
151: Premières rencontres
Ecrit par Gioia
***Mini Attiba***
Comment ça on est en
juillet? Beh oui, on est bel et bien en juillet, je n’arrive pas à croire que
je viens d’arracher la page de mai de mon calendrier mural parce qu’on entame
le mois de juillet. Est-ce pertinent de commenter encore le temps? Anyway, il
s’est passé tant de choses durant les deux mois précédents. J’ai officiellement
passé ma période d’essai au magazine. Un contrat de deux ans est signé et il
inclut une section « contenu de voyage » qui m’engage à fournir au
magazine aux trois mois un dossier spécial découverte d’une destination de
voyage. J’ai repris l’idée de Lio et je l’ai retravaillée en prenant en compte
la vision du magazine Source. Comme les jeunes représentent notre marché cible,
et ce que Sia veut, c’est qu’ils considèrent le magazine comme une source
d’inspiration, soutien et découverte, j’ai mis en avant les côtés éducatif et
récréatif d’un voyage en Égypte pour enfants comme parents. J’ai tout inclus
dans mon dossier, des prix, l’itinéraire, les petits conseils que m’avaient
donnés nos guides quand nous y étions pour profiter au max du voyage et les
contacts de ses guides qui ont accepté d’offrir un rabais de 15% valide pour
trois semaines à nos clients dès la sortie du magazine. C’est par ce dossier
que je lui ai introduit l’initiative qui l’a convaincu et grâce aux retours
positifs des parents, Sia m’a donné l’aval ainsi qu’un budget pour le second
dossier. J’ai toujours le choix de la destination qu’il me faut valider avec
elle ainsi que l’itinéraire dans le pays, parce qu’un voyage aux Seychelles qui
ne parle que des plages ne cadre pas avec ce qu’elle attend de cette rubrique.
Il n’y a rien d’éducatif à se prélasser sur les plages même si c’est reposant. Avec
elle, j’apprends énormément sur le branding parce qu’elle a refusé tant de
propositions bien payantes juste parce qu’elles ne collaient simplement pas
avec l’image qu’elle veut renvoyer. Donc ma prochaine destination c’est le
Kenya et oui j’admets que Lio a influencé mon choix. Il ne sera pas avec moi
cette fois, mais ses anecdotes et le gîte gratuit offert par sa cousine Snam
m’ont encouragé. Le budget que Sia m’a donné me servira donc à couvrir le
billet et quelques activités. Le reste viendra de ma poche, parce qu’elle continue
à me payer à la pige pour cette rubrique spécifiquement. Elle me verse un
acompte au début et une fois le dossier publié, je reçois le reste. Je garde le
contenu vidéo que je publie sur ma chaîne dont les stats sont si encourageantes
dernièrement, que j’ai commencé à chercher une maison. Le revenu que je perçois
de là est certes variable, mais j’ai pris cette notion en compte dans mes
plans.
Le plan de la soirée
en revanche, c’est de faire un saut rapide chez Lio pour voir Hadassah qui s’envole
pour la France en fin de semaine et je m’en vais demain à Cotonou pour une
interview où je serais jusqu’à la fin de semaine. Le toboggan aquatique n’est
plus dans le jardin à mon arrivée, un détail qui m’étonne, donc c’est la
première question que je pose.
— À quoi bon? Il
n’y aura personne pour l’utiliser d’ici septembre, il répond sur un ton morose
qui me confirme ce que je suspectais depuis un moment.
Il ne veut pas se séparer
de son bébé, chose que je comprends entièrement. Cette dernière aussi n’a pas
l’air hyper emballée pour quelqu’un qui m’a pourtant parlé de ce voyage avec
beaucoup d’entrain le mois dernier. J’essaie de lancer des petites blagues ici
et là pour alléger l’ambiance, mais mes efforts ne donnent rien. Vers 18 h 30,
le chef des gens m’invite à dire au revoir à Hadassah.
— Il est temps de
rentrer, il me rappelle.
