Chapitre 04 : À l’abris des doutes

Ecrit par Kaylee

CHAPITRE 04


*** FALONNE



Je suis dans la chambre de Samia, assise au bord de son lit, en train de lui tresser doucement les cheveux pendant qu’elle regarde ses dessins animés préférés sur la tablette. Elle gigote un peu, comme toujours, ses petites jambes s’agitant au rythme de la musique du générique. Mais quand je lui murmure que papa va bientôt rentrer, elle se calme instantanément, ses yeux brillants de joie. Ce mot, “papa”, c’est comme une baguette magique pour elle. Saïd est son héros. Et le mien, d’ailleurs.

En sortant de la chambre, mon téléphone vibre dans ma poche. Une notification : un virement bancaire. Encore un. Saïd. Il n’attend même pas que je demande. Hier soir, au téléphone, il a dû entendre la fatigue dans ma voix, cette pointe d’épuisement après une journée à courir après Samia et à gérer la maison. Et comme toujours, il agit. Sans un mot de trop, sans reproche. Juste par amour. Je souris, le cœur gonflé de gratitude, et décide d’appeler ma mère pour partager un peu de cette chaleur.


— Allô, maman ? dis-je, en m’installant sur le canapé du salon.


— Ma fille ! s’exclame-t-elle, sa voix pleine de vie malgré les kilomètres qui nous séparent. Comment va mon gendre ?


— Il va bien, il travaille beaucoup. Il vous salue d’ailleurs. Il m’a encore fait un virement ce matin, sans que je demande rien.


— Dieu le bénisse, Falonne, dit-elle avec ferveur. Cet homme, c’est une bénédiction. Tu es tombée sur un mari exceptionnel. Tu sais, ton père et moi, on prie tous les jours pour que Dieu protège ton foyer.


— Merci, maman, dis-je, émue. Je fais de mon mieux pour en prendre soin.


— Et tu le fais bien, ma fille. Mais écoute-moi, hein ? Un homme comme Saïd, il faut le chérir. Ne le prends jamais pour acquis. Continue de le respecter, de l’écouter. Les hommes aiment ça. Et surtout, garde ton cœur pur. Ne laisse pas les mauvaises langues du quartier te mettre des idées dans la tête.


Je fronce les sourcils, un peu surprise. 


— Les mauvaises langues ? Qui a dit quoi, maman ?

Elle hésite, puis soupire. 


— Oh, tu sais, les gens parlent toujours. Des cousines, des voisines… Certaines disent que Saïd est trop parfait, que ça cache quelque chose. Qu’un homme qui voyage autant, avec autant d’argent, doit forcément avoir des histoires ailleurs. Mais moi, je leur ai dit de fermer leur bouche. Ton mari, il t’aime. Ça se voit. Il a payé une dot de quatre millions, il a construit cette maison, il s’occupe de tes frères et sœurs. Qu’est-ce qu’elles veulent de plus ?


Je ris doucement, mais un léger pincement me serre le cœur. 


— Maman, je ne les écoute pas, ces gens-là. Saïd est un homme droit. Il m’appelle tous les jours, il me dit tout. Il est transparent. Je ne doute pas de lui.


— Bien, ma fille. C’est comme ça qu’il faut être. La confiance, c’est la base. Mais fais attention, hein ? Les hommes, même les meilleurs, ils restent des hommes. Garde les yeux ouverts, mais sans te faire de mauvais sang. Prie, et Dieu fera le reste.


— D’accord, maman. Merci pour tout. Je t’aime.


— Moi aussi, ma chérie. Embrasse Samia pour moi.


Je raccroche, le cœur à la fois chaud et un peu lourd. Les paroles de ma mère, pleines d’amour et de sagesse, me réconfortent, mais ses mises en garde sur les “mauvaises langues” me dérangent. Pourquoi les gens ne peuvent-ils pas simplement se réjouir pour nous ? Je chasse cette pensée et attrape mon carnet de notes, celui où je griffonne mes idées de déco pour la maison. Je prépare une surprise pour le retour de Saïd : refaire la terrasse avec un coin détente, des guirlandes lumineuses, un tapis extérieur coloré, et même un petit jacuzzi gonflable qu’il pourra installer lui-même – il adore ces petits projets manuels.


Mon téléphone vibre à nouveau. Un message de Saïd.


 Amor : « Vous me manquez mes reines. J’espère que Samia a été sage aujourd’hui. Dis-lui que papa pense à elle et qu’il lui ramène son vélo. Je t’aime. »


Je relis le message trois fois, un sourire idiot sur les lèvres. Pas parce qu’il est surprenant, mais parce qu’il me fait du bien. Parce qu’il vient d’un homme qui tient ses promesses, même à des milliers de kilomètres. Je prends une photo de la chambre bien rangée et de Samia, endormie sur le canapé, ses boucles encadrant son visage d’ange. Puis je réponds :


 Moi : « Elle t’attend, ton double amour. Et moi aussi. Reviens-nous vite. On t’aime. »


Je m’allonge un instant, le regard perdu dans les rayons du soleil qui décline sur Abidjan. La maison est calme, et dans mon cœur, il n’y a ni bruit ni tempête. Juste une certitude douce : je suis aimée, respectée, comblée.


