128: Problèmes et solutions

Write by Gioia

***Romelio Bemba***

En plus d’avoir passé une sale nuit, on m’a fait poireauter sans aucune raison donc qu’on m’excuse, la politesse ne sera pas de mise aujourd’hui.

— OK so, on peut commencer par se présenter? Je suis la fondatrice de l’école, Deborah Nicol, elle dit après que chacun ait pris place.

— Je suis Romelio Bemba, le père de Hadassah Muamini et j’espère avoir des réponses madame. Comment se fait-il qu’on fasse attendre un parent d’élève à qui on avait fixé un rendez-vous?

— Qui vous a donné un rendez-vous, Mr Bemba? Ma secrétaire me fait un résumé journalier et n’a rien mentionné de tel, le directeur au crâne bossu réplique avec un air confiant comme s’il croyait m’avoir pris la main dans le sac.

— Ce matin à 7 h 50, j’ai appelé votre école pour signaler l’absence de ma fille et dans la foulée, j’ai demandé un rendez-vous avec le directeur dans les plus brefs délais. Doriane, celle avec qui je me suis entretenu a demandé que je me présente pour prendre cela.

— Doriane, la fille qui est chargée de l’accueil a demandé que vous vous déplaciez pour un simple rendez-vous? il m’interroge sur un ton dubitatif.

— Je n’apprécie pas que l’on me traite de menteur Mr Douti, je dis agacé après leur avoir déposé mon téléphone sur la table pour qu’ils voient que j’ai bel et bien appelé.

— Je vois. Je n’ai pas sous-entendu que vous mentiez, mais peut-être avez-vous mal compris ses mots parce que…

— Peut-être aussi qu’on pourrait économiser du temps et passer au sujet pour lequel je suis ici, je l’interromps.

— Monsieur, je vais vous demander de respecter notre établissement. Déjà, vous a causé une commotion qui ne dit pas son nom en une journée spéciale pour nous.

— Gustave, je vais m’en charger. Tu peux voir Doriane pour comprendre ce qui se passe? Merci, abrège la seule personne sensible de la pièce.

Gustave Douti se lève lentement, visiblement mécontent du choix de la fondatrice et nous laisse seuls.

— Je vous écoute Mr Bemba, elle reprend.

Je lui raconte donc ce que Jennifer m’a appris en plus de ce que j’ai tiré de la conversation étrange avec Hadassah hier. Je lui raconte et j’ai l’impression de revivre ce qui s’est passé hier.

C’est en hoquetant qu’elle est retournée déposer les billets dérobés et à la sortie, je l’ai pris par la main pour l’emmener dans ma chambre où elle dormait. Debout dans la pièce, tête baissée et froissant des bouts de sa robe de chambre entre ses doigts, elle s’est mise à sangloter.

— Je…c’est…par…parce que j’ai…dema..ndé à Mad..ame Océane de me laisser neuf cocoffrets….mais après j’ai…j’ai dé..couvert qu’Estelle elle…elle a enc…ore des sou..cis à cause de…à cause de Netha…du coup bah…je savais pas comm…ent l’aider…parc…e que j’ai pas d’ar..d’arg…d’argent.

C’est à ce moment qu’on a entendu cogner à la porte et elle s’est mise à pleurer de plus belle. Maman entre, nous observe à tour de rôle, l’air perdu tandis que Hadassah renifle de plus belle.

— Tu peux nous laisser s’il te plaît maman, je lui demande avant qu’elle réagisse.

— OK, elle répond sur un ton incertain, mais s’exécute quand même.

— Je te…je te dem…ande par…don…., j’ai…j’ai pas…je vou…lais pas fai..re du mal à papi et mamie.

— Va te moucher, je t’attends ici.

Elle s’en va la tête baissée comme quelqu’un qui porte le fardeau du monde sur ses petites épaules et revient avec des yeux bien bouffis.

— Assieds-toi, je dis et tire mon ancienne chaise de bureau pour lui faire face. Qu’est-ce qu’on s’est dit durant ta première semaine ici?

— …je sais…pas? je…me rappelle plus, elle chuchote.

— Regarde-moi quand je te parle.

Elle relève doucement sa tête et m’observe avec crainte.

- «Je serais là pour te guider, mais il te faudra t’adapter un petit peu à nous coutumes. À l’école, tu recevras le règlement intérieur. Il faudra t’efforcer de le respecter et n’hésite surtout pas à venir vers moi si tu as des incompréhensions, tu sens qu’on t’embête, si tu ne te sens pas bien encadrée, bref quel que soit ce qui t’arrive à l’école, sens-toi libre de m’en parler. Tant que tu es honnête avec moi, je serais toujours dans ton camp.», je lui récite verbatim ce que je lui avais dit le jour de la rentrée.

