Chapitre 4

Ecrit par Auby88

Chez les AMOUSSOU

Madame Claire AMOUSSOU

Intérieurement, je prie. En silence, je prie pour ma fille, pour Aurore, l'unique enfant que Dieu m'a donné.

Aurore est tellement différente de la petite fille docile que j'ai élévée, de la fillette à qui j'ai inculqué des bonnes manières.

La cause, je ne le saurai vraiment la dire. Si ce n'est que mon défunt mari en est en partie responsable. Toujours à la gâter, à céder à tous ses caprices, à lui offrir mille-et-une choses chères, à ne jamais la réprimander quand elle faisait des bêtises. Je me rappelle que c'était en cachette que je punissais ma fille. Mais dès que son père l'apprenait, il entrait dans une colère noire et me faisait des palabres.


Si Arthur se comportait ainsi avec sa fille, c'était parce qu'il avait eu une enfance misérable auprès d'un père polygame qui négligeait sa progéniture. Quant à moi, le mot "pauvreté" fait également partie de mon lexique de vie. Lorsque Arthur et moi, nous nous sommes mis ensemble, nous parvenions difficilement à joindre les deux bouts. Lui était un jeune transitaire tandis que moi je vendais de la bouillie de maïs au coin d'une rue. Notre vie a littéralement changé quand Arthur a obtenu un contrat juteux. Depuis ce jour là, il s'est promis d'ôter le mot "pauvreté" de sa vie et de celle de ses futurs enfants. Aurore a donc toujours vécu dans l'opulence depuis sa naissance.


Quand son père est mort d'une crise cardiaque, Aurore a complètement sombré. Elle s'est mise à boire, à fumer, à fréquenter des gens peu recommandables. Heureusement, grâce à son amitié avec Bella,— orpheline de père comme elle — elle s'est finalement retrouvée. Même si elle n'a jamais regagné le droit chemin, même si elle est devenue encore plus égocentrique.


Pour Aurore, j'ai toujours été la méchante, la bête noire, celle qui ne l'aime pas, qui ne la comprend pas, qui envahit tout son espace. Tandis que son père, son idole, son dieu était le gentil, celui qui l'aimait.

Mon Dieu, comment pourrais-je détester la chair de ma chair , comment pourrais-je haïr cet enfant que j'ai tant désiré, que j'ai porté neuf mois dans mon ventre, pour lequel j'ai connu les douleurs de l'enfantement, les nuits de veille…?

Aurore, ma chère Aurore, si seulement tu pouvais voir combien je t'aime. Dès mon réveil, c'est vers toi, vers ton bien-être que mes prières vont.


Je soupire. Je pense à Baï, cette mère célibataire qui passe par bien d'épreuves dans sa vie. Profitant de mon absence un jour, Aurore a finalement réussi à la renvoyer. Au début, cela m'a beaucoup énervée mais finalement je me suis rendue compte que c'était mieux ainsi. Baï ne méritait pas d'être autant humiliée quotidiennement par Aurore qui est beaucoup moins âgée qu'elle. Je l'ai dédommagée et je l'ai même aidée à trouver du travail chez l'une de mes amies.



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Chez les ZANNOU


Madame Suzanne ZANNOU

Je me trouve dans mon salon. Je suis occupée à feuilleter mes revues de mode. Il est presque 23 heures. D'habitude, je dors vite. Mais pas ce soir.

J'entends des pas. Ils sont discrets certes mais je les reconnais. Je me retourne et vois Bella. Elle porte une combi-short courte en soie. Je la scrute de la tête aux pieds.

- Tu vas où habillée ainsi et à pareille heure ?

- Euh …

- Je t'écoute, dis-je en me rapprochant d'elle.

- En boîte de nuit, n'est-ce pas ?

- Oui, maman.

En parlant, elle fuit mon regard.

- Je t'ai pourtant dit que je n'aime pas que tu fréquentes ces lieux malsains.

- Mais maman, je ne fais rien de mal. Je veux juste m'amuser comme toutes les filles de mon âge. Et puis, je ne serai pas seule. Aurore sera avec moi.

- Aurore ! Cette petite dévergondée qui ne respecte personne !

