
Chapitre 4 : T'inquiète maman s'occupe de tout
Ecrit par Nobody
Ce matin, j'avais préparé un petit déjeuner simple : pain grillé, omelettes au fromage, quelques tranches d'avocat et un jus de bissap bien frais. Je n'ai jamais compris l'obsession de Maïssa pour le bissap, tout le monde dans notre entourage sait qu'elle prend exclusivement du bissap pour accompagner ses repas matin et soir. Ici, chez mes parents ou du côté de ses autres grands parents, il y avait toujours une réserve de bissap pour elle. J'avais déjà essayé de lui enlever cette habitude mais ça a été très compliqué. C'est une gentille fille qui ne fait jamais de caprices, très obéissante et respectueuse. Si le seul caprice qu'elle voulait nous faire c'était ça eh bien on pouvait bien le lui accorder. En plus je faisais toujours attention à ce qu'elle n'en abuse pas et mes instructions avaient été claires : bissap oui, mais trop sucré jamais. Donc c'était le compromis, elle boira son fameux elixir mais le goût sera relativement moins sucré que la normale, à prendre ou à laisser. Elle a été bien contente de le prendre.
J'avais mis la table pendant que Maïssa sortait de la douche, le visage encore mouillé, les cheveux tressés en deux longues nattes qui gouttaient sur ses épaules. On s'assit en silence d'abord, le cliquetis des couverts et les bruits du matin occupant l'espace.
Je l'observe du coin de l'œil. Il y avait dans ses gestes une lenteur inhabituelle, un regard souvent fuyant vers sa tartine, comme si les miettes étaient plus dignes d'attention que moi. Je finis par poser ma main sur la table, près de la sienne.
— Ma puce, tu veux me dire ce qui ne va pas ?
Elle haussa les épaules sans un mot. Elle grignotait le bord de son pain grillé, visiblement agacée que je la pousse à parler.
— Je te sens... inquiète. Hier soir déjà, et ce matin encore. C'est pas juste une intuition de maman. C'est plus que ça.
Elle leva les yeux, croisa brièvement mon regard puis les baissa aussitôt.
— C'est rien. Juste... les cours, les gens.
— Les gens ? Quels gens ?
Elle hésita, fit mine de boire son jus, puis souffla enfin :
— C'est juste que... certains me cherchent. C'est pas grave. C'est pas tous les jours. Faut pas t'en faire, maman.
Je reste immobile, la fourchette suspendue dans l'air.
— On te cherche ? Tu veux dire quoi par là ? Maïssa, tu es harcelée ?
Elle ne répond pas. Son silence en disait long.
— Dis-moi qui c'est. Je vais venir à l'école aujourd'hui-même !
— Non ! Maman s'il te plaît, je t'en supplie, viens pas faire un esclandre... je vais gérer, d'accord ? C'est juste des bêtises, des trucs de collège, tu vas empirer les choses...
— Empirer les choses ? Tu penses qu'il y a pire que de se faire harceler ? Regarde moi bien, si je ne t'ai pas élevé de sorte à ce que tu harcèles tes camarades je ne resterai jamais là assise en sachant que tu subis ce traitement. Si tu ne veux plus jamais me parler après ça, soit ! Mais ton école va me sentir passer. Et puis toi aussi ma chérie pourquoi tu te laisses faire ? Tu n'as pas des amis avec toi mon amour à l'école ? Je pensais que tu étais proche de Nadia ?
— Oui mais elle fait parti des personnes qui m'embête, comme elle sait ce qui est arrivé à papa et ma...
— Pardon ? tu me dis que ton amie que j'ai accueillie chez moi que j'ai nourrie se moque de toi avec les autres ? Eh Allah aide nous s'il te plait
Mon sang ne faisait plus qu'un tour, que ma fille soit harcelée à l'école était déjà trop dur à supporter mais que sa meilleure amie y participe ? Ils veulent me tuer l'enfant ou quoi ?
Elle ne répond pas et j'enchaine quand même
— Tu n'as pas d'autres amis ma puce ? je lui demande le coeur battant
L'idée que mon enfant se retrouve la risée de ses camarades et de plus soit seule me déchire le coeur. Pourquoi elle ne m'en avait pas parlé plus tôt ?
Je la vois réfléchir comme si elle mesurait le pour et le contre de me parler, je l'encourage alors en lui serrant la main.
— J'ai un ami dit-elle tout bas comme si elle ne voulait pas que j'entende
— Mais c'est très bien mon amour, pourquoi tu m'as jamais parlé de lui ?
— Parce que à l'école ils disent que l'amitié fille garçon n'existe pas et à chaque fois ils disent que nous sommes ensembles alors que c'est pas vrai. J'avais peur que tu penses pareil si je te parlais de lui dit-elle en baissant la tête
— Il a quel âge ce garçon ?
