dema..ndé à Mad..ame Océane de me laisser neuf cocoffrets….mais après j’ai…j’ai
dé..couvert qu’Estelle elle…elle a enc…ore des sou..cis à cause de…à cause de
Netha…du coup bah…je savais pas comm…ent l’aider…parc…e que j’ai pas
d’ar..d’arg…d’argent.
C’est à ce moment
qu’on a entendu cogner à la porte et elle s’est mise à pleurer de plus belle.
Maman entre, nous observe à tour de rôle, l’air perdu tandis que Hadassah
renifle de plus belle.
— Tu peux nous
laisser s’il te plaît maman, je lui demande avant qu’elle réagisse.
— OK, elle répond
sur un ton incertain, mais s’exécute quand même.
— Je te…je te
dem…ande par…don…., j’ai…j’ai pas…je vou…lais pas fai..re du mal à papi et
mamie.
— Va te moucher,
je t’attends ici.
Elle s’en va la tête
baissée comme quelqu’un qui porte le fardeau du monde sur ses petites épaules
et revient avec des yeux bien bouffis.
— Assieds-toi, je
dis et tire mon ancienne chaise de bureau pour lui faire face. Qu’est-ce qu’on
s’est dit durant ta première semaine ici ?
— …je sais…pas ? je…me rappelle plus, elle chuchote.
— Regarde-moi
quand je te parle.
Elle relève doucement
sa tête et m’observe avec crainte.
- « Je serais là pour te guider, mais il te faudra
t’adapter un petit peu à nous coutumes. À l’école, tu recevras le règlement
intérieur. Il faudra t’efforcer de le respecter et n’hésite surtout pas à venir
vers moi si tu as des incompréhensions, tu sens qu’on t’embête, si tu ne te
sens pas bien encadrée, bref quel que soit ce qui t’arrive à l’école, sens-toi
libre de m’en parler. Tant que tu es honnête avec moi, je serais toujours dans
ton camp. », je lui récite verbatim
ce que je lui avais dit le jour de la rentrée.
Je m’étais tellement
cassé les méninges à chercher les bons mots le jour là que je ne pourrais pas
les oublier.
— Tu t’en
rappelles maintenant ? je
reprends et elle hoche la tête.
— C’est comme ça
qu’on se retrouve dans le même camp ? Tu vis
des choses dont tu ne me parles pas ?
— Je…je
sav..savais pas que ça..ça t’intéresserait de connaître ce que vit Estelle.
— Et comment tu
es arrivée à cette brillante déduction ? Je te
l’ai dit ?
Elle secoue la tête.
— Tu as donc
assumé et la meilleure option selon toi, c’était de voler des gens qui ne t’ont
rien fait ? C’était quoi ton idée ? Eux ils peuvent se retrouver dans la merde
parce que…
— Non c’est faux,
elle s’empresse de me couper. J’allais…j’allais attendre d’économiser de
l’argent pour le remettre à la place. C’est la vérité, je mens pas.
— Tu allais
économiser avec quoi quand tu ne reçois plus d’argent de poche ?
— Je…j’allais
te…demander un peu, mais la grande partie je comptais l’avoir en revendant un
des prix réservés aux meilleurs participants des différents concours à l’école.
— Ce plan
kilométrique et incertain te semblait donc plus fiable que de m’en parler ?
Elle baisse à nouveau
la tête et froisse les pans de sa robe de chambre.
— Puisque nous
sommes sur le sujet de tes cachoteries, que dois-je savoir d’autre sur toi ?
— Je…, c’est tout
ce que j’ai fait je te jure.
— Ah bon ? Pourtant il paraît que tes photos nues se
promènent dans ton école et qu’à cause de ça, tu te fais harceler.
— Quoi ? elle s’écrie outrée.
— Je te le
redemande pour la dernière fois Hadassah, qu’est-ce que tu me caches ?
— J’ai jamais
pris de photos nues ! elle
se défend d’une voix vibrante. On a écrit des conneries sur mon bureau à
l’école parce que votre amie tata Jiji me fait des repas hors menu.
— Tata Jiji ? je répète choqué à mon tour. On parle bien de
Jennifer ?
— Oui. Jérémie me
l’a présenté le mois passé et depuis elle a commencé à me faire des trucs hors
menu.
