Chapitre 25

Ecrit par Auby88

Madame Suzanne ZANNOU

Je déambule dans les locaux de la maternité de la Coopérative d'Abomey-Calavi. Fifa est sur le point d'accoucher. Je suis tellement anxieuse. C'est vrai que ce n'est pas la première fois qu'elle accouche, mais ses grossesses sont trop rapprochées. Je prie le ciel que tout se passe bien pour elle et son bébé.


J'aurais bien aimé être près d'elle, comme j'aurais bien aimé assisté à l'accouchement de ma Bella. J'avais tellement rêvé de ce jour-là où Bella aurait un bébé, mais la vie et ses mauvaises fréquentations en ont décidé autrement. Quoi qu'il en soit, j'ai moins de haine, de ressentiment envers Aurore, même si je ne pense pas pouvoir lui pardonner un jour. J'espère juste ne jamais la rencontrer à nouveau sur mon chemin. J'ai fini par accepter qu'elle n'a pas volontairement tué ma fille, mais tout serait maintenant différent si toutes deux n'étaient pas sorties cette nuit-là.


Bella ! murmure-je.

Je m'habitue peu à peu à son absence. Je me reconstruis progressivement. Et je dois reconnaître que Fifa m'a énormément​ aidée. Elle est un comme un don du ciel dans ma vie. Elle a une joie de vivre hors du commun. Malgré sa vingtaine d'années, elle agit encore comme un enfant et fait parfois preuve d'une hardiesse qui m'amuse.


Je me rappelle d'une scène qui me fait encore sourire. J'avais un jour décidé de faire oeuvre utile en donnant la majorité des vêtements de Bella au Centre Psychiatrique ainsi qu'à Caritas Bénin. Quant à ses vêtements de marque obtenus lors des défilés, j'ai préféré les revendre. L'argent récolté a servi à ouvrir un compte épargne pour Fifa et à approvisionner des orphelinats.


Fifa avait tenu à faire son tri en premier dans les vêtements destinés au Centre Psychiatrique. Elle s'efforçait de rentrer dans une robe qui lui avait beaucoup plu. C'est vrai qu'à l'époque elle était à trois mois de grossesse, mais elle était naturellement plus corpulente et moins grande que Bella. Elle ne pouvait donc pas porter les mêmes vêtements que Bella. Pourtant, elle s'obstinait à le faire.


- Tu vois maman, cette robe me va à ravir ! Je la garde.

Elle ressemblait à une sardine coincée dans une boîte trop​ étroite.

- Je ne suis pas du même avis que toi, ai-je simplement dit.

- Regarde bien, maman.

A peine avait-elle achevé sa phrase que j'entendis un crac des plus sonores. Non seulement la fermeture éclair avait éclaté, mais aussi le tissu s'était déchiré.

Elle avait alors prononcé un "Ah" et avait gardé la bouche ouverte pendant plus d'une seconde avant d'ajouter :

- Le tissu n'était même pas bon !

Son excuse était si drôle que je n'ai pas pu contenir davantage mon envie de rire. J'ai ri, ri et ri à me tordre tandis qu'elle essayait encore de comprendre ce qui venait de se passer.


- Où sont les parents de Fifa ?

La voix de la sage-femme me tire de mes pensées.

- Ici, crie-je.

- Nous avons besoin des affaires du bébé. Elle vient d'avoir un beau et gros garçon. Félicitations.

- Merci, dis-je, tellement heureuse. Pourrais-je la voir ?

- Patientez encore un peu, madame ZANNOU, le temps qu'elle reprenne des forces.

- D'accord.


Grâce aux échographies, nous savions déjà qu'elle attendait un garçon. Même si j'aurais préféré qu'elle ait une fille qu'on aurait pu nommer Arabella, en souvenir de ma fille. En tout cas, tout bébé est un don du ciel qui amène joie et bonheur dans une maison.

Je joins mes mains vers le ciel en signe de remerciement et me laisse choir sur un banc. Je souris.

Mes yeux rencontrent ceux d'une autre femme d'âge mûr qui semble toujours soucieuse. L'une de ses proches doit être aussi "en travail". Intérieurement, je prie que tout se passe bien pour de leur côté.


