Pas assez bien pour toi

Ecrit par Saria

***Quelques semaines plus tard***

*** Cadjèhoun – Cotonou, Bénin***

***Kader***

Aujourd’hui c’est samedi, on a décidé de faire nos courses au supermarché Mont-Sinaï. C’est d’ailleurs la première fois que ça nous arrive depuis que nous vivons ensemble. Je pousse le chariot dans les rayons étroits du supermarché. Selma, liste et stylo en main, barre ou arbitre. A un moment, je l’entends s’exclamer puis disparaître dans le rayon des produits d’entretien.

Moi : Euh Selma ? Tu es sûre que…

Voix inconnue (avec un fort accent anglophone) : Ah ! Michel ! Je ne me trompais pas, c’est bien Selma que j’ai aperçue !

Me retournant, je tombe sur une belle dame claire d’un certain âge. Un monsieur de la même génération la suivait également avec un chariot rempli. La dame pose sa main sur mon bras et m’interpelle.

Inconnue : Jeune homme, vous êtes bien accompagné de ma fille Selma ?!

Moi : Euh…Oui…Oui

Inconnue : Mais où est-elle passée ?!

Moi : Je crois qu’elle est allée chercher…hmmm…

Selma (réapparaissant) : Du détergent !

Moi : Oui voilà !

J’observe la fille-là, elle n’est pas nette ! On était tous debout au milieu de l’allée !

Inconnue : Tou ne nous présentes pas ?

Selma : Ah pardon ! Papa, maman je vous présente Kader Diaby… euh un ami, Kader… Michel et Adesua Koukoui, mes parents.

Moi : Enchanté !

Maman : Nous de même !

Nous nous serrons chaleureusement la main. Comme Selma et moi avons fini nos courses, je prends les paquets des parents et les charge dans la voiture. Une RAV 4 dernier cri ! Eh ben ! Tu sens tout de suite l’opulence quoi ! Dès que je finis, je me tourne vers eux pour dire au revoir.

Maman : Venez manger à la maison tous les deux ! Demain pourquoi pas ?!

Selma : Je ne sais pas si ça convient à Kader… et puis…

Moi : Avec plaisir !

 

Dès qu’on entre dans la voiture, elle explose :

Selma : Mais qu’est-ce qui t’a pris d’accepter ?

 

***Selma***

Il ne bronche pas d’un iota au contraire, il met son casque et chantonne ! Je fulmine dans mon coin, je sais qu’il a horreur des cris. Je commence déjà à regretter un peu mon humeur ; on arrive à la maison. Je gare la voiture, nous la déchargeons ensemble en silence. Il entre dans la cuisine et éclate de rire, c’est la première fois que je le vois comme ça, Kader riant aux larmes et moi, me demandant ce qu’il y avait d’hilarant. Il se calme progressivement.

Kader : Dieu, Selma ! Tu as vu ta tête ?! On dirait une petite fille prise en flagrant délit ! Tu as 28 ans nom de Dieu !

Moi : …

Redevenant sérieux… Il me fixe longuement avant de détourner le regard.

Kader : C’est moi le souci ou bien tu ne veux pas présenter un mec à tes parents ?

Moi : Ce n’est pas ce que tu crois… Je n’ai pas honte de toi… Je ne veux juste pas étaler ma vie !

Kader : Tu peux m’expliquer ?

Moi : Déjà mes parents sont séparés, ma mère vit en France avec Anita et Joan mon frère est en Italie. Maman Adesua, c’est ma belle-mère, une femme délicieuse mais très très… présente si tu veux. Mes parents me mettent la pression pour que je fonde un foyer. Moi, je ne me sens pas prête et j’aime bien évoluer à mon rythme. Je ne veux pas leur présenter quelqu’un, faire naître de l’espoir et ça va foirer.

Kader : Comme avec Phil…

Moi : Comme avec Phil.

Un silence passe comme s’il cherchait ses mots. C’est l’une des choses que j’apprécie chez lui ça.

Kader : Je pense que tu te mets la pression toute seule. Je crois qu’ils ont suffisamment de maturité pour faire la part des choses… Ils veulent être sûrs que tu mènes une vie correcte, comme les jeunes femmes de ton âge… Que tu vois quelqu’un de sérieux… Et crois-moi si j’étais à leur place, je ferais pareil ! Je serai heureux de manger chez eux… et de te voir évoluer dans une facette de ta vie.

Moi : Toi et moi… C’est compliqué… Tu le sais puisque c’est toi qui as posé les règles… Tu veux aller manger chez eux… Après…

Kader : Détends-toi ma belle ! A chaque jour suffit sa peine, ce n’est pas comme si j’y allais pour demander ta main non plus.

Il m’enlace et me fait un smack sur la tempe. Apparemment pour lui c’était réglé ! Les hommes quoi ?! Moi je savais que Maman Adesua n’allait plus me lâcher après une visite comme ça.

 

***Au même moment***

***Eaubonne - France***

***Chérifa***

Un an, six mois et trois semaines que mon papa est décédé. C’est du moins ce qu’ils disent mais je ne les crois pas. La lumière dans mon cœur reste allumée ; tant que ce sera comme ça, pour moi mon papa vit. Il aurait été enterré à Ouagadougou. Je marque les jours, entre temps j’ai arrêté les compétitions de breakdance car c’est lui qui m’accompagnait et me soutenait.

A chaque fois, j’essaye de me remémorer la dernière fois qu’on s’est vu. La veille de son départ, il est rentré tard. Mon frère Yacine et moi étions déjà couchés. Moi, je ne dormais pas mais je ne suis pas descendue le voir et quand il est passé dans ma chambre, j’ai fait semblant de dormir. Je ne voulais pas qu’il le fasse, ce voyage au Burkina Faso ; j’avais une compétition importante et il avait promis d’être là… alors je boudais. Le lendemain, il était parti en laissant un mot sur ma porte.

Je suis une jeune fille de 16 ans aujourd’hui et j’ai trois amours dans ma vie : mon père, la danse et mon frère. L’école, j’y vais parce que mon papa y tient et je mets le paquet ! Avec Marlène ma belle-mère, la maman de Yacine, on se déteste cordialement. Ma grand-mère paternelle est venue s’installer avec nous depuis la mort de son fils. Ce n’est pas de tout repos mais au moins Marlène se tient à carreau.

Je caresse la photo de mon papa, collée contre le mur. La porte s’ouvre avec fracas : la seule personne qui se permet ça, c’est Yacine. Mon bonhomme de douze ans, un vrai génie ce garçon, sérieux avec ses grosses lunettes et sa touffe afro.

Moi : Combien de fois dois-je te dire de frapper avant d’entrer ?

Yacine : Pardon… Mamie veut que tu descendes faire tes prières et on passera à table après.

Moi : …

L'homme qui n'avait...