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Ecrit par Gioia
***Deborah Nicol***
Encore heureux que j’aie
accepté de suivre le conseil de Nan Chantal concernant le visionnage des vidéos.
Elle a recommandé que je n’en parle à personne et le fasse seule pour commencer
parce qu’on ne sait jamais, il se peut que je tombe sur des éléments
compromettants concernant le personnel de l’école. J’en ai vu des choses sur le
personnel, mais ce qui me garde en état de choc depuis quelques minutes, c’est
le groupe de trois filles et deux garçons qui faisait des va-et-vient dans la
classe de Hadassah le mois dernier. Selon leur emploi du temps aujourd’hui, ils
ont une heure creuse dédiée aux activités et j’ai demandé à un surveillant de me
l’emmener durant cette heure. J’ai beaucoup de stock à visionner, mais à ce
stade, je préfère tout voir pour m’assurer que rien ne m’échappe.
Hadassah Muamini me
rejoint dans mon bureau comme convenu à leur heure libre. Je suis habituée à parler
aux enfants donc je sens facilement son stress dans la façon dont elle répond après
mon introduction.
— Tu peux me dire
« tu » pour aller plus vite, je m’essaie espérant que
ça la mette en confiance.
— D’accord.
— Alors, j’ai
rencontré ton papa hier et je voulais connaître un peu ta version. Qu’est-ce
qui se passe ? Quand ? Raconte-moi tout.
Je me tais et j’écoute
attentivement chaque mot de son récit. Elle me facilite la tâche en suivant un fil
narratif incluant les dates et me donne des noms que je peux interroger si je
veux des preuves. Je ne doute pas de sa parole, mais pour m’assurer de faire le
maximum, j’écoute par la suite les trois personnes qu’elle m’a citées. Une
parmi elles, Thema Asamoah avait même des photos des insanités écrites sur le
bureau. Les dates auxquelles les photos ont été prises me confortent dans l’idée
que je me suis faite après avoir vu les vidéos.
Je rejoins par la
suite le directeur Douti dans son bureau et j’y reste jusqu’à ce que Siaka m’annonce
leur arrivée par message. Depuis qu’elle s’est installée ici l’an dernier, Sia n’a
cessé de narguer son frère avec des photos de tout ce qu’elle mangeait donc la
première chose que Timo a réclamée à notre arrivée, c’était qu’elle nous fasse
découvrir ses coins. Nan comme toujours est avec nous et à quatre on va se
régaler. Le retour était dur. Après une heure à remplir mon corps de repas
copieux, je n’avais qu’une envie, roupiller sur le transat au bord de la lagune
qui était non loin du petit resto où Sia nous avait conduits. Mais une tonne de
travail m’attendait, incluant l’une des raisons principales de ma venue ici. L’an
dernier, après quatre ans de paperasse et dépenses qui ont failli me décourager,
le CIS a enfin reconnu notre école sur le plan international. Nous avions dès
la première année d’ouverture obtenue la reconnaissance du pays sans difficulté
et pouvions opérer avec, mais la dernière chose que je voulais, c’était d’avoir
des lycéens qui une fois à l’étranger se font dire que nos diplômes ne sont pas
reconnus. Puisque l’accréditation internationale traînait, j’ai repoussé
plusieurs fois l’ouverture du lycée jusqu’à l’an dernier. Maintenant, je suis prête
à étendre nos horizons. Mon but c’est d’offrir si possible le monde à nos élèves.
Que ça soit participer à des concours internationaux, faire des immersions
scolaires à l’étranger, être éligible à des bourses d’excellence, bref, j'ai
passé sept ans à étudier le parcours des écoles que j’admirais pour m’inspirer
de leurs méthodes. Je suis donc là pour réaliser un petit court-métrage sur l’école
qui me servira de support pour conclure les partenariats que je vise. L’idée
vient de Timothy, mon conseiller attitré et vidéaste passionné depuis ses
quatorze ans. Du haut de ses seize ans, il a réalisé des choses qu’il faut voir
pour croire. Nous avons spécialement payé un extra pour que monsieur voyage
avec son équipement à qui il tient plus qu’à sa propre vie, je ne rigole pas.
Sia nous dépose et va
vaquer à ses occupations. Timo reste au rez-de-chaussée avec son drone et sa
caméra pour commencer son travail.
— N’oublie pas de
demander l’autorisation avant de filmer les gens, je lui rappelle.
— Toi cette
enfant tu aimes le protocole, commence Nan Chantal.
— On n’a pas
besoin d’autres problèmes.
— Ah quel
problème ? On dit qu’on va faire
film, qui n’aimerait pas passer à la télé, elle répond et fait rire Timo qui
lui rappelle encore une fois qu’il n’est pas un producteur de séries.
Je monte avec elle et non
loin de mon bureau, on trouve l’amie d’Oyena assise au coin d’attente.
— Enfin, je vous
attendais depuis bientôt deux heures, elle commence.
— Ah…, tout va
bien ?
— Oui. Bonjour maman
Chantal.
— Bonjour ma
grande. Tu viens nous saluer ?
— Oui et discuter
avec Deborah aussi.
— Oh je suis
désolée, je suis très occupée. Tu peux voir avec le secrétariat pour un
rendez-vous.
— Ça ne sera pas
long s’il te plaît. Je veux juste savoir comment avance l’enquête sur le cas de
ma fille Hadassah Bemba.
— Qui ça ?
— Hadassah.
Cheveux bouclés, couleur un peu miel. Hier mon mari Romelio Bemba t’a parlé d’elle.
— Ma fille, on
est occupé comme elle t’a dit. Prends le rendez-vous au secrétariat, lui
rappelle Nan.
— Oui, prends rendez-vous,
sinon je vais contacter aussi ton mari dès que j’aurais du nouveau, je réitère.