— Pardon, pas de
ça aujourd’hui, je me plains agacée. Je suis majeure et vaccinée. J’ai le droit
de visiter mes gens.
— Va visiter
d’autres alors, tu ne traîneras pas dehors avec ma complicité, il bloque ma
petite révolution.
— Bon beh…encore
une fois on me chasse, je dis à Hadassah qui m’offre un sourire compatissant.
— Tu lui feras
payer une fois que tu vivras avec nous, elle m’encourage et on s’enlace en
rigolant.
— Bon voyage ma
pupuce, profites-en bien, tu vas me manquer, je chuchote.
— Merci, je
t’écris tout à l’heure, elle chuchote en retour et on se détache.
Je hoche la tête pour
lui confirmer que j’attends son message, collecte mon bisou au revoir de la
part du chef des gens qui insiste quand même pour m’accompagner jusqu’au bord
de route où je vais prendre mon taxi.
— Arthur n’est
pas supposé arriver bientôt?
— Ça ne
m’empêchera pas de t’accompagner donc avance.
— Haiii, comment
tu me coupes mes élans aujourd’hui, tu veux qu’on parle? je propose.
— Mes parents ont
entendu parler de toi.
— Comment? Par
qui?
— Par moi.
— Eiii! Tu vas
parler de moi comme ça? Sans plan?
— C’est toi qui
veux dessiner des plans pour tout. Je te fréquente régulièrement, c’est
suffisant pour que j’en parle aux miens.
— Je ne
qualifierai pas vraiment les deux heures que tu m’autorises depuis avril de
régulièrement mais bon, je tente à nouveau une plaisanterie, mais il ne rigole
pas.
— La balle est dans
ton camp si tu veux passer plus de temps avec moi. Tu sais ce qui a conduit à
l’imposition du couvre-feu.
— Bref! je
grommèle.
C’est romantique de
braver la pluie en pleine nuit pour venir le voir non? Depuis ce jour, monsieur
a décidé qu’on ne se verrait plus après 20 h. J’aime trop les risques
inutiles, il ne va pas m’encourager et certainement pas à continuer de raser le
mur non plus, sinon qu’est-ce qu’il apprend à Hadassah, telles sont les raisons
qu’il m’a fournies pour justifier son couvre-feu. Donc depuis avril, on se voit
généralement en journée. Je ne peux me plaindre parce qu’il fait tout pour me
donner ses pauses. Même quand il est débordé par le travail, on se voit quand
même. Je viens avec mon ordi, chacun est dans son coin, mais on discute et
parfois, ça finit sur une petite session coquine. Il me refuse toujours sa
queue, mais ses doigts me maîtrisent bien, je ne peux pas me plaindre. On est
au bord de route, mais je suis à l’aise avec l’affection en public donc je
l’embrasse sur la bouche.
— Elle rentrera
bientôt chéri, tiens bon, je serais avec toi demain, je l’encourage.
Il m’enlace fort et
attend que je trouve un taxi avant de rentrer. Je reçois le message de Hadassah
en chemin.
— Je sais que tu
es occupée et tout, mais est-ce que tu peux me rendre un service? Ça concerne
papa. Il a peur pour moi, je le sais même s’il ne l’a pas verbalisé, donc si tu
peux, s’il te plaît, passer régulièrement un peu avec lui en soirée, je t’en
serais hyper reconnaissante. Normalement c’est notre moment de la journée, donc
je sais qu’il risque de se faire du mouron inutile s’il est seul avec ses
pensées. Tonton Arthur et mes grands-parents seront dispo aussi, mais ça me
rassurerait si je te sais dispo, désolée du dérangement.
— Tu ne me
déranges pas ma puce, ça me touche que tu fasses appel à moi et tu peux dormir
tranquillement ce soir. Je ferais de mon mieux pour garder les inquiétudes loin
de ton papa, je lui réponds et la dernière chose que je fais avant de
m’endormir le soir là, c’est d’appeler mon chef.
