chapitre 1 : Jenifer Elle OYANE

Ecrit par leilaji

Je t'ai dans la peau


Chapitre 1.


***Jenifer Elle Oyane***


Je me suis réveillée aujourd’hui trempée de sueur. Cela faisait longtemps qu’un tel cauchemar m’avait habité. 

Moi, en état de choc et apeurée, complètement nue devant tout le monde. Tout autour de moi, flottaient des visages familiers avec des mains noires qui me pointaient du doigt, dénonçant mon esprit libre. J’ai eu beau essayer de m’expliquer, aucun son ne sortait de ma bouche asséchée par la peur. Puis un homme s’est approché de moi, avec le visage de mon ex-mari et il a arraché de ses mains une grande partie de mon cœur et s’en est allé avec la chair sanguinolente. Autour de moi, les rires fusaient de toute part, moqueurs et hargneux. Puis un autre homme s’est approché de moi avec le visage de Denis cette fois-ci et a arraché ce qui me restait de mon cœur et s’en est allé à son tour. 

J’ai baissé mes yeux sur ma poitrine, pour n’y découvrir qu’un trou béant à la place de mon satané cœur. Je me suis effondrée dans le rêve. C’était trop de douleur à supporter. 

*

*

*

- Madame Oyane, Madame Oyane vous m’écoutez ? me demande l’élève assise devant moi en se rendant compte que je ne fais pas qu’avoir l’air distraite, je le suis vraiment !


J’arrête de tapoter nerveusement sur la table avec mon stylo feutre pour lui répondre. 


- Evidemment que je t’écoute Tcheska ! Le problème c’est que je ne sais pas quoi te dire!


Je chasse les réminiscences de ce mauvais rêve de mes pensées. 


Franchement, les parents exagèrent de nos jours. Tcheska ! On dirait le prénom d’un chien polonais saoul et borgne, pff. Je ne suis pas de très bonne humeur mais j’essaie tant bien que mal de le dissimuler par un sourire avenant. Je me concentre de nouveau sur la jeune femme un bref instant avant de laisser mon esprit dériver tout doucement vers le cadre qui accueille notre conversation. 

Je regarde le confortable bureau dans lequel je la reçois. Le décor chaleureux et rassurant a été entièrement choisi par mes soins afin de ne pas effrayer les élèves de la fondation Khan lors de leur tête à tête avec moi. Je suis satisfaite du résultat et ne changerai pour rien au monde de bureau. Les couleurs des meubles de bois sont claires et lumineuses. On se sent tout de suite en sécurité quand on entre ici. C’est l’effet recherché. 


Mes élèves. Je ne pensais pas un jour utiliser ce groupe de mot : « mes élèves ». Me voici moi et mes diplômes de droit et gestion à la tête de l’une des plus grandes fondations du Gabon. Je suis sure que même celle de la première dame nous envie les ressources que nous employons ainsi que notre popularité auprès de la population gabonaise. 

Mes élèves. Ce sont parfois de jeunes filles pleines d’espoir et de promesses, d’autres fois des femmes plus mures qui ont décidées de retrouver les bancs de l’école... Je les admire beaucoup pour leur courage. Je ne sais pas si moi-même j’aurais eu le cran de reprendre les cours si j’avais abandonné en chemin. Jeunes ou âgées, elles ont très tôt abandonné le cycle scolaire normal et la fondation Khan, donne une seconde chance à celles qui veulent bien la saisir. Nous formons dans différents domaines qui permettent, dans des cursus assez courts, d’être rapidement autonome et d’ouvrir une petite entreprise individuelle lorsqu’on a d’assez bonne note pour décrocher la bourse de fin d’année de la Fondation. Coiffure esthétique, couture, cuisine, secrétariat (même si je n’aime plus tellement ce terme car j’estime que nous formons des assistantes et non de simples secrétaires), action commerciale, vendeuse en pharmacie …  Bref, rien de neuf sous le soleil.


Je suis là pour mes élèves, à tout moment de la journée, du lundi au vendredi, de 9h à 17heures. Le moins que l’on puisse dire c’est que mon travail n’est pas de tout repos: il me faut au quotidien une bonne dose de rigueur mais aussi de la compréhension pour gérer tout ce monde : personnel administratif, enseignants et élèves. Je règle les problèmes ou du moins je mets toute ma volonté à le faire. Ce n’est pas toujours suffisant mais le plus important pour moi c’est que j’essaie et ce, de toutes mes forces. Je suis fière de ce que je fais, les résultats sont là. Mon travail me comble.  