— Le mois passé
et ce n’est qu’aujourd’hui que je l’apprends ? Pourquoi tu te tais autant Hadassah ? je demande exaspéré.
— Je…je savais
pas que c’était important de t’en parler, elle répond d’une petite voix.
— Couche-toi,
demain on continue, je dis agacé et me lève pour m’en aller.
— S’il te plaît,
elle commence quand je tourne le dos. Est-ce que je peux moi-même avouer à papi
et mamie ce que j’ai fait ?
Je hoche la tête,
accédant ainsi à sa proposition qui sans mentir, me surprend. Peut-être
pensait-elle que je partais la dénoncer alors que je préfère simplement abréger
cette conversation pour ne pas perdre le peu de patience qu’il me reste. En
quoi ce n’est pas important pour un parent de savoir qui approche son enfant ? Jusqu’à la fin Jennifer me montre qu’elle est
mentalement instable et peut-être que la laisser m’embrasser ce soir était une
erreur même si je l’ai fait pour qu’elle accepte de partir sans faire de
siennes. Après ce qu’elle m’a servi dans la voiture, je suis convaincu qu’on ne
peut plus tenir une discussion cohérente avec elle. En tout cas, je n’ai plus
cette faculté. On n’a pas la même conception de ce qui s’est passé l’an
dernier. Pour elle ce n’est qu’un petit accident de parcours réparable par des
déclarations fiévreuses, un entêtement et l’attirance physique qu’elle sait
qu’elle peut éveiller chez moi. Je suis à un autre niveau. Je l’ai débloqué et
répondu uniquement pour pouvoir attester dans un an devant le juge que j’ai
fourni des efforts pour dialoguer comme me l’avait recommandé l’avocat. Sinon,
j’ai déjà pris un avocat qui attend simplement qu’on atteigne un an de
séparation physique pour lancer la procédure officielle. Apparemment, je peux
par cette méthode potentiellement obtenir un divorce avec ou sans son accord.
Seulement, elle risque d’être plus longue dépendant de la position qu’elle
adoptera. Ce que je retiens de cette année, c’est qu’amour ou pas, le mariage
est bel et bien un contrat. On ne le rompt pas aussi facilement qu’on le
contracte, et si c’est pour rester collé à une personne pendant dix ans à cause
des procédures, on comprend mieux pourquoi certains n’attendent pas avant de
refaire leurs vies.
Ma nuit est remplie
d’inquiétudes et questionnements. Je risque de brûler un quartier si on
retrouve ceux qui se promènent avec les photos de ma fille. J’espère surtout
qu’elles ne sont pas déjà sur internet avec cette génération inconsciente là. Avant
de quitter le lit, je prie. Je prie avec ferveur sur cette histoire puis je me
dirige dans la chambre de Hadassah, mais je la trouve au salon assise devant
mes parents. Je me mets à l’écart pour ne pas les interrompre. Elle est à la
partie où elle leur explique les raisons qui l’ont poussé à commettre cet acte.
— Bon…, je ne
suis pas contente de toi, mais comme nous l’enseigne la bible, chaque péché
confessé est pardonné, donc tu es toute pardonnée ma chérie, lui dit mon père.
— Oh ma petite
puce, regarde comment tes paupières sont enflées, tu as passé la nuit à pleurer
hein. Pourquoi tu n’es pas venue me réveiller ? Ajoute ma mère après l’avoir rejoint.
— J’a…j’av…ais
hon..te et…et le chef…est parti fâché…du coup…je savais plus quoi faire, elle
dit d’une voix morne.
— Il n’y a pas de
honte à avoir quand tu agis mal ma grande. C’est un sentiment normal, mais en
réalité, ce n’est qu’une façon de cacher nos transgressions. Ce que Dieu
demande, c’est qu’on soit honnête parce qu’il n’est pas là pour nous accuser
davantage, mais nous pardonner. Tu comprends ?
— Je…sais pas
trop.
— Qu’est-ce que
tu ne sais pas trop ? ma
mère la questionne tout en lui câlinant la tête.
— Bah Dieu…tout
ça. Pourquoi il n’a pas voulu que je vive ici avec vous ? Pourquoi c’est après treize ans que je
rencontre le papa qui m’a mis au monde ?
