Chapitre 5

Ecrit par Auby88

Madame Claire AMOUSSOU


Nous sommes dans une grande clinique privée de Cotonou. J'ai préféré avoir l'avis d'un deuxième spécialiste sur le cas de ma fille.

Au final, elle est paralysée des mains et des pieds, mais rien n'est définitif. Intérieurement, je prie.


Aurore est là derrière cette porte, tandis que moi je suis dans le hall. J'ai dû sortir précipitamment tellement ses cris et son désarroi étaient poignants. Elle était si déboussolée, si choquée par la nouvelle de sa paralysie que ma présence et mes mots n'ont fait que la pertuber, augmenter ses crises.

Les infirmières ont dû lui administrer un tranquillisant pour qu'elle se calme. Actuellement, elle dort. Pourtant depuis ces trois jours qu'elle était dans le coma, j'attendais avec impatience que ma fille se réveille.

(Soupir​)


Avec tout cela, je n'ai pas encore osé lui parler du décès de Bella. Elle a demandé à la voir, mais j'ai préféré lui donner la première excuse bidon qui m'est passée par la tête. Je ne m'en rappelle même pas. En tout cas, elle semble y avoir cru.

Bella a été inhumée hier dans l'intimité familiale. Si l'enterrement s'est si vite fait, c'est en raison des multiples lésions que son corps a subi. J'ai entendu dire qu'elle était méconnaissable, complètement défigurée. Au moins, elle n'a pas souffert parce qu'elle était déjà endormie au moment du choc. En tout cas, c'est ce que j'espère.


Malheureusement, avec l'état d'Aurore, je n'ai pas pu assister à l'enterrement, je n'ai pas pu présenter mes condoléances à Suzanne.

De toutes façons, Suzanne n'aurait pas toléré ma présence. Elle crie à tous vents que c'est ma fille qui est responsable de la mort de la sienne ; ce qui n'est pas faux même si Aurore n'avait pas l'intention de tuer Bella.

(Soupir)



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Chez les ZANNOU

Madame Suzanne ZANNOU


Les gens continuent d'affluer chez moi pour me présenter leurs sincères condoléances. Sincères ! Plutôt hypocrites Oui ! D'ailleurs, j'entends sans vraiment écouter. Car aucun de leurs " Dieu a donné, Dieu a repris - Tout est Grâce - Courage, ma soeur " ne ramènera ma fille.


Je n'ai même pas pu dire un dernier adieu à ma fille. Ni ma soeur, ni mon beau-frère ne m'ont laissée voir son corps. Ils ne m'ont même pas permis de me rendre au cimetière. Parce que dans l'ordre des choses, surtout en Afrique, ce sont les enfants qui enterrent leurs parents et non le contraire.


Tandis que mes pensées s'envolent, je revois ma dernière discussion avec Bella et j'éclate en sanglots.

Ma soeur et d'autres femmes me consolent du mieux qu'elles peuvent. Pourtant, tout ce que je veux en ce moment, c'est mourir. En tout cas, je suis déjà une morte vivante qui peut s'en aller à tout moment...


Des cris provenant de la cour attirent mon attention et celle des autres. Nous sommes au salon. Je vois entrer les frères et la mère de mon défunt mari.


- Où est-elle ? Où est cette sorcière ?

En parlant, ils me pointent du doigt.

- Du calme ! Que se passe-t-il ? interroge le mari d'Hélène, ma soeur aînée.

Quant à moi, je stresse davantage.

Ma belle-mère me jette des mots à la face en pleurant. En langue fongbé, elle s'exprime ; ce qui donne à peu près ceci en français :

- Sorcière, veuve noire. Tu m'as pris Brice et maintenant tu viens de me prendre ma petite fille, celle qui me permettait de me souvenir de mon fils. Mais sache que tout se paie ici bas, mauvaise femme. Je maudis le jour où ton chemin a croisé celui de mon fils !


Pour moi, c'en est trop. J'éclate en sanglots tandis que les gens prient ma belle-famille de s'en aller.