- C'est vrai qu'elle a parfois la langue fourchue, mais c'est une gentille fille, tu le sais bien. Et puis on se connaît depuis longtemps.

- Si tu penses pouvoir m'amadouer ainsi, tu te trompes. Ce soir, tu ne sors pas !

- Maman, je suis quand même majeure !

Je hausse le ton.

- On ne discute pas, petite. Monte dans ta chambre !

Elle rechigne un peu puis obéit. Je sais que je suis parfois intransigeante, que j'exagère parfois, mais c'est pour son bien. Et puis, Bella est tout ce qui me reste. Je n'ai pas envie de la perdre elle aussi.

Quant à cette Aurore, je ne l'aime définitivement​ plus. Avant, quand elle était petite, je l'adorais et la considérais comme ma fille, mais plus maintenant. J'ai même peur qu'elle finisse par avoir une mauvaise influence sur Bella. Je soupire puis je plonge à nouveau dans ma lecture. Je lirai quelques minutes encore avant de rejoindre ma chambre.


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Chez les AMOUSSOU

Aurore AMOUSSOU

Je viens de recevoir un sms de Bella. Sa mère lui interdit de sortir. C'est le comble. Cette "vieille peau" a trop d'emprise sur sa fille. Pourquoi ne comprend-t-elle pas que Bella est majeure ? En tout cas, je ne compte pas baisser les bras. J'écris à Bella.

- Mets des pagnes sous ton drap et trouve un moyen de descendre. Ensuite, fais le mur. Je t'attendrai dehors.

- Je ne peux pas faire ça. Ma mère risque de me tuer si elle le découvre !

- Arrête. Tu n'es plus une gamine. Tu es une femme capable de faire ses propres choix !

- Mais…

- On se coince dans quinze minutes. Sujet clos !


Elle est vraiment indécise, Bella. Hors dans la vie, pour réussir il faut savoir ce qu'on veut. En tout cas, je suis sûre qu'elle ne me fera pas faux bond.


Tandis que je descends les escaliers, je me retrouve face à ma mère. Je me demande ce qu'elle fait encore en éveil.

- Tu vas où, habillée comme une traînée  ?


Une traînée, c'est trop dire ! Certes, je porte une mini jupe et un body décolleté mais il n'y a rien de dégradant là. C'est ainsi que les jeunes s'habillent pour aller en boîte de nuit.

- Je vais en boîte me divertir ! dis-je en continuant mon chemin.

- Non, pas cette fois-ci. Tu restes à la maison !

En parlant, elle attrape mon bras. Je le dégage aussitôt.

- Tu ne peux m'empêcher de faire ce que je veux !

- Je suis ta mère et j'ai des droits sur toi !

- Tu m'as mise au monde et rien de plus, lui crie-je avec colère.

La seconde d'après, je sens une gifle s'abattre sur ma joue. Je garde ma joue endolorie et la regarde méchamment en serrant le poing.

- Tu veux me frapper ? me demande-t-elle.

J'avoue que si elle n'était pas ma génitrice, je lui aurais rendu doublement sa gifle.

- Sache que tu me le paieras, maman !

Je passe près d'elle, la bousculant au passage.

- Aurore ! reviens ici.

Je continue mon chemin sans regarder derrière.


 * *

  *

Devant sa demeure, Bella m'attend comme convenu. Elle monte à bord et je démarre, direction le Stade de l'Amitié. C'est aux alentours que se trouve la boîte.

C'est un nouveau coin très branché dont on m'a parlé. En principe, Steve devait nous accompagner, mais il a eu un empêchement. Nous voici donc Bella et moi seules là. En tout cas je suis une habituée des nights club. Nous faisons la connaissance de gens très sympas : un groupe d'amis dont deux femmes et trois hommes. J'espère que Bella trouvera parmi ces hommes son prochain petit-ami. Son "abstinence" a trop duré, je trouve.