— Laisse l’album
photo de Hadassah et va dormir monsieur, je plaisante dès qu’il décroche.
— J’ai laissé
l’album il y a quelques minutes. Je m’apprêtais à aller faire la ronde devant
sa porte, il me fait rire avec son aveu.
— La ronde là
c’est pour quoi?
— Prier pour ses
vacances.
— Oh OK, je suis
prête alors.
— Tu veux rester
au téléphone? il semble surpris.
— Oui..enfin tu
connais mes aptitudes en prière, mais si ce n’est pas déplacé, on peut le faire
ensemble.
— En réalité, je
veux qu’on prie pour sa mère. Elle a décidé de rester avec son mari et Hadassah
a subi un tas de conneries dans les mains de sa famille paternelle. Je te perds
hein?
— Totalement, je
confirme larguée et il soupire.
— C’est un sujet
délicat, je compte sur toi pour être discrète devant Hadassah.
— Sans faute.
Là il m’explique ce
que j’ai toujours pris pour une histoire simple. Il m’avait déjà raconté qu’il
a eu Hadassah avant son mariage, mais j’ignorais les détails de l’histoire.
— Tu te souviens,
je t’ai dit qu’un événement dans l’enfance de Hadassah l’a terrorisé de l’eau?
— Ne me dis pas
que….
— Ce sont ses
cousins qui ont trouvé drôle de se mettre sur elle pour lui enfoncer la tête
dans l’eau sous prétexte qu’ils s’amusaient. En tout cas, c’est ce que la
grand-mère Muamini a raconté à Stella après le scandale qu’elle a tapé là-bas.
— Il y a des gens
qui naissent avec le démon en eux.
— Kieh, les
enfants des gens?
— Mais rien à
foutre! je réplique déchaînée. Quel humain sensé trouve drôle d’enfoncer la
tête d’un autre pour s’amuser? Pitié, dis-moi que la maman de Hadassah m’a
frappé ses réincarnations sataniques que les gens appellent enfants.
— Hadassah m’a
raconté que le grabuge qu’elle a soulevé a fait venir la police et depuis ce
jour, elle était persona non grata chez la grand-mère.
— Parfait!
Rappelle-moi de leur servir la deuxième saison le jour où on les croisera.
— Donc tu es même
partisane de la violence? Je te découvre des facettes étonnantes, il commente
amusé.
— La violence est
très nécessaire quand on traite avec des animaux.
— J’espère
moi-même que la vie me mettra sur le chemin de la famille Muamini. J’ai des
comptes à régler avec cet oncle et la grand-mère.
— Merde Lio, je
comprends que tu sois inquiet, je dis anxieuse maintenant.
— Je ne peux pas
juger Stella. Elle a le droit de vouloir travailler sur son mariage et elle m’a
assuré que Hadassah reste sa priorité, mais tu sais…
— Oui je
comprends. Tu n’es pas là-bas, il y a déjà des antécédents, donc ça mine ton
moral.
— Exactement.
— Je n’ai pas la
prétention de mieux connaître Hadassah que toi, mais le peu que j’ai vu en la
côtoyant me dit qu’elle ne se laissera pas faire chéri. Les données étaient
différentes avant. Entre un parent malade et l’autre qui dédiait son temps à
prendre soin du malade, c’est facile pour un enfant de se sentir seul et se
renfermer avec le temps, mais aujourd’hui, elle sait qu’il y a un géant
derrière elle. Elle sait sur qui elle compte et je la vois très bien remettre les
gnomes à leurs places s’ils ont le malheur de s’essayer. Vous l’avez bien
outillé. Je suis confiante, même si je déteste les demi-portions qui se disent
cousins.
— La partie des
« demi-portions » était nécessaire?
— Très. Ils
devraient en temps normal pourrir dans un centre de délinquance juvénile, mais
flemme quoi! ça me souuule.
— J’ai compris
l’ado coincée dans le corps d’une adulte, il ironise.
