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Ecrit par Gioia

***Deborah Nicol***

Encore heureux que j’aie accepté de suivre le conseil de Nan Chantal concernant le visionnage des vidéos. Elle a recommandé que je n’en parle à personne et le fasse seule pour commencer parce qu’on ne sait jamais, il se peut que je tombe sur des éléments compromettants concernant le personnel de l’école. J’en ai vu des choses sur le personnel, mais ce qui me garde en état de choc depuis quelques minutes, c’est le groupe de trois filles et deux garçons qui faisait des va-et-vient dans la classe de Hadassah le mois dernier. Selon leur emploi du temps aujourd’hui, ils ont une heure creuse dédiée aux activités et j’ai demandé à un surveillant de me l’emmener durant cette heure. J’ai beaucoup de stock à visionner, mais à ce stade, je préfère tout voir pour m’assurer que rien ne m’échappe.  

Hadassah Muamini me rejoint dans mon bureau comme convenu à leur heure libre. Je suis habituée à parler aux enfants donc je sens facilement son stress dans la façon dont elle répond après mon introduction.

— Tu peux me dire «tu» pour aller plus vite, je m’essaie espérant que ça la mette en confiance.

— D’accord.

— Alors, j’ai rencontré ton papa hier et je voulais connaître un peu ta version. Qu’est-ce qui se passe? Quand? Raconte-moi tout.

Je me tais et j’écoute attentivement chaque mot de son récit. Elle me facilite la tâche en suivant un fil narratif incluant les dates et me donne des noms que je peux interroger si je veux des preuves. Je ne doute pas de sa parole, mais pour m’assurer de faire le maximum, j’écoute par la suite les trois personnes qu’elle m’a citées. Une parmi elles, Thema Asamoah avait même des photos des insanités écrites sur le bureau. Les dates auxquelles les photos ont été prises me confortent dans l’idée que je me suis faite après avoir vu les vidéos.

Je rejoins par la suite le directeur Douti dans son bureau et j’y reste jusqu’à ce que Siaka m’annonce leur arrivée par message. Depuis qu’elle s’est installée ici l’an dernier, Sia n’a cessé de narguer son frère avec des photos de tout ce qu’elle mangeait donc la première chose que Timo a réclamée à notre arrivée, c’était qu’elle nous fasse découvrir ses coins. Nan comme toujours est avec nous et à quatre on va se régaler. Le retour était dur. Après une heure à remplir mon corps de repas copieux, je n’avais qu’une envie, roupiller sur le transat au bord de la lagune qui était non loin du petit resto où Sia nous avait conduits. Mais une tonne de travail m’attendait, incluant l’une des raisons principales de ma venue ici. L’an dernier, après quatre ans de paperasse et dépenses qui ont failli me décourager, le CIS a enfin reconnu notre école sur le plan international. Nous avions dès la première année d’ouverture obtenue la reconnaissance du pays sans difficulté et pouvions opérer avec, mais la dernière chose que je voulais, c’était d’avoir des lycéens qui une fois à l’étranger se font dire que nos diplômes ne sont pas reconnus. Puisque l’accréditation internationale traînait, j’ai repoussé plusieurs fois l’ouverture du lycée jusqu’à l’an dernier. Maintenant, je suis prête à étendre nos horizons. Mon but c’est d’offrir si possible le monde à nos élèves. Que ça soit participer à des concours internationaux, faire des immersions scolaires à l’étranger, être éligible à des bourses d’excellence, bref, j'ai passé sept ans à étudier le parcours des écoles que j’admirais pour m’inspirer de leurs méthodes. Je suis donc là pour réaliser un petit court-métrage sur l’école qui me servira de support pour conclure les partenariats que je vise. L’idée vient de Timothy, mon conseiller attitré et vidéaste passionné depuis ses quatorze ans. Du haut de ses seize ans, il a réalisé des choses qu’il faut voir pour croire. Nous avons spécialement payé un extra pour que monsieur voyage avec son équipement à qui il tient plus qu’à sa propre vie, je ne rigole pas.

Sia nous dépose et va vaquer à ses occupations. Timo reste au rez-de-chaussée avec son drone et sa caméra pour commencer son travail.

— N’oublie pas de demander l’autorisation avant de filmer les gens, je lui rappelle.

— Toi cette enfant tu aimes le protocole, commence Nan Chantal.

— On n’a pas besoin d’autres problèmes.

— Ah quel problème? On dit qu’on va faire film, qui n’aimerait pas passer à la télé, elle répond et fait rire Timo qui lui rappelle encore une fois qu’il n’est pas un producteur de séries.

Je monte avec elle et non loin de mon bureau, on trouve l’amie d’Oyena assise au coin d’attente.

— Enfin, je vous attendais depuis bientôt deux heures, elle commence.

— Ah…, tout va bien?

— Oui. Bonjour maman Chantal.

— Bonjour ma grande. Tu viens nous saluer?

— Oui et discuter avec Deborah aussi.

— Oh je suis désolée, je suis très occupée. Tu peux voir avec le secrétariat pour un rendez-vous.

— Ça ne sera pas long s’il te plaît. Je veux juste savoir comment avance l’enquête sur le cas de ma fille Hadassah Bemba.

— Qui ça?

— Hadassah. Cheveux bouclés, couleur un peu miel. Hier mon mari Romelio Bemba t’a parlé d’elle.

— Ma fille, on est occupé comme elle t’a dit. Prends le rendez-vous au secrétariat, lui rappelle Nan.

— Oui, prends rendez-vous, sinon je vais contacter aussi ton mari dès que j’aurais du nouveau, je réitère.