Je m’étais tellement cassé les méninges à chercher les bons mots le jour là que je ne pourrais pas les oublier.

— Tu t’en rappelles maintenant? je reprends et elle hoche la tête.

— C’est comme ça qu’on se retrouve dans le même camp? Tu vis des choses dont tu ne me parles pas?

— Je…je sav..savais pas que ça..ça t’intéresserait de connaître ce que vit Estelle.

— Et comment tu es arrivée à cette brillante déduction? Je te l’ai dit?

Elle secoue la tête.

— Tu as donc assumé et la meilleure option selon toi, c’était de voler des gens qui ne t’ont rien fait? C’était quoi ton idée? Eux ils peuvent se retrouver dans la merde parce que…

— Non c’est faux, elle s’empresse de me couper. J’allais…j’allais attendre d’économiser de l’argent pour le remettre à la place. C’est la vérité, je mens pas.

— Tu allais économiser avec quoi quand tu ne reçois plus d’argent de poche?

— Je…j’allais te…demander un peu, mais la grande partie je comptais l’avoir en revendant un des prix réservés aux meilleurs participants des différents concours à l’école.

— Ce plan kilométrique et incertain te semblait donc plus fiable que de m’en parler?

Elle baisse à nouveau la tête et froisse les pans de sa robe de chambre.

— Puisque nous sommes sur le sujet de tes cachoteries, que dois-je savoir d’autre sur toi?

— Je…, c’est tout ce que j’ai fait je te jure.

— Ah bon? Pourtant il paraît que tes photos nues se promènent dans ton école et qu’à cause de ça, tu te fais harceler.

— Quoi? elle s’écrie outrée.

— Je te le redemande pour la dernière fois Hadassah, qu’est-ce que tu me caches?

— J’ai jamais pris de photos nues! elle se défend d’une voix vibrante. On a écrit des conneries sur mon bureau à l’école parce que votre amie tata Jiji me fait des repas hors menu.

— Tata Jiji? je répète choqué à mon tour. On parle bien de Jennifer?

— Oui. Jérémie me l’a présenté le mois passé et depuis elle a commencé à me faire des trucs hors menu.

— Le mois passé et ce n’est qu’aujourd’hui que je l’apprends? Pourquoi tu te tais autant Hadassah? je demande exaspéré.

— Je…je savais pas que c’était important de t’en parler, elle répond d’une petite voix.

— Couche-toi, demain on continue, je dis agacé et me lève pour m’en aller.

— S’il te plaît, elle commence quand je tourne le dos. Est-ce que je peux moi-même avouer à papi et mamie ce que j’ai fait?

Je hoche la tête, accédant ainsi à sa proposition qui sans mentir, me surprend. Peut-être pensait-elle que je partais la dénoncer alors que je préfère simplement abréger cette conversation pour ne pas perdre le peu de patience qu’il me reste. En quoi ce n’est pas important pour un parent de savoir qui approche son enfant? Jusqu’à la fin Jennifer me montre qu’elle est mentalement instable et peut-être que la laisser m’embrasser ce soir était une erreur même si je l’ai fait pour qu’elle accepte de partir sans faire de siennes. Après ce qu’elle m’a servi dans la voiture, je suis convaincu qu’on ne peut plus tenir une discussion cohérente avec elle. En tout cas, je n’ai plus cette faculté. On n’a pas la même conception de ce qui s’est passé l’an dernier. Pour elle ce n’est qu’un petit accident de parcours réparable par des déclarations fiévreuses, un entêtement et l’attirance physique qu’elle sait qu’elle peut éveiller chez moi. Je suis à un autre niveau. Je l’ai débloqué et répondu uniquement pour pouvoir attester dans un an devant le juge que j’ai fourni des efforts pour dialoguer comme me l’avait recommandé l’avocat. Sinon, j’ai déjà pris un avocat qui attend simplement qu’on atteigne un an de séparation physique pour lancer la procédure officielle. Apparemment, je peux par cette méthode potentiellement obtenir un divorce avec ou sans son accord. Seulement, elle risque d’être plus longue dépendant de la position qu’elle adoptera. Ce que je retiens de cette année, c’est qu’amour ou pas, le mariage est bel et bien un contrat. On ne le rompt pas aussi facilement qu’on le contracte, et si c’est pour rester collé à une personne pendant dix ans à cause des procédures, on comprend mieux pourquoi certains n’attendent pas avant de refaire leurs vies.