On prie ensemble pour
Stella, Etienne ainsi que Hadassah et je ne raccroche que lorsqu’il me confirme
qu’il est dans son lit. Au moins, je l’ai senti plus calme quand on s’est
laissé, donc je m’endors sereine qu’il fait de même de l’autre côté.
Le matin de mon voyage
à Cotonou, maman m’annonce pendant un appel qu’elle compte venir à Lomé pour
ses achats. Elle se débrouillait avec un commerce de pagnes depuis Lomé et n’a
jamais arrêté malgré nos nombreux déménagements. C’est vrai qu’on vend le pagne
wax au Ghana, mais on trouve plus de variété à Lomé tout comme on trouve plus
de variété de Kente au Ghana. Elle ne veut pas rester chez Bruce en revanche,
comme elle maintient sa méfiance envers les Attipoe. Bref, je lui confirme que
je lui trouverai un logement pour son séjour et commence à chercher depuis
Cotonou. Un des nombreux avantages de mon emploi, c’est que j’ai quelques
contacts maintenant, donc ça ne m’a pas pris une éternité pour trouver un
endroit pour elle. Je vais visiter la maison qui se trouve à Attiégou le matin
de mon retour à Lomé. Une chambre salon, des toilettes extérieures, le mobilier
est vieux, mais la maison est bien située. Le propriétaire refuse de la louer
pour moins de deux semaines en revanche, donc je la prends ainsi même si maman
ne prévoit faire qu’une semaine. Le soir là, j’annonce à Lio qu’il rencontrera
enfin un membre de ma famille.
— Tu es prête à
m’assumer devant le fameux cousin?
— Maman c’est bon
pour un début non?
— Je savais que
c’était trop beau pour être vrai, il réplique sur un ton faussement défaitiste
qui me fait rire.
— Crois-moi, je
te mets en haut là. C’est quand même ma mère.
— Elle est déjà à
Lomé alors?
— Non. Elle
arrive dans deux jours.
— Et que prévois-tu
pour elle? On l’emmène au resto?
— Elle
apprécierait oui, mais je dois t’expliquer un truc sur elle et s’il te plaît,
ne le prend pas mal si jamais elle le fait.
— Je suis à
l’écoute.
— Elle va
probablement te questionner sur ton salaire, parce qu’en fait, elle a la
vieille mentalité, ce n’est pas méchant. C’est juste qu’elle pense que pour
elle, l’homme doit gagner plus que la femme parce que la femme a la charge de
porter et d’éduquer les enfants, mais je ne partage pas cet avis, je lui
explique avec conviction.
— Non? C’est quoi
ton avis sur la question alors?
— Je ne pense pas
que l’argent doit primer sur les sentiments tant que chacun fait sa part dans
le couple.
— Pour toi, c’est
quoi la part de chacun dans un couple?
— Dans un couple
je l’ignore, mais dans mon couple, je préfère un partage équitable. Si tu
gagnes plus, tu prends plus de charges et si je gagne plus, j’assume plus de
charges. C’est pareil sur les questions d’entretien domestique. Si je passe
plus de temps hors de la maison que toi, naturellement tu auras plus de tâches
que moi, mais je suis ouverte à la communication. Quelle est ta vision?
— Celle de ta
mère…
— Tu me fais
marcher, je l’interromps.
— Pourquoi? il
réplique avec humour.
— Toi? Tu penses
qu’un homme doit gagner plus? Tu ne te comportes même pas comme un homme
traditionnel. Tu m’as déjà refusé de faire la vaisselle ici, tu fais ton ménage
et repassage chaque dimanche aprèm.
— Les vieilles
habitudes transmises par madame Hana depuis mon adolescence et je vis avec une
fille à cheval sur l’ordre donc je ne peux pas faire moins qu’elle. Je ne pense
pas qu’un homme doit gagner plus qu’une femme, je préfère gagner assez pour que
ma famille soit à l’aise, c’est essentiel pour moi. La méthode de ta mère sera
peut-être gauche, mais je peux comprendre puisque son intention c’est de
s’assurer que ses petits-enfants ne seront pas lésés si jamais on doit vivre
sur mon salaire.