Pourquoi il n’a pas aidé mon papa…enfin le papa qui m’a élevé à guérir après
son accident ? Depuis que j’ai six ans,
il est malheureux et à cause de son accident, il n’aime plus rien faire avec
nous. En plus, pourquoi il n’a pas aidé la maman de Netha et Estelle à vaincre
sa maladie ? Parce que depuis qu’elle
est partie, la vie de ses enfants est devenue merdique.
— On va parler de
tout ça plus tard mon ange. Il faut que tu te prépares pour l’école, abrège ma
mère.
Je me manifeste un peu
après ça et nous prenons ensemble le petit-déjeuner.
— Vous avez
quelque chose de prévu aujourd’hui ? je
demande à mes parents.
— En dehors
d’aller à l’église pour deux rencontres je n’ai rien d’autre à faire, me dit mon
père.
— On doit m’emmener
deux filles pour nettoyer un peu la maison de ton oncle comme il rentre ce
week-end, sinon rien d’autre.
— Dans ce cas
Hadassah, tu restes ici avec tes grands-parents.
— Je…, s’il te
plaît, je ne recommencerai plus.
Mes parents comprenant
que nous avons besoin d’intimité se lèvent ensemble et prennent chacun leur chemin.
— On doit
préparer la pièce à présenter pour le concours dont je t’ai parlé hier s’il te
plaît. Je…
— Je ne suis pas
en train de te punir chérie, je l’interromps doucement. Tu m’as certes dit que
tu n’as pas pris de photos, mais je ne sais pas à quel saint me vouer, donc je
préfère que tu restes ici, le temps que j’aille me renseigner directement à l’école.
— C’est…tu
promets que demain je pourrais y retourner et finir l’année ici ? elle demande d’une voix tremblotante qui me
fait comprendre où son esprit est allé.
Je bouge la chaise,
lui présente ma main et lui dis de venir vers moi puis je la fais asseoir sur
ma cuisse.
— On peut se cogner
la tête, être fâchés et ne pas se comprendre, mais je ne manquerai jamais à mon
devoir. Jusqu’à ma mort, tu restes ma petite fille, tu comprends ? Tu n’es pas un vêtement pour que je te
retourne au magasin une fois que je ne suis plus satisfait. Je donnerai ma vie
s’il le faut pour toi.
Elle froisse encore
une fois les pans de sa tenue et se met à hoqueter tout en hochant la tête. Je desserre
ses doigts, mets ses bras autour de mon cou et en même pas une seconde, elle me
sert à m’étouffer tout en pleurant doucement. Je lui tapote le dos et la
rassure autant que je peux avec mes mots. J’arrache un morceau de sopalin après
qu’on se soit détaché et pendant que je la fais se moucher, je lui explique que
je n’ai pas compris la majorité des choses qu’elle m’a dite hier, mais on en
reparlera après ma visite à l’école.
Je viens de finir la
visite en question et retourne chez mes parents. Cette fondatrice n’avait pas de
réponses à mes questions, mais je ne peux nier qu’elle a réussi à me redonner
confiance dans leur école. Je l’ai laissée avec un ultimatum. Deux semaines
pour me trouver le fin mot de cette histoire. Passé ce délai, je passerai à d’autres
mesures incluant le fait de traîner la réputation de leur école dans la boue. Je
n’en joue pas parce que je n’aime pas être en dette envers quelqu’un, mais je
ne manque pas de relations dans ce pays, même si je ne fais pas partie de ses
grandes fortunes. Ma carrière m’a fait connaître du monde et ce que j’ai copié
de mon oncle, c’est d’entretenir mes relations professionnelles parce qu’on ne
sait pas de quoi demain est fait. Ça serait dommage pour Deborah Nicol de ne
pas me prendre au sérieux.
Je récupère Hadassah dont
l’humeur s’est un peu allégée et nous rentrons à la maison.
— J’ai pensé
après, elle commence après que je lui ai fait un résumé succinct de ma visite.
— À quoi ?
— Les photos. Quand
on allait à la piscine, il y avait quelques filles qui se prenaient en photos dans
les vestiaires.
— Ah ? Tu en as pris avec tes amies ?
— Non mais je me
rappelle que certaines se plaignaient que d’autres les filment quand elles se
changent. Je sais pas, peut-être que je suis passée sur une photo ou vidéo sans
savoir ? C’est la seule idée qui
m’est venue parce que j’ai passé mon temps à y réfléchir, mais je sais pas d’où
ça peut venir.