— OK, donc il n’y
a toujours pas rien de nouveau ?
— Bonne journée,
je dis pour clore et suis Nan qui était déjà au bureau. She was pushy eh? (Elle
était insistante, n’est-ce pas ?)
— C’est comme ça
avec certains. Dès qu’ils te connaissent un peu, ils ne veulent plus suivre le
protocole comme les autres, répond Nan.
Nous ne sortirons du
bureau qu’à la tombée de la nuit, c’est-à-dire 19 h. Il n’y avait presque
plus personne et on y serait même resté si Timo n’était pas monté nous dire que
Sia a appelé pour savoir quand on rentre. Nan passe le coup de fil nécessaire
une fois que nous sommes à la maison et me confirme qu’Ortencia passera demain avant
9 h. Bien que je me sois programmée un réveil pour être à l’heure, je me
réveille en sursaut, vois mon téléphone qui affiche 9 h 48 ainsi qu’un
message de Sia.
—Hi Mummy. Si tu te
réveilles avant dix heures, je te conseille fortement de te rendormir parce que
tu n’as même pas entendu le réveil ni le bruit que j’ai fait en entrant dans ta
chambre. C’est moi qui l’ai désactivé pour te permettre de dormir assez. C’est
le moment de suivre tes nombreux conseils que tu aimes me donner concernant les
8 h de sommeil nécessaire pour être en parfaite santé. Et oui, ça vaut pour
toi aussi. J’ai embarqué Tim avec moi donc tu n’as plus aucune excuse pour te
lever aux aurores. Je serais pratiquement en réunion toute la matinée avec ma team
éditoriale donc écris plutôt à Tim si tu as besoin qu’on te conduise à l’école
s’il te plaît, xxx.
La sérénité ou l’espace
doit y être pour quelque chose, mais je dors comme un loir depuis qu’on est là.
Après m’être brossé les dents et nettoyé le visage, je sors en vitesse de la
chambre, espérant qu’Ortencia soit encore présente. Je les trouve sans difficulté
au salon, mais le ton de leur discussion m’indique qu’il ne faut pas les
déranger maintenant. Je me rends donc en cuisine pour me préparer rapidement un
plateau. Trois toasts recouverts de confiture, du thé au lait et un mix de
quelques fruits puis je sors par une porte de la cuisine et m’installe sur la
petite terrasse sur laquelle s’ouvre le salon. J’ai même mon Surface Pro 8
pour travailler, mais elles parlent fort et mon nom est revenu quelques fois
donc je suis facilement distraite.
— Je ne te
comprends pas hein madame. On t’appelle pour t’informer que ta fille est sur
une vidéo où on la voit entrer dans une classe avec d’autres élèves et rire
avec les autres quand ils sortent. C’est dans cette même classe qu’on a écrit plusieurs
fois des insultes sur le banc d’une fille et l’heure à laquelle elle sort nous
fait penser que Poppy sait quelque chose. En quoi Deborah ou ses enfants sont
reliés à ça pour que tu m’accuses de faire du favoritisme Ortencia ?
— Tu penses que c’est
facile d’éduquer un enfant de nos jours ? Tu ne
sais même pas ce que je vis dans mon mariage. Tu vois ta petite-fille sur une
vidéo, tu ne fais rien pour la protéger. Tu m’appelles pour me narguer, mais si
c’était Siaka, tu aurais déchiré tous tes vêtements s’il le fallait pour la
couvrir. Pourtant c’est moi ton enfant. C’est moi que tu as mis au monde et pas
Deborah.
— Donc c’est même
un crime de te prévenir hein ? Tu as
raison, j’aurais dû laisser Deborah gérer la chose comme elle prévoit le faire
pour les autres.
— Mais qu’elle
gère non ! Tu crois que je la
crains ? Je l’attends, nous
sommes dans mon pays ici. Elle repartira en marchant sur les mains si elle ose toucher
à mon enfant.
— Hein…donc tu es
forte comme ça, mais ta fille va écrire les injures sur le banc des gens ?
— Et alors ? Ton passé est propre peut-être ? Dois-je te rappeler que tu avais la trentaine
révolue quand toi et moi insultions à longueur de journée Deborah ? La Deborah chez qui tu n’as même pas honte de
manger et dormir. Au moins, moi je peux marcher la tête haute.
— Je n’ai jamais
refusé l’hypocrisie que tu déposes sur ma tête ma fille, lui dit Nan Chantal. On
a bien insulté Deborah ensemble. Je la trouvais énervante avec ses questions sur
l’Afrique et le fait qu’elle essayait de nous copier. Je ne refuse rien, donc tu
me reproches quoi ? Le
fait d’avoir reconnu mes torts ?
— Arrête moi ton
hypocrisie ! Tu as reconnu tes torts après
avoir appris que ton fils avait laissé une assurance-vie. Elle finit de tuer
ton fils et ton mari pour empocher l’argent, mais tu refuses d’ouvrir les yeux ! Tu refuses parce que tu n’as jamais entendu
autant de chiffres ta vie. Tu crois que vos vies seront en paix ? Le fantôme de mon père ne vous laissera pas
en paix !
— Donc si je
comprends bien, c’est toujours l’assurance-vie qui comprime ton cœur ma fille ? Depuis dix ans, tu ne digères pas ? Tu continues avec tes idées d’anciens films nigérians
qu’on a tué ton père et frère ? C’est
elle qui a tamponné la voiture que conduisait ton frère ? C’est elle qui a demandé à la dame qui
conduisait de se tromper de voie ? C’est
elle qui a dit à ton père de partir avec ton frère le matin là au lieu de
prendre les transports en commun ? Ou tu
pensais être éligible à recevoir une partie des 608 469 £ parce que tu étais la sœur de Siaka ? Il faut m’aider un peu à comprendre pardon.
