Chapitre 2 - Papa, maman j'ai reçu une lettre

Ecrit par Nobody

Je l’ai posée sur la table sans même l’effleurer. L’enveloppe. Je n'avais pas encore la tête à ça, je suis persuadée qu'elle comporterait des énigmes plus qu'autre chose. Après la destinataire, cette fameuse maman Elise connaissait ma grand-mère, sinon elle ne l'aurait pas mentionné.

Je regarde rapidement mon téléphone. 17h28. Je n'ai pas vu les heures passées aujourd'hui, comme hier, comme le jour d'avant et comme les autres jours. Je suis réputée pour une chose au boulot : quand je suis concentrée, je le suis à fond. Et pas de bol, je le suis tout le temps. Cela avait d'ailleurs pour incidence d'instaurer une certaine distance avec mon équipe. Déjà je suis leur directrice, mais en plus je discutais peu et je prenais rarement mes pauses avec eux. Pourtant je suis l'humilité en personne mais côté relationnel je sais parfaitement qu'il y a des efforts à faire, beaucoup d'efforts, beaucoup trop d'efforts. 

Je file dans mon bureau pour me dévêtir et refiler mes vêtements avec lesquels j'étais arrivée ce matin, il faut que je parte. En ce qui concerne la lettre reçue, pas question de la laisser me faire tourner la tête. Mon quotidien ne pouvait pas s’arrêter pour quelques mots couchés sur du papier, même s’ils venaient du passé, même s’ils portaient l’odeur du mystère. Je l'emporterai avec moi et je la lirai ce soir dans mon lit. 

J’ai attrapé mon sac en raphia, noué mon foulard et claqué la porte. 

 A demain les gars, Sarah je compte sur toi pour partir au même moment que les autres, ton affaire de rester jusqu'à 20h là ça me plait pas je t'ai déjà dit non ? 

— Mais Naila, tu veux me taper sur les doigts parce que j'aime mon travail et que je fais des heures supplémentaires gratuitement ? me demanda-t-elle en riant 

— Oui c'est exactement ça. Que tu aimes ça plus que moi ? ou plus que Lyne ? Pourtant regarde là en train de ranger ses affaires déjà alors qu'il lui reste encore 30 minutes de travail. Lyne tu penses qu'on te voit pas ? je lui lance sur le ton de l'humour

- Naila pardon à demain dit-elle en riant à son tour 

- A demain tout le monde je reponds en m'en allant non sans avoir remué la tête 

Je ne suis pas du genre regardante sur les horaires, tant que le travail était fait mes collaborateurs pouvaient rentrer chez eux quand ils voulaient. Si le matin ils désirent commencer plus tard ou plus tôt, libre à eux, honnêtement je n'ai aucun problème. De toutes les façons toute mon équipe sauf Sarah étaient des cadres donc n'avaient pas vraiment d'horaires fixes. Sarah elle, était en contrat d'apprentissage chez moi depuis 8 mois, et je ne peux pas permettre qu'elle déborde trop. Elle a ses cours à côté et même si je sais qu'elle est vraiment passionnée par son travail, il ne faut pas qu'elle se donne autant. Je suis souvent obligée de la recadrer à ce sujet, et je pense qu'il faut que j'ai une discussion avec elle prochainement à ce sujet. 

Dehors, le soleil cognait déjà sans pitié, mais les klaxons, les cris des zémidjans et les parfums de maïs grillé donnaient à la ville une énergie qu’aucune enveloppe ne pouvait faire taire.

Je devais aller chercher Maïssa. Ma fille.

13 ans de feu et d’orgueil, les yeux pleins de questions et le cœur trop grand pour son âge. Elle étudie au collège privé Sainte-Rita, pas très loin du centre. Sur le chemin quand je la récupère, elle me parle de sa journée. C’est notre moment à nous : elle me parle de ses profs, de ses rêves, de ses colères contre le monde. Et moi, je l’écoute comme si elle chantait la vie.

En arrivant, j’ai salué les vendeuses de tomates du carrefour, échangé quelques mots avec Tonton Brice, le vieux sculpteur qui tient son échoppe depuis des années sous le même baobab. Il m’a demandé si je comptais enfin exposer mes propres œuvres.

— Je restaure, Tonton, je ne crée pas, ai-je répondu.

Il a ri doucement, les yeux plissés :
— Tu restaureras ton cœur un jour, Naïla. Tu verras.

Ses mots ont fait remonter la lettre dans mes pensées comme une vague sourde. Je l’ai chassée. Pas maintenant.

Quand Maïssa m’a vue devant le portail du collège, elle a couru vers moi, son cartable à moitié ouvert, des écouteurs dans les oreilles.

— Maman, faut qu’on parle, j’ai eu 16 en maths mais c’est la faute du prof, il est injuste !