— OK, donc il n’y a toujours pas rien de nouveau?

— Bonne journée, je dis pour clore et suis Nan qui était déjà au bureau. She was pushy eh? (Elle était insistante, n’est-ce pas?)

— C’est comme ça avec certains. Dès qu’ils te connaissent un peu, ils ne veulent plus suivre le protocole comme les autres, répond Nan.

Nous ne sortirons du bureau qu’à la tombée de la nuit, c’est-à-dire 19 h. Il n’y avait presque plus personne et on y serait même resté si Timo n’était pas monté nous dire que Sia a appelé pour savoir quand on rentre. Nan passe le coup de fil nécessaire une fois que nous sommes à la maison et me confirme qu’Ortencia passera demain avant 9 h. Bien que je me sois programmée un réveil pour être à l’heure, je me réveille en sursaut, vois mon téléphone qui affiche 9 h 48 ainsi qu’un message de Sia.

—Hi Mummy. Si tu te réveilles avant dix heures, je te conseille fortement de te rendormir parce que tu n’as même pas entendu le réveil ni le bruit que j’ai fait en entrant dans ta chambre. C’est moi qui l’ai désactivé pour te permettre de dormir assez. C’est le moment de suivre tes nombreux conseils que tu aimes me donner concernant les 8 h de sommeil nécessaire pour être en parfaite santé. Et oui, ça vaut pour toi aussi. J’ai embarqué Tim avec moi donc tu n’as plus aucune excuse pour te lever aux aurores. Je serais pratiquement en réunion toute la matinée avec ma team éditoriale donc écris plutôt à Tim si tu as besoin qu’on te conduise à l’école s’il te plaît, xxx.

La sérénité ou l’espace doit y être pour quelque chose, mais je dors comme un loir depuis qu’on est là. Après m’être brossé les dents et nettoyé le visage, je sors en vitesse de la chambre, espérant qu’Ortencia soit encore présente. Je les trouve sans difficulté au salon, mais le ton de leur discussion m’indique qu’il ne faut pas les déranger maintenant. Je me rends donc en cuisine pour me préparer rapidement un plateau. Trois toasts recouverts de confiture, du thé au lait et un mix de quelques fruits puis je sors par une porte de la cuisine et m’installe sur la petite terrasse sur laquelle s’ouvre le salon. J’ai même mon Surface Pro 8 pour travailler, mais elles parlent fort et mon nom est revenu quelques fois donc je suis facilement distraite.

— Je ne te comprends pas hein madame. On t’appelle pour t’informer que ta fille est sur une vidéo où on la voit entrer dans une classe avec d’autres élèves et rire avec les autres quand ils sortent. C’est dans cette même classe qu’on a écrit plusieurs fois des insultes sur le banc d’une fille et l’heure à laquelle elle sort nous fait penser que Poppy sait quelque chose. En quoi Deborah ou ses enfants sont reliés à ça pour que tu m’accuses de faire du favoritisme Ortencia?

— Tu penses que c’est facile d’éduquer un enfant de nos jours? Tu ne sais même pas ce que je vis dans mon mariage. Tu vois ta petite-fille sur une vidéo, tu ne fais rien pour la protéger. Tu m’appelles pour me narguer, mais si c’était Siaka, tu aurais déchiré tous tes vêtements s’il le fallait pour la couvrir. Pourtant c’est moi ton enfant. C’est moi que tu as mis au monde et pas Deborah.

— Donc c’est même un crime de te prévenir hein? Tu as raison, j’aurais dû laisser Deborah gérer la chose comme elle prévoit le faire pour les autres.

— Mais qu’elle gère non! Tu crois que je la crains? Je l’attends, nous sommes dans mon pays ici. Elle repartira en marchant sur les mains si elle ose toucher à mon enfant.

— Hein…donc tu es forte comme ça, mais ta fille va écrire les injures sur le banc des gens?

— Et alors? Ton passé est propre peut-être? Dois-je te rappeler que tu avais la trentaine révolue quand toi et moi insultions à longueur de journée Deborah? La Deborah chez qui tu n’as même pas honte de manger et dormir. Au moins, moi je peux marcher la tête haute.

— Je n’ai jamais refusé l’hypocrisie que tu déposes sur ma tête ma fille, lui dit Nan Chantal. On a bien insulté Deborah ensemble. Je la trouvais énervante avec ses questions sur l’Afrique et le fait qu’elle essayait de nous copier. Je ne refuse rien, donc tu me reproches quoi? Le fait d’avoir reconnu mes torts?

— Arrête moi ton hypocrisie! Tu as reconnu tes torts après avoir appris que ton fils avait laissé une assurance-vie. Elle finit de tuer ton fils et ton mari pour empocher l’argent, mais tu refuses d’ouvrir les yeux! Tu refuses parce que tu n’as jamais entendu autant de chiffres ta vie. Tu crois que vos vies seront en paix? Le fantôme de mon père ne vous laissera pas en paix!

— Donc si je comprends bien, c’est toujours l’assurance-vie qui comprime ton cœur ma fille? Depuis dix ans, tu ne digères pas? Tu continues avec tes idées d’anciens films nigérians qu’on a tué ton père et frère? C’est elle qui a tamponné la voiture que conduisait ton frère? C’est elle qui a demandé à la dame qui conduisait de se tromper de voie? C’est elle qui a dit à ton père de partir avec ton frère le matin là au lieu de prendre les transports en commun? Ou tu pensais être éligible à recevoir une partie des 608469 £ parce que tu étais la sœur de Siaka? Il faut m’aider un peu à comprendre pardon.

