Au secours !

Ecrit par Tiya_Mfoukama

J’ose même pas relever la tête, je me sens tellement mal. Je sais que ce que je vais annoncer à mon père dans les secondes qui vont suivre ne va pas le réjouir, mais je n’ai pas vraiment le choix. Entre blesser ma mère et le blesser lui, la distance et le lien qui m’unit à ma mère ont déjà fait peser la balance. 

La situation n’est absolument pas drôle mais entre nous, j’ai envie d’éclater de rire. Un rire vrai, sorti des profondeurs de ma gorge !
Rien que la pensée de voir ma mère, son téléphone à l’oreille en train de parler à mon père tout en se disant « coco, tu penses que j’ai capitulé mais tu ne me connais pas bien, attends », m’étire les lèvres.
Sacré bout de femme, je me dis tout en relevant la tête.

Je tends à mon père son téléphone avec un sourire gêné, puis annonce que je vais finalement prendre un verre d’eau.

J’essaie de décontracter la mâchoire serrée de mon père en lui posant quelques questions auxquelles il répond brièvement aux premières questions  avant de se montrer plus éloquent.

Au début, je le faisais parler pour le distraire un peu, mais au fur et à mesure des questions, j’ai eu envie d’en savoir plus sur lui, et maintenant, je porte un réel intérêt à ce qu’il me raconte.

-J’aurai pu être un joueur professionnel, et s’il n’en tenait qu’à moi j’en serais peut-être devenu un, mais mon père ne le voyais pas du même oeil.
-Wahou ! Ça me fait rire parce que moi aussi j’ai fait du basket. Bon pas longtemps mais j’aimais bien ce sport.
-On pourrait essayer de se faire quelques paniers un de ses quatre. On a un petit terrain aménagé pour.
-Oh, tu ne vas pas l’ennuyer avec ton sport. Tu ne penses pas qu’elle aura autre chose à faire que de courir derrière un ballon avec un vieil homme pour adversaire ! Lance sa femme sur un ton faussement grondant.
-Ah, c’est vrai que….

Il hausse les épaules en soupirant à la manière des enfants lorsqu’ils sont déçus, et sa femme et moi éclatons de rire. En parlant de sa femme, pour une voleuse de mari, elle me semble sympathique, et avenante. Je ne sais pas si elle est en train de me faire une représentation parce que mon père est là, ou si effectivement, elle est naturellement comme elle se montre, mais j pense que je le saurai tôt ou tard. En pensant à tard, faudrait peut-être que j’y aille moi.

Je sais que ma mère m’a donné des instructions pour partir de chez mon père, mais je ne vais pas les suivre, je n’ai d’ailleurs jamais eu l’intention de les faire. Je suis consciente de la relation conflictuelle qu’ils, mes parents, entretiennent, mais je suis aussi consciente qu’elle ne me regarde pas et que par voie de conséquence, je n’ai pas à être au centre de leur petite guéguerre encore moins à la subir. Et c’est la raison pour laquelle, je le ne vais ni mettre en pratique les micmacs de ma mère pour partir de chez mon père, ni séjourner ici pour faire mal à ma mère. Ils vont dorénavant apprendre à se tirer dans les pattes sans se servir de moi. Et c’est la première chose que je vais apprendre à mon père…

-Bon papa. Commencé-je en le coupant. Est-ce que je peux te parler… Seul à seul. 

Je coule un regard vers sa femme, tout en souriant pour lui faire comprendre que ça n’a rien à voir avec elle, et là encore, elle se montre conciliante et se lève pour « aller un peu ranger la cuisine ».

