
149: Mommies
Ecrit par Gioia
***Bruce Attipoe***
Je n’étais pas
emballée par cette histoire de baby shower au départ, mais j’avoue que le
résultat en valait la peine. Heureusement que j’ai embarqué Tessa dans
l’organisation, c’est elle qui a proposé la majorité des jeux qui ont animé la
journée. Sans eux, on se serait probablement fait chier, mais là notre reine
mère n’est que sourires. Elle est confortablement installée sur son sofa et s’attaque
aux cadeaux qu’on a reçus. J’en profite pour aller chercher un autre cupcake,
même si j’en ai déjà mangé sept, je n’arrive pas à m’arrêter. Quand je m’approche
de la table de bouffe, voilà Eben qui fait son entrée avec un sac en main.
— C’est à cette
heure qu’on vient voir ses amis?
— Mec si tu savais,
bref, désolé, voilà, il dit en me présentant le sac cadeau qu’il tient.
— Qu’est-ce qui
se passe? Tu n’as pas bonne mine.
— Après Bruce, je
préfère me détendre pour l’instant.
C’est ainsi qu’on
rejoint le groupe de fête. Il papote avec Jennifer tandis que Tessa vient lui
demander ce qu’il aimerait manger. Le service est libre, mais elle a passé la
journée à faire les tours pour s’assurer que chacun ait mangé. C’est l’éducation
de sa mère, tante Eglantine savait bien recevoir malgré leurs conditions de vie
modestes. On a fini de jouer normalement, donc j’essaie de distraire Eben avec
des anecdotes, puisqu’il ne me semble vraiment pas en forme. Certains invités
commencent à partir petit à petit et vers 15 h, soit deux heures après l’arrivée
d’Eben, nous ne sommes plus qu’en comité restreint assis autour du sofa de Jennifer
qui à un moment tapote ma cuisse pour que je voie Eben. La tête de ce dernier
tombe dangereusement vers l’avant, signe qu’il s’est endormi pourtant nous
étions en discussion animée par la tante de Jennifer.
— C’est l’héritier
qui te garde toujours debout les nuits ou tu travailles fort pour lui donner
une petite sœur? je lui demande après l’avoir réveillé avec un léger coup à l’épaule.
Il pousse un juron en
se grattant la joue.
— Pourquoi tu n’es
pas resté pour te reposer si tu n’étais pas en pleine forme? lui demande Jen.
— Il n’y a pas de
repos dans ma maison à l’heure actuelle donc Océane a proposé que je sorte pour
me changer les idées. L’eczéma dérange Ezer en fait, il nous annonce sur un ton
défaitiste.
— L’eczéma? Il a
chopé ça où? je demande.
— Si je savais mec,
si seulement on pouvait trouver la source de cette saleté qui pourrit la vie de
mon enfant, j’en ai marre quoi. Nous avions déjà repoussé sa présentation à
cause de ça. Un beau matin, on a simplement trouvé mon bébé avec la peau sèche
comme le Sahara sur ses cuisses, ses chevilles et son visage. Son pédiatre a
prescrit un onguent qui a rapidement contrôlé ça et pour nous, c’était une
histoire passée, puis deux semaines suivant notre voyage au Ghana, cette
maladie est revenue avec un esprit vengeur que je ne comprends pas. Ses deux
bras et le creux de ses coudes sont recouverts de croûtes, il a même des
lésions qui…pardonnez-moi pour la description…
— Mais non vas-y,
l’encourage Jen.
— Des lésions qui
suintent.
— Oh! elle s’écrie.
— Et comme il est
mal à l’aise, il est très irritable. C’est difficile de le consoler. Parfois il
refuse le sein malgré les nombreuses tentatives d’Océane.
— Mais…le
pédiatre dit quoi alors? On ne lui a rien prescrit? j’interviens.
— Onguents et un
antibiotique pour les lésions qui suintent, mais rien d’autre. Il nous assure
que la crise malgré la sévérité se calmera.
— Hum! Le bébé a
quel âge? demande la tante de Jen.
— Cinq mois.
— Donc le
pédiatre voit l’enfant de cinq mois souffrir et dit que ça passera? Ta mère est
au courant?
— Oui, elle a
recommandé qu’on utilise l’aloe vera, mais le pédiatre a recommandé qu’on
attende que les lésions commencent à cicatriser d’abord pour éviter d’irriter les
plaies puisqu’on utilise aussi les onguents.