— Qu’est-ce que j’en
ai à foutre de son argent ? J’ai
une dignité moi et mon mari est riche. Je suis allée dans des pays que jamais son
pied ne foulera. C’est ton manque de dignité qui me sidère, parce que tu n’étais
pas comme ça. Tu étais mon modèle maman. Même Siaka et Oyena n’entendaient pas
nos histoires. Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Je suis redescendue
sur terre Ortencia. Cette terre où on souffre seuls là, cette terre où l’origine
des gens importe peu devant la douleur, les questions qu’on trouve débiles n’existent
plus, cette terre où le chagrin peut tuer, c’est sur cette terre que je suis
redescendue. Ce n’est pas toi qui as plié bagage le troisième mois suivant le
décès de ton père prétextant que tu ne voulais pas rester dans un pays qui
allait te déprimer ? Tu m’as
entendu te reprocher de m’avoir laissée seule en Angleterre ?
— Tu étais seule ? Oyena était là non.
— Tu n’as même
pas honte. Oyena qui avait quel âge ? Oyena
qui venait aussi de perdre frère comme père. Tu nous as laissées seules et je
ne t’ai pas fait chanter comme tu le fais là, par respect pour ta douleur. Je
suis restée seule. La vie a continué après qu’on ait enseveli ton père et
frère. Oyena a repris l’école en dépit de son chagrin. Les quatre murs de la
maison à Birmingham étaient mes seuls compagnons durant la journée. Après avoir
frôlé la folie et séché mes réserves de larmes, j’ai atteint le stade de négligence.
Brosser les dents, me laver, ce n’était même plus mon problème. C’est la fille dont
toi et moi riions qui m’a un jour croisé je ne sais même plus où. Elle a eu
compassion de ma douleur bien qu’on ne se parlait plus avant le décès de ton
frère. Le soir même, elle m’a emmené les enfants. Sans la présence de ces
enfants là Siaka et Timo, on t’aurait appelé pour que tu viennes m’emmener à zébévi
(hôpital psychiatrique au Togo). Donc hein, rappelle-moi mon passé autant que
tu veux. Tu peux même tourner le film avec et faire visionner à la terre
entière. Je n’ai pas honte d’assumer mes mauvais côtés. Ton père et ton frère
nous ont anéantis en nous abandonnant ainsi, mais s’il y a bien une chose qu’ils
m’ont laissée c’est une fille dont je suis très fière et des petits enfants que
je vais déranger jusqu’à ma mort. Si tout ça te fait conclure que je t’ai rejeté,
tu veux que je fasse comment ? De te
mettre sur mon vieux dos pour que tu te sentes aimée ?
— Ça vous
regarde. Si elle n’a pas de dignité et fait ami ami avec toi après la façon dont
tu la traitais, en quoi c’est mon problème ? Qu’elle
tienne simplement sa bouche hors de mes histoires. J’ai inscrit ma fille dans
son école par honneur pour mon frère et certainement pas elle.
— Awooo, donc c’est
même de moi que tu es jalouse ?
— Pfff, qu’est-ce
que tu as ? Ce qu’on te reproche c’est
d’agir comme si tu n’avais que Sia et Timo comme petits enfants pourtant je t’ai
donné deux filles, Poppy et Holly. Elles n’ont pas le droit de te voir ? Sept ans sans mettre pied dans ton pays, tu
trouves ça normal ?
— Est-ce que tu m’as
acheté le billet et j’ai refusé ?
— L’argent, l’argent,
c’est tout ce qui te conduit.
— C’est ça qui
fait tourner le monde ma grande. Tu veux qu’on vienne te voir. Tu sais que je
ne travaille pas. Je prends l’avion avec mes dents ?
— Ta fierté ne
pouvait pas te prendre le billet dans l’assurance-vie ? Ou elle sait seulement construire les gros
bâtiments avec au nom de l’école ?
— Non non. Elle a
su économiser et investir tout en continuant à travailler comme professeur de
primaire jusqu’à atteindre son niveau actuel. Elle a su aussi encourager ta sœur
et l’a soutenu financièrement au mieux de sa capacité afin que cette dernière
finisse ses études de médecine. Tu sais la sœur là pour laquelle tu m’appelles seulement
quand il faut se plaindre.
— Ah, parce qu’on
t’appelle pour te prévenir que ta fille salit notre nom dans la ville avec son
comportement d’Ampo (salope) et ça te fait mal ?
— Non, est-ce que
j’ai refusé ? Tout comme tu restes ma
fille en dépit de ton caractère, elle l’est malgré son côté Ampo qui ne l’a pas
empêchée de finir chirurgienne.
— Chirurgienne c’est
une excuse pour ne pas respecter son corps et que mon mari se plaigne qu’on
parle mal de nous ?
— Je dis que je n’ai
pas refusé oh. Dieu fera, elle va laisser Ampo un jour comme j’ai abandonné une
bonne partie de mes défauts. Revenons au parcours de ma Deborah. En dix ans,
elle a encadré ses enfants tout en courant ici et là pour faire des petites
formations la préparant à diriger son école. Tu vois le niveau des enfants.
Siaka que tu as découragé quand elle t’a approché pour avoir des conseils là…
— J’ai découragé
quoi sur elle ? Lui
dire que c’est débile de rayer l’université de sa carte parce qu’on veut ouvrir
un magazine quand personne ne lit à l’heure des réseaux sociaux ? C’est ça le découragement ? Vous n’aimez pas la vérité.
— En tout cas,
les gens achètent tellement qu’elle a agrandi son équipe. Tu as même vu son
studio ? 19 ans seulement
hein.
— C’est facile de
faire les choses à 19 ans quand on est assis sur l’argent de papa et on
vend une réussite facile aux jeunes en interviewant des gens qui mentent sur la
provenance de leurs fortunes.