Moi, Suzanne, sorcière ! Moi, Suzanne, veuve noire ! (Soupir). J'aimais trop mon homme et ma fille pour leur faire du mal. En moi, tant de sentiments se mélangent : douleur, incompréhension, désespoir … et surtout colère. Intérieurement, je maudis Aurore. Tout est de sa faute !


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Dans l'après-midi


Aurore​ AMOUSSOU


Je viens de me réveiller. Des larmes coulent sans cesse de mes yeux. Des larmes de colère. Des larmes de tristesse. Je les laisse me dominer, ruisseller sur mon visage sans pouvoir les essuyer. Mon cou reste maintenu par un collier cervical. Moi, la belle Aurore AMOUSSOU, je ne suis plus qu'un "légume". Je n'ai plus aucune sensibilité dans mes membres.

Je me demande pourquoi ma "sotte" de mère ne m'a pas laissée mourir plutôt que de tout faire pour qu'on me garde en vie. Elle doit être heureuse à présent de me savoir ainsi. Elle et tous les gens de son époque, de son espèce diront que la vie m'a donné une leçon, que j'ai récolté ce que j'ai semé.

Maudit destin que le mien ! Maudite seconde qui m'a pris ma paix du cœur, mes rêves…

J'aimerais tellement voir Bella, j'aimerais qu'on me dise où elle est, qu'on me dise comment elle va, qu'on m'emmène la voir. Elle saura comprendre mon amertume et me réconforter. J'espère juste qu'elle n'est pas dans un pire état comme moi.


Steve était là ce matin. Il m'a promis de repasser dans l'après-midi. Il demandera une permission au boulot pour pouvoir rester un peu plus longtemps avec moi. Cela m'a fait grand bien de le voir, mais j'ai également eu honte qu'il me trouve ainsi. Notre vie couple sera sûrement affectée. Plus rien ne sera comme avant.

Quoi qu'il en soit, je ne compte pas abandonner. J'exigerai qu'on me fasse transférer dans l'un des meilleurs hôpitaux d'Europe. J'ai assez de moyens financiers pour cela et j'ai l'espoir de retrouver l'usage de mes bras et de mes jambes.

 

La porte de ma chambre d'hospitalisation s'ouvre. J'entends des pas. Je ne peux bouger pour voir qui c'est. L'inconnu porte des talons. J'en entends le bruit. C'est donc une femme. Je me demande qui cela peut être, étant donné que ma mère porte toujours des chaussures plates. Peut-être est-ce Bella ? Elle est donc saine et sauve. Je me réjouis déjà.


- Bonjour Aurore ! me lance l'inconnue avec une voix teintée d'un rire ironique.

Là, je reconnais qui c'est. Je n'arrive pas à y croire. Elle ! Je bous déjà de colère.



******


Rita MARTINS

Je sais qu'Aurore m'a reconnue. J'avance tout près d'elle et la fixe longuement. C'est peut-être injuste de ma part, mais je me réjouis énormément de son sort. La vie ne pouvait pas donner une meilleure leçon à cette fille égoïste.


Je me penche au-dessus d'elle. Elle est visiblement fâchée.

- Oh ma pauvre petite, pourquoi fais-tu cette mine là ? Tu devrais plutôt rester calme, tu sais ! Ce n'est pas bon pour ta santé.

- Va-t'en​, sale garce ! crie-t-elle.

- Je pensais que te retrouver paralysée t'aurait quelque peu changée, mais je vois que je me suis trompée. Tu es la même qu'avant !

- Sors d'ici !

Je ricane.

- Mademoiselle "Légume" ! Quelle horreur !

- Dégage, Rita ! Tu es un monstre !

Je ris de plus belle.

- Et dire que tu passais ton temps à me concurrencer. A présent, la meilleure est et demeurera moi. Tu ne pourras plus jamais te mesurer à moi professionnellement.

