Chapitre 3 : Les Voix de l’Instinct

Ecrit par Kaylee

Chapitre 3


DORA KITANGA


Je me réveille tôt, encore une fois tirée du lit par les pleurs d’Amira. Je baille, me frotte les yeux et me lève rapidement. Je sais déjà ce qui m’attend : une couche sale et un bébé affamé.


Je la prends dans mes bras et la pose sur la table à langer. Elle pleure encore plus fort, sans doute à cause du courant d’air. Je la nettoie en douceur, puis je la glisse dans le bain. Dès que l’eau touche sa peau, elle se calme. Elle attrape ses petits jouets colorés et babille joyeusement.


Pendant qu’elle joue, je prépare son biberon. Cette routine est devenue un automatisme. Je pourrais le faire les yeux fermés. Une fois nourrie, elle fait son rot et s’endort paisiblement. Je la dépose doucement dans son berceau, puis retourne dans ma chambre, savourant le calme.


Je m’installe devant la coiffeuse et entame ma routine beauté. Je peigne mes cheveux – une coupe italienne que j’ai adoptée après la grossesse, pour tourner une page. En me maquillant, mon téléphone vibre. Un sourire me monte aux lèvres : c’est un message de mon mari.


Saïd :

« Bonjour mon amour. J’espère que tu as bien dormi, ainsi que notre petite princesse. Passe une belle journée. Je t’aime. »


Je fonds. Je lui réponds aussitôt :

Moi :

« Bonjour mon chéri. Oui, tout s’est bien passé. Je t’aime aussi. »


Je termine ma mise en beauté, encore habitée par ce petit mot doux. Saïd est en déplacement, comme souvent, mais son attention ne faillit jamais. Je suis reconnaissante. Mon mari. Ma fille. Notre foyer. Je suis comblée.



Je suis dans le salon, Amira sur les genoux. Je la chatouille en regardant mon émission de télé-réalité préférée sur E!. Soudain, la sonnette retentit. Je dépose Amira dans son parc et vais ouvrir.


C’est Merveille, ma meilleure amie. Toujours tirée à quatre épingles, comme si elle sortait d’un shooting mode.


— On dirait que tu viens de sortir d’un magazine, je lâche en lui faisant la bise.


— Mes pointeurs ne paient pas pour rien, répond-elle avec un sourire narquois.


— Krkrkr… Moufff, Reteno !


On s’installe dans le salon. Je lui sers un jus d’orange frais. La discussion démarre aussitôt.


— Et mon beau Saïd, il va bien ?


— Très bien, Dieu merci. On a discuté à midi. Il nous manque, Amira et moi.


— Franchement, chapeau pour ta patience. Perso, je ne crois pas que j’aurais supporté n’avoir mon mari avec moi que durant trois mois chaque année. Je dis hein, le pipi (sexe) ne te manque pas ?


Je souris, un peu gênée, mais je reste honnête :


— On se rattrape quand on se voit. Et puis, on débute à peine notre mariage. Je ne veux pas le brusquer, ni lui mettre la pression. Il m’a expliqué son rythme de vie avant de faire sa demande, et j’ai accepté en connaissance de cause. Alors oui, c’est dur, mais je fais semblant que ça va. Faut pas croire que ça ne me touche pas de vivre loin de lui.


— D’accord ma chérie. Mais toi, tu es une femme, tu peux gérer tes pulsions. Les hommes, c’est différent. Entre sa beauté, son argent… tu n’as jamais peur qu’il te trompe ?


Mon cœur se serre. L’idée me traverse parfois l’esprit. Mais je ne veux pas lui montrer.


— Changeons de sujet, tu veux ? C’est vrai, au début j’ai été attirée par son argent. Mais j’ai appris à l’aimer. Et surtout, je le connais. C’est un homme droit, respectueux, avec des valeurs. Je peux fouiller son téléphone quand je veux : pas de code, rien à cacher. Il décroche à toute heure, jour comme nuit. Alors non, je ne pense pas qu’il me trompe. Et je ne veux plus que tu insinues ce genre de choses.


— Je ne voulais pas te faire douter, s’excuse-t-elle, visiblement blessée.


— Hum… ok.


On change de sujet. On parle de souvenirs, de projets. Merveille et moi, c’est une histoire d’amitié vieille de dix ans. Nous nous sommes connus en  classe de 1ère au collège. Nous étions assises l'une à côté de l'autre et nous avons tout de suite sympathisé. Depuis ce jour, nous sommes devenues inséparables.