— Tout comme ton
mari ment sur la sienne, n’est-ce pas ?
— C’est comment ? Tu m’as fait venir ici pour m’insulter ? elle s’énerve d’un coup.
— L’insulte se
trouve où dans ça ? Comme
tu as sous-entendu que les gens là mentaient et tu n’es pas la femme de n’importe
qui, je croyais que tu avais des secrets à nous partager quoi.
— Bref, ta fierté
n’avait pas quelque chose à me dire ? Il y
en a qui ont à faire.
Je choisis ce moment
pour les rejoindre au salon. Nan Chantal nous laisse seules. Ortencia comme d’hab
est désagréable. À la base, je comptais régler l’histoire de sa fille avec
elle, mais leur échange a ravivé des souvenirs et m’a rappelé le pourquoi j’avais
coupé les ponts avec eux pendant trois ans. C’est réellement le décès de Siaka
et Papi Timothy qui m’ont rapproché de Nan Chantal. J’admets que sans elle je n’en
serais pas ici aujourd’hui. Elle a été d’un soutien inestimable avec les enfants,
m’aidant à m’impliquer dans mes différents projets sans m’inquiéter pour eux. J’ai
appris à l’apprécier graduellement, mais Ortencia reste la pire des Nicol.
— Tu pourras
visionner la vidéo au temps voulu si tu ne me crois pas, je dis pour abréger ses
nombreuses plaintes.
— Tu ne pouvais
pas l’apporter ici ? C’était
quoi le but de cette rencontre alors ? Me dire
que tu détiens une preuve sur mon enfant pour me narguer ? Tu veux quoi ? De l’argent ?
— Je te conseille
de le garder pour le futur de tes enfants, bonne journée, je lui dis et la
laisse.
Le retour en arrière
que leur conversation m’a fait faire me réconforte dans l’idée que je m’en suis
sortie. Envers et contre tout, j’ai tenu bon et mes enfants sont épanouis.
Je m’apprête pour me
rendre à l’unique supermarché que je connais bien à Lomé. J’explique à la
servante d’Oyena que je vais cuisiner ce soir et de nulle part, je sens qu’on a
ôté ma pince à cheveux.
— Les cheveux sont
longs, mais toujours attachés, pourtant tu n’as que 39 ans, me reproche Nan
qui tient la pince. C’est à mes 70 ans quand tu n’en auras presque plus
que tu vas te mettre à les lâcher ?
— Nan il fait
chaud.
— J’ai été dehors
aujourd’hui, le vent s’est déjà levé. Va et ne commence pas avec l’anglais dès
qu’un homme t’aborde, elle ajoute quand je m’éloigne.
Elle a souvent des
suggestions gênantes que je ne comprends pas. À 39 ans, qu’est-ce que je
vais faire avec la majorité des hommes qui m’abordent ? Ils sont généralement jeunes ou oublient qu’ils
portent des alliances bien visibles. Dans les deux cas, je ne suis pas
intéressée.
Pour changer, l’homme qui
m’aborde au supermarché ne porte pas d’alliance. C’est le père de Hadassah qui a
ramassé la bouteille de vinaigrette qui m’avait glissé des mains.
— Je ne pensais
pas vous trouver ici Mme Nicol, il dit en me remettant la bouteille.
— Moi non plus, Lio,
c’est le prénom ?
— Il y a un Rome
avant, il dit avec un sourire.
— Mes excuses, je
suis mauvaise avec les noms. Vous pouvez m’appeler Debby et me tutoyer.
— OK, il répond
légèrement surpris. Je ne suis pas habituée au vouvoiement du coup, je n’en
vois pas l’intérêt.
— Je travaille toujours
sur l’affaire de Hadassah, je n’ai pas oublié.
— Je ne pensais
rien de tel, tu peux te détendre, je ne vais pas te demander des comptes en
public. Alors tu arrives à faire les courses seule bien que tu sois dans un
pays étranger ? Tu es
courageuse.
— Qui a dit que ce
pays m’était étranger ? je
demande amusée tout en poussant mon cadi.
Il me suit avec son
panier en main et prends des produits sur l’étagère en haut de la mienne. Son
parfum est léger, mais particulier et agréable.
— My bad, je me
suis fié à ton accent et aux dires de ma fille.
— Ah bon, je suis
curieuse de savoir ce que racontent les élèves sur moi.
— Malheureusement
c’est un secret familial.
— Ça compte si je
dis que l’école c’est une continuité de la famille ?
— Bien essayé,
mais non, il rigole et s’excuse pour prendre à nouveau un autre truc sur une
étagère plus haut.
Cette fois, il est
plus proche donc j’arrive à mieux sentir son parfum que j’allais déceler quand
j’entends une voix féminine l’interpeller. Elle appartient à une dame non loin
de nous qui a l’air mécontente.
— Bonsoir mon
fils. Ça fait longtemps.
— Bonsoir, il
répond sur un ton glacial totalement opposé au jovial sur lequel on se parlait.
On y va Debby ?
La dame s’empresse de
tenir le poignet de Romelio et lui aussi se dépêche de le lui retirer avec une
violence qui lui fait perdre équilibre. Heureusement, il l’a retenu avant qu’elle
ne se ramasse à terre.
— Héééé, tu as
voulu me pousser Romelio ? elle s’indigne.
C’est arrivé au niveau où tu veux me frapper ? Moi la mère de ta femme ? Seigneur regarde ce dans quoi tu me laisses,
elle se lamente aux bords des larmes.
Je me sens simplement tirée
par Romelio qui me traîne jusqu’à la caisse sans écouter mes remarques. Il vide
complètement mon charriot sans m’interroger, règle nos factures et me traîne
encore une fois dehors. Ce n’est qu’une fois dehors qu’il lâche ma main et s’excuse
sur un ton acerbe.