Un peu plus tard, après avoir couché Samia pour sa sieste, je décide d’aller au salon de coiffure. Mes tresses commencent à fatiguer, et j’ai besoin d’un moment pour moi, pour me détendre, papoter, rire entre femmes. J’envoie un message à ma coiffeuse, qui me répond qu’il n’y a pas trop de monde. Parfait. Je prends un bain rapide, enfile une robe légère, attrape mon sac et glisse quelques billets dans mon porte-monnaie. Mon mari a encore laissé bien plus que nécessaire sur le compte, comme toujours. Avec lui, je ne manque de rien.

En arrivant au salon, l’odeur familière du shampoing, du défrisant et de la cire capillaire m’enveloppe. Les sèche-cheveux bourdonnent, les coiffeuses discutent en massant les crânes de leurs clientes, et une télé dans un coin diffuse un clip afrobeat à fond. L’ambiance est bruyante, vivante, comme une bulle hors du temps. Je souris. Rien ne change ici, et ça me plaît.


— Falonne ! Où est ma copine ? Tu es venue toute seule aujourd’hui ? s’exclame Prisca, une cliente régulière, en me voyant entrer.


— Oui, Samia dort. Et j’avais besoin de rafraîchir cette tête, dis-je en retirant mon foulard pour révéler mes tresses défaites.


— Assieds-toi, chérie, on va te rendre encore plus belle, lance Prisca avec un clin d’œil.


Je m’installe, et la coiffeuse commence à démêler mes cheveux avec douceur. À côté, une discussion s’enflamme, comme toujours dans ce salon.


— Toi-même, tu as vu ce qu’on a posté sur Aïcha, la chanteuse ? demande une jeune fille avec des ongles démesurés, en agitant son téléphone.


— Attends, celle qui s’est fiancée à Assinie en grande pompe ? répond une autre cliente.


— Elle-même ! Son gars l’a trompée avec une influenceuse ! Pas une petite, hein, une vraie pimentière du net. Il paraît qu’elle a posté une photo de lui torse nu dans son lit !


— Mon Dieu… ! soupire une dame plus âgée, en secouant la tête. Les hommes de maintenant n’ont plus peur de Dieu.


— Moi, je dis que c’est aussi la faute des femmes, intervient Prisca, son ton assuré. Elles se précipitent dans les mariages pour l’image, pour les réseaux, sans regarder le cœur de l’homme. Tu vois un gars qui passe son temps à faire des selfies, et tu dis oui ? Il t’offre un iPhone mais ne te présente pas à sa mère, et tu cries “fiancée” ? Voilà, maintenant, honte nationale.


Je ris doucement, amusée par la passion dans leurs voix. La coiffeuse me lance un regard complice à travers le miroir.


— Et toi, Falonne, tu en penses quoi ? demande Prisca, en se tournant vers moi.


— Moi ? dis-je, prenant un instant pour réfléchir. Franchement, si elle avait ouvert les yeux, elle aurait vu les signes. Un homme qui t’aime vraiment, ça se sent. Ça se vit. Pas besoin de l’afficher sur Instagram. Moi, je peux passer des mois sans poster Saïd, ça ne change rien à notre vie. Ce qu’on a, c’est solide.


— Tu as de la chance, hein, dit une autre cliente, une femme d’une trentaine d’années nommée Awa, qui porte un boubou coloré. Ton mari, il est toujours aussi attentionné ?


— Plus que jamais, dis-je avec un sourire. Ce matin, il m’a fait un virement juste parce qu’il a senti que j’étais fatiguée. Il pense à tout, même aux couches de Samia. Il gère la scolarité de mes frères, il a rénové la maison de mes parents. Franchement, Dieu m’a bénie.


— Hmm… il n’a pas un frère, par hasard ? plaisante Awa, déclenchant des rires dans le salon.


— Non, désolée ! dis-je en riant.


— Attends, attends, intervient Prisca, son ton plus sérieux. Tu veux dire qu’il n’a aucun défaut ? Un homme pareil, ça existe vraiment ?


Je marque une pause, sentant tous les regards sur moi. 


— Je n’ai pas dit qu’il était parfait. Il est humain, comme tout le monde. Parfois, il est un peu trop absorbé par son travail, il oublie de me demander comment je vais avant de parler affaires. Mais c’est rien à côté de tout ce qu’il fait pour nous. Il me respecte, il ne m’humilie jamais, et il est constant. Ce qu’il promet, il le tient.


Un silence s’installe, seulement troublé par le bourdonnement d’un sèche-cheveux. Même les plus sceptiques semblent impressionnées. Puis Awa, la cliente au boubou, reprend la parole, un sourire en coin.


— Falonne, tu me donnes presque envie de croire aux contes de fées. Mais dis-moi, avec tous ses voyages, tu ne te poses jamais de questions ? Un homme comme lui, riche, beau, souvent loin… tu n’as jamais peur qu’il… tu vois, quoi.


Mon sourire se crispe légèrement. Cette question, je l’ai entendue avant, dans les murmures des voisines, dans les sous-entendus de ma cousine. Et maintenant, ici, dans ce salon. 