— T’en fais pas. On
a deux ou trois agents des relations publiques chargés de contrôler et faire le
ménage dans les informations publiées en ligne sur l’hôpital. J’ai pensé ce
matin que je pourrais demander à l’un d’eux de vérifier de temps en temps ce qui
se dit sur ton nom en ligne. S’il n’y a rien tant mieux, sinon on prend les
mesures pour le faire enlever.
— On peut
vraiment faire ça ? elle
demande incrédule et me fait sourire.
— On peut faire
beaucoup de choses ma puce. Bon, explique-moi ce que le nom d’Océane venait
faire dans ton explication hier. Et le problème avec Estelle c’est quoi ?
— Beh c’est que
tata Blanche (la servante d’Arthur) a été sympa avec moi et pleurait déjà qu’on
allait plus se revoir, j’ai pensé à lui faire un petit cadeau.
— Elle pleurait
quand ça ?
— Tout le temps
papa. Elle pleurait tellement que tonton Arthur s’est moqué et il a reçu une
louche sur la tête.
— Ah bon, je dis
amusé. Et je n’étais pas au courant ?
— Ça s’est passé
quand tu étais encore au travail. Bref, comme elle a aussi aimé un des
échantillons que je lui ai donné après mon retour du spa, je me suis dit que je
pourrais lui offrir une grande taille de la crème. C’est un peu après que je
tombe sur une publicité du Spa de mme Océane sur les réseaux sociaux, du
coup je m’inscris. Puis je me dis, ça serait bizarre de faire un cadeau à tata
Blanche sans tonton Arthur surtout qu’une fois il m’a piqué ma crème de mains
après que je lui ai passé. Ensuite je me suis dit, ça fait pas de sens de faire
un cadeau à tonton Arthur et pas toi. Après j’ai pensé à mamie….
— Et cette
logique t’a conduit à plusieurs personnes je suppose, je conclus avec humour.
— Ouais, elle avoue
sur un ton défaitiste qui me fait rigoler. Je me suis dit que je n’aurais pas
de chances de remporter neuf fois le concours même si je créais huit profils
pour m’inscrire en plus du mien, donc j’ai demandé à mme Océane de me réserver
neuf coffrets pour la Saint-Valentin pour ne pas prendre de chance.
— Les choses se
passent dans mon dos hein Hadassah. Tu peux facilement devenir une espionne, je
dis amusé, mais le ton sur lequel elle reprend est rempli de peine.
— Peut-être. Les
jours suivants, madame Océane me confirme qu’elle m’a réservé les coffrets et
le sale destin décide de me jouer un vilain tour par la suite. Je découvre qu’Estelle
sort encore les soirs, signe que les ennuis sont de retour avec Netha, mais
comme j’avais déjà réservé chez Mme Océane, je ne savais pas comment lui
dire qu’il me fallait envoyer cet argent à Estelle. Je me sentais gênée, alors
j’ai fait…enfin j’ai pensé à l’idiotie que tu as vue.
— Qui est ce ou
cette Netha dont tu parles ?
— Netha c’est
Ethan son frère. Tu te rappelles ? Tu l’as
vu à notre première rencontre. Il s’appelle en réalité Kuyanetha, mais on l’a
toujours appelé Ethan à sa demande.
— Il est
sudafricain ? je demande le prénom me
disant quelque chose.
— Oui, sa maman l’est…enfin
elle l’était. Elle s’est suicidée, elle m’annonce subitement.
— Je…eh bien, c’est
bien triste ça, je dis sous le choc. Estelle, cette petite n’a qu’un an de
moins que Hadassah et déjà sa mère n’est plus ? La pauvre.
— Elle s’est suicidée
il y a trois ans, la veille de notre premier concert et depuis Netha a arrêté de
faire de la musique.
— Votre premier
concert ?