— Tu devrais suivre
une thérapie pour apprendre à gérer ta colère, c’est la seconde fois que j’assiste
à une scène où tu es exécrable.
— Tu devrais
peut-être garder tes conseils pour toi, il me répond sur le même ton acerbe et
se dirige vers sa voiture. Cet homme est insupportable, mais il me faudra le revoir
dans trois jours, lorsque je vais commencer à rencontrer les parents des cinq
coupables à qui je vais adresser des convocations dès que je me rendrai à l’école.
***Eben Ezer
Tountian***
Je viens de mettre
maman dans un bus en direction de Vogan avec la promesse qu’on se reverra dès
que la date de la dot sera fixée. C’est en sifflotant que je retourne chez moi.
Il s’est passé tant de choses dans ma vie dernièrement qu’on ne croirait pas qu’il
s’est écoulé moins d’un mois. J’ai rencontré trois fois le père d’Océane qui m’a
un peu remonté les bretelles pour ma disparition, mais ce n’était rien de
méchant. À la quatrième rencontre, j’ai demandé à maman de venir pour qu’on
fasse des présentations officielles. Nous en avons profité pour retirer la liste
de dot et fait tous les achats en moins d’une semaine. Il faut dire que je suis
prêt depuis un moment et ma mère l’était avant moi. C’est elle qui m’a mis le feu
pour qu’on commence les emplettes dès qu’on a eu la liste. Les effets sont sous
la supervision de Fabien parce qu’Océane a pris d’assaut ma maison depuis qu’on
a rencontré son père. J’ai un petit frigo dans notre chambre désormais, chose à
laquelle je n’aurais jamais pensé, mais c’est vraiment agréable. Elle a meublé
la chambre des enfants avec ses affaires, remplacé la télé du bas par la sienne
pour qu’on mette celle du salon dans notre chambre à coucher. En réalité, il ne
reste plus qu’à acheter un berceau pour le bébé, parce qu’elle a même écrit
leurs prénoms de façon artistique sur des papiers qu’elle a fait encadrer. En
tout cas, elle m’a surpris avec et je n’en reviens toujours pas, tout comme je
n’en reviens pas qu’elle avait acheté depuis ses 25 ans, des vêtements et
peluches pour enfant.
— Tu ignores que
le royaume des cieux appartient aux violents ? c’est ce qu’elle m’avait répondu tandis que
je l’observais comme si elle venait de Mars et elle m’a fait bien rire.
— Tu appliques toujours
tes versets de façon bizarre toi. Depuis quand le royaume des cieux c’est de
faire un enfant ?
— C’est mon
royaume des cieux moi. J’en ai toujours rêvé de cette petite famille heureuse
et soudée, elle m’a dit tout en humant la couverture d’emmaillotage blanche aux
motifs étoilés gris.
Depuis ce jour on s’active
régulièrement pour le concevoir notre bébé. J’aurais même pu la doter le lendemain,
mais les choix d’alliance de ma chérie sont tous dans les millions. J’avoue qu’avant
de la rencontrer, je ne m’attendais pas à claquer autant dans un bijou. Je
comptais offrir quelque chose de propre à ma femme, mais je n’y connaissais pas
grand-chose, soyons honnêtes. Elle ne s’est pas contentée de m’envoyer des
photos pour que je choisisse. Non, elle m’a fait un PowerPoint de chaque coupe,
choix de pierre, carat, clarté, le prix auquel je devrais m’attendre, et quand
déceler si on essaie de m’arnaquer. On a même eu une discussion générale sur
les bijoux et j’ai découvert par elle qu’on m’avait bien arnaqué quand je
croyais acheter de la qualité à Porto. Parce qu’elle accorde une importance
particulière à ses bijoux et s’implique sans relâche pour transformer notre
maison en un lieu agréable pour nous deux, je prends mon temps pour lui offrir
ce qui réjouira son cœur de rêveuse. En attendant qu’on arrive à ce jour, nous
avons besoin d’un petit break. Niquer tous les jours, c’est jouissif, mais il y
a autre chose à faire en couple, notamment aller danser. Le break ferait du
bien à un autre aussi qui m’ouvre le portail dans une tenue que maman lui avait
bien dit de jeter parce qu’elle tombe en lambeaux. Fabien hein, Dieu me
préserve d’un enfant aussi têtu.
— Monsieur, tu es
dans quel mouvement ce soir ?
— Tu racontes
encore quoi ?
— Tu n’as pas entendu
que c’est la semaine de la St Valentin toi ? Ta
femme fête comment ?
— Pardon, je n’ai…
— Si c’est pour
me parler de travail, il faut ravaler tes mots. Le sujet c’est la fête des
amoureux, ou tu n’aimes pas ta femme ?
— C’est comment ? On t’a envoyé contre moi aujourd’hui ? il me demande tout en me dépassant, muni bien
sûr de ses outils de travail.
— On m’a bien
payé même pour défoncer ta dure tête. Maman ne t’a pas dit de transformer ton
vieux T-shirt tacheté de peinture et déchiré là en serpillère ?
— Vous me gênez. Un
habit qui ne vous a rien dit, mais vous refusez de le laisser.
— Retournons
tranquillement sur l’autre sujet. La dernière fois tu me parlais des nouvelles
chaussures que Bijou a achetées non ? Tu ne
veux pas la voir dedans ? Donne-lui
une raison de les porter.
— Je la vois
dedans pour que ça me donne quoi ? Ce
sont mes pieds ?
— Fabien, ne me
fais pas bavarder. Tu as…jusqu’à 20 h pour être le frère propre que je
connais. On va à un concert.
— Pourquoi tu ne
sais pas faire tes activités là seul ? il rouspète
comme si on vient de lui donner un gros travail et je souris satisfait de moi.