— Qu’est-ce que j’en ai à foutre de son argent? J’ai une dignité moi et mon mari est riche. Je suis allée dans des pays que jamais son pied ne foulera. C’est ton manque de dignité qui me sidère, parce que tu n’étais pas comme ça. Tu étais mon modèle maman. Même Siaka et Oyena n’entendaient pas nos histoires. Qu’est-ce qui t’arrive?  

— Je suis redescendue sur terre Ortencia. Cette terre où on souffre seuls là, cette terre où l’origine des gens importe peu devant la douleur, les questions qu’on trouve débiles n’existent plus, cette terre où le chagrin peut tuer, c’est sur cette terre que je suis redescendue. Ce n’est pas toi qui as plié bagage le troisième mois suivant le décès de ton père prétextant que tu ne voulais pas rester dans un pays qui allait te déprimer? Tu m’as entendu te reprocher de m’avoir laissée seule en Angleterre?

— Tu étais seule? Oyena était là non.

— Tu n’as même pas honte. Oyena qui avait quel âge? Oyena qui venait aussi de perdre frère comme père. Tu nous as laissées seules et je ne t’ai pas fait chanter comme tu le fais là, par respect pour ta douleur. Je suis restée seule. La vie a continué après qu’on ait enseveli ton père et frère. Oyena a repris l’école en dépit de son chagrin. Les quatre murs de la maison à Birmingham étaient mes seuls compagnons durant la journée. Après avoir frôlé la folie et séché mes réserves de larmes, j’ai atteint le stade de négligence. Brosser les dents, me laver, ce n’était même plus mon problème. C’est la fille dont toi et moi riions qui m’a un jour croisé je ne sais même plus où. Elle a eu compassion de ma douleur bien qu’on ne se parlait plus avant le décès de ton frère. Le soir même, elle m’a emmené les enfants. Sans la présence de ces enfants là Siaka et Timo, on t’aurait appelé pour que tu viennes m’emmener à zébévi (hôpital psychiatrique au Togo). Donc hein, rappelle-moi mon passé autant que tu veux. Tu peux même tourner le film avec et faire visionner à la terre entière. Je n’ai pas honte d’assumer mes mauvais côtés. Ton père et ton frère nous ont anéantis en nous abandonnant ainsi, mais s’il y a bien une chose qu’ils m’ont laissée c’est une fille dont je suis très fière et des petits enfants que je vais déranger jusqu’à ma mort. Si tout ça te fait conclure que je t’ai rejeté, tu veux que je fasse comment? De te mettre sur mon vieux dos pour que tu te sentes aimée?

— Ça vous regarde. Si elle n’a pas de dignité et fait ami ami avec toi après la façon dont tu la traitais, en quoi c’est mon problème? Qu’elle tienne simplement sa bouche hors de mes histoires. J’ai inscrit ma fille dans son école par honneur pour mon frère et certainement pas elle.

— Awooo, donc c’est même de moi que tu es jalouse?

— Pfff, qu’est-ce que tu as? Ce qu’on te reproche c’est d’agir comme si tu n’avais que Sia et Timo comme petits enfants pourtant je t’ai donné deux filles, Poppy et Holly. Elles n’ont pas le droit de te voir? Sept ans sans mettre pied dans ton pays, tu trouves ça normal?

— Est-ce que tu m’as acheté le billet et j’ai refusé?

— L’argent, l’argent, c’est tout ce qui te conduit.

— C’est ça qui fait tourner le monde ma grande. Tu veux qu’on vienne te voir. Tu sais que je ne travaille pas. Je prends l’avion avec mes dents?

— Ta fierté ne pouvait pas te prendre le billet dans l’assurance-vie? Ou elle sait seulement construire les gros bâtiments avec au nom de l’école?

— Non non. Elle a su économiser et investir tout en continuant à travailler comme professeur de primaire jusqu’à atteindre son niveau actuel. Elle a su aussi encourager ta sœur et l’a soutenu financièrement au mieux de sa capacité afin que cette dernière finisse ses études de médecine. Tu sais la sœur là pour laquelle tu m’appelles seulement quand il faut se plaindre.

— Ah, parce qu’on t’appelle pour te prévenir que ta fille salit notre nom dans la ville avec son comportement d’Ampo (salope) et ça te fait mal?

— Non, est-ce que j’ai refusé? Tout comme tu restes ma fille en dépit de ton caractère, elle l’est malgré son côté Ampo qui ne l’a pas empêchée de finir chirurgienne.

— Chirurgienne c’est une excuse pour ne pas respecter son corps et que mon mari se plaigne qu’on parle mal de nous?

— Je dis que je n’ai pas refusé oh. Dieu fera, elle va laisser Ampo un jour comme j’ai abandonné une bonne partie de mes défauts. Revenons au parcours de ma Deborah. En dix ans, elle a encadré ses enfants tout en courant ici et là pour faire des petites formations la préparant à diriger son école. Tu vois le niveau des enfants. Siaka que tu as découragé quand elle t’a approché pour avoir des conseils là…

— J’ai découragé quoi sur elle? Lui dire que c’est débile de rayer l’université de sa carte parce qu’on veut ouvrir un magazine quand personne ne lit à l’heure des réseaux sociaux? C’est ça le découragement? Vous n’aimez pas la vérité.

— En tout cas, les gens achètent tellement qu’elle a agrandi son équipe. Tu as même vu son studio? 19 ans seulement hein.