Le problème est ailleurs. Ces derniers temps, c’est devenu de plus en plus harassant. J’ai comme une émotion particulièrement douloureuse qui commence à gronder en moi à chaque fois que je regarde en arrière. Je suis fatiguée. Moralement fatiguée mais surtout découragée par la tournure des événements de ces dernières années. 

Lorsque je prends mon courage en main et que je regarde en arrière... J’ai l’impression qu’il n’y a plus qu’un champ de ruine dévasté par les turpitudes de ma vie. Parfois quand le doute m’envahit et me noie, c’est comme si mon cœur s’était arrêté de battre. J’ai peur d’avoir définitivement raté le coche. Moi qui ai été « la femme de Maitre » toute ma vie de femme adulte, je dois maintenant fonctionner sans homme à mes côtés. Ai-je tout raté? Vraiment tout? Je soupire et regarde la jeune fille qui attend toujours mon conseil. 


De quoi me parlait-elle déjà ? Je ne m’en souviens plus. Ah oui de son désir de combler les attentes de son homme. 


Mais pourquoi est-ce que je me laisse ainsi abattre ! Non je n’ai pas tout raté ... Mon cœur bat toujours. Non il n’a pas été arrêté par mon divorce douloureux et le cœur brisé qui s’en est suivi. Deux échecs retentissants coup sur coup ! Gaspard puis Denis. Un mari et un amant. Je tourne la page… Il faut être moi pour traverser cela et garder la tête haute. 

Mes enfants sont mon électrochoc. Chaque jour je meurs et chaque jour ils me ressuscitent de leur sourire... 

Qui l’eut cru ? Moi si douée comme épouse, enviée par les cousines, nièces, tantes. Mariée très tôt à l’homme que je pensais être le bon, mon premier grand amour. Aujourd'hui divorcée et fraîchement larguée par l’amant que j’ai eu vers la fin de mon mariage. A vrai dire, Denis (l’amant numéro 2) ne m’a pas larguée. Pas vraiment, je dois le reconnaitre. J’étais une femme dans un mariage difficile avec un mari volage. Au bout d’un moment, j’en ai eu marre et j’ai pris un amant pour m’échapper de cet enfer : Didier (amant numéro 1). Il était fou amoureux de moi mais le sentiment n’était pas réciproque. Je me l’interdisais. Après tout, c’était aussi un homme marié et je trouvais qu’il ne valait pas mieux que mon mari en trompant sa femme avec moi. Puis j’ai rencontré Denis. C’est le meilleur ami du mari de ma meilleure amie Leila Larba épouse Khan. J’ai ressenti pour lui quelque chose de nouveau. Au début c’était juste une envie de respirer un autre air puis au fil du temps je me suis attachée à lui, beaucoup attachée à lui. Peut-être était-ce l’amour tourbillonnant de Leila qui me donnait aussi l’envie d’être passionnément aimée ! Je n’en sais plus trop rien. Cependant, mes sentiments pour lui m’ont permis de demander enfin le divorce à Gaspard. Je voulais nous donner une chance d’être ensemble, Denis et moi, de manière … officielle. 


Belle erreur de ma part. Parce qu’il en aimait déjà une autre. 


Hé Oyane tu es célibataire ! Toi la femme admirée de toutes !

Seigneur ! Passe à autre chose !je m’invective intérieurement. 


La seule question à poser c’est pourquoi ? Est-ce-que l’amour existe vraiment pour tout le monde? J’ai été une femme tellement … parfaite pendant des années ! Dévouée à son époux et à ses enfants. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je n’ai pas eu droit à : « ils se marièrent et vécurent heureux » ? 

Peut être que l’amour c’est comme le boulot de nos jours. Beaucoup d’appelés et très peu d’élues. Beaucoup d’amoureuses et très peu de femmes heureuses. 


J’ai envie d’éclater de rire. Tout ça est grotesque. Ma vie est grotesque! Je n’ose même plus regarder l’élève en face de moi qui commence à s’impatienter et à se demander si je suis dans mon état normal. 


