
Chapitre 16
Ecrit par Verdo
CHAPITRE 16
Le jour tant attendu était enfin arrivé. L’église était pleine à craquer. Tous les fidèles, du plus jeune au plus âgé, avaient répondu à l’appel du pasteur Sika et de Martiella. Une rumeur persistante circulait depuis des semaines, et chacun était venu pour entendre de la bouche du pasteur la vérité sur les accusations qui pesaient contre lui. L’atmosphère était lourde. Les chuchotements fusaient de partout. Certains fidèles s’attendaient à un démenti, d’autres espéraient une explication convaincante. Mais personne ne s’attendait à ce qui allait se passer.
Le pasteur Sika monta sur l’estrade, vêtu de sa tunique blanche immaculée. Il prit une profonde inspiration et balaya l’assemblée du regard. À ses côtés, Martiella restait impassible, ses mains jointes en signe de soutien apparent. Un silence s’installa progressivement lorsque Sika leva les mains pour réclamer l’attention de tous.
— Mes frères et sœurs en Christ, je suis devant vous aujourd’hui pour rétablir la vérité, dit-il d’une voix grave. Beaucoup de choses ont été dites sur moi, sur ma famille et sur la gestion de cette église. Je sais que vous attendez des explications, et je ne compte pas fuir mes responsabilités.
Les murmures reprirent brièvement avant de se taire complètement. Tous les regards étaient braqués sur lui.
— Oui, j’ai accepté de l’argent d’Ethiam, poursuivit-il. Cinquante millions de francs CFA. Je les ai pris en échange d’une délivrance. J’ai cru bien faire… mais je reconnais que j’ai commis une erreur.
Un brouhaha s’éleva immédiatement dans la salle. Certains fidèles se regardaient avec stupeur, d’autres murmuraient des prières à voix basse. Martiella posa une main sur son épaule pour l’encourager à poursuivre.
— Personne n’est parfait, mes frères ! Je suis un homme avant tout. Comme vous, je peux faillir. Mais aujourd’hui, je me tiens devant vous, non pas comme un homme brisé, mais comme un serviteur de Dieu qui reconnaît ses fautes et qui vous demande pardon.
Il s’agenouilla théâtralement, levant les mains au ciel.
— Je vous en supplie, ne laissez pas cette épreuve nous diviser. Pardonnez-moi comme le Seigneur nous enseigne à pardonner.
Certains fidèles hochèrent la tête, émus par la scène. Mais du côté des diacres, l’émotion était bien différente. Le diacre en chef se leva, suivi par plusieurs autres membres du conseil de l’église.
— Pasteur Sika, votre aveu est louable, mais il ne change rien aux faits, déclara-t-il avec fermeté. Vous avez trahi notre confiance. Vous avez pris de l’argent pour un acte spirituel, ce qui est contraire aux principes mêmes de notre foi. Nous avons réfléchi longuement et nous sommes unanimes : vous devez démissionner. Nous vous l'avons dit l'autre jour mais vous avez préféré nous chasser de votre maison.
Un frisson parcourut l’assemblée. Des exclamations fusèrent de toutes parts.
— Démissionner ? Après tout ce qu’il a fait pour cette église ?
— Mais il a avoué ses fautes, ne mérite-t-il pas une seconde chance ?
Sika se redressa vivement, le regard dur.
— Démissionner ? Cette église, c’est moi qui l’ai bâtie avec Martiella ! Vous pensez pouvoir me jeter dehors comme un vulgaire voleur ? Vous oubliez tout ce que nous avons accompli ensemble ?
— Nous n’oublions rien, pasteur, mais nous ne pouvons plus ignorer vos fautes. Vous prêchez l’intégrité et vous agissez à l’inverse. Comment pouvons-nous vous faire confiance après cela ?
Un silence pesant s’abattit sur l’église. C’est alors qu’une vieille femme, assise au premier rang, se leva lentement. Sa voix tremblante, mais ferme, résonna dans l’assemblée.
— Et Sélinam ? demanda-t-elle. J’ai entendu dire que vous l’avez chassée de la maison et bannie de l’église. Pourquoi ? Vous êtes celui qui l’a séduite, celui qui l’a arrachée à son foyer. Vous êtes un imposteur, pasteur Sika ! Un loup déguisé en agneau ! Vous et votre famille, vous avez profité de nous depuis trop longtemps !