— Parce que je ne
suis pas né seul.
— Pfff. Je vais
faire quoi à un concert ? Je n’écoute
même pas la musique. En plus ça m’étonnerait que Bijou connaisse un artiste.
— Dis que toi tu
ne connais pas d’artistes, tu penses que ton cas est une généralité ?
— Mais
demande-lui et on verra. Si elle te donne le nom d’un artiste actuel, j’irai au
concert sans broncher, il me défie avec un sourire goguenard.
La concernée arrive
après qu’on ait hélé son nom. J’essaie de me mettre dans une position où je
pourrais lui mimer des noms, mais mon frère se place devant moi. On fait
sensiblement la même taille du coup je n’ai plus d’options.
— Tu m’as appelé ? Bijou nous ramène au sujet du jour.
— Donne-moi le
nom d’un artiste.
— Hein ?
— Tu vois ? il réplique avec un rire narquois.
— Dégage. Est-ce
qu’elle a fini ? Tu ne
sais même pas bien demander.
— Tu veux faire
quoi avec le nom de l’artiste ? nous
questionne une Bijou confuse.
— On dit de donner,
tu demandes aux gens ce qu’ils vont faire avec. Dis simplement que tu ne
connais pas.
— Ah…c’est la guerre ?
— Oho, je dis appuyant
Bijou. Fabien ne sait même pas se moquer des gens. On fait la chose doucement,
lui rit sans égard.
— Kassav, c’est
bon ? répond une Bijou exaspérée
et c’est à mon tour de rire devant la face déconfite de Fabien.
— Ça ne compte pas,
il commence le forcing. Il est mort.
— C’est ta tête
qui ne compte pas et je te ferais savoir que Jacob Desvarieux est différent du
groupe Kassav.
— Tu savais ça
toi ? il nargue à nouveau
Bijou.
— C’est pas eux
qui ont chanté frissons avec la femme là Jocelyn ?
On s’écrie tous les
deux, surpris qu’elle connaisse ça et elle nous regarde comme si nous étions
des bêtes de foire.
— Qui t’a appris
ça ? continue Fabien.
— Tu m’as même
appelé pour quoi ? elle
lui demande ennuyée.
— Rien, on
voulait vérifier quelque chose, je lui réponds main sur la bouche de Fabien
pour qu’il ne gâte pas l’affaire.
— Tiaaa tu as
entendu ça ? La femme est un mystère
Eben, il faut la craindre.
— Tu es con, je
dis amusé. Même si elle ne sort que rarement ici, ça ne veut pas dire qu’elle n’a
rien connu avant toi.
— Tu connais bien
la vie qu’elle a eue avant d’atterrir chez nous. Ça l’a beaucoup affecté, il dit
sur un ton plus sérieux.
— C’est vrai, je
dis sur un ton sombre me rappelant effectivement de ce dont on ne parle jamais.
C’est une sorte d’accord tacite entre nous. Il sait qu’au besoin, il peut
toujours se confier à moi.
— Le concert là
finit vite hein ? Je ne
me lève pas après 5 h du matin.
— Mais oui, je
dis avec un sourire rassurant sachant pourtant que mon pied ne rentrera pas
dans cette maison avant 3 h du matin.
***Océane Ajavon***
Ai-je déjà dit que ma
chambre favorite dans cette maison c’est celle des enfants ? J’y passe tout mon temps depuis qu’on l’a
emménagé. Dans les faits, je l’ai emménagé aidée de Fabien et mon ancien
gardien que j’ai réquisitionné pour nous assister à remonter les meubles. Eolia
et Opale nos filles dormiront ici. Il nous faudra trouver une solution pour
Ezer notre garçon le temps qu’il arrive parce qu’on n’a que cinq pièces à l’étage
dont deux chambres. On peut me dire que je suis folle, ça ne me gêne pas. Je ne
sais pas vivre à 60 h à l’heure. Mes parents aussi connaissent déjà les
noms de leurs petits-enfants, pourtant je ne suis même pas enceinte. Maman qui
me prend vraiment pour la plus égoïste au monde s’est assurée de me rappeler
que le prénom ne se choisit pas seule. Genre, j’allais choisir les prénoms sans
inclure le père quoi. Quand ton passé te colle à la peau, la vie devient dure.
Bref, c’est le papa qui a choisi Ezer. La suite de son prénom que personne ne
se gêne d’utiliser bien qu’il aime l’explication qu’il m’a révélée. Eolia nous
l’avons choisi ensemble et Opale c’est pour moi. On ne va pas m’écarter la
chatte trois fois pour que personne ne prenne mon initiale.
Pour aujourd’hui, on a
donné un break à ma chatte. On sort faire les fous, tout ce que j’aime. Il m’appelle
depuis le couloir, je lui réponds de ne pas entrer dans la chambre.
— J’ai pas fini
de me préparer, je lui explique.
— Qu’est-ce que
je vais voir de nouveau O, il rigole.
— Je m’en fous
Eben, tu n’entres pas sinon je te fais la misère, je dis tout en me dépêchant
de cacher ma tenue dans l’armoire. On ne sait jamais avec lui.
— Fais sortir ta
tête alors, j’ai besoin de te dire un truc à l’oreille.