— Hum, les fesses
rouges, c’est normalement à la purge qu’on le combat. On prépare les herbes qu’on
met dans une poire à lavement et en trois jours, l’enfant est sur pied, explique
la tante.
— Essayez ça non
gars.
— Pardon, je ne
veux pas envenimer les choses, il répond las. Déjà, on a changé tous les détergents
de la maison ainsi que les produits d’entretien d’Ezer pourtant elle utilisait
déjà une gamme hypoallergénique. Elle a viré aussi les savons liquides de la
maison juste pour se rassurer. Elle ne se parfume plus. Ses produits de beauté,
son maquillage, elle a tout abandonné, parce qu’elle croit avoir causé quelque
chose au bébé. Elle s’est mise à une diète stricte pour supposément ne rien lui
passer à travers son lait, bien que le pédiatre nous ait expliqué qu’il n’y a
pas de corrélation entre les deux. Nous sommes assez stressés comme ça, donc je
n’ai pas envie qu’on se lance dans un truc qu’on ne maitrise pas derrière son
pédiatre. Nous avons consulté deux autres et comme ils disent à peu près la
même chose, on essaie juste de patienter.
— Courage Eben, se
prononce Tessa.
— Merci ma…
Son téléphone sonne
donc il répond.
— Oui Querida?
Il se lève d’un bond,
le visage anxieux et tente de calmer Océane qui doit paniquer au bout du fil.
Je me lève aussi et dès qu’il raccroche, je lui annonce que je le ramène.
— Non je ne…
— Laisse-le te reconduire
Eben, intervient Jen. Si tu n’as pas dormir comme je suppose, ce n’est pas judicieux
que tu sois au volant.
— OK, on se parle
en contact, il dit aux autres et nous sommes partis.
— L’hôpital AELI?
je répète après qu’il m’ait demandé de le conduire là.
— Elle l’a emmené
à l’hôpital parce qu’il fait de la fièvre, il murmure d’une voix grave.
Je démarre sans
tarder.
— Ça va aller
mec! Tiens bon! je continue à l’encourager.
— Je n’aurais pas
dû sortir Bruce. J’aurais dû refuser quand Océane a insisté sous prétexte qu’on
est resté enfermé du jeudi au samedi, donc ça me ferait du bien d’aller faire
un tour. On n’a vraiment pas besoin de ça maintenant, c’est le mauvais moment pour
nous avec son père qui est bloqué aux États-Unis à cause d’une péricardite et
nécessite probablement une chirurgie cardiaque.
— Oh! C’est quoi
cette succession de mauvaises nouvelles? On est qu’au début de l’année hein, je
refuse les malheurs.
— Tu ne les
refuses pas plus que moi mec, je t’assure.
C’est d’un pas pressé
qu’on se dirige à la chambre où se trouvent maman et petit. Océane me fait de
la peine dès qu’on entre. Ses yeux sont rouges, le petit poids de grossesse qu’elle
avait gardé a disparu. Le petit a une perfusion et dort paisiblement.
— Comment ça va?
lui demande Eben pendant qu’il continue de la câliner.
— J’ai essayé de
faire baisser la fièvre toute seule, mais je n’y arrivais pas alors j’ai
craqué, elle s’explique d’une voix chagrinée.
— Ce n’est pas
grave bébé, il va mieux?
— Oui, il s’est endormi
il y a moins de cinq minutes. Salut Bruce.
— Bonsoir ma
belle-sœur, désolé de te revoir dans ces circonstances. Mon champion est fort,
il sera sur pieds dès demain, tu te demanderas si c’était le même qui était
couché là?
— C’est mon
souhait le plus cher, elle répond avec un sourire triste.
Je leur tiens un peu
compagnie pour qu’ils ne restent pas seuls dans la tristesse et lorsqu’il sonne
18 h, je prends congé d’eux. Eben veut me ramener comme je l’ai conduit
ici avec sa voiture, mais je le rassure que ce n’est pas nécessaire. Je vais simplement
rentrer avec un taxi. Comme Jennifer me confirme qu’elle n’est plus au resto,
je rentre directement à la maison où se trouve aussi sa tante.
— Alors? Quelles
sont les nouvelles?
— La maladie là a
pris le corps du petit hein. C’était dur à voir surtout quand Eben lui
changeait sa couche, il pleurnichait sans cesse.
