
Chapitre 17
Ecrit par Verdo
CHAPITRE 17 :
La colère grondait depuis des jours, mais cette nuit-là, elle atteignit son paroxysme. Les fidèles de l’église de Sika, autrefois dévoués, brisés, humiliés, trahis par celui qu’ils appelaient père spirituel, n’en pouvaient plus. L’humiliation publique, les révélations choquantes, les manipulations, les gifles, les cris, les scandales… Sika avait tout fait pour perdre leur confiance.
Il était presque minuit quand des dizaines de fidèles, jeunes et vieux, hommes et femmes, se réunirent devant le portail de l’église. Ils n’étaient pas venus prier. Non. Cette fois-ci, ils venaient réclamer justice à leur manière.
— Il nous a menti ! cria l’un.
— Il a détruit nos familles, volé notre argent, abusé de notre foi ! s’écria une femme, brandissant un bidon d’essence.
— Brûlons tout ! Ce lieu est maudit ! ajouta un autre avec rage.
Le portail fut forcé, les cadenas brisés à coups de pierres et de barres de fer. Une marée humaine envahit l’église. Les bancs volèrent en éclats, les vitres explosèrent sous les projectiles, la chaire fut renversée, piétinée. Des portraits de Sika, affichés fièrement partout dans l’église, furent arrachés, déchirés, brûlés. L’autel fut saccagé, les bibles jetées, les haut-parleurs éventrés.
Et quand les premières flammes commencèrent à lécher les murs, personne ne tenta de les arrêter. C’était comme si le feu lavait leur douleur, leur honte, leur colère. L’église de Sika, autrefois leur refuge, devenait un tas de cendres sous la lumière pâle de la lune.
Mais cela ne suffisait pas. Leur rage les mena ensuite jusqu’aux locaux de Vérité TV, la chaîne que Sika utilisait pour manipuler les masses, se faire passer pour un messie moderne, diffuser ses messages enjôleurs.
— C’est ici qu’il hypnotisait les gens ! Ici qu’il bâtissait ses mensonges ! hurla un jeune homme en lançant une pierre à travers la grande baie vitrée du hall d’accueil.
Les studios furent pris d’assaut, les caméras brisées, les équipements arrachés, les décors réduits en miettes. Certains écrivirent au mur en lettres rouges : « Sika imposteur ! », « Rendez-nous notre foi ! », « Justice pour Sélinam et Kodjo ! »
Entre-temps, Sika, alerté par un appel d’un membre de la sécurité, paniqué, tenta d’appeler la police.
— Allô ? Allô ? C’est le Révérend Docteur Sika ! Mon église ! Ma chaîne de télé ! Ils m’attaquent, envoyez du renfort !
Mais quand les forces de l’ordre arrivèrent sur les lieux, il n’y avait plus rien à sauver. L’église n’était qu’un squelette calciné. Les studios de Vérité TV étaient méconnaissables.
Le lendemain, l’affaire fit la une de tous les journaux. Sur la télévision nationale, les images défilaient en boucle : ruines fumantes, fidèles interviewés en pleurs, scandalisés, révoltés. Des journalistes déterrèrent toute l’affaire : les cinquante millions pris à Ethiam pour des séances de "délivrance", les mensonges à l’église, le rejet cruel de Sélinam après avoir brisé son foyer avec Kodjo, les menaces, les abus de pouvoir, les faux miracles montés de toutes pièces…
Sika, l’homme autrefois vénéré, présenté comme « oint de Dieu », se voyait désormais nu, mis à nu devant toute la nation. Les titres des journaux étaient sans appel :
« Révérend Sika : le faux prophète démasqué »
« Tromperies, manipulations et trahison : chute d’un pasteur-star »
« Sélinam et Kodjo : un couple détruit pour l’orgueil d’un homme.»
Même les réseaux sociaux s’enflammèrent. Des anciens fidèles publièrent des vidéos de leurs témoignages. D’anciens proches du pasteur sortirent du silence. La vérité, enfin libérée, avait tout emporté sur son passage.