— Oui…mais c’était
rien de grandiose. J’ai rencontré un membre du groupe à mon cours de piano. C’est
lui qui m’a présenté Netha et j’ai rencontré Estelle par lui. Netha écrivait
les paroles et composait presque toute la mélodie, juste sur sa batterie, en
une heure, il pouvait écrire un long texte papa. Il était né pour briller, c’est
un peu pour ça qu’Estelle s’est surnommée Ettie l’étoile. C’est le nom qu’elle
a donné à notre groupe même si on le trouvait ringard, elle rit visiblement
perdue dans ses souvenirs. Elle pleurait tellement pour qu’on le prenne qu’on a
accepté. On passait de beaux moments ensemble. Netha a même trouvé mes cousins
et leur a foutu la trouille de leur vie après qu’Estelle lui a raconté que j’ai
dû couper mes cheveux parce qu’ils m’avaient collé du chewing-gum dedans durant
la nuit. On n’était que cinq dans le groupe, toujours à se retrouver devant la
brocante à cinq minutes du Square Cousteau. On savait tout l’un de l’autre. Les
joies, peines, les problèmes de la maison ou d’école. Netha était le plus âgé
donc il nous aidait avec nos devoirs et parfois madame Zola leur maman nous
faisait des gaufres. Elle faisait les meilleures du monde papa. Tu les aurais adorés.
— Je n’en doute
pas.
— À cause de mon
amour pour ses gaufres, elle m’a surnommé Waffles. Tout était bien, jusqu’à ce
qu’elle décide de nous abandonner. Et tu sais, elle a laissé une lettre. Elle
savait qu’on comptait donner un concert devant la brocante. On avait invité du
monde. La propriétaire de la brocante avait même accepté qu’on mette des
affiches dans sa boutique. Beaucoup de gens avaient confirmé et Madame Zola
nous…elle nous avait fait des supers t-shirts, elle dit d’une voix brisée. Estelle
n’avait que dix ans et Netha 15. Pourquoi elle a fait ça ? Pourquoi elle avait promis de venir et elle a
sauté du haut de leur balcon papa ? Ça ne
devrait pas se faire ça non ? Je
sais pas moi…ça devrait être interdit de faire des promesses quand on sait qu’on
ne les tiendra pas.
Elle se met à pleurer
longuement et comme je conduis, je ne peux rien faire sinon câliner son genou
pour la réconforter.
— Alors elle est
morte, elle reprend d’une voix lourde. La vie est devenue bizarre après ça. Netha
voulait plus chanter. Il ne venait plus aux répétitions. Ils ont vécu pendant
un moment avec des amis de Madame Zola, mais on a foutu Netha dehors parce qu’il
ne traînait pas avec du bon monde. Estelle n’a pas voulu rester là-bas sans son
frère alors ils l’ont foutu dehors aussi, mais depuis qu’ils vivent ensemble,
Netha fait la misère à Estelle. Il a arrêté l’école, coupé les ponts avec nous
et s’est fait d’autres potes chelous depuis deux ans.
— Depuis deux ans
il vit seul avec sa sœur ?
Elle hoche la tête,
accentuant mon choc. On parle d’un jeune qui a certes 18 ans, mais ça
reste un jeune. Et il vit seul avec une petite de treize ans ?
— Comment ils
vivent ? Il travaille au moins ?
— Je sais pas. Il
dit qu’il travaille, mais je sais pas si c’est correct ce qu’il fait. J’avais
plus vraiment le droit de traîner avec eux, ordre de maman quand elle a appris
pour le suicide. Des menteurs ont raconté dans le quartier que maman Zola se
défonçait régulièrement et comme ses enfants n’ont pas le même père, maman ne
voulait pas croire ma version. Je…je m’éclipsais parfois pour aller les voir,
comme le jour où on s’est rencontré, elle m’avoue timidement.
— Je vois. Donc tu
me dis qu’ils ont des problèmes pour le loyer ?
— Je suppose,
mais à 95 % ça ne peut être que ça, parce que j’avais remarqué dans le passé
qu’ils quittaient très tôt la maison et rentraient hyper tard pour éviter leur
bailleur. En tout cas, c’est ce que je tiens d’Estelle.
— Et comment tu
comptais leur envoyer l’argent ?
— Par flooz ? J’ai entendu tata Blanche dire plusieurs fois
au téléphone qu’elle fera un flooz à ses amies ?
— Mon ange, on ne
fait pas de flooz vers l’étranger.
— Mais…, elle l’a
dit une fois quand elle parlait à quelqu’un au Niger.
— C’est un
service réservé pour les nationaux ainsi que certains pays de la sous-région,
mais pas l’occident.