Ma nuit est remplie d’inquiétudes et questionnements. Je risque de brûler un quartier si on retrouve ceux qui se promènent avec les photos de ma fille. J’espère surtout qu’elles ne sont pas déjà sur internet avec cette génération inconsciente là. Avant de quitter le lit, je prie. Je prie avec ferveur sur cette histoire puis je me dirige dans la chambre de Hadassah, mais je la trouve au salon assise devant mes parents. Je me mets à l’écart pour ne pas les interrompre. Elle est à la partie où elle leur explique les raisons qui l’ont poussé à commettre cet acte.

— Bon…, je ne suis pas contente de toi, mais comme nous l’enseigne la bible, chaque péché confessé est pardonné, donc tu es toute pardonnée ma chérie, lui dit mon père.

— Oh ma petite puce, regarde comment tes paupières sont enflées, tu as passé la nuit à pleurer hein. Pourquoi tu n’es pas venue me réveiller? Ajoute ma mère après l’avoir rejoint.

— J’a…j’av…ais hon..te et…et le chef…est parti fâché…du coup…je savais plus quoi faire, elle dit d’une voix morne.

— Il n’y a pas de honte à avoir quand tu agis mal ma grande. C’est un sentiment normal, mais en réalité, ce n’est qu’une façon de cacher nos transgressions. Ce que Dieu demande, c’est qu’on soit honnête parce qu’il n’est pas là pour nous accuser davantage, mais nous pardonner. Tu comprends?

— Je…sais pas trop.

— Qu’est-ce que tu ne sais pas trop? ma mère la questionne tout en lui câlinant la tête.

— Bah Dieu…tout ça. Pourquoi il n’a pas voulu que je vive ici avec vous? Pourquoi c’est après treize ans que je rencontre le papa qui m’a mis au monde? Pourquoi il n’a pas aidé mon papa…enfin le papa qui m’a élevé à guérir après son accident? Depuis que j’ai six ans, il est malheureux et à cause de son accident, il n’aime plus rien faire avec nous. En plus, pourquoi il n’a pas aidé la maman de Netha et Estelle à vaincre sa maladie? Parce que depuis qu’elle est partie, la vie de ses enfants est devenue merdique.

— On va parler de tout ça plus tard mon ange. Il faut que tu te prépares pour l’école, abrège ma mère.

Je me manifeste un peu après ça et nous prenons ensemble le petit-déjeuner.

— Vous avez quelque chose de prévu aujourd’hui? je demande à mes parents.

— En dehors d’aller à l’église pour deux rencontres je n’ai rien d’autre à faire, me dit mon père.

— On doit m’emmener deux filles pour nettoyer un peu la maison de ton oncle comme il rentre ce week-end, sinon rien d’autre.

— Dans ce cas Hadassah, tu restes ici avec tes grands-parents.

— Je…, s’il te plaît, je ne recommencerai plus.

Mes parents comprenant que nous avons besoin d’intimité se lèvent ensemble et prennent chacun leur chemin.

— On doit préparer la pièce à présenter pour le concours dont je t’ai parlé hier s’il te plaît. Je…

— Je ne suis pas en train de te punir chérie, je l’interromps doucement. Tu m’as certes dit que tu n’as pas pris de photos, mais je ne sais pas à quel saint me vouer, donc je préfère que tu restes ici, le temps que j’aille me renseigner directement à l’école.

— C’est…tu promets que demain je pourrais y retourner et finir l’année ici? elle demande d’une voix tremblotante qui me fait comprendre où son esprit est allé.

Je bouge la chaise, lui présente ma main et lui dis de venir vers moi puis je la fais asseoir sur ma cuisse.

— On peut se cogner la tête, être fâchés et ne pas se comprendre, mais je ne manquerai jamais à mon devoir. Jusqu’à ma mort, tu restes ma petite fille, tu comprends? Tu n’es pas un vêtement pour que je te retourne au magasin une fois que je ne suis plus satisfait. Je donnerai ma vie s’il le faut pour toi.