Ah seigneur « femme divorcée et larguée » qui doit donner des conseils à de jeunes filles en couples à qui l’avenir sourit. Quelle ironie du sort ! C’est ma punition pour avoir cru trop tôt que j’étais exceptionnellement douée pour la vie de famille ?


Ses yeux brillent quand elle parle de son homme. Il veut un enfant et patati patata! Elle a l’âge d’être mère ça au moins c’est un bon point. Moi aussi j’ai été à sa place ... Il y a des millions d’années lumières. Un homme m’a suppliée de lui faire des enfants... Gaspard mon très cher ex-mari, ex-avocat et serial dragueur de profession. Grace à lui, j’ai eu ma petite princesse Oxya puis Ekang et enfin Obiang... Mon corps si parfait... Mon corps lorsque j’avais dix-huit ans était sublime sans m’en vanter ! Je n’ai jamais été très grande ou très lourde mais j’ai toujours été voluptueuse. Sensuellement voluptueuse ! Des seins et des fesses fermes, rien d’extravagant mais des formes qui détournent les yeux des hommes de leurs femmes. Corps d’africaine et fière de l’être. Une Mini-bombe à moi toute seule et grande gueule de surcroit ! Mon corps que les blancs de Libreville convoitaient avec acharnement, je l’ai sacrifié sur l’autel du mariage pour les beaux yeux de Gaspard. Je n’ai plus le corps de mes dix-huit ans ! Je ne l’aurai plus jamais, plus après mes maternités et même si j’ai un petit pincement au cœur en pensant à certaines séquelles, je ne le regrette pas. 


Je la regarde toujours... Belle et bien faite avec des yeux doux et rieurs. Son uniforme est dans un état impeccable, c’est une fille soignée avec de bons résultats scolaires. Elle pourrait tenir un foyer aisément, je n’en doute pas. 

Le souci c’est que l’homme qu’elle aime si tendrement vit déjà en couple. Mais sa compagne ne lui fait pas d’enfants. Alors il lui a promis une vie de rêve si elle exhaussait son désir. Elle est très tentée de le faire. Cela se sent dans sa manière de me présenter son histoire. Je me vois en elle. 


- Le mérite t-il cet homme qui te réclame un enfant? On ne fait pas un enfant pour faire plaisir à quelqu’un tu sais, finis-je par dire sortant enfin de ma réserve. Cette volonté doit venir du plus profond de ton cœur de femme. Parce que si jamais les choses se passent mal, c’est toi qui va porter la charge que représentera l’enfant. Pas lui. Par ailleurs tu sais, il te dit qu’il est malheureux dans son foyer et que si tu lui fais un enfant c’est toi qu’il épousera ... Mais sache que s'il était aussi malheureux qu’il le prétend, ça fait longtemps qu’il aurait quitté la femme qui vit avec lui. 


Elle sourit mais elle semble un peu déçue par ma réponse. Au fond de moi, je me dis qu’elle a bien de la chance d’être tombée sur moi plutôt que sur la fondatrice Leila Khan. Elle  a cette manière de voir les choses qui déstabilise parfois les jeunes filles. J’imagine facilement sa réponse:  


- T’es bête ou quoi? Au lieu de finir d’abord ton cursus, tu penses à faire un enfant à un homme qui vit déjà avec une autre! 


Moi je suis plus ... Maternelle dans mon approche et je pense que c’est souvent pour cela qu’elles m’écoutent et appliquent les conseils donnés. Qu’importe l’âge qu’elles ont, je les vois toujours comme des petites sœurs. 


-  Réfléchis bien. Il a une femme à la maison et si j’ai bien écouté ton histoire, ils sont ensemble depuis près de 10 ans. Ca ne s’efface pas aussi facilement que tu le penses. 

- Ah madame Oyane, à la guerre comme à la guerre. Si elle ne sait pas tenir son mari ce n’est pas moi qui vais jouer les gentilles pour qu’elle le garde !


Nzame ! Elle a du culot celle-là. C’est surement ce que les maitresses de mon ex-mari disaient à celles qui leur reprochaient de coucher avec un homme marié ! Apparemment le problème des femmes ce ne sont pas les hommes, ce sont les femmes elles-mêmes. 