— Donc…donc, j’aurais
même pas pu l’aider ? elle reprend
d’une voix misérable.
— Laisse-moi voir
ce que je peux faire et en attendant on va prier pour eux.
— Pourquoi on prie
pour eux quand ça ne change jamais ?
— Parce qu’on est
désespéré et nous n’avons pas de solution, je lui réponds simplement.
— Et si rien ne
change ?
— On prie jusqu’à
ce que le problème disparaisse. C’est aussi simple que ça.
— Mais quand c’est
long, c’est décourageant.
— Je sais, mais
on n’arrête pas devant l’épreuve. C’est aussi ça la réalité de la vie.
— D’accord, mais
il faudra m’apprendre parce que maman m’a fait baptiser mais je n’ai pas prié
depuis longtemps.
— Compte sur moi,
je dis soulagé.
C’est donc ce qu’on fait à la maison après s’être
chauffé des restes et rempli nos ventres. Je commence léger avec les psaumes et
lui explique qu’il faut simplement s’inspirer des textes pour prier. Il n’y a
pas de magie ni protocole. Les seules clés sont la foi et la patience. Après la
prière, je la laisse parler avec sa mère et pendant ce temps, je vais chercher
de l’aide. Je veux bien aider la petite Estelle, mais je ne connais pas son
frère pour lui envoyer de l’argent. Je n’ai pas tant de solutions, mais j’appelle
l’une des personnes dont je suis encore proche en France et lui expose une version
résumée du problème.
— Ça ne m’étonnerait
même pas que ça soit un truc du style le bailleur qui loue un logement social à
ses jeunes, s’indigne Macy.
— Je n’avais même
pas pensé à cette éventualité, je dis déçu. On va où dans ce monde. Bref, je
sais que c’est beaucoup te demander, mais tu aurais du temps un de ses quatre
pour aller voir sur place ce qui se passe ?
— De quoi tu me
parles, je cherche mon billet de train actuellement.
— Han ? je fais pris de court.
— On va aller
voir la tête de ce type qui harcèle des jeunes pour un loyer et puis ce Netha
tu as dit ? On va voir ce qu’il
trouve de bien dans le fait de tracasser sa sœur, une grosse tête comme ça.
— Mais Macy tu n’as
même pas vu le garçon.
— Ah pardon, vous
avez tous des grosses têtes quand vous nous emmerdez, elle me dit sur un ton
exaspéré qui me fait éclater de rire.
— Je t’envoie leur
adresse et le numéro de la petite dès qu’on raccroche alors.
— Compris chef. J’embarque
Aurore sur le cas et on te donne des nouvelles ce week-end.
— Des petites patronnes
hein. On va bien manger la dot sur vos gars.
— Regarde les
plans d’un sorcier, elle dit avec humour, laisse mon futur gars entrer dans la
famille les poches pleines.
On se laisse sur cette
blague et sans tarder je vais annoncer la nouvelle à Hadassah.
— Tu dis la
vérité ? elle me demande d’une
voix inespérée et les yeux larmoyants.
— Je t’ai déjà
menti ? je lui retourne et la
façon dont elle court pour me sauter dessus me donne des ailes. J’ai presque l’impression
d’avoir conquis le monde.
— Une dernière
chose, je dis pendant cette effusion d’amour. La prochaine fois…
— Il n’y aura pas
de prochaines fois, elle s’empresse de m’interrompre.
— J’aime ça, mais
ce que j’allais dire, c’est que la prochaine fois, ne te sens pas obligée de
maintenir ta parole si tes circonstances ont changé. Je comprends que tu avais
demandé un service à Océane et ne voulais pas revenir sur ta parole, mais l’honnêteté
en tout chose chérie, l’honnêteté c’est la meilleure solution. On peut t’en
vouloir pour beaucoup, mais très peu te reprocheront d’être vraie. Les imprévus
arrivent, les gens comprennent, on se suit ?
— Oui.
— Bien,
maintenant parlons de ta punition.
— Quoi ?
— Ah, tu croyais
que c’était la réconciliation remplie de fleurs partout hein. Alors…, je
commence tout en rigolant mentalement face à son expression dépassée. La méthode
de Hana est douce à appliquer quand tu es parent.