* *
 *

- Madame ZANNOU. Vous pouvez venir.

Je me lève aussitôt et empoigne mon sac. Pendant que je quitte la salle d'attente, une sage-femme vient annoncer une bonne nouvelle à la dame de tout à l'heure. Je la vois sourire. Tout est bien qui finit bien.

Je pénètre la salle de repos des parturientes et aperçois Fifa et son bébé sur l'un des lits.

- Maman ! s'exclame-t-elle en me voyant.

Je m'approche d'elle avec grand enthousiasme.

- Qu'est-ce qu'il est beau ? On dirait ton portrait tout craché !

- Oui, vous avez raison. C'est exactement ce que la sage-femme​ a dit.

- Comment te sens-tu ?

- Un peu fatiguée, mais je vais mieux maintenant que je vous ais vus.

- C'est bien, ma fille.

- Au fait, j'ai enfin choisi un prénom pour lui.

- Vraiment ! Lequel ? demande-je avec empressement.

Je lui avais auparavant proposé une montagne de prénoms, mais elle voulait un qui soit "très spécial".

- Yves.

- "Yves" ! murmure-je.

Je comprends maintenant ce qu'elle voulait signifier par "très spécial". Mon deuxième prénom est Yvette.

- Je suis vraiment honorée, Fifa ! dis-je .

Je réprime du mieux que je peux les larmes qui veulent sortir.

- Vous le méritez, maman. Vous avez tant fait pour mon bébé et moi. Vous avez recueilli l'étrangère que je suis chez vous, vous m'avez offert un toit, de la nourriture, de l'argent, de la sécurité et beaucoup d'affection. Et par dessus-tout, vous me traitez comme votre propre fille. Même mes parents n'ont pas autant fait pour moi !

Elle coule des larmes. Je ne parviens plus à retenir les miennes... Les pleurs d'Yves nous ramènent à la réalité.

- On dirait que mon homo a grand faim et qu'il est fatigué de nous voir pleurer. Alors donne-lui vite son lolo.

- Oui, maman.

Du revers de la main, j'essuie mon visage.



*******

Aurore AMOUSSOU.

Peu à peu, je retrouve mon autonomie. Ce n'est qu'un début, mais pour moi c'est une avancée significative. Hier, j'ai réussi à m'habiller toute seule et à me coucher sans l'aide des infirmières. J'étais si contente, si fière de moi. Bientôt, je pourrai définitivement me passer d'une infirmière et ne faire appel à la seconde qu'en cas de nécessité, voire d'urgence.


Quant à ma vie sentimentale, elle est au beau fixe. Femi et moi filons le parfait amour. Il me comble dans tous les sens du terme, en particulier sexuellement parlant. J'adore chaque moment intime que j'ai avec lui. Faire l'amour avec Femi, c'est comme communiquer. Nous prenons tout notre temps et faisons durer les préliminaires. Et nous varions, autant que cela est possible pour moi, les positions : andromaque, levrette, missionnaire …

En tout cas, ma préférée a toujours été la levrette. Mais nous l'avons légèrement modifiée pour l'adapter à moi : tout le haut de mon corps repose sur un gros coussin. J'adore sentir Femi derrière moi, ses mains qui caressent ma peau pendant qu'il s'occupe avec amour de mon intimité. (Sourire)

Certaines fois, comme cette nuit-ci, nous restons juste là à nous embrasser, nous caresser, recourir ou non au sexe oral sans passer à l'acte sexuel proprement dit. Et c'est vrai qu'avec Femi, j'ai appris que​ "faire l'amour" n'implique pas forcément une pénétration.


Tout à l'heure pour me mettre dans l'ambiance romantique, il m'avait pris dans ses bras et fait danser sur le titre "Sexual healing ( Guérison sexuelle ) de Marvin Gaye". J'ai vraiment adoré valser ainsi avec lui...


Actuellement, nous discutons.

- Dis princesse, t'en es où avec ton inscription pour l'école de stylisme ?