— C’est bon, dis
seulement ça et elle va t’adorer. Seigneur, elle va même frimer sur moi et me
ramener ses vieux conseils, je dis en roulant des yeux et le fait rire.
— Écoute tes aînées
petite.
— Ce n’est pas
vous, c’est moi qui traîne dans la vingtaine et vous me manquez de respect.
Attendez que j’atteigne 30 ans seulement, vous n’allez plus respirer.
— Et à 30 ans, tu
seras dans mes oreilles en train de pleurer ta vingtaine? il ironise.
— Exactement. L’important
à retenir c’est que je serais dans tes oreilles dans deux ans.
— Oui, tu seras
dans mes oreilles, il me le dit comme une promesse et fait chavirer mon cœur.
C’est tellement palpitant
d’être avec quelqu’un qui se projette naturellement dans l’avenir en m’incluant
et c’est avec ce point que j’introduis la conversation sur ma relation à maman
le soir de son arrivée.
— C’est sa
présence qui a fait que je ne t’appelais pas régulièrement pour pleurer sur l’état
de ma vie durant le chômage. Il est prévenant, doux et si beau….enfin à mes
yeux il est très beau.
— Ne m’embrouille
pas Thérèse. Il a quel âge?
-36 ans, mais ce n’est
pas mieux de…
— Il fait quoi
dans la vie?
— Si je te dis tout
sur lui, il te restera quoi à découvrir? Toi aussi hein.
— Il reste
toujours quelque chose à découvrir. Pour l’instant je dresse un tableau de la
personne.
— C’est pour ça
que tu as sorti ton calepin et un Bic?
— J’ai demandé de
ne pas m’embrouiller Thérèse. Profession?
— Gestion d’un
centre médical, je réponds en roulant des yeux.
Elle fait vraiment sa fiche
hein. Elle a même demandé à voir une photo.
— Pour une fois
tu ne m’emmènes pas un pygmée.
— Maman!
— J’ai menti? La collection
des hommes courts que tu as fait défiler là je l’ai inventé?
— Il y a une
différence entre taille moyenne et courte. Je suis grande pour une fille donc
sortir avec des gens de ma taille ne fait pas d’eux des pygmées.
— Au moins, lui
est grand, il saura te maîtriser dans tes moments de folie.
— Pitié, ne va
pas dire ça devant lui. Je n’ai pas de moments de folie.
— C’est moi qui t’ai
mis au monde hein ma fille. Pourquoi un homme de 36 ans n’est pas marié? Tu as
vérifié entre ses jambes pour t’assurer que…
— J’ai demandé
pitié non.
— Haiii, c’est
important hein Thérèse.
— Bref, je n’ai
pas eu besoin de vérifier, il me l’a montré. Il est divorcé en réalité.
— Hum. Des
enfants de ce divorce?
— Une fille, mais
pas du divorce. Il l’a eu avant.
— Hum, elle
soupire à nouveau. Un homme à enfant Thérèse, tu es prête à être belle-mère?
— Je…enfin..aucune
idée, mais je connais sa fille. J’aime le lien que j’ai avec elle.
— Et la mère de l’enfant?
— Elle est mariée
et vit en France.
— L’enfant là te
respecte?
— Elle est très
respectueuse. Ses parents l’ont bien éduqué.
— Bon, je vois
que tu es déjà décidée, vu comment tu réponds avec conviction. De toute façon, c’est
toi qui décides. Si tu te sens bien dans cette relation avec le père et l’enfant,
j’ai quoi à dire? Je tiens juste à te prévenir qu’il ne faut pas te mettre la
maman à dos. Respecte sa place de mère aussi. Ne va pas donner ton opinion
partout là-bas comme c’est toi qui dois toujours dire ce que tu penses là.