Et Sika, retranché dans une villa discrète, fixait l’écran de sa télévision, les mains tremblantes. Son monde s’écroulait, pierre après pierre, parole après parole. Sa voix n’avait plus d’écho. Sa foi n’était plus crainte.
Et cette fois, il n’y avait plus personne pour dire « Amen ».
Depuis la chute brutale de l’empire spirituel de Sika, les jours étaient devenus un calvaire pour Martiella. Autrefois respectée, adulée, considérée comme la “maman de l’église”, elle n’était plus qu’un objet de honte et de mépris dans les rues de Lomé. Chaque sortie devenait un supplice. Les regards moqueurs, les murmures dans son dos, les accusations lancées à haute voix… Elle ne pouvait plus respirer.
Ce matin-là, elle était sortie au marché avec l’un de ses fils. À peine avait-elle franchi le portail de leur résidence qu’un groupe de femmes l’aperçut et éclata de rire.
— Regarde-moi ça, chuchota ironiquement l’une. C’est elle, hein ? La femme du faux pasteur !
— Elle vit dans le luxe sur le dos des pauvres fidèles ! cria l’autre sans aucune retenue.
— Elle fait la belle, le teint bien éclairci, les perruques d’un ou deux millions de francs ! Et pourtant, des gens ont vendu leurs terres pour semer à l’église. Maintenant ils n’ont plus rien.
— Dieu va les frapper ! Ton mari va voir ce que c’est que d’abuser du nom du Seigneur !
Martiella serra les poings, le visage rouge de honte. Elle pressa le pas, tenant son fils par la main. Lui, les larmes aux yeux, ne comprenait pas pourquoi les gens étaient si méchants avec eux.
— Maman… pourquoi ils disent tout ça ?
— Chut, mon fils, marchons. Ne regarde pas derrière.
De retour à la maison, elle claqua la porte derrière elle, laissa tomber son sac sur le canapé et se dirigea tout droit vers la chambre. Sika était là, affalé sur le lit, les yeux rivés à la télévision qui diffusait encore un reportage sur l’incendie de Vérité TV.
— Encore toi ici devant la télé ? Tu es content ? Tu es fier de ce que tu as fait ? hurla-t-elle.
— Martiella, s’il te plaît… calme-toi. Je suis désolé, j’essaie de…
— Non ! Tu n’essaies rien du tout ! Depuis des semaines je t’observe. Tu continues de vivre comme si rien ne s’était passé, comme si tu n’avais pas traîné notre nom dans la boue. Tu as détruit notre vie ! Notre dignité !
— Je ne voulais pas que ça tourne ainsi… Je pensais que…
— Tu pensais quoi ? Que tu pouvais mentir, voler, manipuler, et que les gens allaient t’applaudir ? Que tu pouvais gifler ton propre fils devant tout le monde et qu’ils allaient chanter “Gloire à Dieu ?”
Elle marqua une pause, les yeux remplis de larmes mais la voix ferme.
— Moi et les enfants, on retourne aux États-Unis. On part dans deux jours.
Sika se leva brusquement.
— Quoi ? Martiella… non… tu ne peux pas me faire ça. Pas maintenant ! Tu es ma femme. Tu es censée être à mes côtés dans l’épreuve !
— Tu m’as perdue depuis le jour où tu as transformé cette maison en champ de bataille. Depuis le jour où tu as brisé le couple de Selinam et tu l'as épousée. Depuis que tu t’es vendu pour cinquante millions à un démon comme Ethiam. Je ne peux plus ! Les enfants souffrent, Sika ! Tu ne les regardes même plus !
— Je t’en prie… on peut reconstruire… je vais me racheter…
— Il est trop tard. Tu aurais dû y penser avant d’insulter les fidèles, avant de hurler sur cette vieille dame à l’église, avant de dire que tu es “l’élu” en pleine folie. Tu as fait couler ce ministère de tes propres mains.
Sika tomba à genoux, les larmes roulant sur son visage.
— Je t’en supplie, Martiella… reste. Donne-moi une dernière chance.
Mais elle le regarda avec une froideur qu’il ne lui connaissait pas.