Comme une idiote, je
fais aussi sortir ma tête. Il me chuchote effectivement un truc qui me fait
rire puis en profite pour m’attraper le visage et ruiner mon gloss avec un baiser
langoureux. C’est son métier favori et ça nous a souvent mis en retard depuis
qu’on essaie activement de faire venir Eolia. Je retouche mon makeup et descends
munie de ma trousse pour voir ce que fait Bijou dont j’apprends beaucoup depuis
ma réconciliation avec Eben. Il faut être honnête, je ne suis pas une maîtresse
de maison hors pair. Je sais cuisiner, mais faire les courses, ce n’est pas mon
truc. Avec une foule d’employés disponibles et vivant seule, je n’ai jamais cherché
à savoir où acheter du poisson frais en grande quantité, chez qui trouver les
meilleures crevettes à un prix abordable, ainsi de suite. Maintenant qu’on sera
deux, ce sont des choses que j’essaie d’apprendre en suivant et questionnant de
temps en temps Bijou qui ne me juge pas. Du moins si elle le fait, elle le
cache si bien que je ne m’en rends pas compte. Encore heureux que ça soit avec
elle et Fabien qu’on sort ce soir. N’importe qui aurait fait l’affaire tant que
ce n’est pas X. Mr Tountian a décidé de ne pas nous afficher pour le
moment à son amie. De temps en temps, il râle bien sûr qu’on aime trop se
prendre la tête nous les femmes et nous l’entraînons dans nos choses. L’important
c’est qu’elle ne soit pas dans les parages pour nuire à mon amusement.
Bijou jette les
ordures à mon arrivée et le regard étonné qu’elle coule sur mes cuisses m’amuse.
J’ai sorti la minijupe qui tue et en haut je reste sage avec une veste blanche.
— Tu n’es pas
prête ? Il va bientôt sonner 19 h
hein.
— Prête pour
faire quoi ?
— Euh…on ne t’a
pas informé qu’on sortait ?
— Le truc de
chant là ? Fabien ne faisait pas
une blague ?
— Mais non, je
dis amusée. Qu’est-ce que tu comptes mettre ?
— Vous allez-y sœur.
Les choses où on chante et danse là je n’y suis jamais allée.
— Beh tu n’as pas
envie de voir justement à quoi ça ressemble? Tu penses toutes tes journées dans
les mêmes endroits. Ça fait du bien de changer d’air.
— L’air qui
circule sur la grande cour ici c’est pas le même air qui est ailleurs ? elle me demande et me fait rigoler.
— Tes yeux verront
autre chose, c’est déjà ça et ça fait du bien. Allez, j’insiste à nouveau, mais
elle secoue farouchement la tête.
— Je vais faire
quoi là-bas sœur ? Je
veux pas qu’on me voie, c’est mieux que je reste à la maison, elle me dit sur
un ton apeuré qui me prend par surprise.
— Je comprends si
tu n’as vraiment pas envie d’aller, on ne va pas te forcer. Mais si c’est par
crainte, tu ne seras pas seule tu sais. On sera quatre. Même si on te voit, ça
sera à nos côtés, j’essaie de le rassurer sans trop comprendre de quoi je la
rassure.
Elle reste hésitante,
mais je vois sa poitrine qui se soulève moins rapidement, signe qu’elle s’était
crispée à un moment, mais se détend enfin. Bizarre.
— Alors ? Tu en penses quoi ? je la relance sur un ton plus léger.
— OK, je vais
venir, mais je sais pas quoi porter, comme j’ai jamais été à un concert.
— Choisis ce dans
quoi tu es le plus à l’aise…enfin je veux dire ce dans quoi tu serais à l’aise
à sortir, je me corrige pour qu’elle ne revienne pas avec un pagne attaché au
cou. Pesrso, c’est mon ultra confortable comme ça. Elle opte pour une robe longue
léopard aux fines bretelles.
— Je suis trop
jalouse hein, regarde comment tu élèves le niveau de la robe, je la complimente
après qu’elle l’ait porté.
— J’élève ça
comment ?
— Tu la rends dix
fois plus belle.
— Oh, elle se
marre, c’est vrai ça ?
— Non, mais fais
un tour sur toi. Tu t’es regardée un peu ? Tu as
le corps qui sublime presque toutes les tenues. Tu ne pouvais pas me donner un
peu de fesses au lieu de perdre ça dans le régime ? Je l’embête et elle rigole à nouveau.
— Tu vas faire
quoi avec sœur ? Toi tu
es comme les filles qui font les émissions à la télé.
— Ah c’est la vie
ma chère. On veut toujours ajouter ou enlever un petit quelque chose pourtant
on est bien comme on est. Assieds-toi, je t’arrange un peu le visage et on sera
prêtes.
— Arranger
comment ?
— Juste uniformiser
les sourcils ? Un peu de mascara ?
— Est-ce qu’elle connaît
même les choses là ? nous
demande Fabien qui sort de leur chambre salon.
Sa grosse tête sait
bien s’arranger quand même.
— Elle va
connaître aujourd’hui, je dis et commence mon travail.
— Hum, tu es sûr
qu’elle ne va pas finir par effrayer les gens au concert avec ce que tu fais là ?
— Tant que tu n’effraies
pas les gens toi, je ne vois pas en quoi une belle femme peut le faire, je lui
réponds agacée et il en rigole.
— En tout cas, je
vais rejoindre Eben. Ne finissez pas vos crayons sur les visages hein.
— Un vilain va,
je murmure quand il est loin et Bijou étouffe un rire qui me fait sourire. Il
est toujours comme ça ?
— Tout le temps.
Il dit ce qui lui plaît et quand tu n’es pas content, il dit que tu ne sais pas
jouer.
— Les jeux
inintéressants là, qui aimerait jouer à ça ?
— Lui il aime
jouer à ça. Sinon me lancer les choses sur la tête, taper mon bras ou avant il
pinçait mon ventre même quand je n’aimais pas. Et puis la nuit c’est lui qui se
fâche quand tu ne veux rien faire après qu’il t’ait tapé toute la…
— Pardon, je dis
malgré le rire. Je ne me moque pas, je te jure, j’essaie de la convaincre bien
que je n’arrive pas à m’empêcher de rire.