Elle froisse encore une fois les pans de sa tenue et se met à hoqueter tout en hochant la tête. Je desserre ses doigts, mets ses bras autour de mon cou et en même pas une seconde, elle me sert à m’étouffer tout en pleurant doucement. Je lui tapote le dos et la rassure autant que je peux avec mes mots. J’arrache un morceau de sopalin après qu’on se soit détaché et pendant que je la fais se moucher, je lui explique que je n’ai pas compris la majorité des choses qu’elle m’a dite hier, mais on en reparlera après ma visite à l’école.

Je viens de finir la visite en question et retourne chez mes parents. Cette fondatrice n’avait pas de réponses à mes questions, mais je ne peux nier qu’elle a réussi à me redonner confiance dans leur école. Je l’ai laissée avec un ultimatum. Deux semaines pour me trouver le fin mot de cette histoire. Passé ce délai, je passerai à d’autres mesures incluant le fait de traîner la réputation de leur école dans la boue. Je n’en joue pas parce que je n’aime pas être en dette envers quelqu’un, mais je ne manque pas de relations dans ce pays, même si je ne fais pas partie de ses grandes fortunes. Ma carrière m’a fait connaître du monde et ce que j’ai copié de mon oncle, c’est d’entretenir mes relations professionnelles parce qu’on ne sait pas de quoi demain est fait. Ça serait dommage pour Deborah Nicol de ne pas me prendre au sérieux.  

Je récupère Hadassah dont l’humeur s’est un peu allégée et nous rentrons à la maison.

— J’ai pensé après, elle commence après que je lui ai fait un résumé succinct de ma visite.

— À quoi?

— Les photos. Quand on allait à la piscine, il y avait quelques filles qui se prenaient en photos dans les vestiaires.

— Ah? Tu en as pris avec tes amies?

— Non mais je me rappelle que certaines se plaignaient que d’autres les filment quand elles se changent. Je sais pas, peut-être que je suis passée sur une photo ou vidéo sans savoir? C’est la seule idée qui m’est venue parce que j’ai passé mon temps à y réfléchir, mais je sais pas d’où ça peut venir.

— T’en fais pas. On a deux ou trois agents des relations publiques chargés de contrôler et faire le ménage dans les informations publiées en ligne sur l’hôpital. J’ai pensé ce matin que je pourrais demander à l’un d’eux de vérifier de temps en temps ce qui se dit sur ton nom en ligne. S’il n’y a rien tant mieux, sinon on prend les mesures pour le faire enlever.

— On peut vraiment faire ça? elle demande incrédule et me fait sourire.

— On peut faire beaucoup de choses ma puce. Bon, explique-moi ce que le nom d’Océane venait faire dans ton explication hier. Et le problème avec Estelle c’est quoi?

— Beh c’est que tata Blanche (la servante d’Arthur) a été sympa avec moi et pleurait déjà qu’on allait plus se revoir, j’ai pensé à lui faire un petit cadeau.

— Elle pleurait quand ça?

— Tout le temps papa. Elle pleurait tellement que tonton Arthur s’est moqué et il a reçu une louche sur la tête.

— Ah bon, je dis amusé. Et je n’étais pas au courant?

— Ça s’est passé quand tu étais encore au travail. Bref, comme elle a aussi aimé un des échantillons que je lui ai donné après mon retour du spa, je me suis dit que je pourrais lui offrir une grande taille de la crème. C’est un peu après que je tombe sur une publicité du Spa de mme Océane sur les réseaux sociaux, du coup je m’inscris. Puis je me dis, ça serait bizarre de faire un cadeau à tata Blanche sans tonton Arthur surtout qu’une fois il m’a piqué ma crème de mains après que je lui ai passé. Ensuite je me suis dit, ça fait pas de sens de faire un cadeau à tonton Arthur et pas toi. Après j’ai pensé à mamie….

— Et cette logique t’a conduit à plusieurs personnes je suppose, je conclus avec humour.

— Ouais, elle avoue sur un ton défaitiste qui me fait rigoler. Je me suis dit que je n’aurais pas de chances de remporter neuf fois le concours même si je créais huit profils pour m’inscrire en plus du mien, donc j’ai demandé à mme Océane de me réserver neuf coffrets pour la Saint-Valentin pour ne pas prendre de chance.

— Les choses se passent dans mon dos hein Hadassah. Tu peux facilement devenir une espionne, je dis amusé, mais le ton sur lequel elle reprend est rempli de peine.

— Peut-être. Les jours suivants, madame Océane me confirme qu’elle m’a réservé les coffrets et le sale destin décide de me jouer un vilain tour par la suite. Je découvre qu’Estelle sort encore les soirs, signe que les ennuis sont de retour avec Netha, mais comme j’avais déjà réservé chez Mme Océane, je ne savais pas comment lui dire qu’il me fallait envoyer cet argent à Estelle. Je me sentais gênée, alors j’ai fait…enfin j’ai pensé à l’idiotie que tu as vue.