— C’est facile de faire les choses à 19 ans quand on est assis sur l’argent de papa et on vend une réussite facile aux jeunes en interviewant des gens qui mentent sur la provenance de leurs fortunes.

— Tout comme ton mari ment sur la sienne, n’est-ce pas?

— C’est comment? Tu m’as fait venir ici pour m’insulter? elle s’énerve d’un coup.

— L’insulte se trouve où dans ça? Comme tu as sous-entendu que les gens là mentaient et tu n’es pas la femme de n’importe qui, je croyais que tu avais des secrets à nous partager quoi.

— Bref, ta fierté n’avait pas quelque chose à me dire? Il y en a qui ont à faire.

Je choisis ce moment pour les rejoindre au salon. Nan Chantal nous laisse seules. Ortencia comme d’hab est désagréable. À la base, je comptais régler l’histoire de sa fille avec elle, mais leur échange a ravivé des souvenirs et m’a rappelé le pourquoi j’avais coupé les ponts avec eux pendant trois ans. C’est réellement le décès de Siaka et Papi Timothy qui m’ont rapproché de Nan Chantal. J’admets que sans elle je n’en serais pas ici aujourd’hui. Elle a été d’un soutien inestimable avec les enfants, m’aidant à m’impliquer dans mes différents projets sans m’inquiéter pour eux. J’ai appris à l’apprécier graduellement, mais Ortencia reste la pire des Nicol.

— Tu pourras visionner la vidéo au temps voulu si tu ne me crois pas, je dis pour abréger ses nombreuses plaintes.

— Tu ne pouvais pas l’apporter ici? C’était quoi le but de cette rencontre alors? Me dire que tu détiens une preuve sur mon enfant pour me narguer? Tu veux quoi? De l’argent?

— Je te conseille de le garder pour le futur de tes enfants, bonne journée, je lui dis et la laisse.

Le retour en arrière que leur conversation m’a fait faire me réconforte dans l’idée que je m’en suis sortie. Envers et contre tout, j’ai tenu bon et mes enfants sont épanouis.

Je m’apprête pour me rendre à l’unique supermarché que je connais bien à Lomé. J’explique à la servante d’Oyena que je vais cuisiner ce soir et de nulle part, je sens qu’on a ôté ma pince à cheveux.

— Les cheveux sont longs, mais toujours attachés, pourtant tu n’as que 39 ans, me reproche Nan qui tient la pince. C’est à mes 70 ans quand tu n’en auras presque plus que tu vas te mettre à les lâcher?

— Nan il fait chaud.

— J’ai été dehors aujourd’hui, le vent s’est déjà levé. Va et ne commence pas avec l’anglais dès qu’un homme t’aborde, elle ajoute quand je m’éloigne.

Elle a souvent des suggestions gênantes que je ne comprends pas. À 39 ans, qu’est-ce que je vais faire avec la majorité des hommes qui m’abordent? Ils sont généralement jeunes ou oublient qu’ils portent des alliances bien visibles. Dans les deux cas, je ne suis pas intéressée.

Pour changer, l’homme qui m’aborde au supermarché ne porte pas d’alliance. C’est le père de Hadassah qui a ramassé la bouteille de vinaigrette qui m’avait glissé des mains.

— Je ne pensais pas vous trouver ici Mme Nicol, il dit en me remettant la bouteille.

— Moi non plus, Lio, c’est le prénom?

— Il y a un Rome avant, il dit avec un sourire.

— Mes excuses, je suis mauvaise avec les noms. Vous pouvez m’appeler Debby et me tutoyer.

— OK, il répond légèrement surpris. Je ne suis pas habituée au vouvoiement du coup, je n’en vois pas l’intérêt.

— Je travaille toujours sur l’affaire de Hadassah, je n’ai pas oublié.

— Je ne pensais rien de tel, tu peux te détendre, je ne vais pas te demander des comptes en public. Alors tu arrives à faire les courses seule bien que tu sois dans un pays étranger? Tu es courageuse.

— Qui a dit que ce pays m’était étranger? je demande amusée tout en poussant mon cadi.

Il me suit avec son panier en main et prends des produits sur l’étagère en haut de la mienne. Son parfum est léger, mais particulier et agréable.

— My bad, je me suis fié à ton accent et aux dires de ma fille.

— Ah bon, je suis curieuse de savoir ce que racontent les élèves sur moi.

— Malheureusement c’est un secret familial.

— Ça compte si je dis que l’école c’est une continuité de la famille?

— Bien essayé, mais non, il rigole et s’excuse pour prendre à nouveau un autre truc sur une étagère plus haut.

Cette fois, il est plus proche donc j’arrive à mieux sentir son parfum que j’allais déceler quand j’entends une voix féminine l’interpeller. Elle appartient à une dame non loin de nous qui a l’air mécontente.

— Bonsoir mon fils. Ça fait longtemps.

— Bonsoir, il répond sur un ton glacial totalement opposé au jovial sur lequel on se parlait. On y va Debby?

La dame s’empresse de tenir le poignet de Romelio et lui aussi se dépêche de le lui retirer avec une violence qui lui fait perdre équilibre. Heureusement, il l’a retenu avant qu’elle ne se ramasse à terre.

— Héééé, tu as voulu me pousser Romelio? elle s’indigne. C’est arrivé au niveau où tu veux me frapper? Moi la mère de ta femme? Seigneur regarde ce dans quoi tu me laisses, elle se lamente aux bords des larmes.

Je me sens simplement tirée par Romelio qui me traîne jusqu’à la caisse sans écouter mes remarques. Il vide complètement mon charriot sans m’interroger, règle nos factures et me traîne encore une fois dehors. Ce n’est qu’une fois dehors qu’il lâche ma main et s’excuse sur un ton acerbe.