Merveille est une femme d'affaires prospère. Elle possède une boutique de prêt-à-porter dans la ville et voyage régulièrement à Dubai pour approvisionner sa boutique en produits de luxe. Je suis très fière d'elle et de tout ce qu'elle a accompli.

Cependant, nos vies sont différentes. Moi, je suis mariée, comblée par l'amour de mon époux. Merveille, quant à elle, a choisi un chemin différent. Elle se fait entretenir par des hommes riches, souvent mariés. C'est son choix de vie et je le respecte.


Mais une chose est claire : quiconque critique mon mari, même elle, aura affaire à moi. Saïd est mon roc. Mon équilibre. Je ne laisserai personne semer le doute entre nous.

*

*


*** MERVEILLE RETENO


Je quitte la maison de Dora avec un goût amer dans la bouche. Elle a changé. Ce mariage l’a changée. Ce n’est pas de la jalousie — loin de là. C’est juste… je ne la reconnais plus vraiment.


Son mari, Saïd, je ne le sens pas. Trop parfait. Trop calme. Trop lisse. Il a cette aura étrange, celle des hommes qui cachent quelque chose derrière leur façade impeccable. J’étais là à leur mariage, tout était trop bien organisé, trop propre. Mais moi, j’ai vu les détails. Les regards fuyants. Les sourires figés. Les réponses trop bien récitées. Ça sonnait faux.


Je devrais être heureuse pour elle, je devrais me taire. Mais j’ai peur qu’elle se fasse avoir. Et je sais que je ne peux plus rien dire. Elle m’a clairement remise à ma place. Le message est passé. Fini les remarques sur son mari. J’espère juste que j’ai tort, qu’il est réellement ce qu’elle croit.


Je sors mon téléphone et appelle.


— Allô ?


— Bonsoir bébé. Tu peux m’envoyer ton chauffeur ? Ma voiture est toujours au garage. Je suis près de chez Dora.


— Oh là là… je ne pense pas que ce soit possible. Ma femme a libéré le chauffeur plus tôt. Et moi, je peux pas sortir sans me…


Je lui raccroche au nez. Inutile d’entendre la suite, je connais déjà le scénario. Pfff. Si j’avais su, je ne serais jamais restée si tard chez Dora. Je comptais sur lui. Me voilà maintenant obligée de marcher en talons jusqu’au carrefour pour attraper un taxi. Et je déteste les taxis.


Je presse le pas, talons cognant contre l’asphalte, sac en main, pensées en désordre. Le vent du soir me gifle doucement le visage, mais je l’ignore. Ce n’est pas ça le problème. Ce qui me pèse, c’est ce sentiment d’être traitée comme une option. Une pièce de rechange.


Ce même homme qui me jurait monts et merveilles il y a deux semaines n’est même pas foutu d’envoyer un chauffeur. Dès qu’il est avec sa femme, je n’existe plus. Ça me donne presque envie de rire. Un rire vide, amer.


J’arrive enfin au carrefour. Un taxi ralentit. Je monte sans dire un mot.


— Bonsoir, vous allez où ?

— Nyali. Près de l’hôtel Serena.


Il hoche la tête et démarre. Je regarde par la fenêtre, mais je ne vois que mon reflet. Et derrière ce reflet, une question tourne en boucle : est-ce que je mérite ça ?


Je repense à Dora. Sa voix qui a légèrement tremblé quand j’ai parlé de trahison. Son regard qui s’est fermé, net, comme si j’avais touché un point sensible. Elle veut croire en son mari. C’est noble. Mais moi, je vois autre chose. Je suis lucide. J’ai appris à repérer les hommes qui mènent une double vie.


Et Saïd a le profil. Trop propre pour être vrai. Trop contrôlé. Le genre d’homme qui ne laisse jamais de trace, mais qui a tout à cacher.


Je sors mon téléphone, ouvre Instagram. Je scrolle un peu. Puis je tombe sur une story d’un compte privé que je suis discrètement. Une photo. Saïd. Dans un lounge chic à Casablanca. Deux nuits plus tôt. Pas de Dora. Pas de réunion de travail. Juste lui, un verre à la main, en bonne compagnie. Une silhouette féminine floutée, trop proche. Floutée exprès.


Mon cœur se serre. Pas pour moi. Pour elle. Dora. Elle croit que l’amour suffit. Elle croit que la loyauté va de soi. Elle oublie que même les hommes les plus beaux, les plus parfaits, peuvent trahir sans laisser de trace.


Je fais une capture d’écran. J’hésite. Puis je verrouille mon téléphone.

Pas ce soir. Pas encore.


Je regarde à nouveau dehors. La ville défile. Silencieuse. Injuste.

MONSIEUR BORDEL !