— Qui est ce ou cette Netha dont tu parles?

— Netha c’est Ethan son frère. Tu te rappelles? Tu l’as vu à notre première rencontre. Il s’appelle en réalité Kuyanetha, mais on l’a toujours appelé Ethan à sa demande.

— Il est sudafricain? je demande le prénom me disant quelque chose.

— Oui, sa maman l’est…enfin elle l’était. Elle s’est suicidée, elle m’annonce subitement.

— Je…eh bien, c’est bien triste ça, je dis sous le choc. Estelle, cette petite n’a qu’un an de moins que Hadassah et déjà sa mère n’est plus? La pauvre.

— Elle s’est suicidée il y a trois ans, la veille de notre premier concert et depuis Netha a arrêté de faire de la musique.

— Votre premier concert?

— Oui…mais c’était rien de grandiose. J’ai rencontré un membre du groupe à mon cours de piano. C’est lui qui m’a présenté Netha et j’ai rencontré Estelle par lui. Netha écrivait les paroles et composait presque toute la mélodie, juste sur sa batterie, en une heure, il pouvait écrire un long texte papa. Il était né pour briller, c’est un peu pour ça qu’Estelle s’est surnommée Ettie l’étoile. C’est le nom qu’elle a donné à notre groupe même si on le trouvait ringard, elle rit visiblement perdue dans ses souvenirs. Elle pleurait tellement pour qu’on le prenne qu’on a accepté. On passait de beaux moments ensemble. Netha a même trouvé mes cousins et leur a foutu la trouille de leur vie après qu’Estelle lui a raconté que j’ai dû couper mes cheveux parce qu’ils m’avaient collé du chewing-gum dedans durant la nuit. On n’était que cinq dans le groupe, toujours à se retrouver devant la brocante à cinq minutes du Square Cousteau. On savait tout l’un de l’autre. Les joies, peines, les problèmes de la maison ou d’école. Netha était le plus âgé donc il nous aidait avec nos devoirs et parfois madame Zola leur maman nous faisait des gaufres. Elle faisait les meilleures du monde papa. Tu les aurais adorés.

— Je n’en doute pas.

— À cause de mon amour pour ses gaufres, elle m’a surnommé Waffles. Tout était bien, jusqu’à ce qu’elle décide de nous abandonner. Et tu sais, elle a laissé une lettre. Elle savait qu’on comptait donner un concert devant la brocante. On avait invité du monde. La propriétaire de la brocante avait même accepté qu’on mette des affiches dans sa boutique. Beaucoup de gens avaient confirmé et Madame Zola nous…elle nous avait fait des supers t-shirts, elle dit d’une voix brisée. Estelle n’avait que dix ans et Netha 15. Pourquoi elle a fait ça? Pourquoi elle avait promis de venir et elle a sauté du haut de leur balcon papa? Ça ne devrait pas se faire ça non? Je sais pas moi…ça devrait être interdit de faire des promesses quand on sait qu’on ne les tiendra pas.

Elle se met à pleurer longuement et comme je conduis, je ne peux rien faire sinon câliner son genou pour la réconforter.

— Alors elle est morte, elle reprend d’une voix lourde. La vie est devenue bizarre après ça. Netha voulait plus chanter. Il ne venait plus aux répétitions. Ils ont vécu pendant un moment avec des amis de Madame Zola, mais on a foutu Netha dehors parce qu’il ne traînait pas avec du bon monde. Estelle n’a pas voulu rester là-bas sans son frère alors ils l’ont foutu dehors aussi, mais depuis qu’ils vivent ensemble, Netha fait la misère à Estelle. Il a arrêté l’école, coupé les ponts avec nous et s’est fait d’autres potes chelous depuis deux ans.

— Depuis deux ans il vit seul avec sa sœur?

Elle hoche la tête, accentuant mon choc. On parle d’un jeune qui a certes 18 ans, mais ça reste un jeune. Et il vit seul avec une petite de treize ans?

— Comment ils vivent? Il travaille au moins?