— Et ils me
laissent l’enfant souffrir comme ça? Non, je ne suis pas d’accord! Il faut
rappeler votre ami Jen, tu lui dis que je peux guérir ça.
— Pardon hein ma
tante, tu veux que je rappelle qui? Le mari d’Océane alias madame je connais
tout sur la maternité?
— Tu penses que c’est
elle qui refuse les autres méthodes? me demande Bruce.
— Qui peut
refuser sinon elle? Eben est simple et ouvert d’esprit, on le connaît pour ça.
Elle en revanche, c’est madame qui a fait les États-Unis. Tu vas lui apprendre
quoi?
— Les États-Unis
sont plus importants que la santé de son enfant?
— Tu veux que je
te dise quoi? Je n’ai pas fait les États-Unis.
— Eben aussi
déconne. C’est la bouche d’une femme qui doit primer sur la santé de l’enfant?
j’interviens agacé maintenant qu’elles m’ont présenté cet angle des choses.
— Et la mère d’Eben
dans tout ça? Elle est avec eux au moins? demande la tante.
— Je ne crois pas
puisqu’Océane est arrivée à l’hôpital avec leur fils.
— C’est évident
qu’ils ont découragé la maman avec leur histoire bidon sur l’aloe vera.
Pourquoi elle viendrait si c’est pour qu’on la minimise? Jen présente encore un
point pertinent.
— Non mais Eben
hein, je me fâche davantage.
— Pourquoi vous
faites ça? on entend de Tessa dont je n’avais pas remarqué la présence.
— Tu dis quoi? je
demande confus.
— Vous gagnez
quoi à vous asseoir ici et disséquer les actions de nouveaux parents qui sont
déjà abattus par ce qui arrive à leur enfant? Qu’est-ce qu’ils vous ont fait?
— Parce que tu
trouves normal qu’Océane néglige des solutions concrètes pour soulager son
enfant par orgueil? rétorque Jen.
— Et toi tu
trouves ta remarque sensée? elle lui retourne sur un ton nerveux.
— Hé Tessa! ça
suffit! je la rappelle à l’ordre.
— Bref, je venais
juste dire que j’ai fini de ranger les cadeaux, elle répond sur un ton défiant
et s’en va.
— Parlons d’autre
chose s’il vous plaît, il ne faut pas qu’on revienne mal me parler dans ma
propre maison, propose Jen.
Je l’abandonne avec sa
tante lorsque les potins commencent à dominer la conversation. Un coup à la porte
de Tessa et je fais mon entrée.
— C’était quoi ça
tout à l’heure?
— C’était le fond
de ma pensée.
— Mais non Tessa,
je ne suis pas d’accord. Tu veux passer pour une impolie aux yeux de la tante
de Jennifer?
— Et toi tu as
pensé à ce pour quoi tu passerais aux yeux d’Eben s’il était présent durant
votre conversation? Qu’est-ce que lui et sa femme ont fait pour que vous les critiquiez?
L’ami que tu as vu à la fête aujourd’hui ressemble à quelqu’un qui négligerait
la santé de son bébé?
— Ah mais tu es
trop à fleur de peau. On ne critiquait pas Eden, mais le fait qu’il se laisse
mener par les choix de sa femme.
— Et toi alors? Dois-je
te rappeler le nombre de fois que tu as râlé pendant qu’on organisait le baby
shower sous prétexte que Jen te fatigue avec ses caprices?
— Hé je n’aime
pas ça hein. Je suis quand même ton grand frère, on ne critique pas son aîné.
— Et tu sais que
je ne sais pas cacher ma pensée. Dieu protégera ton bébé avec Jen, rien ne lui
arrivera, mais tu vas découvrir que c’est pas évident d’être parent surtout
avec ton premier.
— Tu caches un
enfant en Afrique du Sud?
— Quoi? elle s’étonne.
Non mais, tu veux en venir où?
— Comment tu arrives
à me parler avec tant de passion de l’expérience parentale si tu n’en as pas?
— Bruce pardon, je
vais voir 28 ans. Tu ne penses pas que j’ai des amies mamans?
— Hum, j’espère
pour toi que tu ne me caches pas d’enfant.
— Arrête de
changer de sujet. On te parle de tes critiques envers Eben.
— Bref, tu es
trop émotive. Quand tu seras grande, tu comprendras et je ne veux plus te voir
confronter Jen devant sa tante sous prétexte que tu ne sais pas garder tes pensées.