-Oui. Tu veux me parler de quoi ? Il me demande une fois qu’elle est partie.
-Euh… 

Je sais pas trop comment introduire mon propos, je pourrais la faire à la Ketsia, c’est-à-dire « brute de décoffrage » et prier pour qu’il ne le prenne pas mal, où alors temporiser un peu à la Germaine et arrondir les ongles. Le souci avec les propos à la « Ketsia », c’est qu’ils peuvent me porter préjudice. Il suffit de remonter quelques années auparavant pour s’en rendre compte. Ma franchisse et mon honnêteté ne m’ont pas toujours aidée. J’ai été traitée d’impolie parce qu’à une fête de famille où j’étais « serveuse » j’avais crié sur un vieil oncle en le traitant de pédophile. Il s’amusait à me peloter les fesses furtivement quand je passais devant lui avec le plateau de boissons, j’avais 16ans, et lui… Je sais pas, je pense que la famille avait arrêté de compter après ses 86 ans hors taxe. Quoi qu’il en soit, il était préhistorique et je n’allais pas me laisser toucher par un homme de la préhistoire, qui sait quelle infection il a développé au contact des dinosaures. Je me suis fait tirer les oreilles, parce que « ce n’est pas comme ça que l’on fait » m’avait dit ma tante, « sa main avait peut-être bougée toute seule ». Je n’ai pas accepté la version de la main animé d’une volonté propre, ma mère non plus et cette histoire a pris de grosses proportions. Et c’est pour cette raison que je me suis mise à adopter les propos à la « Germaine », plus souples, moins brutaux, moins francs, plus hypocrites, avec moins de sincérités comme le monde les aime. 
Pour mon père, je vais faire un mixe des deux, ce sera plus judicieux.
Je prends donc une grande inspiration et me lance, espérant avoir les mots justes pour créer le moins de dégâts possibles.

-Okay, pour commencer, je voudrais te remercier d’être venue me chercher. Je sais que tu as un emploi du temps extrêmement chargé et j’apprécie que tu aies pris une journée pour m’accueillir. Lorsque nous avions parlé au téléphone, tu m’avais fait comprendre que tu me réserverais une chambre ou un appartement afin que je puisse avoir un endroit où loger en arrivant, mais au dernier moment tu as changé d’avis. Sans me prévenir, tu as décidé de faire autrement et excuse-moi, mais je n’ai vraiment pas apprécié ta façon de faire. 
-…
-Il y a des différends qui vous opposent maman et toi et je ne veux pas en être la cause ou avoir à les subir. En tant que parents, je pense qu’il est de votre devoir de me protéger et de m’épargner au maximum des frictions qui découlent de vos conflits et cela en tout temps. 
Je ne vais pas rester ici en sachant que ça blesse maman, ni aller dans sa famille, en sachant que cela te blessera. Je vais donc aller à l’hôtel pour le moment et espérer que tu me trouveras un logement rapidement afin de ne pas trop faire augmenter la facture.

Je finis avec ce que je pense être une petite chute marrante puis reprends mon sérieux quand je vois qu’il ne me suit pas.
Pourtant j’ai été mi Ketsia mi-Germaine, voir plus Germaine que Ketsia. Je ne lui ai pas dit tout le fond de ma pensée comme le fait que je sois jeune, mais assez âgée pour qu’on m’explique les choses et mieux, pour prendre seule des décisions me concernant. Qu’il n’avait donc pas à m’imposer une cohabitation sous son toit !
J’aurai dû lui dire tout ça. Au moins j’aurai compris l’expression fermé de son visage.

-…..Bien. Dit-il simplement avant de se lever. Mamane va apprêter la voiture et remettre tes bagages dans le coffre. Je vais te réserver une chambre au Pavillon Nicolas en attendant que Sylvie aille nettoyer l’appartement de l'OCH. Rajoute-il le téléphone à l’oreille et s’enfonçant déjà dans un couloir, le même emprunter par sa femme.

Manquait plus qu’il soit vexé…
C’est dans ces moments-là que j’aurais aimé avoir une famille normale, avec un père laxiste et une mère complètement hystérique, qui s’aiment, et qui s’unissent pour mener la vie dure à leurs enfants. Je ne ressentirai probablement pas cette petite boule au cœur, ce sentiment de culpabilité et cette tristesse, parce que peu importe les choix que je ferai, je vexerai toujours un de mes parents. Je n’aurai pas toujours le cul entre deux chaises et l’obligation de prendre sur moi, voire endosser un conflit pour temporiser ou détendre une atmosphère.