La tension devint palpable. Les diacres acquiescèrent discrètement. Sika serra les poings, son regard se durcissant davantage.
— Sortez de l’église, madame, si vous ne vous sentez plus à l’aise ici ! lança-t-il froidement. Et que tous ceux qui pensent comme elle dégagent d’ici !
Un choc parcourut l’assemblée. Plusieurs fidèles se levèrent, indignés.
— Comment osez-vous nous parler ainsi ?
— Nous avons le droit de poser des questions !
— Vous êtes censé être notre guide spirituel, pas un tyran !
Mais Sika ne voulait rien entendre. Il se retourna brusquement et quitta l’estrade d’un pas furieux, suivi de Martiella qui tentait en vain de le calmer. L’église était en pleine ébullition. Certains fidèles quittaient déjà la salle, d’autres se rassemblaient en petits groupes pour commenter l’incroyable tournure des événements.
Martiella réussit à ramener Sika.
Le règne du pasteur Sika venait de vaciller dangereusement. Désormais, rien ne serait plus comme avant.
Les diacres s'échangèrent des regards lourds de sens. L'église était plongée dans un brouhaha énorme. Puis, un à un, les diacres se levèrent, leurs visages marqués par la déception et la désapprobation.
Le diacre en chef prit la parole d’une voix tremblante mais ferme :
« Nous ne pouvons plus cautionner cela, Pasteur. Nous avons tout enduré, nous avons fermé les yeux sur bien des choses, mais cette fois, c’en est trop. Nous démissionnons. Que le Seigneur ait pitié de vous. »
D’un geste lent et résigné, il ôta son insigne de diacre et le déposa sur le pupitre, suivi des autres diacres qui l’imitèrent un à un. Ils sortirent de l’église, sans se retourner. Peu à peu, les fidèles, observant la scène, les suivirent en silence, certains secouant la tête, d’autres en larmes.
Martiella, restée en retrait, regarda son mari, abasourdie. Elle s’approcha de lui, son visage trahissant une douleur immense.
« Pourquoi as-tu crié sur eux, Sika ? Pourquoi n’as-tu pas simplement fait profil bas et accepté tes torts ? Tu devais regagner leur confiance, et au lieu de cela, tu les as repoussés ! »
Sika la fusilla du regard, ses traits déformés par la colère.
« Et alors ? C’est mon église ! C’est moi le pasteur ! C’est moi l’élu ! Ils ne peuvent pas me destituer de ce qui m’appartient ! » hurla-t-il, ses poings tremblants d’émotion.
L’un de ses fils, jusque-là silencieux, s’avança timidement vers lui.
« Papa… » dit-il d’une voix tremblante. « Tu devrais écouter maman et te calmer. Tout ce que tu fais ne fait qu’aggraver la situation. Si tu continues comme ça, tu vas tout perdre… »
Le regard de Sika devint noir. D’un geste impulsif, il leva la main et gifla son fils avec une violence inouïe. L’enfant s’effondra au sol sous l’impact, tenant sa joue enflammée par la douleur.
Un cri retentit dans l’église. Martiella, horrifiée, se précipita vers son fils et le prit dans ses bras.
« Sika ! Tu es devenu fou ! Tu veux tuer ton propre enfant maintenant ?»
Les quelques fidèles restants, témoins de la scène, reculèrent, choqués. Un murmure s’éleva parmi eux, puis, un à un, ils se détournèrent et quittèrent les lieux. La salle se vida lentement, dans un silence pesant, laissant Sika seul avec son épouse et ses fils.
Martiella releva les yeux vers son mari, sa respiration saccadée par la colère et l’incompréhension.
« Regarde autour de toi, Sika. Tu as détruit tout ce que nous avions construit… Tu es seul, maintenant. »
Le silence s’abattit sur l’église déserte, alors que Sika fixait la porte grande ouverte par laquelle s’étaient évaporés tous ceux qui, autrefois, le suivaient aveuglément.
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Marie descendit du taxi à l’entrée du village de Fongbé-Zogbédzi. Une légère brise soulevait la poussière rouge de la route tandis que les habitants vaquaient à leurs occupations. Personne ne la connaissait ici. Son père, Nomagno, ne les avait jamais amenés dans ce village, et aujourd’hui, elle comprenait pourquoi.