- Je n'ai pas encore dit mon dernier mot, vipère. Je suis sûre que bientôt je parviendrai à marcher et je te ferai ravaler tes mots un par un.

- Tu rêves ma chère. Tout au plus, tu pourras retrouver l'usage de tes mains, mais pas celui de tes jambes. Hors tu sais bien qu'un mannequin, c'est avant tout les jambes !

- Fiche-moi le camp, traînée.

- Bonne journée​, dis-je en m'avançant vers la porte.

Je me souviens d'un dernier détail. Je reviens vers elle. Je tiens à ce que ce soit moi qui le lui apprenne. Tout à l'heure, sa mère m'a dit qu'elle n'était pas encore au courant. J'ai envie de la voir encore plus affligée.

- Que me veux-tu encore ? me demande-t-elle.

- Au fait, je te présente toutes mes condoléances pour Bella.

- Qu'est-ce que tu dis ?

- Zut ! Tu ne savais pas que Bella est morte sur le coup ?

Ses yeux semblent vouloir sortir de leurs orbites.

- Elle n'a pas eu autant de chance que toi, tu sais. Elle a même déjà…


Je n'ai pas le temps de finir ma phrase. Sa réaction est encore pire que ce à quoi je m'attendais. Je ne pensais pas qu'elle tenait autant à Bella. Aurore, contrairement à ce que je pensais, peut être très sensible. Je regrette lui avoir annoncé la triste nouvelle. Je n'aurais dû être aussi méchante qu'elle. De toutes façons, le mal est déjà fait.


Je l'entends hurler à n'en point finir.

- Tu mens ! Tu mens ! Pas Bella ! Pas ma meilleure amie ! Non, pas ma soeur ! Pas elle ! Tout est de ma faute !!!!!


Je demeure prostrée là ne sachant plus quoi faire, ne sachant quoi lui dire.

Ses cris sont si stridents que des infirmières et sa mère se précipitent à l'intérieur.

Sa mère lance vers moi des yeux interrogateurs. Tout à l'heure, je lui avais fait croire que j'étais une collègue et une bonne amie de sa fille. Elle m'a cru et m'a permis d'aller voir Aurore. Je regrette m'être servie de cette gentille femme pour arriver à mes fins.


Une infirmière me tire par la main et m'entraîne vers la sortie. Une autre apprête une séringue. C'est sûrement un tranquilisant.

- Maman, dis-moi que ce n'est pas vrai ! Dis-moi qu'elle n'est pas morte ! Dis-moi que cette peste de Rita ment ! l'entends-je dire.

Sa mère demeure muette. Aurore hurle de plus belle. On lui injecte le produit...

Là, je suis dehors. Je n'entends plus aucun bruit dans sa chambre. Ils ont sûrement réussi à la calmer. Je quitte le hall de l'hôpital et me dirige vers la sortie.

Je soupire en repensant à Aurore. De toute façon, elle n'a que ce qu'elle mérite. Je ne dois pas m'attendrir par rapport à elle, par rapport à son malheur. Elle reste mon "ennemie" comme elle aime si bien le dire.


Je me rappelle la première fois où j'ai intégré l'agence de mannequinat. Cette hypocrite s'est très vite rapprochée de moi, s'est comportée comme une amie avec moi. C'était elle la vedette du moment et moi j'étais nouvelle. Il a suffi que je me démarque pour qu'elle commence à me considérer comme une rivale. Je n'ai pas oublié ses coups bas, ses coups tordus : mes robes qui disparaissaient ou se retrouvaient déchirées et mes talons qui perdaient leurs semelles juste avant le début des défilés…


Ah ! Aurore ! Une vraie peste. C'est à cause d'elle que j'ai fini par m'endurcir ainsi. Et puis le monde du mannequinat est trop "complexe" pour qu'on ne surveille pas ses arrières.