— Beh ne te gêne
surtout pas pour me critiquer hein.
— C’est ton
modèle ou pas?
— Bref,
contrairement à ce que tu penses, je sais intervenir quand c’est pertinent et rester
en retrait aussi. De toute façon, je n’ai pas la prétention d’éduquer quelqu’un
alors que je continue à me découvrir aussi.
— C’est pour me
dire quoi ça? Je te donne deux ans max pour me faire des petits-enfants hein.
— Kieehh, je ris
aux éclats, heureuse qu’elle l’évoque même si je ne me vois pas encore maman, c’est
juste une petite confirmation qu’elle a un peu accepté ma relation, même si je
reste consciente qu’elle va bien griller mon gars.
Je me fais accoster
par Bruce en rentrant le soir là. Il me semble contrarié, vu le ton sur lequel
il me parle.
— Il sonne 22 h
jeune fille. On peut savoir où tu étais?
— Dehors, j’ignorais
que tu m’attendais.
— C’est normal
que tu l’ignores. Tu as le temps de qui dans cette maison? Quand tu rentres, tu
t’enfermes et restes sur ton téléphone pendant des heures.
— Euh…., je fais
déconcertée et jette un coup d’œil vers Jennifer espérant qu’elle m’explique ce
qui se passe, mais elle est occupée à manger ses fruits.
— J’espère pour
toi que tu sais ce dans quoi trempe l’homme riche qui te garde dehors.
— Hein?
— Hein moi bien
Tessa! Hein moi encore, mais sache aussi qu’ils cherchent des filles comme toi
pour leurs sacrifices. Ces gens ne maintiennent leurs niveaux de vie qu’en
pompant l’énergie de filles naïves. L’Égypte, le Kenya, ce sont des endroits
que tu peux très bien visiter en travaillant dur pour économiser, le bonheur ne
se trouve pas dans la poche d’un homme.
— Mais je t’arrête
de suite Bruce. Tu vas loin là. C’est quoi cette histoire? J’étais avec maman
moi, je lui avoue, indignée par le tableau qu’il peint de moi.
— Maman? Ta mère
est à Lomé? il demande et Jennifer nous sort un rire moqueur en se rendant en
cuisine avec son bol de fruits.
Maman va devoir m’excuser
concernant la discrétion, mais je déteste être accusée pour rien.
— Oui elle est
arrivée récemment.
— Mais enfin…elle
est où? Pourquoi je l’apprends maintenant?
— Parce qu’elle
ne voulait pas déranger, elle sait que Jennifer accouche bientôt donc ajouter
une personne supplémentaire peut étouffer.
— C’est quoi ces
conneries? Elle vit même où?
Je lui explique
vaguement que maman s’est loué quelque chose le temps de faire ses emplettes et
rentrera au Ghana bientôt.
— Ton cousin te
voyait déjà tchiza des gens hein notre petite, ironise Jen à son retour.
— Enfin Bruce, tu
me prends pour qui?
— Qui t’a sonné
toi? il toise Jennifer.
— Pardonnez oh,
le médecin m’a recommandé le repos jusqu’à l’accouchement. Bonne nuit l’inspecteur
et la tchiza imaginaire, elle nous souhaite et nous laisse.
— Sérieux Bruce? je
répète un peu déçue. J’ai des valeurs quand même.
— Qui n’a pas de
valeurs de nos jours, pourtant on sait combien se laissent aux hommes riches juste
pour vivre une vie aisée.
— Et alors? Tu m’as
connu ainsi?
— Non mais, bref,
je n’aime pas ce que tata Eglantine fait là. C’est quoi cet affront? il change
de sujet.
— Tu pourras lui
demander directement demain, mais à l’avenir, questionne-moi au lieu de m’inventer
des vies s’il te plaît. Si je ne me sens pas prête à te le dire, je te donnerai
au moins une raison.