J’ai souri.

— Ah bon ? Et si on en discutait devant un bon bissap chez papi ?

Chez mon père, il y a toujours une boisson fraîche, un proverbe prêt à sortir et des silences remplis d’amour. C’est là que je me sens encore petite fille.

Mon père vit à la sensad, quartier huppé de Cotonou connu pour regrouper les plus belles habitations de la capitale économique. Je klaxonne à l'entrée et le gardien de la résidence qui m'a reconnu me laisse avoir accès à la ruelle, je roule encore un peu avant de me garer devant la splendide résidence de mes parents. Je laisse ma voiture dehors car nous n'allons pas tardé avec eux. 

Nous rentrons et à peine que je vois mon papa que je lui tombe dans les bras, il me serre dans ses bras avec cette force tranquille qu’il n’a jamais perdue malgré les années.

— Tu fais cette tête-là parce que tu as reçu une mauvaise nouvelle ? m’a-t-il demandé sans préambule.

Je me suis figée.

— Pourquoi tu dis ça, papa ?

— Je ne sais pas. Tu as cette façon de plisser les sourcils comme ta mère quand quelque chose la dérange. 

J’ai haussé les épaules.

— Ce n’est rien. Juste une lettre. Du Congo.

Il a haussé les sourcils, lui aussi.

— Du Congo ? De la famille d’Alima ?

J’ai haussé les épaules, dubitative. Papa me parlait de la famille d'Alima comme si je suis sensée savoir qui était cette fameuse Alima. Mais lasse de cette journée, je lui réponds :

— Peut-être.

Il s’est tu un moment, puis a tendu une bouteille de bissap à Maïssa. 

— Ah bah merci papi, vu que c'est maintenant que tu as le temps pour ta petite fille adorée dit-elle en boudant 

Je regardais papa un sourire en coin se saisir de sa petite fille et lui faire des bisous de force. Maissa lui hurlait d'arrêter mais elle avait elle aussi du mal à cacher son hilarité. Je remue la tête de gauche à droite et je les laisse là avant de prendre la direction de la chambre de mes parents là où je suis convaincue de trouver madame Adéyémi, la seule et unique. 

— Mais où est donc la maitresse de cette maison ? je demande en ouvrant la porte pour tomber sur la magnifique créature qui me regardait en souriant 

Je prends le temps de l'analyser de la tête aux pieds et franchement, le temps n'aura jamais raison de la beauté de ma maman. Ma maman faisait 1m77 et avait des formes encore aujourd'hui qui me font rougir de jalousie. Mais attendez, comment à 53 ans elle pouvait avoir ce corps de rêve ? En même temps elle avait été une sportive de haut niveau dans sa jeunesse mais quand même, à ce niveau là c'est de la sorcellerie. 

— Donc hôte moi d'un doute s'il te plait petite mama, la sorcellerie de ta famille là c'est seulement pour que vous restez jeune quoi ? d'autres sont sorciers et deviennent riches vous c'est seulement garder la beauté ? ouais vous avez fait fort, en tout cas faut plaider aussi un peu pour moi là bas, faut faire chirurgie sorcellerique là sur moi parce que j'en ai marre qu'on me prenne pour ta grande soeur. 

— Fille ingrate, c'est la famille de ton papa les sorciers. Toi à qui j'ai légué ma génétique tu veux me dire quoi aujourd'hui ? Regarde si tu ne disparais pas de ma vue tout de suite, tu vas voir 

— Tout doux reine mère, la seule et unique maitresse de cette maison, on se calme. Ou bien j'ai réveillé tes génies ? je lui dis en riant 

Mon rire s'éteint très rapidement en la voyant courir vers moi avec sa babouche en main. Je ne savais même pas quand elle l'avait attrapé mais je ne perds pas le temps à essayer de comprendre quoi que ce soit que je cours dans les escaliers pour aller me réfugier dans les pattes de mon papa en bas. 

— Okay viens me taper maintenant on va voir quelque chose, viens je la nargue en me postant derrière mon papa 

Je n'ai même pas le temps de souffler que mon papa reçoit la première babouche sur sa tête, suivit immédiatement de la deuxième qui réussit quand même à me toucher. 

— Tu vois papa quand je dis que tu as épousé une sorcière je murmure de sorte que mon papa soit le seul à m'entendre 

— Si tu es femme répète à haute et intelligible voix ce que tu viens de dire Naila Adéyémi et je vais te montrer comment l'eau est arrivé dans coco. 

— Je suis garçon oh mama, appelle moi Jordan le mystérieux je lui réponds en lui faisant un calin de force

— C'est ton papa le mystérieux répondit-elle du tact au tact mais en me serrant dans ses bras néanmoins

— Que j'entende encore mon nom dans la bouche de quelqu'un on va voir fit mon père d'un air faussement menaçant

— Ah papi laisse ça d'abord, toi même tu sais, tu fais comme si tu ne connait pas la reine du vent. 