Toi et moi savons qu’on vit au gré de ses humeurs, donc reste discrète le temps
qu’elle accouche. Ton objectif c’est de trouver au plus vite un emploi. Ne lui cherche
pas les noises pour qu’après, on me fasse la misère dans la chambre conjugale.
Je me suis fait comprendre?
— Oui, elle confirme
du bout des lèvres.
Je pince sa joue dodue
pour l’embêter avant de la laisser. On ne peut même plus commenter en paix dans
sa maison parce qu’on vit avec l’enfant de 28 ans. Heureusement, Jennifer
ne semble pas avoir mal pris sa remarque, parce qu’elle m’a livré son corps sans
retenue le soir là et nous avons tranquillement continué notre commentaire sur
le choix d’épouse d’Eben en paix. Plus de Tessa pour nous embêter. Un homme
doit absolument choisir une femme qui l’écoute pour éviter ce qu’Océane fait
chez les Tountian là.
***Océane Tountian***
Il fait noir dans la
chambre. Nous sommes bercés par les doux ronflements d’Eben qui a refusé de rentrer
se reposer, pourtant demain il rencontre un client bien qu’on soit dimanche
parce qu’il a annulé ses rendez-vous du vendredi pour s’occuper d’Ezer afin que
je sorte un peu de la maison. On survit depuis presque deux semaines. Quand je
ne panique pas pour mon bébé, je prie activement pour papa qui est coincé à Nashville
dans l’attente d’une chirurgie pour libérer son cœur comprimé par une
tamponnade cardiaque. Tout allait si bien pour nous pourtant. Deux jours après
la dot d’Elikem, lui et Emily s’envolaient pour Nashville où ils devaient
passer une semaine pour célébrer les 45 ans d’Em. Pendant une randonnée
équestre, il est tombé de cheval et c’est ainsi qu’ils ont décidé de me mettre
dans la confidence après qu’on l’ait admis d’urgence. Apparemment, quand j’étais
en fin de grossesse, on a découvert que papa souffrait d’une péricardite aigüe
qui l’empêchait parfois de respirer ou de rester allongé sans ressentir de
douleur au côté gauche de sa poitrine, mais le traitement recommandé par son
cardiologue a rapidement corrigé le problème, seulement les symptômes ont
récidivé et provoqué sa chute. C’est à l’hôpital même, quelques jours après son
admission que son cas s’est aggravé. On m’a parlé de tamponnade cardiaque,
comme quoi un liquide à l’intérieur du péricarde comprime son cœur. Et la
pression empêche le cœur de fonctionner correctement, donc la circulation sanguine
est affectée et ses tissus manquent d’oxygène. Je ne suis pas médecin, j’ai
cherché conseil chez Elikem et tonton Eli qui se sont renseignés et m’ont
confirmé comme le médecin traitant de papa qu’une chirurgie supposée drainer le
sang autour du cœur réduirait la pression et de ce fait corrigerait son problème.
J’ai juste la trouille moi. Mon père n’est plus tout jeune et surtout le chirurgien
cardiologue m’a rempli la tête de divers scénarios qui ne m’encouragent pas. Je
me lève subitement dès que j’entends Ezer geindre. Il bouge et se tord
légèrement, en essayant de se gratter, donc je tapote sa poitrine et lui parle
doucement priant que ça l’apaise. Un rayon de lumière éclaire faiblement son
visage et je sais que ce n’est pas le moment de pleurer, mais je ne peux me retenir
face à ses adorables joues recouvertes de croûtes. Je texte Elikem et quand son
appel entre, je vais me mettre dans un coin de la chambre pour lui parler sans
réveiller les garçons.
— Je suis désolée
d’avoir dit que tu n’avais pas d’instinct maternel, je sanglote la gorge serrée.
— Dis-moi ce qui
se passe avec Ezer, elle répond sur un ton calme.
— Je ne sais plus
quoi faire Elie. J’ai trop mal, je n’étais pas préparée à ça et ce fichu
docteur de garde nous a sorti sur un ton bizarre qu’ils n’ont rien fait de
spécial pour faire baisser la fièvre quand Eben a demandé des recommandations.
Il a même pris le temps de souligner qu’Ezer était à 38 pas 39 comme je l’ai
dit à mon arrivée et que le traitement recommandé par le pédiatre est amplement
suffisant, genre comme si je mentais.
— C’est ce médecin
qui vous a pris en charge deux jours plus tôt là?