— La dernière chance, c’était il y a trois semaines. Aujourd’hui, il n’y a plus rien à sauver. Prépare les passeports des enfants. On part.
Elle tourna les talons, laissant Sika seul, brisé, pleurant dans le silence de sa chambre, pendant qu’à la télévision on continuait de dérouler la liste de ses scandales. La vérité avait eu raison de lui. Et cette fois, même sa propre famille n’était plus là pour lui tendre la main.
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Depuis plusieurs jours, Sélinam vivait un tourment intérieur. Son cœur était une mer agitée, une tempête de remords et de honte. Les révélations sur le pasteur Sika avaient fait le tour des médias. Partout on parlait de lui, de ses manipulations, de ses abus. Les visages des victimes défilaient sur les écrans, les voix blessées s’élevaient pour témoigner. Et parmi les noms prononcés avec indignation et colère, celui de Sélinam revenait avec insistance.
Les journaux racontaient comment elle avait abandonné son foyer, ses enfants, pour suivre un homme qui se disait de Dieu. Comment elle avait été vue, quelques mois après, à la tête de l’église, main dans la main avec le pasteur. Puis, comme si tout cela n’était pas assez humiliant, on relatait également comment Sika l’avait chassée comme une voleuse après avoir brisé sa vie.
Sélinam ne pouvait plus se cacher. Elle qui vivait chez la mère de Nadine depuis quelques semaines. Chaque regard, chaque geste de tendresse de cette femme réveillait en elle la honte qu’elle tentait d’enfouir. Mais c’était surtout Nadine… Nadine, cette jeune femme bienveillante, innocente, souriante, qu’elle ne pouvait plus supporter de tromper.
Ce soir-là, elles étaient assises toutes les trois au salon. Un silence étrange planait dans la pièce, seulement rythmé par les voix lointaines de la télévision. Sélinam, les mains tremblantes sur ses genoux, baissa les yeux. Elle n’en pouvait plus.
— Tantie… Nadine… je dois vous dire quelque chose, dit-elle d’une voix presque éteinte.
Nadine tourna la tête vers elle, intriguée. Sa mère aussi fronça légèrement les sourcils, suspendant le geste de replier le linge.
— Je ne peux plus garder ça pour moi. J’ai trop menti… trop fui. Ce que vous avez vu à la télévision… ce n’est pas un mensonge. Tout est vrai. Tout…
Elle marqua une pause. Ses yeux se remplirent de larmes, mais elle reprit.
— J’ai connu le pasteur Sika il y a quelques années, quand j’étais encore avec Kodjo. J’étais en pleine crise dans mon foyer, je manquais de repères, et lui… il m’a fait croire que Dieu m’avait choisie pour une mission plus grande. Il m’a manipulée, m’a dit que pour recevoir les bénédictions divines, je devais semer encore et encore… Il m’a fait vendre mes bijoux, vider mes comptes. J’y ai cru… Il disait que Kodjo était un frein à ma destinée. Il m’a dit que si je voulais servir Dieu pleinement, je devais quitter mon mari. Alors je l’ai fait… J’ai laissé Kodjo. J’ai abandonné mes enfants. Je suis partie.
Nadine était figée. Sa mère aussi. Le linge lui glissa des mains.
— Après ça… il m’a installée dans une petite maison. Il a continué de me convaincre que j’étais spéciale… Et quelques mois plus tard, on s’est marié. Devant Dieu… du moins, c’est ce qu’il disait. Mais ce n’était pas Dieu, c’était son orgueil. Son plan. Et un jour, sans prévenir, il m’a mise dehors parce que sa vrai femme le lui ai demandé.
Sa voix se brisa. Elle essuya ses larmes d’un revers de manche.
— Ce n’est qu’après que j’ai appris que Kodjo avait tant souffert. Qu’il avait failli tout perdre. Et maintenant… je suis ici. Je ne sais même pas pourquoi je suis encore en vie.
Il y eut un long silence. Nadine, les yeux écarquillés, paraissait figée dans le temps. Elle venait de relier les fils de cette histoire. Le récit douloureux de Kodjo. Cette femme dont il parlait… cette femme qu’il avait aimée, défendue, jusqu’à la fin. Cette femme qui l’avait abandonné sans raison…
C’était elle.