— C’est bon,
oublions ça, tant que tu ne trahis pas les valeurs familiales des Attipoe
Attiba, je suis derrière toi, il dit en m’enlaçant l’épaule et on se dirige
vers ma chambre.
Je ne trahis pas les
valeurs familiales en gardant ma relation secrète pour l’instant, du moins je
ne le vois pas ainsi. Après maman, je vais présenter Lio à Bruce. Sans perdre une
seconde, j’avertis maman par message que sa présence à Lomé n’est plus un
secret. Bien évidemment, elle me fait des reproches, mais ce n’est rien de
violent. De toute façon, elle se promène dans la ville, donc rien ne garantit
qu’elle ne croisera pas un membre de la grande famille. Je me lève avec le
stress le lendemain. Aujourd’hui, mes deux mondes vont se rencontrer. Je ne
peux expliquer le stress, mais il est bien présent et m’empêche de petit
déjeuner. Il me faut même me concentrer sur les paroles de Bruce à table pour
comprendre qu’il était au téléphone avec maman. La rencontre aura lieu en aprèm
dans un bar à foufou non loin de la maison de maman. Elle n’a pas grand-chose chez
elle et trouvait inconvenable de le recevoir ainsi donc nous avons opté pour un
endroit neutre pas très loin.
Le chef des gens ne
dégage même pas une once de stress quand il vient me prendre.
— Genre c’est
déjà dans la poche pour toi? je demande un peu déconcertée.
— Mais non, il
sourit amusé.
— Montre un peu
que tu as peur non? Tu ne sais pas que c’est mignon?
— Ce qui est
mignon c’est ce que tu portes. J’aime l’orange sur ta peau.
— Merci, je ne
peux m’empêcher de glousser. Tu as eu Hadassah aujourd’hui? Elle n’a pas répondu
à mon « bonne nuit » d’hier.
— C’est parce qu’hier,
ses amis Estelle et Ethan étaient chez elle pour une soirée pyjama donc on n’existera
plus jusqu’à leurs départs. C’est son petit cercle d’Arras et aussi la première
fois que Stella et Etienne les autorisent chez eux, donc elle plane
actuellement.
— Je suis trop
contente que tout se passe bien pour elle.
— Tout se passe
mieux tu veux dire, je suis si soulagé si tu savais.
— Et tout se
passera bien avec maman aussi, je l’encourage et il rigole tout en me rappelant
que c’est moi qui stresse.
J’ai formulé un beau
souhait et au lieu que maman se connecte sur ma fréquence spirituelle pour l’entendre,
elle a choisi de fermer ses oreilles. C’est par une question super gênante qu’elle
a lancé la discussion.
— Si un directeur
médical c’est un directeur comme les autres ou quelqu’un dans le show-biz? Lio répète
confus.
— Il n’est pas
dans le show-biz maman.
— Il t’a dit qu’il
n’a pas de bouche pour répondre? Explique-moi mon fils, parce que Thérèse ne m’a
ramené que des gens dans le domaine là, pourtant elle n’est jamais dans le show.
— On peut
connaître la pertinence de cette information? je rétorque.
— Les rares fois
où elle restait dehors jusqu’à 2 h du matin, elle pouvait dormir jusqu’à
18 h si je ne venais pas lui verser de l’eau dessus, elle choisit de m’ignorer
et continue. Le biz aussi on ne la trouvait pas dedans. Dès le bas âge quand je
lui donnais les bonbons pour vendre, elle mangeait la moitié et revenait en
larmes qu’elle a mal au ventre. Elle n’a jamais pu rien vendre, pourtant je
suis une bonne commerçante. C’est avec elle que j’ai compris qu’on ne transmet
pas toujours les choses. Heureusement, Dieu lui a donné le talent d’écrire et elle
a développé le bon parler à l’école qui l’a conduit à la télé sinon, on allait
s’en sortir comment?
On peut juste creuser
ma tombe là? Ça se fait de présenter les défauts de son enfant sans retenue?
— J’aime comment
vous avez décortiqué le show et le biz, Lio aussi l’encourage avec humour.