— Tu devrais suivre une thérapie pour apprendre à gérer ta colère, c’est la seconde fois que j’assiste à une scène où tu es exécrable.

— Tu devrais peut-être garder tes conseils pour toi, il me répond sur le même ton acerbe et se dirige vers sa voiture. Cet homme est insupportable, mais il me faudra le revoir dans trois jours, lorsque je vais commencer à rencontrer les parents des cinq coupables à qui je vais adresser des convocations dès que je me rendrai à l’école.

***Eben Ezer Tountian***

Je viens de mettre maman dans un bus en direction de Vogan avec la promesse qu’on se reverra dès que la date de la dot sera fixée. C’est en sifflotant que je retourne chez moi. Il s’est passé tant de choses dans ma vie dernièrement qu’on ne croirait pas qu’il s’est écoulé moins d’un mois. J’ai rencontré trois fois le père d’Océane qui m’a un peu remonté les bretelles pour ma disparition, mais ce n’était rien de méchant. À la quatrième rencontre, j’ai demandé à maman de venir pour qu’on fasse des présentations officielles. Nous en avons profité pour retirer la liste de dot et fait tous les achats en moins d’une semaine. Il faut dire que je suis prêt depuis un moment et ma mère l’était avant moi. C’est elle qui m’a mis le feu pour qu’on commence les emplettes dès qu’on a eu la liste. Les effets sont sous la supervision de Fabien parce qu’Océane a pris d’assaut ma maison depuis qu’on a rencontré son père. J’ai un petit frigo dans notre chambre désormais, chose à laquelle je n’aurais jamais pensé, mais c’est vraiment agréable. Elle a meublé la chambre des enfants avec ses affaires, remplacé la télé du bas par la sienne pour qu’on mette celle du salon dans notre chambre à coucher. En réalité, il ne reste plus qu’à acheter un berceau pour le bébé, parce qu’elle a même écrit leurs prénoms de façon artistique sur des papiers qu’elle a fait encadrer. En tout cas, elle m’a surpris avec et je n’en reviens toujours pas, tout comme je n’en reviens pas qu’elle avait acheté depuis ses 25 ans, des vêtements et peluches pour enfant.

— Tu ignores que le royaume des cieux appartient aux violents? c’est ce qu’elle m’avait répondu tandis que je l’observais comme si elle venait de Mars et elle m’a fait bien rire.

— Tu appliques toujours tes versets de façon bizarre toi. Depuis quand le royaume des cieux c’est de faire un enfant?

— C’est mon royaume des cieux moi. J’en ai toujours rêvé de cette petite famille heureuse et soudée, elle m’a dit tout en humant la couverture d’emmaillotage blanche aux motifs étoilés gris.

Depuis ce jour on s’active régulièrement pour le concevoir notre bébé. J’aurais même pu la doter le lendemain, mais les choix d’alliance de ma chérie sont tous dans les millions. J’avoue qu’avant de la rencontrer, je ne m’attendais pas à claquer autant dans un bijou. Je comptais offrir quelque chose de propre à ma femme, mais je n’y connaissais pas grand-chose, soyons honnêtes. Elle ne s’est pas contentée de m’envoyer des photos pour que je choisisse. Non, elle m’a fait un PowerPoint de chaque coupe, choix de pierre, carat, clarté, le prix auquel je devrais m’attendre, et quand déceler si on essaie de m’arnaquer. On a même eu une discussion générale sur les bijoux et j’ai découvert par elle qu’on m’avait bien arnaqué quand je croyais acheter de la qualité à Porto. Parce qu’elle accorde une importance particulière à ses bijoux et s’implique sans relâche pour transformer notre maison en un lieu agréable pour nous deux, je prends mon temps pour lui offrir ce qui réjouira son cœur de rêveuse. En attendant qu’on arrive à ce jour, nous avons besoin d’un petit break. Niquer tous les jours, c’est jouissif, mais il y a autre chose à faire en couple, notamment aller danser. Le break ferait du bien à un autre aussi qui m’ouvre le portail dans une tenue que maman lui avait bien dit de jeter parce qu’elle tombe en lambeaux. Fabien hein, Dieu me préserve d’un enfant aussi têtu.

— Monsieur, tu es dans quel mouvement ce soir?

— Tu racontes encore quoi?

— Tu n’as pas entendu que c’est la semaine de la St Valentin toi? Ta femme fête comment?

— Pardon, je n’ai…

— Si c’est pour me parler de travail, il faut ravaler tes mots. Le sujet c’est la fête des amoureux, ou tu n’aimes pas ta femme?

— C’est comment? On t’a envoyé contre moi aujourd’hui? il me demande tout en me dépassant, muni bien sûr de ses outils de travail.

— On m’a bien payé même pour défoncer ta dure tête. Maman ne t’a pas dit de transformer ton vieux T-shirt tacheté de peinture et déchiré là en serpillère?

— Vous me gênez. Un habit qui ne vous a rien dit, mais vous refusez de le laisser.

— Retournons tranquillement sur l’autre sujet. La dernière fois tu me parlais des nouvelles chaussures que Bijou a achetées non? Tu ne veux pas la voir dedans? Donne-lui une raison de les porter.

— Je la vois dedans pour que ça me donne quoi? Ce sont mes pieds?

— Fabien, ne me fais pas bavarder. Tu as…jusqu’à 20 h pour être le frère propre que je connais. On va à un concert.