-Pour la réservation c’est bon. Lance-t-il de retour. Mamane est…
-Attends, tu m’en veux pas hein ? Je lui demande avec une voix un peu trop tremblante.

Je me fais l’effet d’une personne qui quémande parce qu’il faut quand même l’avouer, au-delà de ce besoin de me découvrir et de me refaire ici, j’ai vu en cette nouvelle étape de ma vie, le moyen d’apprendre à connaitre mon père, ne pas essayer de rattraper le temps perdu mais profiter un maximum de celui qui se présente devant nous pour créer une vraie relation père-fille, non biaisée par les propos de ma mère ou mes tantes ou qui sais-je encore. Mais si notre « relation » commence sur une prise de tête, j’ose pas imaginer à quoi ressemblera la suite.
Et on dirait que c’est le cas puisqu’il ne me répond pas et se dirige vers la porte d’entrée.

Je le suis, silencieusement, le cœur un peu lourd je dois le reconnaitre et m’installe à ses côtés à l’arrière de la voiture.

-Donc tu comptais partir sans me dire au revoir. Lance sa femme en s’avançant vers la voiture.
-Oh non, désolée. Je réponds en baissant ma vitre. C’est juste que….

C’est juste que je vous avez oublié madame. Ne m’en voulez pas.

-Je t’embête un peu ! Rire-t-elle. Je t’appellerai dans la semaine pour qu’on puisse faire quelques courses pour l’appartement. Je pense que tu vas avoir envie de modifier la décoration, elle fait un peu vieillotte. Comme c’est ton père qui avait choisi. Elle rajoute en chuchotant, mais pas assez bassement, pour que mon père n'entende pas et qu'il se mette grogner.

Je ris, reconnaissante pour l’attention qu’elle me porte en espérant encore une fois qu’elle ne veut pas tourner un Nollywood story avec moi dans le rôle de la belle-fille bouc émissaire. D’ailleurs, le rôle de victime ne me va pas. Celui de la belle-fille rebelle et impétueuse, beaucoup plus. 

-D’accord, je vais attendre ton appel. 

Je la salue d’un geste de la main, puis remonte ma vitre et m’adosse à mon siège.
Le trajet se fait dans un silence sans nom, et j’en profite pour regarder Brazza défiler sous mes yeux…. Qu’est-ce qu’elle a changé, elle semble plus épanouie en apparence mais une petite brise vient trahir sa douleur, comme un voile de triste passant furtivement dans un regard aux prunelles lumineuses et un bouche au large sourire…

-Ketsia ! 
-Oui papa ?
-Nous sommes arrivés.
-Oh. J’ai pas vu le temps passer. Je lui dis en sortant de la voiture.
-…. Tu as souvent la tête dans les nuages…. Mais tu m’as montrée que tu étais sage et réfléchie. Me dit-il sur un ton grave avant d’ajouter. J’ai été agréablement surpris, tout à l’heure.

Et bien tu as une façon assez particulière de montrer que tu es agréablement surpris, mais soit, ça me rassure. 
Moi qui avais peur de mal commencer…
Cette histoire réglée, je le suis afin de procéder au check-in à l’accueil, avant de monter dans ma chambre. Même si j’estime avoir passé l’âge, je le laisse me faire son petit speech de « Daddy protector » à base de « fais attention à… » version congolaise, car après tout c’est la première fois que je l’entends, et que lui a l’occasion de le faire, puis une fois fini, je le congédie gentiment pour me retrouver seule.