 * *

 *


Le champagne coule à flot dans le coin VIP où nous sommes. J'adore ça. C'est cela la belle vie ! Toute heureuse, je me lève, entraînant l'un des hommes avec moi. Je me trémousse au rythme de la musique dansante. Je me colle contre lui, je balance mon popotin sans honte. Je danse librement. Si Steve me voyait faire cela devant un autre homme que lui, il piquerait une crise. (Rires)


Il est 3 heures du matin quand nous quittons les lieux. Je me suis bien amusée et Bella aussi. Nous rions aux éclats.

- T'es assez lucide pour conduire ?

- Oui Bella. C'est vrai que j'ai pris beaucoup de champagne mais je ne suis pas saoule. Rassure-toi, je ne te vois pas en double ! conclus-je.

Elle pouffe de rire. J'en fais autant.

- Allez, en route !


Durant le trajet, nous discutons de tout et de rien. Discuter m'aide à ne pas somnoler. Au niveau de Godomey, je me rends compte que Bella ne me répond plus. Elle dort. Je souris. Je me mets à chantonner pour rester concentrée, pour ne pas céder au sommeil qui veut s'emparer de moi. Je lutte contre mes paupières qui ont tendance à s'ouvrir et se refermer. En principe, je dois m'arrêter et me reposer quelques minutes mais cette option n'est pas sécurisée à pareille heure. Et puis je n'ai plus beaucoup de kilomètres à parcourir avant de rentrer.

Malheureusement, l'absence d'éclairage au niveau de l'Université d'Abomey-Calavi  vient tout gâter. Je somnole malgré moi. Mes paupières se ferment une seconde. Quant elles se rouvrent, je me retrouve en danger. Un camion gros porteur stationné sur le chemin sans feux de détresse ou signalisation. Je ne l'avais pas vu. Je panique. Je freine de toutes mes forces mais en vain. Le choc est inévitable. J'entends un bruit de vitre qui se brise. Je ne vois plus rien. Du sang coule. Mes forces m'abandonnent...


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Chez les ZANNOU


Madame  Suzanne ZANNOU

Je suis dans mon lit, mais je ne parviens pas à dormir. J'angoisse sans savoir pourquoi. Je me lève, quitte ma chambre et vais dans celle de Bella. Elle semble endormie. Je soupire. Je me suis inquiétée pour rien. Je repars dans ma chambre et parviens finalement à m'endormir.


Le lendemain​ matin.

Tandis que je m'apprête pour aller au bureau, — je suis directrice d'une agence de voyage — je reçois la visite imprévue de ma soeur aînée et son mari. Je me demande ce qu'ils viennent faire chez moi un matin.


- Hélène ! Je suis bien étonnée de vous voir, dis-je en leur souhaitant la bienvenue. Je m'apprêtais justement pour me rendre à l'agence.

Nous nous asseyons. Hélène vient prendre place près de moi. Son regard semble grave. Ce doit être très sérieux ce qu'elle a à me dire.

- Que se passe-t-il ? m'enquiers-je.

Ils se regardent.

- Parlez ! Qu'est-ce qu'il y a ?

Mon beau-frère quitte son mutisme.

- Il s'agit de Bella.

- Bella ! m'étonne-je. Si c'est à elle que vous voulez parler, elle dort encore.

A nouveau, leurs yeux se croisent. Ma soeur secoue la tête en ma direction en ajoutant :

- Bella ... a eu ... un accident et ….

Je la coupe net.

- Impossible ! rétorque-je. Je te le repète. Elle dort en haut. Je vais vous le prouver.

Je me lève aussitôt et me dirige vers la chambre de Bella. Ils m'y suivent.

- Bella, Bella, réveille-toi !

Aucun son. Je sens mon cœur battre. Je m'approche du lit et lève le drap. Je n'y crois pas. Elle n'y est pas. Je vois juste un tas de pagnes. Là, je me rends compte de la réalité et je panique.


- Où est-elle ? Dans quel hôpital ? Emmenez-moi vers elle. Je veux la voir …

Mes idées s'embrouillent.

- Calme-toi Suzanne ! me dit ma soeur en saisissant mon bras. Elle veut que je m'assieds​, mais je refuse, ne comprenant pas pourquoi on attend encore.

- Dites-moi où est ma fille, je veux la voir !

Ils me regardent sans dire mot.