— Je sais pas. Il dit qu’il travaille, mais je sais pas si c’est correct ce qu’il fait. J’avais plus vraiment le droit de traîner avec eux, ordre de maman quand elle a appris pour le suicide. Des menteurs ont raconté dans le quartier que maman Zola se défonçait régulièrement et comme ses enfants n’ont pas le même père, maman ne voulait pas croire ma version. Je…je m’éclipsais parfois pour aller les voir, comme le jour où on s’est rencontré, elle m’avoue timidement.

— Je vois. Donc tu me dis qu’ils ont des problèmes pour le loyer?

— Je suppose, mais à 95 % ça ne peut être que ça, parce que j’avais remarqué dans le passé qu’ils quittaient très tôt la maison et rentraient hyper tard pour éviter leur bailleur. En tout cas, c’est ce que je tiens d’Estelle.

— Et comment tu comptais leur envoyer l’argent?

— Par flooz? J’ai entendu tata Blanche dire plusieurs fois au téléphone qu’elle fera un flooz à ses amies?

— Mon ange, on ne fait pas de flooz vers l’étranger.

— Mais…, elle l’a dit une fois quand elle parlait à quelqu’un au Niger.

— C’est un service réservé pour les nationaux ainsi que certains pays de la sous-région, mais pas l’occident.

— Donc…donc, j’aurais même pas pu l’aider? elle reprend d’une voix misérable.

— Laisse-moi voir ce que je peux faire et en attendant on va prier pour eux.

— Pourquoi on prie pour eux quand ça ne change jamais?

— Parce qu’on est désespéré et nous n’avons pas de solution, je lui réponds simplement.

— Et si rien ne change?

— On prie jusqu’à ce que le problème disparaisse. C’est aussi simple que ça.

— Mais quand c’est long, c’est décourageant.

— Je sais, mais on n’arrête pas devant l’épreuve. C’est aussi ça la réalité de la vie.

— D’accord, mais il faudra m’apprendre parce que maman m’a fait baptiser mais je n’ai pas prié depuis longtemps.

— Compte sur moi, je dis soulagé.

 C’est donc ce qu’on fait à la maison après s’être chauffé des restes et rempli nos ventres. Je commence léger avec les psaumes et lui explique qu’il faut simplement s’inspirer des textes pour prier. Il n’y a pas de magie ni protocole. Les seules clés sont la foi et la patience. Après la prière, je la laisse parler avec sa mère et pendant ce temps, je vais chercher de l’aide. Je veux bien aider la petite Estelle, mais je ne connais pas son frère pour lui envoyer de l’argent. Je n’ai pas tant de solutions, mais j’appelle l’une des personnes dont je suis encore proche en France et lui expose une version résumée du problème.

— Ça ne m’étonnerait même pas que ça soit un truc du style le bailleur qui loue un logement social à ses jeunes, s’indigne Macy.

— Je n’avais même pas pensé à cette éventualité, je dis déçu. On va où dans ce monde. Bref, je sais que c’est beaucoup te demander, mais tu aurais du temps un de ses quatre pour aller voir sur place ce qui se passe?

— De quoi tu me parles, je cherche mon billet de train actuellement.

— Han? je fais pris de court.

— On va aller voir la tête de ce type qui harcèle des jeunes pour un loyer et puis ce Netha tu as dit? On va voir ce qu’il trouve de bien dans le fait de tracasser sa sœur, une grosse tête comme ça.

— Mais Macy tu n’as même pas vu le garçon.

— Ah pardon, vous avez tous des grosses têtes quand vous nous emmerdez, elle me dit sur un ton exaspéré qui me fait éclater de rire.

— Je t’envoie leur adresse et le numéro de la petite dès qu’on raccroche alors.

— Compris chef. J’embarque Aurore sur le cas et on te donne des nouvelles ce week-end.

— Des petites patronnes hein. On va bien manger la dot sur vos gars.

— Regarde les plans d’un sorcier, elle dit avec humour, laisse mon futur gars entrer dans la famille les poches pleines.

On se laisse sur cette blague et sans tarder je vais annoncer la nouvelle à Hadassah.

— Tu dis la vérité? elle me demande d’une voix inespérée et les yeux larmoyants.

— Je t’ai déjà menti? je lui retourne et la façon dont elle court pour me sauter dessus me donne des ailes. J’ai presque l’impression d’avoir conquis le monde.

— Une dernière chose, je dis pendant cette effusion d’amour. La prochaine fois…

— Il n’y aura pas de prochaines fois, elle s’empresse de m’interrompre.