- Fais comme tu veux mais sache que ce qu’il lui fait à elle, il te le fera aussi ! je lui dis d’un ton un peu aigre. 


Puis je lui fais signe de s’en aller. La conversation est close, je n’ai plus aucun conseil à donner. 

C’est moi ou j’ai drôlement vieilli ! Depuis quand, les jeunes filles rêvent-elles de prendre la place de leurs ainées dans les foyers ? 

Hé Oyane ! Ne fais pas semblant, je me dis intérieurement. Tu as toi-même subi cette situation des dizaines de fois. Tu as lu des messages de filles qui demandaient à ton mari de te faire sortir de la maison pour qu’elles puissent s’occuper de lui. Hum ! Si elles savaient ! Tenir un foyer ! C’est un combat de tous les instants. Etre la maitresse c’est une chose : on a droit aux restaurants en amoureux, aux petits cadeaux et aux promesses de lendemains meilleurs. Quand on est la femme, pas la jeune mariée, mais l’épouse d’il y a des milliers d’années, on a droit à ces remarques :


- Mais pourquoi mon caleçon n’est pas lavé ? 


Ou encore :


- Tu ne peux pas emmener toi-même les enfants à l’hôpital ? Je suis très occupé là !


Les maitresses n’ont pas droit à ce genre de remarques ignobles. Elles admirent sur « leur homme » les caleçons lavés par leur femme.  Mes épaules s’affaissent, à quoi bon ressasser le passé. Si je continue, l’amertume va me bousiller. Tourne la page Elle ! Tourne la page. Pourquoi est-ce maintenant que ça te fait si mal. Pourquoi ? Parce qu’à l’échec de ma vie avec Gaspard s’est ajouté l’échec de mes sentiments pour Denis, voila pourquoi. Comme si même les relations non maritales ne sont pas faites pour moi. 


Je jette un coup d’œil à l’horloge murale qui sonne 17 heures. Aujourd’hui, je vais partir plus tôt que prévu, j’ai trop de choses à faire pour trainer encore à la fondation. 


- Mamara ? je demande après avoir décroché la ligne interne pour joindre mon assistante.

- Oui Elle. 

- Hum ! Tu es encore là ? Tu aimes trop le travail hein. Rentrons chez nous. 


Elle rigole et me fait un briefing sur mes rendez vous du lendemain. J’en déplace quelques uns et maintiens le reste. Les premiers mois, elle s’astreignait à m’appeler Madame Oyane puis elle s’est rendu compte que j’étais une femme sans façon et on est passé tout simplement en mode prénom. 

On aime toutes les deux bosser alors on s’entend plutôt bien. 


*

*

*

Je démarre la SUZUKI bleue nuit qui est une dotation de la fondation et porte sur son flanc le logo violet imaginé par Leila.

Mes mains se crispent sur le volant. J’ai du mal à faire avancer la voiture, mes pensées sont ailleurs. 

En divorçant, j’ai tout perdu. Absolument tout. La maison construite avec mon mari, les voitures achetées par mon mari… tout. Je me suis retrouvée sur la paille. 


Mais Dieu pourvoie. 


J’ai fait des études et aujourd’hui, je dirige l’école d’une  grande fondation. Je suis à l’abri du besoin mais  j’avoue que contre toute attente, certaines fins de mois sont difficiles. Et ça, à mon âge et à mon stade d’indépendance, c’est pénible à gérer au quotidien. 

Je conduis tout en pensant à mes problèmes. Je suis à bout... Vraiment à bout. Il faut que je parle à Gaspard, le père de mes enfants. Il vient de se remarier et a par la même occasion rangé sa robe d’avocat pour se frotter au métier de directeur juridique d’une grande banque de la place. Si ça lui permet de mieux s’occuper de sa nouvelle femme et des triplés qu’elle vient d’accoucher, grand bien lui fasse. Dès qu’il décroche, je vais à l’essentiel, je n’ai aucune envie que la conversation tire en longueur. 


- J’attends toujours la pension alimentaire des trois derniers mois!

- Tu n’as pas fini d’attendre, me rétorque-t-il d’une voix glaciale.  