- Eh bien, je…


En réalité, j'ai remis mon projet de stylisme aux calendes grecques. L'école qui m'intéresse finalement est en France et c'est loin. Certes, Femi m'a promis fidélité, mais on ne sait jamais.

- Aurore, je n'aime pas te savoir autant oisive. J'ai parfois l'impression que tu perds beaucoup de ton temps.

- Je n'ai pas envie de te perdre, je n'ai pas envie qu'une autre te vole à moi en mon absence.

- Personne ne nous séparera Aurore. Je te rappelle que je ne suis pas ton ex. Je sais tenir mes promesses.

- Tu m'attendras même si je passe plus d'un an en France ?

- Quelque soit la distance et le temps, je t'attendrai. Alors, tu me promets de t'inscrire bientôt ?

- Oui, dis-je sans conviction, car un doute persiste dans mon esprit.


- Au fait, Aurore, j'aimerais enfin te présenter à ma mère.

L'idée ne me plaît pas trop.

- Je pense qu'il est encore bien tôt pour cela !

- Tôt ! Mais cela fait un peu plus de six mois que nous sommes ensemble ! Elle sait que j'ai une femme dans ma vie et elle est bien pressée de voir cette fée-là qui a su voler mon cœur.

Je souris.

- Je te comprends, mais tu sais que les rapports entre belle-mère et belle-fille ne sont pas toujours reluisants. J'ai peur qu'elle ne m'apprécie pas.

- Qui pourrait ne pas t'aimer ?

- Il n'y a que toi qui ne vois pas mes défauts. Tu sembles aussi oublier que j'ai un handicap. Je doute que ta mère veuille une femme pareille pour son fils.

- Arrête de te sous-estimer ainsi. Tu es une femme comme toutes les autres, je te le rappelle. Et puis ma mère est une femme très gentille et compréhensive qui ne veut que mon bonheur. Et mon bonheur, c'est toi. Quoi qu'il en soit, c'est toi que j'ai choisi. Rien ni personne ne me fera changer d'avis. Alors, je veux que tu arrêtes de douter autant, que tu me fasses confiance et que tu ne doutes plus de toi. Tu me le promets ?

Je fais OUI de la tête, même si mon esprit reste troublé. Je ne suis pas d'une nature aussi optimiste que Femi.

- Tu doutes encore, n'est-ce pas ?

Je soupire.

- J'ai parfois l'impression que je ne te mérite pas, que je ne mérite pas …

Il me fait taire par un baiser avant d'ajouter :

- Ecoute bien ceci.

Il prend son téléphone et joue un titre dont il fredonne les paroles pour moi : "The vow (le voeu) de Timi Dakolo".

Elles sont si profondes.


"Qu'est-ce que je fais si je ne t'ai pas ?

Si je ne t'ai pas ... Je suis foutu

J'ai passé beaucoup de bons moments

J'ai vu beaucoup de douleur

J'ai eu un peu de soleil

J'ai eu ma part de pluie

Mais il n'y a rien dans ce monde

Comparé à la joie que j'ai

Chaque fois que je suis avec toi


Je te connais depuis longtemps

Nous avons parcouru un long chemin

Tu étais comme mon rayon de soleil

Après une journée d'orage

Ils disent que l'amour est aveugle

Mais je peux le voir à travers tes yeux

Femme, tu me donnes tellement de bonheur

Et je ne veux te donner rien de moins.


Je promets d'être vrai,

de tout te donner

Peu importe ce qu'ils disent

Ce coeur t'appartient

Je remercie le Seigneur

Pour t'avoir donné à moi

Pour toujours n'est qu'un début

Pour toujours, c'est toi et moi

(...)


Regarde, la vie est comme un voyage

C'est plein de hauts et de bas

Peu importe ce que tu traverses

Je serai toujours là

Nous prendrons nos espoirs et nos rêves

pour les transformer en réalité ...Bébé Ensemble


Regarde, je serai ton amoureux

Et je serai ton ami

Je t'aimerai comme aucun autre

Jusqu'à la fin

(…)


Bébé, je serai ... ton soldat, je mènerai tes batailles

Bébé, je serai ... une épaule, tu peux t'appuyer là-dessus.