— Non, dis-je, ma voix plus ferme que je ne m’y attendais. Saïd est transparent avec moi. Il m’appelle tous les jours, il me raconte tout. Son téléphone n’a pas de code, je peux le vérifier quand je veux. Et puis, il n’a pas le temps pour des bêtises. Il travaille pour nous, pour notre avenir. Pourquoi je douterais de lui ?


— D’accord, d’accord, dit Awa en levant les mains, amusée. Je ne dis rien, hein ! C’est juste que… tu sais, les hommes, même les meilleurs, ils peuvent surprendre. Moi, mon ex, il était tout sucre tout miel, jusqu’à ce que je trouve des messages sur son WhatsApp. Je dis juste, fais attention.


— Merci du conseil, dis-je, un peu plus froide que prévu. Mais Saïd, ce n’est pas ton ex. On a construit quelque chose de solide. Et je fais confiance à Dieu pour protéger mon foyer.


La coiffeuse, sentant la tension, change de sujet. — Bon, assez parlé des hommes ! Qui a vu la nouvelle collection de bijoux de cette créatrice ghanéenne sur Insta ? Je veux tout acheter !

Les rires reprennent, et la conversation dérive sur les potins, les séries Netflix, et une maquilleuse enceinte dont personne ne connaît le père, une influenceuse qui vend les parfums qu’on lui offre, et sur un pasteur qui aurait une go à Dubaï. L’après-midi file à toute vitesse. Je me détends, laissant l’ambiance légère du salon m’envelopper. Quand mes tresses sont terminées, je me regarde dans le miroir, satisfaite. Belle, fraîche, prête à rentrer chez moi.

Je paie, laisse un généreux pourboire, salue tout le monde et sors. Le soleil se couche sur Abidjan, peignant le ciel d’orange et de rose. Je remonte dans la voiture, le cœur léger. J’ai hâte de retrouver ma petite chérie.


Sur le trajet du retour, je baisse la vitre, laissant l’air du soir caresser mon visage. C’est agréable, ce moment de liberté, sans poussette ni biberon. Je repense aux discussions du salon, aux histoires de trahison, de déceptions. Je comprends ces femmes, hein. Le monde est plein d’hommes aux promesses vides. Mais moi, j’ai Saïd. Et parfois, je me sens presque coupable d’avoir autant de chance. Presque. Parce que je sais que ce n’est pas un hasard. J’ai prié, j’ai patienté, et Dieu m’a donné un homme à ma mesure.

Arrivée à la maison, je trouve mes deux frères vautrés sur le canapé, en pleine partie de PlayStation, les manettes cliquant à toute vitesse. Ils lèvent à peine les yeux.


— Bonsoir, les grands enfants, dis-je en posant mon sac.


— Bonsoir, ya Fafa, répond l’un, sans quitter l’écran. Wow, t’es bien coiffée, hein ! On dirait une star.


— Merci, dis-je, flattée, en riant. Et Samia ?


— Elle est réveillée, elle joue dans sa chambre, répond l’autre.


Je monte directement la voir. Samia est assise dans son lit, entourée de ses peluches, en train de “lire” un livre d’images. Elle me voit et tend les bras, un grand sourire aux lèvres.


— Maman !


— Ma chérie d’amour ! dis-je en la serrant contre moi. Tu as bien dormi ?


Elle hoche la tête, ses boucles rebondissant. Je l’emmène au salon, lui donne son goûter, et l’installe devant un dessin animé. Mon téléphone vibre à nouveau. Un message de Saïd.


Saïd : « Mon cœur, j’espère que ta journée s’est bien passée. »


Je souris et réponds :


Moi : « On vient de rentrer du salon. Ta fille est en forme, et moi, je suis plus belle que jamais. Tu vas craquer quand tu me verras. »


Il réagit immédiatement avec un emoji cœur, suivi d’un autre message :


Saïd : « Je pense te faire une surprise ce week-end. Ne prévois rien pour samedi. Je t’aime. »


Je retiens un cri de joie. Une surprise ? Un voyage ? Ou peut-être qu’il vient à Abidjan ? Peut-être même avec son père ? Peu importe. L’idée qu’il pense à moi, qu’il planifie quelque chose pour nous, me fait fondre. Je relis son message, un sourire figé sur les lèvres, puis je regarde Samia, qui rit devant son écran. Mon cœur déborde de gratitude.


Ce soir, je décide de préparer un repas spécial. Je descends en cuisine, lance une playlist afrobeat douce, et commence à cuisiner un poisson braisé façon abidjanaise, avec attiéké, banane plantain, et une sauce tomate épicée – les plats préférés de Saïd. Je filme un petit bout de la préparation, histoire de l’aguicher un peu, et lui envoie la vidéo avec un message :


Moi : « Devine ce qu’on mange ce soir… Tu nous manques. »


C’est ça, garder la flamme. Même à distance, je veux qu’il sente mon amour. Parce que dans cette maison, il y a de la paix, de l’amour. Et ça, ça n’a pas de prix.

MONSIEUR BORDEL !