 En ce qui concerne Christian, c'est un volage qui ne méritait pas Bella. Ce type avait plusieurs copines en même temps. J'ai donc fait du bien à Bella en lui révelant la vraie face de Christian. Mais elle et Aurore ne l'ont pas compris ainsi. De toute façon, lui et moi, on n'a passé qu'une nuit ensemble et ce n'était pas si fameux que ça.


Bof, c'est du passé après tout. Il vaut mieux que je me concentre sur le présent. D'ailleurs, celui qui vient dans ma direction actuellement mérite que j'arrête de ressasser le passé.


- Rita !

- Bonjour Steve ! C'est toujours un plaisir de te rencontrer, dis-je en affichant mon plus beau sourire.

- Plaisir partagé. Je vois que tu es venue voir Aurore. C'est bien.

- Eh oui, c'est pas la bonne entente entre nous, mais je compatis à sa douleur. Ce n'est pas facile de se retrouver paralysée​ du jour au lendemain.

Il soupire longuement. Je vois une grande peine dans ses yeux. Il doit vraiment l'aimer.

- Ce ne doit pas être facile pour toi aussi.

Il secoue la tête.

- Vraiment pas facile. Je la regarde sans pouvoir faire quoi que ce soit pour elle. Mon cœur saigne à chaque fois. Je ne souhaite ce sort à personne, même pas à mon pire ennemi.


Je hoche la tête. Cet homme est vraiment sensé. Je vois pourquoi Aurore l'aime autant, même si je ne comprends pas ce qu'il trouve à cette fille si égocentrique. Ah les hommes !


- Au fait, il faut que je te dise que j'ai fait une gaffe tout à l'heure en lui parlant du décès de Bella.

Il écarquille les yeux tandis que je poursuis :

- Elle a piqué une énorme crise et les infirmières ont dû intervenir.

- Là, tu as vraiment gaffé. Aurore tenait beaucoup à Bella. Quoi qu'il en soit, elle aurait fini par le savoir tôt ou tard. T'as pas à te sentir coupable, Rita. A présent, il faut que je te laisse. Je vais voir ma bien-aimée. Bonne journée.


Je n'ai pas envie que notre discussion s'arrête là, mais je le laisse partir. Tandis qu'il s'éloigne, je le regarde une dernière fois avant de regagner ma bagnole.

Steve est vraiment un bel homme, comme je les aime. Beau avec une allure athlétique qui se remarque même quand il s'habille en costard. Il est grand de taille et a un teint clair qui révèle encore plus son charme. J'adore aussi cette élégance qui est toujours la sienne : chics vêtements et chaussures, montre luxueuse ....

Franchement, il aurait dû être mannequin. Il serait l'un des meilleurs.

Intérieurement, je soupire. Je sens comme un feu monter en moi juste en pensant à ce que cet homme est capable de faire sous la couette. Ce doit être un dieu au lit… Bon, il faut que je me calme et que je quitte les lieux au plus vite. (Rires)


Mes pensées vont à nouveau vers Aurore. C'est vrai qu'elle est déjà à terre mais je compte bien lui donner le coup de grâce final. Et ce lorsqu'elle s'y attendra le moins. (Sourire )



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Steve ANIAMBOSSOU


La mère d'Aurore vient de m'apprendre que ma dulcinée dort. Je tiens quand même à aller la voir.

Mon cœur se serre comme à chaque fois. Tant de choses changeront dans sa vie et dans notre couple. Il nous faudra réapprendre beaucoup de choses. Et c'est sûr que notre vie sexuelle en pâtira beaucoup. De toute façon, ce n'est pas cela le plus important. J'aime Aurore et je compte rester avec elle. Cette épreuve n'aura pas raison de notre amour. NON !


Je la revois pétillante, souriante, parfois folle, égoïste mais tellement vivante. J'ai véritablement mal pour elle.

Aurore, mon amour de jeunesse, mon amour de maintenant et de toujours, je l'espère.

J'ai vraiment besoin de force pour pouvoir la soutenir autant que possible​. En tout cas, vouloir c'est pouvoir. Et oui, je le veux. Donc je le peux…









SECONDE CHANCE