Ce n’est pas croyable qu’il me réponde aussi … méchamment ! Ai-je partagé plus de dix ans de ma vie avec cet homme ? Je sais qu’il n’a pas bien digéré le fait que je l’ai quitté. Oui c’est bel et bien moi qui ai demandé le divorce. A l’époque, il ne m’en pensait pas capable. Il me savait tellement amoureuse de lui, tellement. Il ne l’a pas vu venir. Il n’a pas su interpréter mon ras-le-bol des promesses non tenues et mes silences douloureux. 

Cet amour que je lui portais, me détruisait à petit feu. Cet amour faisait de moi une femme au cœur douloureux en permanence. Ce qu’il ne savait pas, c’est que ma rencontre avec Denis avec qui j’avais envie de vivre pleinement une histoire, a fait pousser des ailes dans mon dos. J’ai ressenti le besoin de me libérer de lui et de tous les tourments qu’il m’a fait subir. 


Ce n’est pas le moment de repenser à tout ça. 


- Abessolo, ne m’énerve pas. Je n’ai pas envie de me disputer avec toi. 

- Ce n’est pas toi qui as dit au juge que tu voulais la garde des enfants. Ce n’est pas toi qui t’es vantée de pouvoir les élever toute seule s’il le fallait. Ce jour là, tu as oublié qu’ils avaient un père. Et aujourd’hui, tu m’appelles pour me demander la pension alimentaire… Tu as demandé le divorce pour faire comme ta copine n’est-ce pas ? 

- De quoi tu parles ? 


Je sens la tension monter en moi, alors je cherche une place pour me garer tranquillement avant de faire une fausse manœuvre au volant. 


- C’est à moi que tu le demandes? Epouser les libanais et vivre la grande vie ce n’est pas ça ta nouvelle carrière ? 


Ah, c’est Alexander Khan, le mari de Leila qu’il traite de libanais ? Pourtant Gaspard sait très bien que c’est un indien et que Leila ne l’a pas épousé pour son argent…


- Toute cette histoire t’est montée à la tête et tu as voulu me faire comprendre que je n’étais plus rien à tes yeux et que tu avais d’autres ambitions ! Je vais te dire une chose. La femme que tu es aujourd’hui… C’est à moi que tu le dois. J’ai fait de toi la femme que tu es aujourd’hui Oyane. Ton premier boulot c’est moi, tes enfants c’est moi, ce que tu es aujourd’hui, tu me le dois. Mais jamais je ne te pardonnerai l’affront que tu m’as fait en demandant le divorce et en étalant ma vie devant tout le tribunal. Tu entends, jamais ! C’est en rampant que tu viendras me demander pardon pour le divorce, tu entends ! 


Ah papa, le temps où j’étais amoureuse et conciliante est terminé depuis longtemps. Mais ça fait quand même mal d’entendre de telles paroles. 


- Quoi tu te venges, en oubliant les enfants dans tout ça ? 

- Je veux que tu retiennes la leçon et je …


J’ai raccroché. 

Je l’imagine interloqué et regardant son téléphone en se demandant si je venais vraiment de lui raccrocher au nez ! 


- Oui j’ai bel et bien raccroché très cher. Dis-je à mon téléphone dont l’écran est à présent verrouillé.


Il rappelle immédiatement mais je ne décroche pas. 

Doucement, tout doucement je pose ma tête sur le volant de la voiture pour me calmer… 

Puis mes mains se mettent à trembler en repensant à ce qu’il m’a dit …  Mon cœur empli de colère ne me fait aucune grâce. 


En rampant ? En rampant ? 


Mais il est fou ou quoi ? Moi Jenifer Elle Oyane ! 

Jamais ! Ramper devant lui ? Plus jamais. Kiéééé, pardon Abessolo ! Mon maquillage vaut trop cher pour que je pleure et le fasse couler pour lui, sur les cendres de notre mariage.  Même si c’est de l’eau sucré avec du pain sec que mes enfants et moi devons manger, on le fera. Mais plus jamais je ne laisserai à un homme un quelconque pouvoir sur moi. Plus jamais. Le pain sec et l’eau, ça n’a jamais tué qui que ce soit. Ma mère aussi s’est battue pour nous élever mes frères et moi. Et je trouve qu’elle s’en est bien sorti malgré ses maigres moyens de secrétaire. 


Ramper devant lui ? Ah que j’aime entendre de telles menaces. 