Piouf !
Je ne suis qu’au premier jour et je suis déjà embarquée dans les secousses familiales, je me dis en m’allongeant sur le lit. 
Je pousse un gros soupir en fermant les yeux avant de les ouvrir de nouveau, déboutonner mon jean, le retire et me diriger vers les toilettes. Je ne suis pas allée aux toilettes depuis l’appartement de ma mère !

Je trouve la cuvette des toilettes soulevée – chose que je dé-teste profondément – la rabat, avant de m’asseoir sur le siège est me laisser aller.
Qu’est-ce que ça fait du bien ce moment où on lâche prise, on ne se retient plus et on sent sa vessie se vider en un jet puissant … C’est une sensation tellement exquise, similaire à une libération, et il fait toujours naitre un petit sourire en coin niais.
Je ris encore une fois, parce que mon visage est déformé par ce petit sourire en coin niais, et des yeux mis clos. 

-Ketsia tu es trop nase. Je me dis tout en riant et en me levant de la cuvette. 

Je vais me placer devant le lavabo pour me laver les mains quand je remarque un bleu sur le bas de ma hanche droite, en la touchant, j’ai le réflexe comme bon nombre de femmes de regarder mes fesses. Elles se défendent assez bien même si j’ai l’impression d’elles sont un peu flasques. En les tapotant, et en voyant une vague suivie d’un tremblement, j’obtiens la confirmation de mes propos. 

-Va falloir que je me tue aux squats pour arranger ça. 
-Non, au contraire, ne faites absolument rien. C’est beaucoup plus sexy et ça atteste de la véracité du produit. 

Je me suis vivement retourner, pour mettre un visage sur l’étranger à la voix grave et profonde qui venait de parler, avant d’hurler au meurtrier, au viol, au voyeuriste, au voleur, et au secours. Pas spécialement dans cette ordre là. 
Sans faire attention aux propos que tient l’étranger, j’analyse rapidement la pièce et m'empare d’un déodorant à pression que je presse en direction du visage de l’étranger. 
J’ai jamais compris pourquoi et comment les gens faisait pour oublier une chose aussi vitale qu’un déodorant, c’est participer au terrorisme nasale, et moi je lutte activement contre, mais pour cette fois, je vais me réjouir de cet oubli, parce qu’il va me sauver la vie. 
Le voleur, parce que s’en est forcément un, se met à hurler en frottant ses yeux. Et j’en profite pour mettre en pratique les techniques de self-défense apprises durant mes cours d’auto-défense, cours que ma mère m’a obligé à suivre suite à l’agression de sa collègue. 
Je m’éloigne de lui lorsqu’il fait un pas vers moi, et le frappe avec le déodorant dans les mains au niveau du nez. Je dois sauter pour le faire, au vu de sa taille, mais ne le manque pas. Bien vite, du sang se répand sur le carrelage accompagné de ses cris. 
Je ne lui laisse pas le temps de s’en remettre, il ne faut jamais laisser de répit à son agresseur au risque de voir la situation se retourner en la défaveur de l’agressé, et je lui flanque un coup de pied dans les parties intimes. Il se plie littéralement en deux puis se retrouve à genou, doublant ses cris en intensité. Je profite de cette position pour lui asséner un coup à la tempe, toujours aidé du déodorant. Je suis dégoutée de ne pas avoir mes clés que j’aurais installées comme des bagues aux doigts pour défigurer cette pourriture. Mais bon, ce que je viens de lui mettre dans la gueule est assez suffisant pour le faire tomber sur les côtés et me permettre de sortir de la pièce pour me ruer vers la porte d’entrée.

-Au secours ! Au secours ! Il y a un voleur dans ma chambre qui a tenté de m’agresser ! hurlé-je dans le couloir.
-Comment ça ? Me demande une femme accompagnée d’un homme.
-Il y a un voleur dans ma chambre. Répété-je en panique.

Au lieu de réagir, la bonne femme me dévisage, regardant avec insistance le bas de mon corps.
Je suis son regard et…. Merde, je suis en string !

GERMAINE KETSIA MASS...