— Il faut même te
moquer. Ça ne peut pas me fatiguer plus que lui ne le fait.
— What, je dis essoufflée
à cause du rire. C’est donc ça qu’on te fait et tu te tais ? Qu’est-ce qu’il n’aime pas lui ?
— Quand je mets
la beauté pour sortir, il n’aime plus jouer.
— La beauté ?
Elle pointe un rouge à
lèvres de ma trousse pour désigner ce qu’elle veut dire. Espiègle, je le sors
et lui propose de le mettre.
— Eh….Fabien n’aime
pas hein. Je veux pas qu’on se fâche alors qu’on sort.
— Et pourquoi il
n’aime pas ?
— Il a dit que ce
sont les vieilles prostituées ou les femmes qui tuent les gens dans le sommeil
qui mettent ça dans les films.
— Il connaît
quelle vieille prostituée ?
— Je sais pas.
— Hum…., je me retiens
avant de lui balancer des suggestions déplacées. Toi tu aimes ?
— Pardon sœur,
laissons comme ça. Quand Fabien est fâché, c’est sur moi que ça tombe. Il va refuser
que je prépare sa nourriture.
— Et alors ? Ça te fait des vacances.
— Des vacances
pour quoi ? elle me demande
innocemment.
Encore une fois, je
pèse bien mes mots pour ne pas me créer des problèmes.
— Ce n’est que
mon avis hein, je commence ainsi, mais s’il refuse que tu cuisines, c’est lui
que ça regarde. Tu es certes sa femme, mais il reste un adulte. S’il a faim, il
te le dira ou au pire il se trouvera à manger.
— Mais c’est lui
qui s’occupe de moi quand je suis malade, quand je veux sortir, même quand je n’ai
pas d’argent pour m’acheter des unités. C’est mon travail de lui faire
régulièrement sa pâte.
— Je comprends.
Si c’est votre accord, je ne vais pas mettre ma bouche dedans. Mon point c’était
que tu peux mettre le rouge à lèvres si tu l’aimes et lui expliquer qu’il n’y a
rien de mal dedans.
— Il va
comprendre lui là ? elle demande
en employant le même ton dubitatif que lui et me fait sourire.
— Si tu n’essaies
pas comment tu sauras ? En
plus nous serons quatre, donc on ne laissera pas se fâcher bien longtemps.
Je lui trace le
contour des lèvres au crayon marron, ajoute le rouge à lèvres rose pale au
milieu, unifie le tout et nous rejoignons les hommes après quelques gouttes de
parfum. La première chose qu’elle fait, c’est de montrer avec excitation à
Fabien le parfum que je lui ai donné mon Angel muse de Mugler que j’ai toujours
dans ma trousse au cas où j’oublie de me parfumer.
— Tu as seulement
versé la moitié de la bouteille sur toi ? L’odeur
là est forte.
— Mais elle est
bonne non ? lui dit Eben sur un ton subtilement
menaçant.
— C’est bon.
Espérons que les chanteurs aient l’argent aussi pour renverser la bouteille sur
eux sinon….
Eben prend ma main pour
ne pas parler et nous montons. Le concert a bien débuté, mais au milieu on s’ennuyait
du coup on a tenu assez pour que Bijou et Fabien en profitent. Bijou plus que Fabien.
Le dernier s’est fait renier par son frère en roupillant tranquillement dans la
salle malgré tout le bruit. Le personnage me fait tellement rire que je n’arrive
même pas à lui en vouloir. Ce n’est qu’Eben que je plains, tellement mon chéri
ne supporte pas les situations honteuses, pourtant c’est lui qui a embarqué son
frère pour le club où on se rend. On se prend un carré à quatre et sans tarder
nous les laissons pour aller danser. On est assez proches quand même pour les
avoir dans notre ligne de mire.
— Pourquoi tu
forces avec Fabien quand tu vois qu’il n’a pas l’air emballé ?
— Parce que j’étais
comme lui. J’ai connu cette phase là, certes plus jeune, mais à un moment j’étais
comme ça. Je ne connaissais pas grand-chose, mais la honte de l’admettre était
plus grande donc je jouais généralement au désintéressé. Fabien c’est le type
qui te dit qu’il n’aime pas les restos parce qu’on n’y mange pas bien jusqu’à
ce que tu l’emmènes dans un où il n’arrive même pas à finir son plat et il te sort
le rire gêné du type qu’on a démasqué.
— Je jure qu’il
aurait fait un bon comédien ton frère, je me marre encore.
— Un casse-tête
comme ça. Je veux qu’il essaie certaines choses. S’il n’est toujours pas intéressé
après, on sait au moins qu’il l’a conclu sur une expérience et non ses idées
farfelues.
— En tout cas il
ne dort pas là, je dis en regardant dans leur direction.
— Tourne bien sur
moi pour qu’il voie que les femmes sensuelles ne sont pas des criminelles
cachées.
— Lol, c’est moi
ton cobaye ?
— Tu es mon tout
O, il murmure avant de m’embrasser tendrement et câliner mes cuisses nues.
Monsieur a demandé,
Monsieur a été servi. J’ai sorti toutes les danses sensuelles le soir là. Fabien
et Bijou nous ont même rejoints pour une danse. On s’est tellement amusé et
bourré qu’à la maison, nous étions trop pétés pour baiser comme des affamés,
pourtant on s’était bien chauffé avec des promesses chaudes à l’appui hein. La
vie vraiment. Bref, on me réveille le matin quand j’ai encore le sommeil dans
les yeux et je l’entends m’annoncer en riant comme un fou que Fabien en finira
avec lui un jour.
— Imagine ça. Depuis
des années, monsieur ne voit pas l’intérêt du mariage et sa tête comme la noix
de coco sèche me demande ce matin de lui expliquer un peu comment se passe le
mariage à la mairie.