Sélinam.
— C’est toi… murmura-t-elle, incrédule. C’est toi, la femme que Kodjo a tant aimée ? Celle qui l’a quitté… pour ce faux pasteur ?
Nadine bondit de son siège, attrapa son sac d’un geste brusque.
— Où vas-tu ? demanda sa mère, affolée.
— Je dois sortir.
— Nadine, attends… écoute-moi… implora Sélinam en se levant.
Mais Nadine ne répondit pas. Elle sortit sans même mettre ses chaussures, sans refermer la porte. Elle marchait vite, presque en courant. Son cœur battait à tout rompre. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle allait dire à Kodjo, mais elle devait le voir. Maintenant.
Derrière elle, Sélinam s’effondra au sol, en pleurs. Sa tante s’approcha, désemparée.
— Pourquoi, ma fille ? Pourquoi tout ce silence ?
— Parce que j’avais honte… Tantie, j’ai tout perdu.
— Peut-être… mais il n’est jamais trop tard pour demander pardon. Tu as blessé des gens, mais maintenant tu dois faire face. Laisse Dieu s’occuper du reste.
La nuit tomba sur la maison. Le silence revint. Mais tout avait changé.
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La nuit était déjà bien tombée quand Nadine arriva devant la maison de Kodjo. Elle était haletante, les joues rouges, les cheveux en désordre, les yeux remplis de confusion et d’émotions. Son cœur cognait contre sa poitrine comme un tambour furieux. Elle frappa à la porte avec insistance, presque frénétiquement.
Kodjo ouvrit aussitôt. Il fut surpris de la voir dans cet état.
— Nadine ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu vas bien ? demanda-t-il, inquiet.
Nadine entra sans répondre, comme si ses jambes ne l’écoutaient plus. Elle se tint au milieu du salon, tremblante. Ses yeux cherchaient quelque chose qu’elle seule comprenait. Elle finit par se retourner lentement vers lui.
— Ton ex-femme… dit-elle d’une voix étranglée. Elle s’appelle… Sélinam, n’est-ce pas ?
Kodjo haussa les sourcils, surpris par la question soudaine.
— Oui… Sélinam. Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
Mais avant qu’il ne puisse obtenir une réponse, Nadine poussa un cri de désespoir, se laissa tomber à genoux, puis s’allongea par terre, le visage tourné vers le plafond, comme si le monde s’effondrait autour d’elle.
— Oh mon Dieu ! Pourquoi moi ? Pourquoi ? cria-t-elle.
Kodjo accourut, complètement perdu.
— Nadine ! Nadine, mais qu’est-ce qui se passe ? Parle-moi ! Tu me fais peur.
Il l’aida à se relever et la fit asseoir sur le canapé. Elle respirait difficilement, les larmes coulaient maintenant sur ses joues sans retenue.
— Bois un peu d’eau, chuchota-t-il en allant chercher un verre.
Elle but une gorgée, tremblante. Puis, prenant une profonde inspiration, elle parla enfin, d’une voix brisée :
— Elle est chez moi… Elle vit chez moi, Kodjo. Depuis plusieurs jours. C’est ma tante. La nièce de ma mère. Elle s’appelle Sélinam… Elle nous a dit qu’elle avait des soucis, qu’elle avait besoin d’un endroit où rester quelque temps. Ma mère n’a rien dit. Et moi, je ne savais pas. Je ne savais pas…
Kodjo resta figé, les mots suspendus au bord de ses lèvres. Il s’adossa au mur, comme s’il venait de recevoir un coup violent à la poitrine.
— Ta tante ? murmura-t-il.
Nadine hocha la tête, ses yeux rouges plantés dans les siens.
— Ce soir, elle nous a tout raconté. Elle n’en pouvait plus. Elle a dit que c’était vrai… que tout ce qui passait à la télé, c’était vrai. Que c’est ce pasteur Sika qui l’a manipulée, qu’il l’a poussée à quitter son mari, à abandonner ses enfants. Elle a parlé d’un homme… d’un homme qui l’a aimée malgré tout… qui a souffert… Et en l’écoutant, j’ai compris. C’était toi.