Elle se dirigea vers la maison du chef du village, un bâtiment simple en terre battue avec un toit de tôle rouillée. Après avoir expliqué qu’elle était journaliste et qu’elle collectait des informations pour un documentaire sur l’histoire du village, le chef, un vieil homme aux cheveux grisonnants, accepta de l’aider. Il désigna un ancien du village, un certain Tété, pour lui faire visiter les lieux.
Marie suivit le vieil homme à travers les sentiers du village, s’imprégnant de l’atmosphère paisible qui régnait ici. Les enfants jouaient, les femmes pilonnaient le maïs, et les hommes discutaient sous un grand fromager. Elle posa quelques questions sur l’histoire du village, auxquelles Tété répondit avec patience. Puis, ils atteignirent un endroit plus reculé, où les hautes herbes avaient envahi le paysage.
Tété s’arrêta et désigna un espace abandonné.
— Ici, c’était autrefois une grande ferme, expliqua-t-il.
Marie observa les vestiges de ce qui avait dû être une exploitation prospère. Des cases en ruine, des structures effondrées, des herbes folles qui avaient repris leurs droits.
— Une ferme ? s’étonna-t-elle. Qu’est-ce qui s’est passé ici ?
Le vieil homme soupira et s’appuya sur son bâton.
— Un drame. Cette ferme appartenait aux parents de Mawugno. De génération en génération, ils en avaient fait un domaine prospère. Mais un jour, tout a basculé.
Marie se pencha un peu plus, avide de détails.
— Que s’est-il passé exactement ?
— Après la mort des parents de Mawugno, il est parti à Lomé pour ses études, laissant la ferme sous la garde d’un jeune homme qu’ils avaient recueilli, un certain Ethiam. Pendant des années, tout semblait aller bien. Mais quand Mawugno est revenu avec des investisseurs pour bâtir une usine ici, Ethiam s’est interposé.
Marie sentit son cœur s’accélérer.
— Il a refusé de lui rendre la ferme ?
— Bien pire. Un matin, un massacre a eu lieu. Mawugno, sa femme, leurs trois enfants et les deux investisseurs qui l’accompagnaient ont été retrouvés morts.
Marie porta une main tremblante à sa bouche.
— C’est Ethiam qui a fait ça ?
— Tout le monde le sait ici. Après son acte, il a pris la fuite et n’a plus jamais remis les pieds dans le village. Nous avons enterré les corps juste là-bas. Viens, je vais te montrer.
Marie le suivit d’un pas hésitant. Son esprit était en ébullition. La lettre de son père Nomagno disait donc vrai. Ethiam était un meurtrier. Son père savait quelque chose et comptait l’utiliser contre lui. Mais où était-il maintenant ? Ethiam l’avait-il aussi tué pour préserver son secret ?
Devant les tombes recouvertes de pierres blanches, Marie sentit un frisson parcourir son échine. Une rage sourde grandit en elle.
— Ce monstre… murmura-t-elle.
Elle serra les poings. Si Ethiam avait aussi fait du mal à son père, elle jura qu’il le paierait très cher.
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Nadine rentra chez elle ce soir-là, exténuée après une longue journée de travail. Ses épaules étaient lourdes, ses jambes endolories, et son seul désir était de se laisser tomber sur son lit, fermer les yeux et oublier la fatigue qui la rongeait. Elle posa son sac à l’entrée et s’apprêtait à filer directement dans sa chambre lorsqu’elle entendit la voix de sa mère, posée mais empreinte d’une certaine gravité.
— Nadine, viens un instant, ma fille.
Intriguée, elle rebroussa chemin et se dirigea vers le salon. Là, assise sur le vieux canapé en tissu, une femme relevait la tête vers elle, le regard empli d’émotion. Nadine mit quelques secondes à la reconnaître, mais un léger frisson la parcourut lorsqu’elle se rendit compte de qui elle avait en face d’elle.
— Sélinam ?
Un sourire discret éclaira le visage fatigué de sa cousine. Nadine ne l’avait pas revue depuis des années. Que faisait-elle ici ? Pourquoi semblait-elle si abattue ?
— Oui, Nadine… C’est moi.
Sa mère prit la parole avant qu’elle n’ait eu le temps de poser d’autres questions.
— Sélinam a des soucis, ma fille. Elle n’a plus d’endroit où aller et… je ne pouvais pas la laisser dehors. Elle va rester ici un moment, le temps qu'elle se retrouve.
