
Chapitre 3 : Dans les replis du silence
Ecrit par Nobody
Le trajet jusqu’à la maison s’était fait dans un calme surprenant. Maïssa, d’ordinaire bavarde, triturait les fils de ses écouteurs, le regard perdu par la vitre. Je n’ai rien dit. Parfois, il faut laisser les silences parler à notre place.
Le moteur ronronnait faiblement dans l’enceinte de la cour, mais aucune de nous deux ne faisait mine de sortir. Je garde les mains sur le volant, les yeux posés sur la grille d’entrée. Maïssa, quant à elle, continuait de triturer les fils de ses écouteurs avec une nervosité qu’elle ne tentait même plus de cacher. Le silence entre nous n’était ni froid ni hostile. Il était simplement... étrange. D’une densité qu’on n’aurait pas imaginée entre une mère et sa fille, surtout après une journée somme toute banale.
— Tu veux que je t’aide à porter ton sac ? je lui demande d’une voix douce.
— Non, ça va, répond Maïssa en détachant sa ceinture.
Elle ouvrit la portière et sortit sans attendre de réponse, ses tongs traînant sur le sol comme si chaque pas lui coûtait. J’ai hoché la tête, mais son ton m’a interpellée. Trop neutre. Trop... vide. Je l’ai regardée monter les escaliers avec cette nonchalance qui trahit les adolescents fatigués du monde entier. Elle en avait assez dit pour me faire comprendre qu’elle ne voulait pas parler. Alors j’ai respecté pour le moment.
Je pousse un profond soupir. Cette adolescente-là, je l'aime d’un amour viscéral, mais parfois j'aurait aimé qu’elle vienne simplement s’asseoir à côté de moi et me dise ce qu’elle avait sur le cœur. Qu’elle parle, qu’elle crie, qu’elle pleure même, mais qu’elle ne se referme pas ainsi.
Une légère brise fit claquer une feuille contre le pare-brise. Je sors enfin enfin de la voiture, ramasse mon sac et ferme doucement la portière derrière moi. La cour était calme. Trop calme. Même les enfants des voisins, d’habitude bruyants comme un jour de marché, semblaient avoir déserté.
En entrant dans la maison, je suis accueillie par une semi-obscurité. Les volets n’étaient pas totalement fermés, laissant passer quelques lueurs orangées du lampadaire extérieur. Le ventilateur du salon tournait paresseusement, brassant un air tiède et presque moite. Je pose mon sac à l’entrée, ôte mes talons d’un geste las et avance pieds nus sur le carrelage frais. J'adore cette sensation – le contraste entre la chaleur de la journée et la fraîcheur du sol.
— Maïssa ? je l'appelle doucement
Aucune réponse. Je monte à l’étage, le bois de l’escalier grinçant sous mon poids. La porte de la chambre de ma fille était entrouverte. Je jete un œil discret à l’intérieur.
Maïssa était là, allongée en travers du lit, son sac encore sur le dos. Les écouteurs posés sur son ventre vibraient légèrement au rythme d’une chanson lente. Son regard fixait le plafond, absent.
— Tu veux manger quelque chose ? je lui propose en m'adossant au chambranle de la porte.
— Non, merci. J’ai pas très faim.
J'hésite. N'avait-elle plus faim parce qu'on avait mangé chez ses grands parents ou parce qu'elle n'avait pas d'appétit ? Ce ton neutre ne lui ressemblait pas. Même quand Maïssa était boudeuse, il y avait de la vie dans sa voix. Là, c’était comme si quelque chose avait été éteint.
— Tu veux qu’on parle ?
Un silence. Long. Puis :
— Pas ce soir.
Je hoche la tête sans insister, mais demain il faudra obligatoirement que je règle cette histoire avant qu'elle ne parte à l'école. Je ne peux pas voir ma fille dans cet état trop longtemps, ça ne lui ressemble tellement pas.
— D’accord. Mais tu sais que je suis là, hein ?
— Oui... je sais.