Kodjo ferma les yeux un instant. Son visage s’assombrit. Un silence lourd s’installa. Puis, lentement, il alla s’asseoir près d’elle.
— Oui… c’était moi. C’est moi, Nadine. C’est de moi qu’elle parlait. C’est moi qu’elle a laissé derrière, du jour au lendemain, sans explication. Moi qui me suis battu pour notre foyer, qui ai tout donné… en vain.
Un sanglot étouffé s’échappa des lèvres de Nadine. Elle prit la tête entre ses mains.
— Je ne sais plus quoi penser… Comment cela a pu arriver ? Comment ai-je pu me retrouver entre vous deux ? Moi qui croyais t’avoir enfin trouvé, Kodjo… Après tout ce que tu as traversé, c’est moi que tu avais choisi. Et moi, je t’aimais aussi, de tout mon cœur… Mais aujourd’hui… c’est comme si le passé nous avait rattrapés.
Kodjo soupira profondément. Il prit la main de Nadine avec douceur.
— Nadine… je ne t’ai jamais menti. Je t’ai tout dit. Ce passé-là, je n’en voulais plus. Je voulais construire quelque chose de nouveau avec toi. Toi, tu as guéri en moi des blessures que je pensais éternelles. Tu m’as ramené à la vie. Ce que Sélinam a fait, je ne l’ai jamais compris. Mais ce que je sais… c’est que ce n’est pas de ta faute. Toi, tu n’as rien à voir dans tout ça.
— Mais c’est ma famille… dit-elle, en retirant doucement sa main. Je vis sous le même toit qu’elle. Et maintenant que je sais… comment veux-tu que je revienne ici comme si de rien n’était ?
Kodjo baissa les yeux.
— Je ne te demanderai pas de choisir entre ta famille et moi. Je ne ferai jamais cette erreur. Mais j’aimerais que tu saches une chose : malgré tout, malgré cette douleur qui revient ce soir… mon cœur, Nadine, il est à toi.
Les larmes redoublèrent sur le visage de la jeune femme. Elle posa sa tête contre son épaule.
— Laisse-moi juste un peu de temps… murmura-t-elle. Il faut que je digère tout ça.
— Je comprends.
Ils restèrent là, en silence, enveloppés par la nuit, par le poids du passé qui s’invitait dans leur présent. Rien ne serait plus comme avant. Mais parfois, l’amour survit même au chaos.
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Ce jour-là, Ethiam se leva avec une agitation étrange au fond de l’âme. Son rêve l’avait secoué au plus profond de lui, et depuis, la sacoche noire ne le quittait plus littéralement. Il avait beau la cacher, la jeter, l’oublier quelque part, elle réapparaissait toujours, comme attachée à lui par un fil invisible, un lien maudit.
Poussé par la peur et le désespoir, il se résolut à aller consulter un prêtre du Fâ. Un vieil homme réputé dans toute la région, vivant dans une petite case en périphérie d’un village sacré, là où les arbres paraissaient plus anciens que le temps lui-même.
Quand il arriva dans la cour poussiéreuse du prêtre, le ciel était couvert, comme en deuil. Un silence pesant régnait, seulement brisé par le bruissement des feuilles et le chant lointain des oiseaux.
Le prêtre, un homme maigre, la peau ridée comme de l’écorce, l’attendait assis en tailleur sur une natte, au milieu de cauris posés sur une peau de bête. Sans même le saluer, il lui fit signe de s’asseoir.
Ethiam s’exécuta. Le silence entre eux fut long. Le prêtre fixait les cauris, puis ses yeux perçants remontèrent vers Ethiam.
— Tu veux consulter le Fâ, dit-il enfin, sans poser de question.
Ethiam hocha la tête, nerveux. Le prêtre se mit alors à chanter en langue, invoquant les esprits, les anciens, les divinités protectrices. Il secoua les cauris dans sa main, puis les lança sur la peau. Il observa longtemps leur disposition. Ses yeux s’assombrirent.