— Oui, je confirme
d’une voix étouffée par les larmes. Je peux comprendre que c’est soûlant de supporter
des parents à fleur de peau, mais ce n’est pas comme si j’étais équipée pour parer
à ce que vis actuellement. Je veux juste qu’on m’aide avec mon bébé, c’est un
crime?
Elle me laisse pleurer
et râler non-stop. Une fois que je suis calme, elle reprend la parole.
— Tu vas
commencer par formuler une plainte contre ce médecin. Je te l’ai déjà dit Annie,
on apprend la médecine mais nous ne sommes pas les parents. L’enfant passe plus
de temps avec vous que nous. Parents et corps médical, c’est supposé être un
travail d’équipe pour le bien-être de l’enfant, donc si ton instinct te dit que
ton bébé doit être vu par un professionnel, tu vas chercher de l’aide. On a été
formé et nous sommes payés pour ça. Si tu dis que l’enfant a eu 39 de fièvre, c’est
qu’il l’a eu. Rien n’exclut que la fièvre ait baissé entre le temps que tu
quittes la maison et arrive à l’hôpital, mais tu ne laisses personne te culpabiliser
d’être en alerte pour ton bébé. C’est ton droit. Celui qui ne veut pas faire
son travail sans commentaire inutile dégage. Tu formules une plainte, on lui
donnera le congé qu’il mérite pour remettre ses idées en place. On se comprend?
— Oui.
— Comment se porte-t-il
actuellement?
— La fièvre a
baissé, mais son sommeil est agité.
— Tu gardes toujours
les gants sur ses mains?
— Oui, je ne devrais
pas? C’est pour l’empêcher de se gratter les croûtes.
— Tu fais bien, c’est
ta méthode.
— D’accord, je
dis soulagée.
— Et je ne veux plus
t’entendre me demander pardon pour une histoire que j’ai même oubliée.
— Je sais que tu
as oublié, mais je reconnais que c’est vache. À l’époque, je l’ai juste dit sans
réfléchir, comme tu n’étais pas pressée pour la maternité contrairement à moi, mais
bref, c’était stupide.
— Ce n’est rien,
je te savais déjà stupide sur les bords.
— Hé, qu’est-ce
que ça veut dire? On frappe une femme à terre?
— La terre même
ne te ressemble pas madame. La terre te cherche jusqu’à mais tu marches sur
elle.
— Connasse, je dis
sans pouvoir arrêter mon rire.
— J’ai accepté, connasse
n’a jamais tué quelqu’un. Les saletés qui veulent te déranger là ne vont pas
durer. On le sait, n’est-ce pas?
— Oui.
— Vanderbilt c’est
l’un des meilleurs hôpitaux en matière de chirurgie cardiaque, tu t’en
rappelles aussi?
— Oui, je
confirme. Elle s’est même débrouillée pour me trouver une connaissance à cet
hôpital où papa sera opéré demain dès que je lui ai parlé de la situation.
— Voilà, c’est ce
que j’aime entendre. Profite bien du petit répit que t’offre Zezounet parce qu’il
va revenir avec un comportement sur stéroïdes. Ce n’est pas le garçon robuste
que tu as voulu avoir? Prépare-toi.
— Lol, tu es une
mauvaise influence pour mon enfant.
— Tu as même le
choix ma sœur? Je reste The Auntie, mauvaise influence et tout.
Elle m’égaie au point
que j’en oublie presque mes soucis et c’est en raccrochant que je vois l’heure.
Elle a appelé à 1 h du mat alors qu’elle travaille demain? Elikem
franchement, je l’aurais épousé si elle était un homme.
***Elikem Akueson
Asamoah***
— Je pense que de
toutes tes versions, la maman ours affirmée me séduit le plus, m’annonce Cédric
qui m’a rejoint sur notre balcon où je me suis réfugiée pour parler à Océane.
Il m’enlace et pose
ses mains sur mon ventre dénudé bien que je porte un deux-pièces comme pyjama.
— Ne pense pas
que faire le mignon me fera oublier que tu dois retirer les caméras de notre
chambre.
— Laisses les
palabres pour la journée. Comment vont le dauphin et son père?
— Le second se
fait opérer demain et j’ai confiance qu’il s’en remettra. Le premier est un
guerrier, même si cette saleté me fait mal quand je vois les photos que m’a
envoyées Océane, je sais que notre dauphin s’en sortira. Il a un destin
brillant devant lui.