Bébé, je serai ... ton mari et ton meilleur ami

Et il n'y a rien que je ne ferai

Juste pour te prouver que je te serai fidèle.

(…)"


J'attends qu'il finisse pour l'applaudir.

- C'est l'une des plus belles dédicaces que tu m'aies faite.

- Je suis content que tu aies aimé. Même si cette chanson n'est pas mienne, elle décrit exactement ce que je ressens pour toi. Alors arrête d'avoir des doutes.

Je le fixe. Je suis au bord des larmes.

- Pourquoi m'aimes-tu autant, Femi ?

- Pourquoi je t'aime ? Je n'en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c'est que tu es la seule qui me rende véritablement heureux.

- Serre-moi tout contre toi !

Ses bras vigoureux se referment autour de moi.



**********


Madame Claire AMOUSSOU


Je me demande ce qui ne va pas avec Aurore. Je la trouve un peu trop pensive aujourd'hui. Il faut que je sache ce qui la préoccupe si tant. Comme à l'accoutumée, elle est au bord de la piscine.

- Chérie, tout va bien ?

- Oui, maman.

- Pourtant ta mine dit le contraire. Qu'est-ce qui ne va pas ?

- J'en ai assez de t'embêter avec mes soucis, maman.

- Mais cela ne me dérange pas ma chérie. Dis-moi tout. J'espère que ce n'est pas Femi qui…

- Non maman, Femi reste un amour. C'est juste qu'il souhaite me présenter à sa mère. Hors l'idée ne me réjouit du tout pas.

- Mais pourquoi ma chérie ? Tu devrais plutôt être enchantée. Cela signifie qu'il prend votre relation très au sérieux.

- Je trouve que c'est encore tôt !

- Tôt ! Vous avez déjà fait six mois ensemble. C'est donc normal que votre relation franchisse une autre étape.

- C'est justement cela qui me fait peur. Je crains que sa mère ne veuille pas d'une femme comme moi pour son fils.

- Nous ne sommes plus à l'ère où les parents choisissent les conjoints de leurs enfants. Je suis certaine que cette femme tombera sous ton charme. Mais si jamais, elle ose te rejeter, elle aura affaire à moi. Je lui démontrerai combien précieuse tu es pour moi.

- Maman !

- De toute façon, j'ai foi en Femi. Et je sais que contrairement à cet idiot de Steve, il ne laissera jamais personne te causer du tort.

Je l'entends soupirer.

- Il n'y a pas que cela, maman.

- Ah bon !

- Oui. Tu sembles oublier que je ne pourrai pas donner d'enfant à Femi. Hors je parie que sa mère doit être pressée de voir son petit-fils, l'enfant de son unique garçon ! Quant à Femi, il a déjà fait allusion aux enfants, mais je lui ai dit que je n'étais pas prête pour cela.

- Aurore ! C'est vrai que tes chances sont quasi nulles selon les dires des docteurs, mais tu ne dois pas désespérer. As-tu au moins essayé avant de tirer cette conclusion hâtive ?

- Figure-toi qu'avec Steve, nous avions des rapports non protégés. Pourtant, je ne suis pas tombée enceinte.

- Une grossesse n'arrive pas toujours facilement comme on peut le penser. Cela dépend parfois de plusieurs facteurs : la qualité du sperme, l'ovulation, la fréquence ou la régularité des rapports, etc. Et avec Femi, comment cela se passe ?

- Avec Femi, j'ai préféré me protéger. Je sais qu'il m'est fidèle mais c'est un homme après tout. Tout peut arriver.

- Je vois. Mais tant que tu n'auras pas convenablement essayé, tu ne pourras parler de stérilité. Donc, tu devrais accepter la proposition de Femi et aller visiter sa mère. D'accord ?

- Je vais y réfléchir !

- Réfléchis-y donc. Je te laisse. Si tu me cherches, tu me trouveras dans la chambre.

Elle acquiesce. Je me lève et la laisse cogiter.













SECONDE CHANCE