Il releva la tête.
— Tu as beaucoup à dire, commença-t-il d’une voix grave. Ton passé est très sombre. Plusieurs âmes pleurent à cause de toi… et n’arrivent pas à trouver la quiétude. Le Fâ dit que tu as sali tes mains. Elles sont entachées du sang de huit personnes.
Ethiam sentit un frisson lui parcourir le dos. Il baissa la tête, incapable de parler. Un silence lourd s’installa.
— Tu ne dis rien, reprit le prêtre. Pourtant, les morts crient. Ils crient fort. Leurs voix troublent le repos des ancêtres. Le Fâ dit que tu ne connaîtras jamais la paix tant que ces huit âmes n’ont pas été apaisées.
Ethiam serra les poings, le visage tendu. Son cœur battait vite.
Soudain, le prêtre fronça les sourcils et le fixa.
— Une sacoche te suit partout, n’est-ce pas ?
Ethiam releva brusquement la tête, les yeux écarquillés.
— Comment… comment le savez-vous ?
— Ce n’est pas moi qui le dis. C’est le Fâ. Tu as essayé de t’en débarrasser cinq fois. Jetée à la poubelle, enterrée dans une forêt, lancée à la mer, brûlée dans un feu, laissée dans une église…
Il marqua une pause, les yeux toujours plantés dans ceux d’Ethiam.
— Ai-je menti ?
La voix d’Ethiam n’était plus qu’un souffle :
— Non… non, vous avez tout juste…
Il tremblait désormais. Il n’y avait aucun doute : ce vieil homme lisait son âme comme on lit un livre ouvert.
— Que dois-je faire ? demanda-t-il, désespéré. Aidez-moi. Je vous en supplie…
Le prêtre soupira longuement, baissa les yeux vers les cauris puis les reprit dans ses mains. Il les frotta contre son front, puis les reposa lentement.
— Je ne peux rien faire pour toi. Ton sort est déjà scellé par tes actes. Tu as tué sur une terre consacrée, une terre bénie par les ancêtres et les divinités. Et tu l’as fait de sang-froid, par avidité et ruse. Tu as commis l’irréparable. C’est impardonnable.
Ethiam se leva à demi, les yeux rouges, le souffle court.
— Non… non… il doit bien y avoir une solution ! Un sacrifice, une offrande ! Je suis prêt à donner tout ce que j’ai ! Ma richesse, ma maison, ma vie même s’il le faut !
Le prêtre secoua lentement la tête.
— Tu n’as plus rien à offrir. Ce qu’on veut de toi maintenant… c’est la vérité. Tu dois retourner dans le village. Fongbé-Zogbédzi. Là où tout a commencé. Là où tu as semé la mort. Tu dois t’y rendre et tout confesser. Devant les vivants. Devant les morts. Devant les ancêtres.
Il marqua une pause, la voix plus dure.
— Si tu refuses… la sacoche tuera, un à un, tous ceux à qui tu tiens. Ta femme, ton enfant, ta belle-famille et tous ceux qui ont goûté à ta richesse maudite. Et enfin, toi.
Ethiam sentit ses jambes faiblir. Il s’effondra à genoux.
— Et si je le fais ? Si je confesse tout… serai-je pardonné ?
Le prêtre le regarda, les yeux empreints de tristesse.
— Je ne suis qu’un interprète. Seuls les ancêtres décideront de ton sort. Tu as trois semaines. Pas un jour de plus. À toi de choisir si tu veux mourir en lâche ou affronter ce que tu as semé.
Puis il se leva, tourna le dos à Ethiam et dit d’une voix sèche :
— Va-t’en maintenant. Le Fâ a parlé.
Ethiam se releva lentement, la gorge nouée, le cœur en lambeaux. La sacoche, noire et silencieuse, pesait comme un rocher sur son épaule. Le vent soufflait plus fort. Le ciel s’obscurcissait.
Il comprit que le compte à rebours avait commencé.
suivre…
Écrit par Koffi Olivier HONSOU.
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