— Mama Bear, il
répète amusé. Elle sait que tu es enceinte?
— Tu devais même
savoir que je suis enceinte d’abord? je rouspète et il rigole pourtant ce n’est
pas amusant.
Comme je voulais que
monsieur revienne dans une maison accueillante à son retour de Pretoria, je n’ai
pas paressé dès qu’il a pris l’avion. L’achat de la maison s’est fait le
lendemain de notre visite, donc je me faisais livrer au fur et à mesure nos meubles
durant les week-ends pour les monter en semaine quand je rentrais du travail. Il
a profité du fait que j’étais prise, pour glisser une équipe d’installations de
caméras parmi les gens qui venaient travailler à la maison. Moi la naïve, je
pensais qu’ils nous installaient simplement des petites bricoles, mais monsieur
a mis toute la maison sous surveillance. Un beau matin, le jour du premier
retard de mes règles, j’ai couru pour me chercher un test qui s’est avéré
positif. La femme que je suis prévoyait l’annoncer de façon romantique à son
homme. J’avais tout un plan en plus. Des fleurs, emballer joliment le test, ambiance
tranquille, et le gars rentre à l’avance et se pointe au travail de surcroît pourtant
on avait conclu que c’était mieux de garder nos distances. Il me fait venir
dans son bureau avec un prétexte et me soulève pour me faire tournoyer avec le
sourire le plus enfantin aux lèvres. C’est comme ça que j’apprends qu’en dépit
de nos appels réguliers, le gars me matait sur son application reliée aux
caméras de la chambre depuis Pretoria.
— Je t’ai même vu
péter sur ta main et la sentir, il a osé me sortir le jour là en rigolant.
J’ai douté et je l’ai
frappé quand j’ai compris qu’il me faisait marcher. Depuis, je suis fâchée. Il
a gâché ma surprise, donc je lui lance toujours des piques quand il ramène le
sujet. Il va quand même enlever les caméras de la chambre. Je m’en fous de son
prétexte de « sécurité
avant tout » qu’il utilise pour
justifier son amour de l’intrusion. Couple ou pas, chacun a le droit à son intimité.
S’il n’enlève pas les caméras de la chambre d’ici son prochain voyage, je vais
les briser. Un homme avertit en vaut deux.
Avertissement à part,
je ne sais comment exprimer ce que je ressens à l’idée que dans quelques mois j’aurais
un bébé dans mes bras. Physiquement je ne ressens rien. Sans le scan de six
semaines qu’on a fait au retour de Cédric, j’aurais fini par douter de l’exactitude
du premier test parce que je n’ai aucun symptôme. Pas de fatigue, zéro nausée,
bon j’approche de ma septième semaine, mais quand même, on ressent quelque
chose physiquement non? Émotionnellement, je plane. Je me représente l’enfant
régulièrement. Aura-t-il ma tête ou celle de son père ? Imagine la bonne blague, il sort et ressemble
totalement aux grands-parents. C’est mon papounet qui sera aux anges. Je dirai
pour finir, que je suis simplement comblée et soulagée parce que ce n’est pas
évident de concevoir quand on est stressé, même si on dit de l’éviter pour avoir
toutes les chances de son côté.
— Je le dirai à
Océane plus tard, quand elle sera dans un meilleur état d’esprit parce que maintenant,
elle se sentira forcée d’être hyper enjouée pour moi alors qu’elle est sincèrement
préoccupée, j’explique à Cédric.
— Friendly bear,
il ironise. Ça nous laisse le temps d’en profiter d’ici que le pays entier nous
tombe dessus dès qu’ils l’apprendront.
— Je te dis, je
rigole.
On retourne au lit pour
reprendre le sommeil d’ici que le soleil se lève, parce qu’il faudra aller au
culte. Je veux m’habituer à fréquenter régulièrement une église désormais pour
que Malike ne me sorte pas un « pourquoi je dois y aller, quand tu y vas
selon tes envies toi? » Imaginer ses petites répliques d’enfant me font déjà
sourire. Le karma de Belle va commencer, tel qu’elle l’a annoncé, je sais déjà que
je n’aurais pas un enfant facile.