Je ne rajoute rien puis je redescends sans bruit, le cœur présentement alourdi par l’impuissance. Dans la cuisine, j'ouvre le frigo machinalement, j'en sors une bouteille d’eau et je referme sans rien prendre d’autre. Je n'ai pas faim non plus.
Tout semblait suspendu.
Je m'affale sur le canapé du salon, prends la télécommande, puis je la repose tout de suite sans allumer la télé. Mon regard glisse sur la grande horloge murale : 21h14. Trop tôt pour dormir, trop tard pour appeler quelqu’un sans déranger. Je pense tout de suite à Chafik. Il aurait peut-être su comment briser ce mur de silence car avait toujours les mots pour moi. Mais sa femme, Kafayat que j'adore, ne laisse jamais son téléphone allumé après 21h. Cette femme ne plaisante pas du tout avec le sommeil sacré de son foyer. Alors j’ai abandonné l’idée. Pour ce soir.
Je suis restée là, dans le salon, les lumières à moitié tamisées, le souffle du ventilateur brassant paresseusement l’air chaud. Une de ces soirées tranquilles où tout semble paisible, mais où quelque chose grince à l’intérieur. Comme un vieux volet mal fermé dans une maison silencieuse. En poussant un soupir las je me suis levée puis je suis allée dans ma chambre, j’ai posé mon sac sur le lit et me suis effondrée à côté, sans même me changer. Avant de me laisser emporter par le sommeil, je me lève rapidement et file dans la salle de bain prendre cette douche bien méritée.
L'eau qui coulait sur mon corps me fait un bien fou, et je pousse un soupir d'extase. Ce moment ne dura pas trop longtemps parce que la SONEB a jugé bon de couper l'eau à ce moment.
— Donc vous on n'a pas le droit de se laver dans Akpakpa ici c'est ça ou bien ? Mais ce pays là on va quitter attendez seulement je me dis à moi-même en nouant ma serviette autour de mon buste
Si c'était pas la SBEE qui s'amusait à couper l'électricité à tout va c'est la SONEB qui nous coupe l'eau, pourtant nous payons pour ces prestations.
— C'est pas moi qui vais refaire le Bénin, bientôt je prends mon enfant et on se barre d'ici
J'ai étudié en France où j'ai passé 10 années de ma vie, aujourd'hui j'ai déjà la nationalité française. Je suis revenue pour prendre soin de mon enfant et les démarches sont déjà en cours pour la ramener avec moi dans les prochaines années. C'était compliqué mais rien d'impossible, j'ai déjà juré que je ferai tout pour sortir cette fille d'ici et la faire évoluer dans de meilleures conditions.
Je finis mes soins du visage quand un sourire éclaira ce dernier.
— Non il n'y a pas à discuter quoi, je suis belle maman je suis vraiment belle je me dis en m'admirant
Je ne peux pas avoir l'humilité de penser le contraire. Je suis une très belle femme de 28 ans, la dernière fois que j'ai mesuré ma taile je faisais 1m78 juste un cm de plus que ma maman, je suis de temps clair et comment dire ça, oui j'ai des formes assez généreuse pour ne pas dire beaucoup trop généreuse. En parlant de forme je dois subir une réduction mammaire l'année prochaine et je n'en ai parlé à personne. J'ai grandit en ayant un complexe pour mes seins qui étaient toujours plus gros que les gens de mon âge. Aujourd'hui avec mon âge, ma prise de poids mes seins sont devenus plus gros que jamais. J'ai abordé l'idée de la chirurgie avec toute ma famille mais personne n'a voulu en entendre parler. Je ne serai jamais véritablement épanouie tant que je ne me ferai pas diminuer les seins, avec le soutien ou de ma famille. Même si je désire l'avoir bien sûr.
Toutefois malgré ce complexe et le fait que je sois en rondeur, j'avais conscience que j'étais une très belle femme et cela aucun humain, aucun commentaire méchant ne pourra me faire changer d'avis.