***Deborah Nicol***
L’ironie de ma
situation actuelle, c’est qu’en faisant ma valise, je me réjouissais à l’idée de
fuir pendant un mois les plaintes touchant le corps professoral dont je suis en
charge au TRA (agence gouvernementale chargée de la régulation du corps
professoral anglais). Un mois de plaisir, détente et découverte, c’est ce que j’espérais
et je commence avec un parent d’élève revêche ainsi que des allégations sérieuses.
Mr Douti le directeur n’avait pas grand-chose à m’apprendre concernant la
situation et j’ai déjà une potentielle solution que je ne souhaite toutefois
pas utiliser parce qu’elle va à l’encontre de mes convictions personnelles. La
journée a été épuisante de toute façon et je ne pense pas pouvoir faire plus
aujourd’hui, donc je demande qu’on me fasse venir un taxi afin de rentrer chez
les miens.
— Enfin tu es là Mummy,
dit ma fille soulagée après avoir foncé dans mes bras.
— Moins un elle
appelait la police hein, se moque Chantal.
— Nan (mamie), ce
n’est pas une blague. Je t’ai dit que ce monsieur a…
— Yeah yeah, on a
entendu, il a dit ferme à sa femme et ça t’as pas aimé que tu en parles depuis
notre retour, dit mon fils qui sort de sa chambre la serviette au cou.
— Et c’est alarmant
que ça ne te dérange pas plus.
— A bayg o (je
demande pardon), j’ai mieux à faire que de fâcher avant de rentrer dans la
chambre pour dormir.
— Avec ton
français décousu là.
— Au moins je
parle la langue de mon terre plus bon que toi, il se moque et pour narguer sa sœur
se met à parler mina.
J’ai fait vingt ans dans
cette famille et la seule langue que j’ai réussi à maîtriser un peu tout en
prenant des cours privés c’est le français. Le mina est trop complexe. Je
comprends des mots de Krio, le patois sierra-léonais, pays d’origine du père de
mon défunt mari, mais dès qu’Oyena le parle rapidement, elle me perd. Parlant d’elle,
on entend ses chaussures claquer le sol et sa voix aiguë se plaindre de la journée
qu’elle a eue avant de voir sa face. Sia qui est sa chouchoute s’empresse d’aller
lui chercher de quoi étancher sa soif.
— Dire que
certains sont en congé, la vie est injuste, elle continue à se plaindre.
— Ce n’est pas le
mois dernier seulement que tu partais on ne sait où ? Vous êtes même certains qu’elle travaille
avec les nombreux déplacements qu’elle fait là ? nous interroge Nan.
— Dis-moi un peu,
la jalousie t’a emmené où depuis que tu la pratiques ?
— Arrête de gêner
ma Nan. Elle n’est jalouse que lorsqu’on veut me voler à elle, blague Timo et
nous fait rire.
— Oyé tu ne
croiras pas ce qui s’est passé à l’éc…, commence Sia qui est de retour avec le
rafraichissement de sa tante.
— Ehh Siaka, si
le quartier n’a pas entendu cette histoire, c’est que ce n’est pas toi, s’exclame
Nan.
— Il s’est passé
quoi ? Affairez-moi, je ne veux
pas mourir bête.
— Thank you
honey, je dis à mon fils qui commence à me masser les épaules après que je me sois
assise à côté de Nan.
Je leur résume alors ce
que fut ma journée.
— Eh bah. C’est
ce qu’ils fichent à l’école ses mômes ?
— Comment ça ce
qu’ils fichent ? Ce n’est
pas toi qu’on a mis devant la chose ? Je t’avais
dit quoi quand tu t’es proposée pour assumer la gestion ? la réprimande Nan.
— Pourquoi tu la
critiques Nan Chacha ? C’est
pas sa faute. Elle n’était même pas au courant, Sia défend Oyena.
— Allez dans vos
chambres tous les deux.
— Mais là, j’ai
19 ans et je suis directrice du magazine la Source. Je ne suis plus une gamine
pour que…
— Va dans ta
chambre Sia, je lui passe le même ordre.
Vexée, elle se lève en
trombe et part suivie de son frère qui lui demande de l’attendre.
— Je ne t’accuse
de rien Oyé. Le plus important, c’est de démêler rapidement cette histoire,
alors si tu as eu vent de quelque chose, c’est le moment d’en parler.