***Eben Tountian***
Malgré la position inconfortable,
j’ai passé une nuit reposante parce qu’Océane était au chevet d’Ezer dès qu’elle
entendait le moindre bruit. Elle a tout fait pour m’obliger à me rendormir les
quelques fois que je me réveillais pour voir ce qui se passait. Après le
rendez-vous avec mon client, j’ai fait un saut au Spa pour jouer un peu au
gendarme derrière les filles. L’absence d’Emily ne tranquillise pas Océane concernant
l’état de leurs affaires, mais elle n’a pas la tête pour jouer à la patronne
concentrée donc j’effectue des visites sporadiques, même si je n’y connais rien
à la gestion d’un Spa. Quand je juge avoir passé assez de temps, je passe par la
boulangerie favorite d’Océane pour lui prendre ses favoris ainsi qu’un immense
smoothie et mets le cap sur l’hôpital. Si son état reste stable, on nous
laissera partir cette aprèm. Fabien et Bijou sont présents à mon arrivée. On ne
les voit plus trop depuis qu’ils ont emménagés dans chez eux, mais dès que j’ai
parlé de l’état d’Ezer à mon frère, lui et Bijou nous visitent un soir sur
deux. Aujourd’hui, ils ont apporté un ragout de taro fait avec de l’huile de
coco qui a rapidement évincé mes viennoiseries aux yeux d’Océane. Heureusement que
j’avais aussi son smoothie. Fabien et Bijou nous ont égayé comme toujours et
après leur départ, nous avons eu l’autorisation de rentrer chez nous. Ezer ne
faisait plus de fièvre. Son pédiatre nous a encore une fois rassurés et à dix
minutes de la maison, Océane a reçu un appel d’Emily confirmant qu’Innocent
venait de sortir du bloc opératoire et le chirurgien était confiant pour la
suite. C’est le cœur léger que nous arrivons à la maison, espérant passer une
soirée tranquille entre nous et voilà que le gardien nous annonce la présence
de Jérôme. Il n’est pas seul. Sa femme est avec lui et elle est visiblement en
fin de grossesse. Les salutations sont faites, il m’explique qu’il vient
prendre des nouvelles d’Ezer. Océane les laisse le voir un instant puis monte
pour aller le laver. Je suis donc seul avec Jérôme. Sa femme aussi nous a
laissés.
— J’ai entendu de
maman qu’il n’allait pas bien et je ne suis pas content de toi Eben. Pourquoi
je ne suis pas tenu au courant de l’état de mon neveu? Pourquoi tu me tiens à l’écart?
— Je ne te tiens pas
à l’écart, tu me fais signe rarement, donc je n’ai pas en tête de te parler de
tout, j’essaie de lui expliquer.
— Eh bien, moi j’ai
plutôt l’impression que tu as choisi Fabien comme ton frère dans cette famille.
Si je ne te fais pas signe, c’est parce que vous ne m’incluez pas dans vos
affaires. C’est parce que je suis resté au village c’est ça?
— Ah non Jérôme,
je ne vais pas te laisser faire ça. On t’a proposé plus d’une fois de venir
faire une formation à Lomé. C’est toi qui as choisi de rester à Vogan parce que
tu te sentais mieux là-bas. Ça n’a aucun lien avec une préférence de frère.
Fabien s’est occupé de ma maison quand j’étais à Porto, tu le sais, alors que
me reproches-tu concrètement? Va au but parce que ma semaine a été rude.
— Je veux t’être
utile Eben. Je suis aussi ton frère. Ça me blesse d’apprendre tes difficultés
par maman.
— Mais tu veux m’aider
comment? je demande plus perdu que jamais.
Qu’est-ce que maman aussi
lui a raconté? Je me suis effectivement plaint du cas d’Ezer, mais ce n’est pas
comme si je l’ai fait plusieurs fois. Elle-même était malade, donc j’évitais de
l’inquiéter pour qu’elle ne saute pas dans un car avec l’intention de venir
nous aider ici.
— Comme Fabien est
occupé avec ses activités, je suis là pour te seconder. Ma femme cuisine très
bien, tu as goûté ses plats. On va vous épauler le temps qu’Ezer se remette sur
pied. Nous sommes là pour vous.
— Oh? Vous? Et
vos enfants alors?
— Ils sont assez
grands pour se débrouiller, ne t’en fais pas.
— Non mais
Jérôme, tu me parles d’enfants qui sont au primaire? Benoît n’a que dix ans et
Belinda quatre. Ce sont des enfants âgés ça?