C’est quand on me dit : « tu ne peux pas ! » que je me dis que je peux ! C’est quand on me dit : « ne fais pas ! » que je m’obstine à faire ! En me mariant, je me suis dit qu’il fallait mettre toutes ces manières de petite fille de côté et devenir une femme. C’est le conseil qu’on donne à toutes les femmes. Va en mariage avec un panier percé sur le dos ma fille. Tous les problèmes, tous les soucis, toutes les peines et les rancœurs jette-les dans le panier percé. L’homme qui est censé être le chef de famille lui n’a pas besoin de panier percé hein ? Lui n’a pas de problèmes, de soucis, de rancœurs ou de peines à supporter ? Non, tout ça on nous le laisse à nous les femmes. Le panier qui était percé au début de mon mariage s’est petit à petit transformé en sac rempli de pierres. Je n’arrivais plus à avancer car les lanières de mon sac remplis de problèmes me déchiraient le dos… 


Minal ! (mensonge en fang)

Quelle mascarade! 


Je crois qu’il ne connait pas la femme que je suis réellement, celle que j’ai toujours été mais que j’ai rabaissée pour l’élever, lui. 

Je crois qu’il pense que je suis restée la gamine amoureuse qui a tout sacrifié pour son bonheur. Il pense que j’ai agi sur un coup de tête et que c’est par caprice que j’ai demandé le divorce. Il n’a aucune conscience de la force de caractère qui m’habite, qui m’a toujours habitée mais que j’ai fait taire pour chanter ses louanges à lui. 


Un jour Leila m’a envoyé un livre intitulé « la grâce des brigands » que je n’ai jamais eu le temps de lire. Je travaillais, m’occupais de lui, de nos enfants, de sa famille, de sa maison et des millions de choses qu’il me confiait, comment aurai-je pu trouver le temps de lire ?

Un résumé d’une journaliste littéraire nommée Sylvie Tanette accompagnait le livre :


Vers la fin de « la grâce des brigands », un homme sort en boitillant de la vie d’une femme. « En boitillant ». C’est ce qu’elle a écrit. Laissons-nous quelques secondes porter par cette image. Cet homme avait cru naïvement que pour toute la vie cette femme l’admirerait, lui servirait de faire valoir, de miroir déformant lui renvoyant une image sublimée de lui-même, faux héros qui se rêvait invincible. Un jour, les jeunes filles égarées prennent leur vie en main et les vieux matadors se retrouvent K.O. debout. Ils n’ont plus qu’à quitter la scène en boitillant, parce que la jeune fille devenue femme leur préfère un homme plus discret, plus silencieux, de ceux qui savent attendre leur heure et pensent aux autres avant de penser à eux-mêmes. 


Je suis la jeune fille égarée devenue femme qui fait quitter la scène au matador en boitillant. 

J’ai pris ma vie en main.  Il n’a qu’à aller boitiller ailleurs, je vais me débrouiller avec mes enfants. 


L’homme qu’il est aujourd’hui à qui pense –t-il le devoir ? Ce qu’il est aujourd’hui, j’y ai aussi largement contribué ! Mon salaire aussi est passé dans la maison qu’il habite avec sa nouvelle femme ! Et pourtant je n’ai eu droit à rien après le divorce.  Au Gabon, on ne divorce que pour faute de l’un des conjoints et lui malgré toutes ses tromperies était à l’abri. Pourquoi ? Parce qu’on s’est marié en choisissant la polygamie. Oui, au Gabon, un homme peut légalement être polygame. Comment peut-on accuser un homme qui a légalement le droit d’avoir d’autres femmes de vous tromper à tour de bras ? Comment ? J’étais naïve quand j’ai accepté tout ça. Je pensais être assez forte pour gérer la situation. 


Mais je me suis lourdement trompée. 

C’est ingérable. Définitivement ingérable. 

Ca fait mal. 

Mal de voir son homme en aimer d’autres.

Mal de sentir des parfums d’autres femmes sur son corps.

Mal de voir d’autres femmes enceintes de lui. 

Mal d’entendre ses millions de mensonges. 


Ca fait mal et ça vous change une femme en amazone ! 


Le prochain qui osera croiser mon chemin. Que Dieu ait pitié de son âme sinon je ne m’appelle pas Jenifer Elle Oyane!




A demain.

Je t'ai dans la peau