— Blague à part,
je ne sais strictement rien. Je me contentais de faire un suivi bi mensuel avec
le directeur de l’école et ce dernier savait qu’à tout moment, il pouvait me
faire signe au besoin.
— Hum, donc tu es
dans ce pays et c’est seulement deux fois que tu vérifies comment se porte l’affaire
qu’on t’a confiée.
— Cette vieille hein,
c’est comment avec toi ?
Pourquoi tu veux être l’os dans ma gorge ?
Elles commencent à se
parler en parabole et ça bascule en mina par la suite. Comme je bâille déjà, je
me lève, les embrasse chacune et me rends dans ma chambre avec mes talons en
main. Lorsqu’on finissait les installations de l’école, Nan Chantal avait
recommandé qu’on place des caméras à certains endroits de l’école puisque je ne
serais pas sur place pour assurer la direction de l’école et elle ne faisait
pas confiance à sa propre fille. À l’époque je trouvais la mesure un peu
drastique dans l’optique où on ne filme pas les gens sans leur consentement,
mais elle a insisté, arguant qu’il me faudra laisser certaines de mes manières
en Angleterre si je veux être un entrepreneur à succès au Togo. J’ai décidé de
suivre le conseil de la Togolaise et fait rajouter dans le règlement intérieur quelques
lignes concernant le consentement à être filmé. Ses caméras pour la plupart ne
sont placées que dans les couloirs et pas les classes, mais je suppose qu’on
pourra trouver quelque chose d’exploitable dessus.
***Jennifer Bemba***
Je n’ai jamais été
aussi affairée en une journée. Primo, c’est Jérémie qui m’apprend que cette femme
Deborah Nicol, c’est elle qu’on leur a introduite comme étant le fondateur. On ne
dit pas simplement la fondatrice ? C’est
quoi ses jeux ? Bref, Deborah
Nicol, d’origine trinidadienne, vivant à Coventry, a une longue carrière dans l’éducation.
Il y a cinq ans de ça, elle décide d’ouvrir une école, son rêve d’enfance, et
choisit le pays natal de son mari pour d’une façon l’honorer, mais aussi parce
qu’elle croit en la jeunesse de ce pays. C’est ce qu’elle a pondu comme
discours aux enfants. Le reste, je vais le chercher chez Oyena qui m’appelle
justement.
— Il paraît que
ton mari t’a publiquement manqué de respect, c’est ainsi qu’elle choisi de commencer.
— On t’a mal
renseigné. Il était déjà tendu à cause de petits imbéciles qui ont insulté notre
fille et j’essayais de le retenir, chose qu’il n’aime pas. Pourquoi tu ne m’as
pas dit que Deborah était la fondatrice de l’école ?
— En quoi ça te regarde ? elle me demande et je bugue.
— Mais je pensais
qu’on était amies ?
— L’amitié
suppose que je te parle des choses de ma famille ? Je n’étais pas au courant.
— Je t’ai parlé
de mes déboires avec mon mari moi, je lui rappelle un peu vexée.
— Beh je t’ai pas
braqué un fusil sur la tempe pour non ? Tu as
choisi de le faire. Bref, je venais voir si tu étais bien parce que Siaka m’a
parlé de ce qui c’était passé.
— Ça va merci.
Sinon, je voulais te parler de Hadassah, notre fille.
— Tu as une fille ? Depuis quand ?
— J’ignorais que
je devais te dire depuis quand, je lui réponds sans perdre une seconde et elle
rigole ironiquement.
— Bon tu as un
point. Si c’est le problème que ton mari a rapporté, c’est Debby qui s’en charge
désormais.
— Ah…., on pourra
avoir du nouveau quand ?
— Elle contactera
ton mari quand elle sera prête.
— Qu’elle me
contacte plutôt. C’est moi la mère de la petite, c’est par moi qu’elle doit discuter
des choses qui la concernent.
— Écoute, tu vois
ça avec elle. Je suis chirurgienne moi, ce n’est pas mon domaine.
— C’est quoi son
numéro ?
— C’est celui de
l’école. Bon je te laisse, porte-toi bien, elle annonce et raccroche.
C’est quoi ce comportement ? Je dois appeler l’école comme tout le monde alors qu’on se connaît ? L’année prochaine, on enlèvera Hadassah et Jérémie de là.