— Pourquoi tu ne sais pas faire tes activités là seul? il rouspète comme si on vient de lui donner un gros travail et je souris satisfait de moi.

— Parce que je ne suis pas né seul.

— Pfff. Je vais faire quoi à un concert? Je n’écoute même pas la musique. En plus ça m’étonnerait que Bijou connaisse un artiste.

— Dis que toi tu ne connais pas d’artistes, tu penses que ton cas est une généralité?

— Mais demande-lui et on verra. Si elle te donne le nom d’un artiste actuel, j’irai au concert sans broncher, il me défie avec un sourire goguenard.

La concernée arrive après qu’on ait hélé son nom. J’essaie de me mettre dans une position où je pourrais lui mimer des noms, mais mon frère se place devant moi. On fait sensiblement la même taille du coup je n’ai plus d’options.

— Tu m’as appelé? Bijou nous ramène au sujet du jour.

— Donne-moi le nom d’un artiste.

— Hein?

— Tu vois? il réplique avec un rire narquois.

— Dégage. Est-ce qu’elle a fini? Tu ne sais même pas bien demander.

— Tu veux faire quoi avec le nom de l’artiste? nous questionne une Bijou confuse.

— On dit de donner, tu demandes aux gens ce qu’ils vont faire avec. Dis simplement que tu ne connais pas.

— Ah…c’est la guerre?

— Oho, je dis appuyant Bijou. Fabien ne sait même pas se moquer des gens. On fait la chose doucement, lui rit sans égard.

— Kassav, c’est bon? répond une Bijou exaspérée et c’est à mon tour de rire devant la face déconfite de Fabien.

— Ça ne compte pas, il commence le forcing. Il est mort.

— C’est ta tête qui ne compte pas et je te ferais savoir que Jacob Desvarieux est différent du groupe Kassav.

— Tu savais ça toi? il nargue à nouveau Bijou.

— C’est pas eux qui ont chanté frissons avec la femme là Jocelyn?

On s’écrie tous les deux, surpris qu’elle connaisse ça et elle nous regarde comme si nous étions des bêtes de foire.

— Qui t’a appris ça? continue Fabien.

— Tu m’as même appelé pour quoi? elle lui demande ennuyée.

— Rien, on voulait vérifier quelque chose, je lui réponds main sur la bouche de Fabien pour qu’il ne gâte pas l’affaire.

— Tiaaa tu as entendu ça? La femme est un mystère Eben, il faut la craindre.

— Tu es con, je dis amusé. Même si elle ne sort que rarement ici, ça ne veut pas dire qu’elle n’a rien connu avant toi.

— Tu connais bien la vie qu’elle a eue avant d’atterrir chez nous. Ça l’a beaucoup affecté, il dit sur un ton plus sérieux.

— C’est vrai, je dis sur un ton sombre me rappelant effectivement de ce dont on ne parle jamais. C’est une sorte d’accord tacite entre nous. Il sait qu’au besoin, il peut toujours se confier à moi.

— Le concert là finit vite hein? Je ne me lève pas après 5 h du matin.

— Mais oui, je dis avec un sourire rassurant sachant pourtant que mon pied ne rentrera pas dans cette maison avant 3 h du matin.

***Océane Ajavon***

Ai-je déjà dit que ma chambre favorite dans cette maison c’est celle des enfants? J’y passe tout mon temps depuis qu’on l’a emménagé. Dans les faits, je l’ai emménagé aidée de Fabien et mon ancien gardien que j’ai réquisitionné pour nous assister à remonter les meubles. Eolia et Opale nos filles dormiront ici. Il nous faudra trouver une solution pour Ezer notre garçon le temps qu’il arrive parce qu’on n’a que cinq pièces à l’étage dont deux chambres. On peut me dire que je suis folle, ça ne me gêne pas. Je ne sais pas vivre à 60 h à l’heure. Mes parents aussi connaissent déjà les noms de leurs petits-enfants, pourtant je ne suis même pas enceinte. Maman qui me prend vraiment pour la plus égoïste au monde s’est assurée de me rappeler que le prénom ne se choisit pas seule. Genre, j’allais choisir les prénoms sans inclure le père quoi. Quand ton passé te colle à la peau, la vie devient dure. Bref, c’est le papa qui a choisi Ezer. La suite de son prénom que personne ne se gêne d’utiliser bien qu’il aime l’explication qu’il m’a révélée. Eolia nous l’avons choisi ensemble et Opale c’est pour moi. On ne va pas m’écarter la chatte trois fois pour que personne ne prenne mon initiale.

Pour aujourd’hui, on a donné un break à ma chatte. On sort faire les fous, tout ce que j’aime. Il m’appelle depuis le couloir, je lui réponds de ne pas entrer dans la chambre.

— J’ai pas fini de me préparer, je lui explique.

— Qu’est-ce que je vais voir de nouveau O, il rigole.

— Je m’en fous Eben, tu n’entres pas sinon je te fais la misère, je dis tout en me dépêchant de cacher ma tenue dans l’armoire. On ne sait jamais avec lui.

— Fais sortir ta tête alors, j’ai besoin de te dire un truc à l’oreille.