— 15 ans
— Et c'est ton ami ?
— Le seul que j'ai maman
— Eh bien c'est ton ami mon amour, je n'ai aucune raison de croire le contraire. On n'en reparlera si tu veux chérie, mais je veux voir ton ami à la maison dès que possible, je veux juste m'assurer qu'il est de bonne moralité et qu'il te soutiendra toujours. C'est aussi le moment de le connaitre et de le faire rentrer dans la famille. Maintenant, tu me donnes le nom des personnes qui te dérange à l'école et si ces personnes recommencent encore c'est que je m'appelle pas Naila Adéyémi
— Maman je pensais qu'on était d"accord
— Et tu fais plus vite que ça jeune fille ! Tu me connais n'est-ce pas ? Quand je ris je ris mais là tu vois mes dents dehors ? Ne me pousse même pas à bout Mai s'il te plait
Elle pousse un soupir puis m'écris le nom de ces personnes sur un bout de papier. Ils étaient au nombre de 8, je sers mes dents et je ne dis rien.
On finit de manger dans le silence et je la dépose à l'école, le cœur battant à tout rompre, les mains crispées sur le volant. En la voyant s'éloigner vers le portail, je me promis de revenir à la pause. Habituellement elle venait à l'école en zem, passait la coupure de l'après midi à la cantine sur sa propre demande et je passais la récupérer le soir à 18h.
J’arrive un peu en retard au travail et je présente mes excuses générales à mon équipe. En entrant dans mon bureau, j'écoute la note vocale de Charline :
— Salut Naïla, c’est encore moi. Le service commercial commence à perdre patience. Il paraît que plusieurs demandes clients n’ont toujours pas été traitées, notamment celles de lundi dernier. On te demande de voir avec les équipes ce qui bloque, et si tu peux proposer une solution. On évite une escalade ? Merci…
Je soupire et prends quelques notes rapides, avant de répondre :
— Merci Charline, je fais le point ce matin avec la production et je te tiens au courant. Qu’ils sachent qu’on a bien reçu le message, mais qu’ils nous donnent aussi le temps de gérer la charge.
À peine avais-je reposé mon téléphone qu’un collaborateur frappa à la porte.
— Madame Adéyémi ? Un client vous attend à l’accueil.
Je me lève aussitôt et je me dirige vers la salle de réunion. Un homme d’un certain âge m’y attendait, costume beige légèrement froissé, mallette en cuir usée. Il se leva à mon arrivée.
— Bonjour madame, je suis Pascal Kossou. J’ai entendu parler de votre service de rénovation et j’aimerais vous confier un projet un peu particulier.
— Enchantée, monsieur Kossou. Installez-vous donc. Je vous écoute.
— Voilà… je suis collectionneur d’objets anciens. J’ai hérité de plusieurs pièces anciennes, des sculptures, du bois, des toiles. Certaines sont très abîmées, mais elles ont une valeur sentimentale énorme. J’aimerais qu’on leur redonne vie…
— Nous faisons souvent ce type de restauration. Il faudra qu’on examine chaque pièce, et qu’on établisse un devis détaillé. Combien d’objets environ ?
— Au moins sept. Deux masques anciens, une statuette, et quelques tableaux. J’aimerais une intervention respectueuse des matériaux d’origine. J’ai vu ce que vous avez fait pour le musée d’Abomey. C’est ce qui m’a décidé.
— Alors vous êtes au bon endroit, monsieur Kossou. On peut convenir d’un rendez-vous sur place pour voir les œuvres ?
— Ce serait parfait. Vous êtes libre jeudi ?
— Jeudi matin, 11h ?
— C’est noté.
L’entretien s’acheva sur une poignée de main ferme. Il partit rassuré. Moi, galvanisée. Une fois de retour dans mon bureau, je me note immédiatement le rendez-vous dans mon agenda. On est mardi donc dans deux jours je devais le voir à nouveau. Je lui envoie d'ailleurs un mail à l'adresse qu'il m'a communiqué afin qu'ils m'envoient les coordonnées du rendez-vous et qu'il me confirme à nouveau l'horaire et la date. Je mets Jocelyne qui m'assistait à chaque déplacement en copie pour qu'elle soit au courant de notre rendez-vous prochain.
J'envoie ensuite une réunion teams à mon équipe de production qui était sur un autre site. La réunion devrait commencer dans 30 minutes le temps pour chacun de voir mon invitation et de se préparer.