— Ah moi-même, il
faut qu’on me sépare les choses pour bien m’expliquer donc je le fais aux
autres.
— J’apprécie et
non, je ne suis ni dans le show ni le biz. Je suis gestionnaire d’un centre
médical.
— Ah c’est bien
ça. Mes problèmes de pied sont guéris alors.
— Il s’occupe d’un
centre d’accouchement, rien à avoir.
— Thérèse, sois
transparente merci.
— Mais! je fais
choquée par le vent qu’elle me met.
C’est sa façon de me
dire de faire comme si je n’étais pas là ou encore de juste la boucler.
Je réduis donc mes interventions
et j’admets que leur conversation est vraiment fluide quand on les observe.
***Romelio Bemba***
Il y a quelque chose d’attachant
chez les personnes âgées qui parlent à leur manière. Elle m’a bien amusé la
mère de Mini et à la fin du rendez-vous, on parlait déjà de la prochaine rencontre.
En dehors de leur ressemblance physique, je doute qu’elles aient beaucoup en
commun, parce que la dame n’a pas hésité à me demander si je peux la déposer en
voiture pourtant la maison se trouve à quelques pas du bar à foufou. Elle a
même dit à sa fille de passer en arrière parce qu’elle en profite régulièrement
et c’est son tour aujourd’hui. Mini n’aurait jamais osé et la gêne était visible
sur son visage, mais j’aime faire plaisir aux gens que je trouve agréables, donc
c’est avec plaisir qu’on l’a laissé puis j’ai continué avec sa fille au cabinet
dentaire où elle a rendez-vous.
Quand je m’arrête pour
faire le plein d’essence avant de continuer à l’hôpital, je tombe sur des
médicaments tombés sur le tapis à côté du côté non-chauffeur en avant. Ma
chérie ne prend pas de médicaments à ma connaissance, donc je suppose qu’ils
sont tombés du sac de sa mère quand elle descendait. Comme je ne suis pas si loin
de son domicile, je décide d’y retourner pour les lui laisser. Je m’apprêtais à
sonner au portail quand on tirait sur ce dernier pour l’ouvrir donc j’attends
et voilà un visage étrangement familier qui se tient avec la vieille.
— Ah tu es revenu
pour la clé que Thérèse a laissée sur la table hein?
— Thérèse? s’écrie
la personne au visage familier en regardant la vieille puis revient vers moi
avec un air furieux.
— Qu’est-ce que
tu fiches avec ma cousine Romelio? Ça ne t’a pas suffi de briser Jennifer? il
vocifère alors que je m’apprêtais à lui demander si on ne s’était pas déjà vus.
— Jennifer? je
répète le cerveau embrouillé.
Pourquoi ce prénom
sort dans cette conversation?
— Il y a un
problème Bruce?
— Brice Attila? je
dis, mon cerveau m’ayant enfin livré le nom que je cherchais.
— C’est ton père
Attila! Je suis Bruce Attipoe, le cousin de Thérèse et tu as intérêt à me
foutre la paix à l’enfant! Elle n’est pas Jennifer que tu as fini d’anéantir
avant de la jeter.
— Pourquoi tu me
parles de Jennifer bon sang! je m’écrie en reculant, plus confus que jamais.
Je suis tellement
confus que mon cœur palpite. Thérèse et Jennifer se connaissent? Non Tessa n’aurait
pas fait ça. Elle n’aurait pas accepté d’entrer dans ma vie avec un motif? Ou c’est
pour ça qu’elle a plusieurs fois repoussé les présentations entre son cousin et
moi? Quand a-t-il refermé le portail? Je me demande d’un coup, me rendant
compte que je suis seul dehors et je les entends s’engueuler depuis l’intérieur.
Du moins, il crie sur la vieille et dans la foulée, annonce que Jennifer est sa
femme. Personne ne m’a frappé, mais j’ai senti un coup immense toucher mon cerveau.