Je prends mon téléphone et consulte les messages de la journée. Deux appels manqués de Tata Irène – que j’avais volontairement ignorés – et une note vocale de plus de cinq minutes de ma collègue Charline. C’était sans doute encore un rapport ou une nouvelle demande de l’équipe commerciale. J’ai glissé le téléphone loin de moi. Je m'en occuperai demain au boulot, même en étant la directrice et la fondatrice d'ailleurs, je ne ramène jamais le boulot à la maison. Quand je suis chez moi je me coupe du centre et de ses affaires, je m'occupe uniquement de ma fille et moi même. Quand j'ai des urgences même dans la nuit, je me rends au centre pour me concentrer dessus mais dans ma maison pas de travail, c'est ainsi et pas autrement.
Je me suis levée, un peu tendue malgré moi, et suis allée vérifier que Maïssa dormait bien. La porte de sa chambre était entrouverte, elle était allongée sur le dos, un bras sur les yeux, la musique toujours en fond, mais plus légère. Une chanson de Rema, je crois. Elle n’était pas encore endormie. La lumière de la veilleuse baignait la pièce d’une teinte orangée et douce. Maïssa était maintenant en pyjama, ses écouteurs posés sur la table de chevet.
Je suis restée un instant à la regarder. Ma fille. Mon cœur.
— Maman ?
— Oui, mon amour ?
— Tu vas bien ? me demande-t-elle
Sa voix était douce, presque timide.
— Je vais bien. Pourquoi ?
— Je sais pas... t’as l’air bizarre aujourd’hui.
Je pousse lentement la porte et entra. Je m'assieds au bord du lit, caressant doucement les draps.
— Tu trouves ?
— Oui. Et... papi et mamie aussi. Quand tu parlais de la lettre, tout le monde était bizarre.
J'étais surprise qu'elle l'ai remarqué, je choisis tout simplement de changer de sujet parce que je ne pouvais pas l'éclairer plus que ça.
— Tu veux que je reste un peu ?
Maïssa haussa les épaules, puis se tourna vers moi.
— Tu veux rester, toi ?
Je souris faiblement et lui réponds.
— Juste un moment.
Elle m'a fait une place et nous sommes restés là, côte à côte, sans trop parler. Le plafond est devenu notre ciel commun, silencieux mais chargé. Puis Maïssa souffla, sans me regarder :
— Maman... c’est qui, Elise ?
Je sens immédiatement un picotement traverser ma nuque.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— Quand t’as parlé d’elle, mamie a eu un regard bizarre. Et papi a tout de suite changé de sujet. J’ai vu.
Je reste muette un instant.
— Elise... c’est quelqu’un d’important. Je crois. Mais je n’en sais pas plus que toi pour l’instant.
— Et la lettre ?
— Demain. On la lira ensemble, avec papi et mamie.
Maïssa grogna doucement. Elle a fait une moue, pas très convaincue.
— Je suis sûre que c’est un secret de famille bizarre. Genre t’as une sœur cachée au Congo.
— Toi, tu regardes trop de séries nigérianes dis donc.
Elle a éclaté de rire et s’est tournée sur le côté.
— Tu veux que je dorme avec toi ? j’ai demandé doucement.
— Non... mais tu peux rester un peu. Juste un peu disons jusqu'à 7h du matin comme ça
Je souris ayant compris que ma fille voulait bien que je reste dormir avec elle.
Maïssa se tourna de côté, dos à moi, et tira doucement la couverture jusqu’à son menton.
— Bonne nuit, maman.
— Bonne nuit, mon cœur. Demain c'est moi qui te dépose et ce n'est en aucun cas discutable je réponds en lui faisant un bisou sur la tête.
J'entends un faible hummm de sa part puis je me cale confortablement et je me mets en position pour dormir.
Mon esprit avait, sans prévenir, ramené l’image de maman. Son regard, quand j’ai mentionné le nom de “maman Elise”. Elle avait tenté de cacher le trouble, mais je l’avais vu. Il y avait quelque chose. Pourquoi avait-elle réagi comme ça ? Pourquoi ce besoin soudain de lire la lettre avec elle, et pas seule ? Et surtout, pourquoi cette tension silencieuse entre elle et papa, à ce moment-là ?
La nuit passa. Lentement. Trop lentement.
Et le matin ne fut pas plus clair.