— Laisse le il veut se jouer les dangereux pourtant il me connait, ou bien monsieur Adéyémi ? D'ailleurs toi petite impolie, tu m'as vu aujourd'hui ? finit-elle en direction de Maissa

— Et voilà, chacun à reçu pour lui en l'espace d'une minute fit papa en secouant la tête et en regardant sa femme

Maissa fait un bisou à maman qui bouda un peu avant de le lui rendre. Maman malgré ses apparences n'est pas compliqué du tout, au contraire c'est la femme la plus douce et bienveillante du monde. Elle est juste une comique et aime bien amuser ses troupes, malgré ses crises de colère parfois démente elle n'a jamais eu un mot plus haut pour son mari et même nous ses enfants, elle ne nous a jamais tapé plus que de raison. De plus, je peux compter le nombre de fois où elle a levé la main sur moi pendant que je grandissais, elle privilégiait toujours la discussion et c'est ce modèle que j'ai adapté avec ma fille de 13 ans, en pleine crise d'adolescence. 

Le soir est tombé sur nous doucement, en silence. On a ri, mangé du èba (pâte faite avec du gari) avec du poisson frit, Maïssa m'a appris une choré et ont a dansé sur une chanson de Tiwa Savage dans la cour. J'espérais voir mes frères passer ce soir mais comme ils ne savaient pas qu'on était là ils n'avaient donc pas fait le programme. Tant pis ça sera pour une prochaine fois, prochaine fois qui sera demain ou le jour d'après. On a tous pour habitude de passer 3 à 4 fois après le travail chez nos parents avec nos enfants, c'est notre routine et chaque dimanche on se retrouve obligatoirement tous à la maison avec ces vieux, obligatoirement ! La reine mère avait instauré cette règle et personne n'avait eu le courage de dire non dans le temps, et depuis c'est resté et ça ne fait du mal à personne bien au contraire. 

 On va y aller maman, mais avant qu'on parte j'ai reçu une lettre aujourd'hui 

— Ah oui ? Moi mon quoi dedans ? me dit-elle réellement désintéressée 

Je lève les yeux au ciel avant de poursuivre

— La personne a parlé de mémé 

Je n'ai pas besoin de préciser laquelle des mémés qu'elle savait de qui il s'agissait. 

— Ah bon ? fit-elle tout à coup plus interessée. Et cette lettre disait quoi et ça venait de qui ?

— Franchement je ne sais pas parce que je n'ai pas encore eu le temps de la lire, et ça venait d'une certaine maman Elise

Je vois ma maman froncer les sourcils et regarder instantanément son mari qui aidait sa petite fille avec ses devoirs. Elle repose son regard sur moi et je vis nettement qu'elle essayait de se remettre de certaines émotions que je ne comprenais pas vraiment. 

— Ouvre la et dis moi ce qu'elle voulait

Le ton qu'a employé maman ne laisse aucune place pour la négation, donc aussitôt je me lève et je pars dans ma voiture pour me saisir de cette fameuse lettre. 

Je fouille dans ma voiture sans la trouver, je fouille également dans mon sac qui était resté dans la voiture - d'ailleurs je dois garder mon sac avec moi, quartier sécurisé ou pas on ne laisse jamais un objet de convoitise dans une voiture, première leçon de conduite de mon père - mais je ne retrouve pas la lettre. Je me frappe le front de ma main droite en me rendant compte que j'avais la lettre en main au moment où je partais mais que j'avais oublié de la mettre dans mon sac, au moment où je rangeais mes affaires je l'avais déposé sur mon bureau. 

— Quelle gourde ! Quelle étourdie ohlala 

Je referme ma voiture et crie le nom de Maissa pour lui dire qu'on y allait. 

Je reste dans la cour la tête dans mes pensées quand elle apparut avec ses grands parents

— Je l'ai oublié au boulot, mais je passe demain InshaAllah et je te montrerai maman je lui dis avant qu'elle n'ouvre la bouche

— Humm d'accord, en tout cas ne l'ouvre pas avant que tu ne sois ici 

— Pourquoi subitement ça t'intéresse et pas papa ? Cette maman Elise est une connaissance de sa mère à lui et pas de la tienne donc ..

— Tu fais ce que je te demande c'est tout, à demain

Elle tourne les talons et avant qu'elle ne disparaisse de ma vue je lui lance

— Tu sais que je déteste que tu me parles comme ça, surtout en présence de ma fille mais c'est bien, à demain. Papa à demain je dis en lui faisant un bisou

— A demain ma puce, et fais attention sur la route

— T'inquiète papa 

Le pacte des coeurs