Nadine jeta un regard à sa mère, puis à Sélinam. Elle ne connaissait pas toute son histoire, mais quelque chose dans l’attitude de sa cousine la troublait. Elle semblait brisée, meurtrie par quelque chose de bien plus profond qu’un simple problème de logement.
Elle hocha lentement la tête.
— D’accord, maman. Ça ne me dérange pas. De toute façon, je ne reste presque plus ici.
Sa mère acquiesça, soulagée, et Sélinam baissa les yeux, comme si elle n’osait pas remercier ouvertement. Nadine s’approcha et posa une main sur l’épaule de sa cousine.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à demander.
Sélinam releva légèrement la tête, une lueur de gratitude dans son regard fatigué.
— Merci, Nadine.
Sans en dire plus, Nadine se retira dans sa chambre, son esprit désormais hanté par la présence soudaine de Sélinam. Que lui était-il arrivé pour qu’elle se retrouve dans une telle détresse ?
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La nuit était tombée sur la ville, enveloppant tout dans une obscurité épaisse et pesante. Ethiam dormait profondément, mais son sommeil n’était pas paisible. Il se retrouva transporté dans un lieu familier, un endroit qu’il avait cru avoir enfoui au plus profond de sa mémoire : Fongbé-Zogbédzi.
Le vent soufflait légèrement, soulevant la poussière rougeâtre du sol. Le ciel était étrange, d’un gris cendreux, sans lune ni étoiles. Ethiam se tenait au milieu de la ferme abandonnée, là où tout avait commencé, là où tout s’était terminé dans un bain de sang. L’herbe était haute, sauvage, envahissante, comme si la nature elle-même avait voulu engloutir les vestiges du crime qu’il avait commis.
Puis, un bruit.
Un bruissement dans l’ombre, des pas feutrés sur la terre sèche. Ethiam se retourna brusquement, et son cœur rata un battement. Devant lui, ils étaient là. Tous.
Mawugno, sa femme, leurs trois enfants. Les deux investisseurs. Et… Nomagno.
Leurs visages étaient figés, livides, marqués par la douleur et la trahison. Leurs yeux vides le fixaient, le transperçaient comme des poignards invisibles. Ils l’encerclaient lentement, avançant à pas mesurés. Ethiam voulut crier, bouger, fuir… mais son corps était paralysé. Ses jambes se dérobèrent sous lui, et il se retrouva à genoux au centre du cercle.
— Pitié… balbutia-t-il, la voix tremblante.
Personne ne répondit. Mais soudain, un phénomène étrange se produisit. Un à un, ils commencèrent à se transformer. Leurs corps devinrent translucides, leur chair s’effaça, leurs formes humaines se dissipèrent comme de la fumée portée par le vent. Puis, sous ses yeux horrifiés, ils se métamorphosèrent en petits cauris blancs qui tombèrent un à un au sol dans un bruit sinistre.
Le silence régna quelques instants.
Puis, les cauris commencèrent à bouger par eux-mêmes, comme attirés par une force invisible. Ils glissèrent sur la terre et furent aspirés dans une sacoche noire posée devant Ethiam.
Cette sacoche.
Celle qui avait changé sa vie. Celle qui l’avait hanté.
Il tendit la main pour la repousser, mais, comme guidée par une force maléfique, elle se retrouva subitement entre ses mains. Il sentit son poids, plus lourd que jamais, chargé d’un fardeau qu’il ne pouvait plus ignorer.
Ethiam ouvrit brusquement les yeux, haletant, le corps couvert de sueur. Son souffle était saccadé, son cœur battait violemment contre sa poitrine.
Il mit quelques secondes à reprendre ses esprits. Sa chambre était plongée dans une pénombre oppressante. Il se redressa lentement sur son lit, le regard hagard, encore prisonnier des images du rêve. Puis, comme un murmure venu du plus profond de son être, les mots s’échappèrent de ses lèvres.
— Les huit cauris… C'est donc toutes les personnes que j'ai tuées…
Un frisson parcourut son échine lorsqu’il réalisa l’ultime vérité.
— C’était Nomagno le huitième…
Et il comprit que son cauchemar n’était peut-être pas qu’un simple rêve.
Écrit par Koffi Olivier HONSOU.
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