En attendant, je m'occupe de la paperasserie. Je dois commencer à préparer les variables de paie de ce mois pour l'envoyer dans les meilleurs délais à mon comptable externe. C'est la partie que je n'aime pas dans ma fonction, la paie, surtout pour une équipe de 30 personnes ! Je pense que nous allons lancé un recrutement pour une RH afin qu'elle s'occupe de tout ça, Jocelyne mon bras droit et moi on s'en occupe mais ce n'est pas notre profession. Nous ce qu'on aimait, c'était restaurer point final.
Je travaille du lundi au vendredi quelques samedis si urgence, et généralement le lundi mercredi et vendredi sont consacrés à la restauration des objets. Mes rendez-vous pro et mes réunions étaient calées les mardi et jeudi, ce qui faisait que ces journées étaient souvent très denses, je n'avais jamais une minute pour moi.
En parlant de ça, ma réunion teams venait de commencer et je me détourne de ce que je faisais pour répondre aux salutations que je recevais.
— Merci d'être tous connectés, ça va pas être très long. Le service commercial se plaint de la lenteur du traitement de leurs demandes. Je me permets juste de rappeler à tous qu'il est primordial que nous gérons rapidement les demandes surtout ceux après-vente, si jamais c'est nécessaire n'hésitez pas à me solliciter pour que je mette moi même la main à la patte. Mais il est vrai que ce n'est pas la première fois qu'ils nous remontent ce genre de demande, donc quel est le véritable problème ?
Mais personne ne prit la parole, n'ayant pas beaucoup de temps à perdre je renchéris— Charles vu que tu es le head of je te demande de me répondre s'il te plait
— Eh bien Naila on fait de notre mieux, mais effectivement ça prend un peu de temps.
— Oui je sais bien Charles mais quel est le problème ? Pourquoi est-ce que ça prend du temps justement ? Ne sommes nous pas en mesure d'assurer le flux des demandes ?
— Ce n'est pas ça mais je pense qu'on manque d'effectifJe lève un sourcil, manque d'effectif ? Ils sont 12 à la production et leurs missions est de restaurer les objets qu'on recevait, je fais le même job qu'eux trois jours par semaine et il dit que ce n'est pas suffisant ? En moyenne le mois nous recevons une centaine d'objet, mais toute la difficulté résidait dans la finesse et l'attention qu'on doit apporter à chaque objet. S'il faut passer un mois entier sur un seul objet pour qu'il soit parfait, qu'ils le fassent, c'est ce que je leur avais dit mais faut pas abuser quand même.
— On devrait lancer un recrutement ? On est quand même 13 déjà Charles
— Peut-être pas en CDI mais un CDD le temps qu'on finisse les demandes actuelles et qu'on transite vers les prochaines. Et il nous faudrait deux recrues si je peux me permettre.
— Je préfère être honnête avec vous, nous n'avons pas les moyens pour nous permettre cela en ce moment. Il faut qu'on gagne des clients et qu'on satisfait ceux qui sont déjà là. Nous sommes bientôt à la fin de l'année et qui dit fin d'année dit négociation annuelle obligatoire, la priorité pour nous actuellement et pour les caisses de l'entreprise c'est d'augmenter les salaires des collaborateurs déjà présents, et pas forcément d'augmenter la masse salariale. Mais j'entends ta demande, nous ne pouvons pas recruter deux collaborateurs mais un seul pour un CDD de trois mois. En attendant je vais demander au service commercial de n'accepter aucune nouvelle demande tant qu'on n'aura pas atteint minimum 50% de finition des projets actuels, ça va représenter une perte énorme pour l'entreprise mais au moins ça va nous permettre de souffler un peu pour l'instant. Je vous demande donc à tous de continuer sur votre lancée, vous faites déjà un travail remarquable et nous vous en remercions.
La réunion se poursuivit avec chacun prenant la parole et disant son niveau d'avancement, c'est à ce moment que je me rendis compte que rien n'allait vraiment. Certains traitaient des demandes récentes alors que d'autres demandes étaient là depuis. Non non ça ne va pas ça ne va pas du tout.
— Je me permets de vous couper un instant. Je propose pour une meilleure visibilité que chacun fasse un tableau EXCEL avec les contrats sur lesquels il s'est positionné, je vous demande de rajouter la date à laquelle vous avez reçu la demande et la date approximative à laquelle vous avez commencé à la traiter. Désormais pour toutes les demandes j'aimerais que cela soit inscrit dans ce tableau excel que vous allez nous partager à Charles et moi même, je vous demande également de le faire rapidement, cet après-midi ça vous convient ?