— J’aime ça, mais ce que j’allais dire, c’est que la prochaine fois, ne te sens pas obligée de maintenir ta parole si tes circonstances ont changé. Je comprends que tu avais demandé un service à Océane et ne voulais pas revenir sur ta parole, mais l’honnêteté en tout chose chérie, l’honnêteté c’est la meilleure solution. On peut t’en vouloir pour beaucoup, mais très peu te reprocheront d’être vraie. Les imprévus arrivent, les gens comprennent, on se suit?

— Oui.

— Bien, maintenant parlons de ta punition.

— Quoi?

— Ah, tu croyais que c’était la réconciliation remplie de fleurs partout hein. Alors…, je commence tout en rigolant mentalement face à son expression dépassée. La méthode de Hana est douce à appliquer quand tu es parent.

***Deborah Nicol***

L’ironie de ma situation actuelle, c’est qu’en faisant ma valise, je me réjouissais à l’idée de fuir pendant un mois les plaintes touchant le corps professoral dont je suis en charge au TRA (agence gouvernementale chargée de la régulation du corps professoral anglais). Un mois de plaisir, détente et découverte, c’est ce que j’espérais et je commence avec un parent d’élève revêche ainsi que des allégations sérieuses. Mr Douti le directeur n’avait pas grand-chose à m’apprendre concernant la situation et j’ai déjà une potentielle solution que je ne souhaite toutefois pas utiliser parce qu’elle va à l’encontre de mes convictions personnelles. La journée a été épuisante de toute façon et je ne pense pas pouvoir faire plus aujourd’hui, donc je demande qu’on me fasse venir un taxi afin de rentrer chez les miens.

— Enfin tu es là Mummy, dit ma fille soulagée après avoir foncé dans mes bras.

— Moins un elle appelait la police hein, se moque Chantal.

— Nan (mamie), ce n’est pas une blague. Je t’ai dit que ce monsieur a…

— Yeah yeah, on a entendu, il a dit ferme à sa femme et ça t’as pas aimé que tu en parles depuis notre retour, dit mon fils qui sort de sa chambre la serviette au cou.

— Et c’est alarmant que ça ne te dérange pas plus.

— A bayg o (je demande pardon), j’ai mieux à faire que de fâcher avant de rentrer dans la chambre pour dormir.

— Avec ton français décousu là.

— Au moins je parle la langue de mon terre plus bon que toi, il se moque et pour narguer sa sœur se met à parler mina.

J’ai fait vingt ans dans cette famille et la seule langue que j’ai réussi à maîtriser un peu tout en prenant des cours privés c’est le français. Le mina est trop complexe. Je comprends des mots de Krio, le patois sierra-léonais, pays d’origine du père de mon défunt mari, mais dès qu’Oyena le parle rapidement, elle me perd. Parlant d’elle, on entend ses chaussures claquer le sol et sa voix aiguë se plaindre de la journée qu’elle a eue avant de voir sa face. Sia qui est sa chouchoute s’empresse d’aller lui chercher de quoi étancher sa soif.

— Dire que certains sont en congé, la vie est injuste, elle continue à se plaindre.

— Ce n’est pas le mois dernier seulement que tu partais on ne sait où? Vous êtes même certains qu’elle travaille avec les nombreux déplacements qu’elle fait là? nous interroge Nan.

— Dis-moi un peu, la jalousie t’a emmené où depuis que tu la pratiques?

— Arrête de gêner ma Nan. Elle n’est jalouse que lorsqu’on veut me voler à elle, blague Timo et nous fait rire.

— Oyé tu ne croiras pas ce qui s’est passé à l’éc…, commence Sia qui est de retour avec le rafraichissement de sa tante.

— Ehh Siaka, si le quartier n’a pas entendu cette histoire, c’est que ce n’est pas toi, s’exclame Nan.

— Il s’est passé quoi? Affairez-moi, je ne veux pas mourir bête.

— Thank you honey, je dis à mon fils qui commence à me masser les épaules après que je me sois assise à côté de Nan.

Je leur résume alors ce que fut ma journée.

— Eh bah. C’est ce qu’ils fichent à l’école ses mômes?

— Comment ça ce qu’ils fichent? Ce n’est pas toi qu’on a mis devant la chose? Je t’avais dit quoi quand tu t’es proposée pour assumer la gestion? la réprimande Nan.

— Pourquoi tu la critiques Nan Chacha? C’est pas sa faute. Elle n’était même pas au courant, Sia défend Oyena.

— Allez dans vos chambres tous les deux.

— Mais là, j’ai 19 ans et je suis directrice du magazine la Source. Je ne suis plus une gamine pour que…

— Va dans ta chambre Sia, je lui passe le même ordre.