Comme une idiote, je fais aussi sortir ma tête. Il me chuchote effectivement un truc qui me fait rire puis en profite pour m’attraper le visage et ruiner mon gloss avec un baiser langoureux. C’est son métier favori et ça nous a souvent mis en retard depuis qu’on essaie activement de faire venir Eolia. Je retouche mon makeup et descends munie de ma trousse pour voir ce que fait Bijou dont j’apprends beaucoup depuis ma réconciliation avec Eben. Il faut être honnête, je ne suis pas une maîtresse de maison hors pair. Je sais cuisiner, mais faire les courses, ce n’est pas mon truc. Avec une foule d’employés disponibles et vivant seule, je n’ai jamais cherché à savoir où acheter du poisson frais en grande quantité, chez qui trouver les meilleures crevettes à un prix abordable, ainsi de suite. Maintenant qu’on sera deux, ce sont des choses que j’essaie d’apprendre en suivant et questionnant de temps en temps Bijou qui ne me juge pas. Du moins si elle le fait, elle le cache si bien que je ne m’en rends pas compte. Encore heureux que ça soit avec elle et Fabien qu’on sort ce soir. N’importe qui aurait fait l’affaire tant que ce n’est pas X. Mr Tountian a décidé de ne pas nous afficher pour le moment à son amie. De temps en temps, il râle bien sûr qu’on aime trop se prendre la tête nous les femmes et nous l’entraînons dans nos choses. L’important c’est qu’elle ne soit pas dans les parages pour nuire à mon amusement.

Bijou jette les ordures à mon arrivée et le regard étonné qu’elle coule sur mes cuisses m’amuse. J’ai sorti la minijupe qui tue et en haut je reste sage avec une veste blanche.

— Tu n’es pas prête? Il va bientôt sonner 19 h hein.

— Prête pour faire quoi?

— Euh…on ne t’a pas informé qu’on sortait?

— Le truc de chant là? Fabien ne faisait pas une blague?

— Mais non, je dis amusée. Qu’est-ce que tu comptes mettre?

— Vous allez-y sœur. Les choses où on chante et danse là je n’y suis jamais allée.

— Beh tu n’as pas envie de voir justement à quoi ça ressemble? Tu penses toutes tes journées dans les mêmes endroits. Ça fait du bien de changer d’air.

— L’air qui circule sur la grande cour ici c’est pas le même air qui est ailleurs? elle me demande et me fait rigoler.

— Tes yeux verront autre chose, c’est déjà ça et ça fait du bien. Allez, j’insiste à nouveau, mais elle secoue farouchement la tête.

— Je vais faire quoi là-bas sœur? Je veux pas qu’on me voie, c’est mieux que je reste à la maison, elle me dit sur un ton apeuré qui me prend par surprise.

— Je comprends si tu n’as vraiment pas envie d’aller, on ne va pas te forcer. Mais si c’est par crainte, tu ne seras pas seule tu sais. On sera quatre. Même si on te voit, ça sera à nos côtés, j’essaie de le rassurer sans trop comprendre de quoi je la rassure.

Elle reste hésitante, mais je vois sa poitrine qui se soulève moins rapidement, signe qu’elle s’était crispée à un moment, mais se détend enfin. Bizarre.

— Alors? Tu en penses quoi? je la relance sur un ton plus léger.

— OK, je vais venir, mais je sais pas quoi porter, comme j’ai jamais été à un concert.

— Choisis ce dans quoi tu es le plus à l’aise…enfin je veux dire ce dans quoi tu serais à l’aise à sortir, je me corrige pour qu’elle ne revienne pas avec un pagne attaché au cou. Pesrso, c’est mon ultra confortable comme ça. Elle opte pour une robe longue léopard aux fines bretelles.

— Je suis trop jalouse hein, regarde comment tu élèves le niveau de la robe, je la complimente après qu’elle l’ait porté.

— J’élève ça comment?

— Tu la rends dix fois plus belle.

— Oh, elle se marre, c’est vrai ça?

— Non, mais fais un tour sur toi. Tu t’es regardée un peu? Tu as le corps qui sublime presque toutes les tenues. Tu ne pouvais pas me donner un peu de fesses au lieu de perdre ça dans le régime? Je l’embête et elle rigole à nouveau.

— Tu vas faire quoi avec sœur? Toi tu es comme les filles qui font les émissions à la télé.

— Ah c’est la vie ma chère. On veut toujours ajouter ou enlever un petit quelque chose pourtant on est bien comme on est. Assieds-toi, je t’arrange un peu le visage et on sera prêtes.

— Arranger comment?

— Juste uniformiser les sourcils? Un peu de mascara?

— Est-ce qu’elle connaît même les choses là? nous demande Fabien qui sort de leur chambre salon.

Sa grosse tête sait bien s’arranger quand même.

— Elle va connaître aujourd’hui, je dis et commence mon travail.

— Hum, tu es sûr qu’elle ne va pas finir par effrayer les gens au concert avec ce que tu fais là?

— Tant que tu n’effraies pas les gens toi, je ne vois pas en quoi une belle femme peut le faire, je lui réponds agacée et il en rigole.

— En tout cas, je vais rejoindre Eben. Ne finissez pas vos crayons sur les visages hein.

— Un vilain va, je murmure quand il est loin et Bijou étouffe un rire qui me fait sourire. Il est toujours comme ça?

— Tout le temps. Il dit ce qui lui plaît et quand tu n’es pas content, il dit que tu ne sais pas jouer.

— Les jeux inintéressants là, qui aimerait jouer à ça?

— Lui il aime jouer à ça. Sinon me lancer les choses sur la tête, taper mon bras ou avant il pinçait mon ventre même quand je n’aimais pas. Et puis la nuit c’est lui qui se fâche quand tu ne veux rien faire après qu’il t’ait tapé toute la…

— Pardon, je dis malgré le rire. Je ne me moque pas, je te jure, j’essaie de la convaincre bien que je n’arrive pas à m’empêcher de rire.

— Il faut même te moquer. Ça ne peut pas me fatiguer plus que lui ne le fait.

