Chagrin

Ecrit par Saria

*** Siège de CTN Mag – Cadjèhoun – Cotonou, Bénin***

***Selma***

J’assistais comme tous les jours à 10 h, à la réunion éditoriale. Mais si mon corps était présent, mon esprit lui, est resté à Fidjrossè. Depuis la fois où la discussion a tourné court avec Kader, c’est le froid entre nous. Comme je n’ai jamais été douée pour la rancune, j’ai presque envie de lui demander pardon en courant. Je n’y arrive pas, même en sachant que j’ai été impulsive, que j’ai fait preuve d’immaturité ! J’ai peur qu’il en abuse plus tard comme Phil l’a fait avant lui. Du coup, je ronge mon frein.

« Ohé ! La terre à Selma ! Allôôô ! »

Je lance un regard noir à Tim mon « bon » collègue comme je l’appelle. En retour il m’envoie un baiser du bout des doigts. Je le Tchiip et détourne le regard. Il me fatigue en ce moment avec son éternelle bonne humeur. Timmy La Fouine c’est le genre de mec qui prend la vie du bon côté, toujours optimiste. Lorsque j’ai intégré le magazine, il n’arrêtait pas de me taquiner. Un jour j’en ai eu marre et je lui ai dit que je n’étais pas intéressée, il a paru choqué avant de me dire :

« Jamais je ne drague un cul plat ; Selma, le jour où tu auras une forte poitrine et de grosses fesses, là tu seras l’objet de mes fantasmes ! ». C’était à mon tour d’être choquée, je lui ai dit « le cul plat t’emmerde ! ». Il a rigolé et depuis on est devenu potes. Hormis, sa barbe qui est identique à celle du rappeur français La Fouine, Tim est vraiment doué pour dénicher le plus gros ragot people… Bref, une vraie fouine ! Mais un chic type… C’est lui qui m’a révélé, preuve à l’appui, le double-jeu de Phil. Bon je me perds là !

Hum « Kader », rien que son prénom me donne des frissons. A quel moment il a pris autant de place dans ma vie ?! Une vraie force tranquille, il ne dit rien et m’observe depuis qu’on est fâchés. Quand il rentre avant moi, il fait systématiquement à manger. Dès qu’il finit, il lave tout ce qu’il a utilisé et remet en place. Dommage qu’il n’ait plus de mémoire, je l’imagine bien en militaire. Si je vous dis que je sais ce qu’il fait de ses journées, je mens.

C’est le bruit des chaises rangées par les collègues qui me fait sortir de ma rêverie. Apparemment, la réunion est finie, je n’ai rien retenu. J’espère juste que rien d’important n’est prévu cette semaine. Hum !!! Je soupire encore avant de me lever péniblement.

 

***Kader***

Je rentre fatigué comme chaque jour, depuis maintenant deux semaines environ. Ah apparemment, ma « colocataire » est rentrée plus tôt aujourd’hui. Je laisse ma caisse à outils devant ma chambre, mon téléphone portable et mon portefeuille dans le vide-poche posé sur un petit meuble à l’entrée et passe me laver les mains à la cuisine.

Moi : Bonjour Selma

Selma : Hmmm.

Elle vient de faire à manger et ça sent vraiment bon, c’est l’une des choses que j’aime chez elle. Bien qu’elle soit occupée, c’est la nana qui mange ou achète rarement des plats cuisinés dehors.

Moi : Donne-moi le temps de me rafraîchir et je reviens mettre la table.

Selma : Ok

Voilà à quoi rime une conversation entre elle et moi depuis cette fameuse nuit. Je ne m’en formalise pas du tout car je n’ai rien à me reprocher !

 

***Trente minutes plus tard***

Nous mangeons, en silence quand mon téléphone que j’avais récupéré se met à sonner… Avec insistance. Je rejette l’appel mais la personne continue, moi-même je commence à être agacé. Je coupe mon téléphone et le pose près de mon assiette. Je rencontre le regard courroucé de Selma.