Vexée, elle se lève en trombe et part suivie de son frère qui lui demande de l’attendre.

— Je ne t’accuse de rien Oyé. Le plus important, c’est de démêler rapidement cette histoire, alors si tu as eu vent de quelque chose, c’est le moment d’en parler.

— Blague à part, je ne sais strictement rien. Je me contentais de faire un suivi bi mensuel avec le directeur de l’école et ce dernier savait qu’à tout moment, il pouvait me faire signe au besoin.

— Hum, donc tu es dans ce pays et c’est seulement deux fois que tu vérifies comment se porte l’affaire qu’on t’a confiée.

— Cette vieille hein, c’est comment avec toi? Pourquoi tu veux être l’os dans ma gorge?

Elles commencent à se parler en parabole et ça bascule en mina par la suite. Comme je bâille déjà, je me lève, les embrasse chacune et me rends dans ma chambre avec mes talons en main. Lorsqu’on finissait les installations de l’école, Nan Chantal avait recommandé qu’on place des caméras à certains endroits de l’école puisque je ne serais pas sur place pour assurer la direction de l’école et elle ne faisait pas confiance à sa propre fille. À l’époque je trouvais la mesure un peu drastique dans l’optique où on ne filme pas les gens sans leur consentement, mais elle a insisté, arguant qu’il me faudra laisser certaines de mes manières en Angleterre si je veux être un entrepreneur à succès au Togo. J’ai décidé de suivre le conseil de la Togolaise et fait rajouter dans le règlement intérieur quelques lignes concernant le consentement à être filmé. Ses caméras pour la plupart ne sont placées que dans les couloirs et pas les classes, mais je suppose qu’on pourra trouver quelque chose d’exploitable dessus.

***Jennifer Bemba***

Je n’ai jamais été aussi affairée en une journée. Primo, c’est Jérémie qui m’apprend que cette femme Deborah Nicol, c’est elle qu’on leur a introduite comme étant le fondateur. On ne dit pas simplement la fondatrice? C’est quoi ses jeux? Bref, Deborah Nicol, d’origine trinidadienne, vivant à Coventry, a une longue carrière dans l’éducation. Il y a cinq ans de ça, elle décide d’ouvrir une école, son rêve d’enfance, et choisit le pays natal de son mari pour d’une façon l’honorer, mais aussi parce qu’elle croit en la jeunesse de ce pays. C’est ce qu’elle a pondu comme discours aux enfants. Le reste, je vais le chercher chez Oyena qui m’appelle justement.

— Il paraît que ton mari t’a publiquement manqué de respect, c’est ainsi qu’elle choisi de commencer.

— On t’a mal renseigné. Il était déjà tendu à cause de petits imbéciles qui ont insulté notre fille et j’essayais de le retenir, chose qu’il n’aime pas. Pourquoi tu ne m’as pas dit que Deborah était la fondatrice de l’école?

— En quoi ça te regarde? elle me demande et je bugue.

— Mais je pensais qu’on était amies?

— L’amitié suppose que je te parle des choses de ma famille? Je n’étais pas au courant.

— Je t’ai parlé de mes déboires avec mon mari moi, je lui rappelle un peu vexée.

— Beh je t’ai pas braqué un fusil sur la tempe pour non? Tu as choisi de le faire. Bref, je venais voir si tu étais bien parce que Siaka m’a parlé de ce qui c’était passé.

— Ça va merci. Sinon, je voulais te parler de Hadassah, notre fille.

— Tu as une fille? Depuis quand?

— J’ignorais que je devais te dire depuis quand, je lui réponds sans perdre une seconde et elle rigole ironiquement.

— Bon tu as un point. Si c’est le problème que ton mari a rapporté, c’est Debby qui s’en charge désormais.

— Ah…., on pourra avoir du nouveau quand?

— Elle contactera ton mari quand elle sera prête.

— Qu’elle me contacte plutôt. C’est moi la mère de la petite, c’est par moi qu’elle doit discuter des choses qui la concernent.

— Écoute, tu vois ça avec elle. Je suis chirurgienne moi, ce n’est pas mon domaine.

— C’est quoi son numéro?

— C’est celui de l’école. Bon je te laisse, porte-toi bien, elle annonce et raccroche.

C’est quoi ce comportement? Je dois appeler l’école comme tout le monde alors qu’on se connaît? L’année prochaine, on enlèvera Hadassah et Jérémie de là. 

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