— What, je dis essoufflée à cause du rire. C’est donc ça qu’on te fait et tu te tais? Qu’est-ce qu’il n’aime pas lui?

— Quand je mets la beauté pour sortir, il n’aime plus jouer.

— La beauté?

Elle pointe un rouge à lèvres de ma trousse pour désigner ce qu’elle veut dire. Espiègle, je le sors et lui propose de le mettre.

— Eh….Fabien n’aime pas hein. Je veux pas qu’on se fâche alors qu’on sort.

— Et pourquoi il n’aime pas?

— Il a dit que ce sont les vieilles prostituées ou les femmes qui tuent les gens dans le sommeil qui mettent ça dans les films.

— Il connaît quelle vieille prostituée?

— Je sais pas.

— Hum…., je me retiens avant de lui balancer des suggestions déplacées. Toi tu aimes?

— Pardon sœur, laissons comme ça. Quand Fabien est fâché, c’est sur moi que ça tombe. Il va refuser que je prépare sa nourriture.

— Et alors? Ça te fait des vacances.

— Des vacances pour quoi? elle me demande innocemment.

Encore une fois, je pèse bien mes mots pour ne pas me créer des problèmes.

— Ce n’est que mon avis hein, je commence ainsi, mais s’il refuse que tu cuisines, c’est lui que ça regarde. Tu es certes sa femme, mais il reste un adulte. S’il a faim, il te le dira ou au pire il se trouvera à manger.

— Mais c’est lui qui s’occupe de moi quand je suis malade, quand je veux sortir, même quand je n’ai pas d’argent pour m’acheter des unités. C’est mon travail de lui faire régulièrement sa pâte.

— Je comprends. Si c’est votre accord, je ne vais pas mettre ma bouche dedans. Mon point c’était que tu peux mettre le rouge à lèvres si tu l’aimes et lui expliquer qu’il n’y a rien de mal dedans.

— Il va comprendre lui là? elle demande en employant le même ton dubitatif que lui et me fait sourire.

— Si tu n’essaies pas comment tu sauras? En plus nous serons quatre, donc on ne laissera pas se fâcher bien longtemps.

Je lui trace le contour des lèvres au crayon marron, ajoute le rouge à lèvres rose pale au milieu, unifie le tout et nous rejoignons les hommes après quelques gouttes de parfum. La première chose qu’elle fait, c’est de montrer avec excitation à Fabien le parfum que je lui ai donné mon Angel muse de Mugler que j’ai toujours dans ma trousse au cas où j’oublie de me parfumer.

— Tu as seulement versé la moitié de la bouteille sur toi? L’odeur là est forte.

— Mais elle est bonne non? lui dit Eben sur un ton subtilement menaçant.

— C’est bon. Espérons que les chanteurs aient l’argent aussi pour renverser la bouteille sur eux sinon….

Eben prend ma main pour ne pas parler et nous montons. Le concert a bien débuté, mais au milieu on s’ennuyait du coup on a tenu assez pour que Bijou et Fabien en profitent. Bijou plus que Fabien. Le dernier s’est fait renier par son frère en roupillant tranquillement dans la salle malgré tout le bruit. Le personnage me fait tellement rire que je n’arrive même pas à lui en vouloir. Ce n’est qu’Eben que je plains, tellement mon chéri ne supporte pas les situations honteuses, pourtant c’est lui qui a embarqué son frère pour le club où on se rend. On se prend un carré à quatre et sans tarder nous les laissons pour aller danser. On est assez proches quand même pour les avoir dans notre ligne de mire.

— Pourquoi tu forces avec Fabien quand tu vois qu’il n’a pas l’air emballé?

— Parce que j’étais comme lui. J’ai connu cette phase là, certes plus jeune, mais à un moment j’étais comme ça. Je ne connaissais pas grand-chose, mais la honte de l’admettre était plus grande donc je jouais généralement au désintéressé. Fabien c’est le type qui te dit qu’il n’aime pas les restos parce qu’on n’y mange pas bien jusqu’à ce que tu l’emmènes dans un où il n’arrive même pas à finir son plat et il te sort le rire gêné du type qu’on a démasqué.

— Je jure qu’il aurait fait un bon comédien ton frère, je me marre encore.

— Un casse-tête comme ça. Je veux qu’il essaie certaines choses. S’il n’est toujours pas intéressé après, on sait au moins qu’il l’a conclu sur une expérience et non ses idées farfelues.

— En tout cas il ne dort pas là, je dis en regardant dans leur direction.

— Tourne bien sur moi pour qu’il voie que les femmes sensuelles ne sont pas des criminelles cachées.

— Lol, c’est moi ton cobaye?

— Tu es mon tout O, il murmure avant de m’embrasser tendrement et câliner mes cuisses nues.

Monsieur a demandé, Monsieur a été servi. J’ai sorti toutes les danses sensuelles le soir là. Fabien et Bijou nous ont même rejoints pour une danse. On s’est tellement amusé et bourré qu’à la maison, nous étions trop pétés pour baiser comme des affamés, pourtant on s’était bien chauffé avec des promesses chaudes à l’appui hein. La vie vraiment. Bref, on me réveille le matin quand j’ai encore le sommeil dans les yeux et je l’entends m’annoncer en riant comme un fou que Fabien en finira avec lui un jour.

— Imagine ça. Depuis des années, monsieur ne voit pas l’intérêt du mariage et sa tête comme la noix de coco sèche me demande ce matin de lui expliquer un peu comment se passe le mariage à la mairie. 

D’amour, D’amitié