Selma : Quoi, c’est encore une femme ? Ne t’inquiète pas, de toute façon ça n’a pas arrêté ! Un vrai standard ma parole !

Moi (la regardant) : …

Selma (criant) : Quoi, tu es devenu muet « Monsieur je ne peux pas m’engager si je ne sais pas qui je suis » ?! C’est peut-être à ça que tu passes tes journées ! Des femmes qui t’appellent en boucle, Mona, Carmen, Leïla !

Moi (froidement) : Un, tu ne touches pas à mon téléphone ! Deux, tu veux parler ? Tu veux des réponses, ok ! Mais tu baisses d’un ton ! Si tu n’es pas capable de parler sans crier ou sans m’insulter, on arrête les frais !

Je n’ai pas haussé le ton une seule fois mais je crois que mon message est passé 5/5. Elle se lève et me tourne le dos, les bras passés autour d’elle. Je réalise qu’il y avait un truc qui ne tourne pas rond.

- Selma !

J’ai presque soufflé son prénom. Elle se cache de moi. Je la rejoins et me mets juste derrière elle sans la toucher. J’appelle son prénom d’un ton doux.

 

***Selma***

Il prononce mon nom comme une caresse et mon corps réagit instinctivement. Il est juste derrière moi et je sens son souffle chaud sur ma nuque. Mais je refuse de me retourner et de lui montrer ma détresse. Ces appels téléphoniques intempestifs ont réveillé des souvenirs douloureux en moi.

Kader : On va s’asseoir et parler… Tu veux bien ?!

Je hoche la tête, la gorge trop nouée pour parler. Je m’installe dans le canapé loin de lui, à l’extrémité, il me rejoint sans un mot.

- Je ne sais pas mais je crois que j’ai appris un métier lié au bois, c’est vrai aussi que je me débrouille bien dans le bâtiment. La dernière fois, le voisin d’en face est venu demander après toi. Il voulait que tu lui donnes le contact de ton ébéniste, il a vu les réalisations que j’ai faites à la porte d’entrée du salon. Je lui ai dit que c’est moi qui avais fait la rénovation. J’ai fait pas mal de travaux liés au bois chez lui. A la fin il m’a demandé la facture, j’ai avancé un chiffre, il a payé sans rechigner.

 Il m’a demandé mon contact et ma disponibilité pour me mettre en relation avec une amie à lui. Actuellement, je bosse sur le chantier de cette dernière, sans compter que je prends également des rendez-vous pour des travaux ponctuels. C’est pourquoi j’ai changé le téléphone que tu m’as offert, avec le nouveau. Je peux gérer mon planning. Regarde mes mains, Selma.

C’est vrai qu’elles semblent plus rugueuses qu’à son arrivée. Mais j’ai encore un doute.

Moi : et les filles qui t’appellent sans arrêt ?

Kader : J’ai bossé pour elles… Mais il y en a qui veulent plus.

 

Un silence passe et je m’entends dire au bout d’un moment.

Moi : Et toi ? Toi tu veux quoi ?

Kader : Selma… Elles ne m’intéressent pas !

 

Je souffle bruyamment, et essuie mon visage où coulent des larmes.

Moi : Pourtant… Tu m’as rejetée après… Après m’avoir fait l’amour.

 

Il plonge un regard franc et direct dans le mien.

Kader : Non ! Tu es partie ! Tu ne m’as pas laissé aller jusqu’au bout de mon développement. Oui, je t’ai dit que je ne pouvais pas me mettre avec quelqu’un si je ne sais pas qui je suis. Selma… Tu me plais… énormément ! Mais je ne peux rien t’offrir ! Je voulais que tu sois consciente de tous les paramètres afin de faire un choix !

Moi : Ok… en gros tu veux être réglo

Kader : Oui !

Moi : Mais ça n’existe pas ça !

Kader : Quoi ?

L'homme qui n'avait...