— Mais Benoît qui
peut te draguer la femme? il rigole tandis que je suis bouche bée. Laisse, c’est
ici que les enfants sont enfants à dix ans. Benoît sait cuisiner, aller au
marché et prendre soin des autres.
— Non merci. Ça
reste un enfant comparé à Océane et moi qui sommes adultes, nous sommes
parfaitement capables de nous débrouiller.
— S’il te plaît
Eben, je veux aussi m’en sortir, il n’y a rien à Vogan. Voilà Amen qui attend
un quatrième enfant. Elle pleure à ses parents que sa vie est gâchée parce qu’elle
a épousé un cultivateur de 31 ans. Je dois faire quelque chose, il m’implore.
— C’est donc ça,
je soupire, comprenant mieux. Pourquoi elle pleure? Ce sont les récoltes de
cette terre qui vous permettent de vivre aux dernières nouvelles. Elle n’a
jamais crevé de faim en étant femme de cultivateur.
— Frérot tu
connais les femmes. Elle a vu Lomé et pense que les enfants ratent leurs vies à
Vogan. Je n’ai plus la paix.
— Et pourquoi tu
l’enceintes dans ses conditions?
— Mais tu veux
que je fasse comment? Quand tu mets, l’enfant sort non?
— Genre tu ne
connais pas le planning familial toi?
Il se contente de me
regarder d’un air coupable qui m’énerve même. Je me retrouve dans ce que je n’aime
pas, c’est-à-dire que j’aimerais lui dire non, mais ma bouche n’arrive pas à
laisser la phrase sortir. Je lui annonce qu’on en reparle et vais rejoindre
Océane à qui j’explique la situation pendant qu’elle applique l’onguent sur
Ezer. Elle est calme, ça n’annonce rien de bien, je sais qu’elle n’apprécie pas
donc je lui survends l’idée.
— Il veut juste
nous filer un coup de main un peu comme Fabien.
Elle peigne les
cheveux bouclés de mon garçon qui s’amuse avec son hochet.
— Querida?
— Eben, je ne
sais pas ce que tu veux entendre alors que tu es déjà décidé. J’ai eu le temps
de côtoyer Fabien et me faire une petite idée avant d’emménager dans cette
maison avec vous trois. Jérôme, je le connais par tes histoires. On s’est parlé
au trop dix fois. Sa femme alors, c’est autre chose. J’ignore comment une femme
enceinte jusqu’au cou est supposée m’aider, mais si tu es sûr de ce que tu
fais, alors qu’attends-tu de moi?
Je soupire et m’approche
pour l’enlacer quand elle porte Ezer à qui j’embrasse le front.
— Ça ne sera pas
long, c’est juste pour le temps qu’il se trouve une formation et la commence, mais
sa femme ne restera pas. Elle rentre.
Elle me semble plus
soulagée. C’est déjà quelque chose, donc c’est la proposition que je compte
faire à Jérôme.
— Que veux-tu
faire comme formation? je lui demande un peu plus tard en soirée.
— Quelque chose dans
le bâtiment qui fait bien gagner.
— OK. Pour
commencer, ta femme ne peut pas seconder la mienne en étant enceinte.
— Mais je t’ai
dit que ce n’est pas un problème. Elle est habituée à travailler.
— Et je ne suis
pas habitué à voir des femmes enceintes travailler, donc c’est non. En plus vos
enfants ont besoin d’un parent si l’autre s’en va. Maman n’est pas là pour s’occuper
de jeunes enfants, j’insiste bien pour qu’il l’imprime dans sa cervelle. Tu
choisis le jour que tu veux pour que ta femme rentre et demain tu commences la
recherche de formation. Concentre-toi sur ça parce que c’est ta priorité. On se
comprend?
— D’accord.
— Chez moi, on ne
ramène pas de problèmes. J’ai vécu avec Fabien pendant plus d’un an et maman te
confirmera que jamais elle n’a reçu un appel de ma part ou la sienne pour régler
un conflit. Tu veux une chance, alors tâche d’en faire bon usage.
Il hoche à nouveau la tête
tel un enfant docile. Je prie qu’il ne me fasse pas regretter parce que de nous
quatre, Jérôme est celui qui n’a jamais pris au sérieux l’école. Ce fut une
surprise pour moi qu’il prenne au sérieux la gestion du champ que je lui ai
confié, donc franchement, je ne comprends pas ce revirement même si sa femme
pleure, mais bref, ce n’est pas à moi de décider.