- Bon sang ! Mais parlez !

- Bella ... n'est ... plus ! murmure mon beau-frère.

J'ai du mal à comprendre ses mots.

- Bella n'est plus quoi ? Achève ta phrase.

- Bella n'est plus… de ce monde !

- Menteur ! hurle-je. Hélène, dis-moi que ce n'est pas vrai !

- Je suis ... désolée Suzanne, mais ….

Je ne l'entends plus. Je hurle de toutes mes forces, j'éclate en sanglots et me jette à terre, me roulant au sol.

Le foulard noué sur ma tête se détache. Ma soeur essaie de me réconforter. En vain. Ma douleur est immense. Je crie ces mots :

" Bella ! Comment as-tu pu me faire ça ? Comment as-tu pu t'en aller ainsi, sans me dire aurevoir ? Comment as-tu pu me laisser dans une détresse pareille ? Pourquoi ne m'as-tu pas écoutée ? Pourquoi as-tu choisi de suivre cette fille inconsciente ? Dieu ! Pourquoi ? D'abord mon mari, maintenant ma fille ? Pourquoi le sort s'acharne autant sur moi ? Pourquoi ….?"


Tant de POURQUOI qui restent sans réponse.

Tandis que je me lamente sur mon triste destin, tandis que je pleure mon malheur, je sens mes forces m'abandonner peu à peu. Ma vision se brouille. Je perds connaissance.


******

Hôpital de zone d'Abomey-Calavi
Madame Claire AMOUSSOU

Comme une "folle", je déambule dans l'allée des Urgences de l'Hôpital de zone d'Abomey-Calavi.

Je n'ai pas encore pu voir Aurore. Elle est encore en salle d'opération. On m'a juste dit qu'elle a perdu beaucoup de sang et qu'on a dû l'opérer en vitesse. Quant à Bella, je n'ai pas de nouvelle d'elle. Tandis que j'attends, j'égrène mon chapelet. C'est ce que je sais faire le mieux. Je prie pour qu'il n'arrive rien de fâcheux à ma fille. Je prie pour qu'elle ne meure pas. Sinon je m'en voudrai toute ma vie de n'avoir pas pu lui dire combien je l'aime. Je repense à notre discussion houleuse d'hier, à la gifle que je lui ai donné. Je ne veux pas que ce soit cela le dernier souvenir que j'ai de ma fille. NON !


J'attends encore et encore. Combien d'heures ? Je n'en ai aucune idée. J'angoisse terriblement. Aucune des infirmières ne se soucie de moi.

- Patientez madame ! Nous sommes débordées ici ! Il n'y a pas que vous ! me disent-elles sans même me regarder.

On dirait que je les agace, à force de demander des nouvelles de ma fille...


Finalement, j'apprends que l'opération est finie. Quelqu'un vient vers moi. Peut-être un docteur, peut-être un infirmier. Je n'y prête pas attention. Il me tend une ordonnance avec une longue liste de médicaments à prendre.

- Vous êtes la mère d'Aurore AMOUSSOU ?

- Oui.

- Votre fille a survécu, mais elle restera paralysée à vie. Sa moelle épinière​ a été fortement endommagée.


Je l'écoute à peine. C'en est trop pour moi. Au moins je remercie le ciel qu'elle soit en vie. Néanmoins, ce sera un nouveau choc pour Aurore.

L'homme est sur le point de s'en retourner quand je lui demande des nouvelles de Bella.

- S'il vous plaît, qu'en est-il de l'amie de ma fille, celle qui était avec elle dans la voiture ?

- Seule votre fille a été emmenée aux urgences. J'ai cru entendre que son amie est morte sur le coup.

- Odjé ! Pas Bella ! m'exclame-je en langue Fongbé , en mettant mes mains sur la tête.

Sur un banc près de moi, je me laisse choir.

L'homme s'éloigne. Je garde toujours les mains sur la tête, tellement je suis consternée par cette triste nouvelle.  Mes pensées vont vers Suzanne, la mère de Bella. Elle doit être complètement dévastée. Quelle vie que celle des mères que nous sommes ! (Soupir)














SECONDE CHANCE