Ils répondent tous par l'affirmative et je les remercie avant de leur demander de se déconnecter sauf Charles. Quand ils furent tous déconnectés je prends la parole :
— Charles qu'est-ce qui se passe dans ton équipe ? c'est pas possible la façon dont ils traitent les demandes
— Je suis désolée Naila, j'ai délégué sans vraiment contrôler
— Ce n'est pas possible ça Charles, tu sais comment c'est compliqué dans notre domaine. Là rien ne va, il faut tout revoir avec eux tout tout. Je te propose d'attendre cet après-midi une fois leur tableau reçus, toi et moi on se refait un point pour mettre tout ça au propre. Je compte sur toi pour les encadrer afin que chacun envoie son tableau après la pause, c'est très important Charles.
— Très bien on fait comme ça
— Merci je réponds en me déconnectant
La matinée passa très rapidement. A l'heure de la pause déjeuner, je repasse au collège. Je me présente calmement à la vie scolaire, exigeant un rendez-vous.
— Bonjour madame, je suis la maman de Maïssa Tchanou. J’aimerais parler à un responsable au sujet de ce qu’elle subit ici. J’ai besoin qu’on m’écoute.
La secrétaire me fait patienter quelques minutes avant de m’introduire dans un petit bureau.
— Bonjour, je suis monsieur Akouavi, coordinateur vie scolaire. Que puis-je pour vous ?
— Je vais aller droit au but. Ma fille est harcelée, monsieur. Elle n’a pas voulu entrer dans les détails, mais assez pour que je sache que quelque chose ne va pas. Je veux savoir ce que vous comptez faire pour la protéger.
— Nous sommes désolés d’apprendre cela. Il est important que l’élève concerné nous en parle directement. A-t-elle signalé des faits ? Des noms ?
— Elle refuse de vous en parler, par peur de représailles. J'ai moi même eu énormément du mal à lui tirer les vers du nez alors que je suis sa mère. Elle a finit par me fournir tous les noms, je vous demande de vérifier dans vos dossiers et de me communiquer le nom et l'adresse des parents de chacun d'entre eux. Pour Nadia ne vous en faites pas, j'ai déjà le nécessaire.
— Je comprends votre désarroi et votre inquiétude, je tiens d'ailleurs à vous rassurer que nous allons prendre cette affaire très au sérieux mais je ne peux pas vous communiquer des informations au sujet des parents de ces en...— Peut-être que je ne me suis pas fait comprendre, ma demande ne peut et ne sera en aucun cas rejetée, je veux toutes les informations demandées.
— Madame ...
— Ne me faites pas perdre mon temps monsieur Akouavi, mon enfant se fait harceler n'en mange et n'en dort presque plus. Elle n'a qu'a 13 ans et subit autant de mépris de la part de ces camarades, vous pensez qu'une jeune fille de son âge a les épaules pour supporter tout ça ? Ma fille passe son examen du BEPC cette année et cette histoire ne lui permet même pas de se consacrer à la seule raison pour laquelle elle vient ici : ses études. Vous avez une idée du préjudice moral qui en résulte ? Si vous ne désirez pas que je fasse poursuivre tout le lycée et vous en passant je vous demande une dernière fois de me fournir ce que je vous demande et je vous jure que je n'hésiterai pas une seule seconde à mettre ma menace à exécution si le prochain mot qui sort de votre bouche n'est pas d'accord.
Je ne rigole pas avec mon enfant, je peux montrer à tout le monde comment l'eau est arrivé dans coco, faut seulement me tester et on va voir quelque chose. Comme s'il avait lu ma folie sur mon front il murmura un simple d'accord avant de pianoter sur son ordinateur. Que ça soit une violation de je ne sais pas quoi ce n'est pas mon problème, je veux leurs noms et je ferai passer à chaque famille en un sal quart d'heure.— Tenez madame Adéyémi, je vous demande à mon tour d'être raisonnable dans l'utilisation de ces informations
— Soyez sans crainte, absolument personne ne saura que ça vient de vous. Dernière chose faites votre travail, je ne veux voir aucun de ces huit microbes trainés autour de mon enfant, s'il vous faut recruter une personne qui surveillera ma fille pour qu'aucun de ces gens ne s'en approche eh bien faites le ! Je ne veux voir personne je dis bien personne autour d'elle à part Mike Ibrahim, c'est le seul. Est-ce que je me suis faite comprendre ?
— Oui bien sûr madame Adéyémi
— Bien, sur ce
Je sors de son bureau et sors de ce collège. Je vais quotidiennement avoir des discussions avec ma fille pour connaitre l'avancée des choses le temps pour moi de rendre visite à tous ces parents là. Eux tous vont y passer, eux tous. Je vais leur apprendre moi à éduquer leurs enfants et si à l'avenir ils ne le font toujours pas, si je ne les tabasse pas un à un c'est que je ne suis pas née femme !