Chapitre 9

Ecrit par leilaji

excusez le retard. 

LOVE SONG

Tome II

(suite de Xander et Leila + Love Song)


LEILA


Episode 9


Arrivés chez nous, Alexander a reçu un appel qu’il n’a pas voulu décrocher devant moi. Je l’ai vu lire le numéro qui s’affichait sur l’écran et froncer les sourcils de mécontentement après avoir jeté un coup d’œil à sa montre.  J’ai fait celle qui ne le surveillait pas du coin de l’œil et il a fait celui qui n’avait pas remarqué qu’il était surveillé. Il m’a signalée qu’il allait devoir régler un problème urgent. Je suis descendu de la voiture, il a fait une manœuvre rapide pour repartir en trombe. 

A la dernière seconde j’ai tapé sur la vitre et il s’est arrêté. 


— Où est-ce que tu vas Khan ?

— Régler un problème… Ecoute Lei, il faut vraiment que j’y aille… 

— Et ta réponse ne peut pas être plus précise que : régler un problème ? Il se fait tard. Ce problème peut attendre demain non ? 

— Non. Est-ce que j’ai l’autorisation d’y aller maintenant ? 

— Ne me parle pas comme ça…

— Lei… 

— Est-ce qu’il s’agit d’une femme ? peut être une de ces jeunes indiennes de tout à l’heure … Ou encore cette fameuse inconnue de ta société…


Ok. Je ne m’attendais pas moi-même à poser une telle question. Mais voilà, elle était posée, je ne pouvais plus la retirer. Il a coupé le moteur et est descend de la voiture. Le gardien, petit homme discret s’est éclipsé pour ne pas nous déranger. J’ai regardé mon mari. Il semblait calme mais un muscle tressautait sur sa mâchoire.


—  Tu m’accuses … de te tromper ? 


Sa voix était un mélange de colère et de dépit. Mais je m’en fichais bien à ce moment là. Moi aussi j’étais en colère et dépitée. 


— Alexander, tu me connais assez bien pour savoir que je ne t’accuse de rien pour le moment. Le jour où je le ferai, tu rentreras et cette maison sera vide. Tu sais comment je fonctionne. J’essaie encore d’être une bonne femme et de faire ce que la société attend de moi. C'est-à-dire : poser des limites à ce que je peux accepter et te faire comprendre que ça ne peut pas continuer ainsi. Mais tu ne m’aides pas du tout, avec ce mur que tu es en train de bâtir autour de toi et ton attitude désobligeante ! je ne peux pas être la seule à fournir des efforts pour que ce mariage ne coule pas. 

— Ne me parle pas comme si j’étais un de tes stupides clients.


J’essayais la diplomatie et lui a choisi de s’énerver. Ok. 


— Tu démissionnes de chez Denis et en Inde ça ne marche pas alors pour le moment la seule chose que j’ai à dire sur ces stupides clients, comme tu le dis si bien, c’est qu’ils nous feront vivre Alexander. 


J’aurai mieux fait de m’assommer. Je ne sais même pas pourquoi je l’ai dit.  Il s’est avancé vers moi et j’ai reculé jusqu’à me retrouver bloquée contre la portière de sa voiture. 


— Excuse-moi. Je ne voulais pas dire ça, je lui dis pour faire amende honorable. Ecoute Alexander, quoi que tu aies à faire. Reporte ça pour tout à l’heure. Reste. Avec moi.  


Il s’est contenté de me dégager de la voiture, de s’y engouffrer et de s’en aller. 

C’est à cet instant que j’ai reçu l’appel affolé de Lola et que j’ai du prendre ma propre voiture pour la rejoindre au Taj. Si ça n’avait pas été elle, jamais je ne serai retourné au Taj en pleine nuit toute seule. 


Cette maison était immense et vide. Les braqueurs l’avaient remplie de peur, ils avaient souillé par de la violence et de la haine, les heureux souvenirs que j’y avais collectionné avec ma famille. A l’époque, je me sentais en famille même si j’étais en attente d’une grossesse plus qu’hypothétique. Mais au quotidien, j’avais Karisma dont je devais m’occuper puisqu’Alexander estimait qu’une jeune adolescente en pleine crise c’était mon domaine plutôt que le sien. Elle mettait de la vie dans la maison. Il fallait toujours être au courant des dernières tendances à la mode pour pouvoir discuter sereinement avec elle sous peine d’être traité de « vieux ». L’écho de ses longues conversations avec ses nouvelles copines du lycée français meublait le silence permanent de cette immense demeure. Puis il y a eu le braquage.

Et j’ai compris que tout le monde n’était pas heureux de nous voir si heureux. Nous avons décidé de la mettre à l’abri à Mumbai. Elle a tapé des pieds, menacé, pleuré et supplié mais j’ai tenu mordicus alors que j’adorais tellement l’avoir avec moi. Nous avons fait rentrer Karisma en Inde dans un pensionnat pour jeune fille de bonne famille et nous avons déménagé dans la maison offerte en dot. 


Je n’ai plus remis les pieds au Taj depuis ce jour. 


*


Je gare ma voiture et marche rapidement lorsque le téléphone vibre légèrement dans mon sac à main. J’y jette un coup d’œil. Ma batterie est morte. Saleté de Smartphone. Ca coute plus cher qu’un bras mais ce ne peut même pas rester allumé une journée entière. J’avance dans la maison dont la porte principale est grande ouverte. J’ai du mal à reconnaitre les lieux. Gabriel a fait faire d’importants travaux en si peu de temps. Il a du y mettre les moyens ! Ce garçon m’étonnera toujours par sa capacité à organiser de grands événements avec un budget limité. 


Je traverse de longs couloirs mal éclairés et me rends enfin compte que j’ai été stupide de m’aventurer là dedans toute seule. Je devrais être ici avec mon mari. Mais Alexander a son problème à régler et vu la tension qui s’est installée entre nous quand nous nous sommes quittés, je n’ai pas envie de l’appeler. Ce serait abuser que de contacter Denis à pareille heure de la nuit alors qu’il n’a pas encore eu le temps de se reposer ? Oui. Je me mordille la lèvre inférieure plongée dans mes pensées mais j’avance quand même à pas rapides. J’espère qu’il n’est pas trop tard.  Je me dirige machinalement vers la seule porte d’où filtre de la lumière et l’ouvre en m’avançant. 


Je me fige paralysée par le spectacle d’horreur sous mes yeux. 

Gabriel est avachi au sol et Lola appuie de toutes ses forces sur son abdomen. Le sol, les vêtements de Gabriel comme les mains sont noyés dans le sang. Les yeux de Lola sont secs mais ses épaules sont secouées par de légers tremblements. 


Derrière moi arrive un homme, que j’aurai surement remarqué plus tôt si je n’avais été perdu dans mes pensées. 


Et une nouvelle fois, je suis stupéfaite par ce que je vois. Son visage me replonge immédiatement en enfance. 


*

**


— Maman ? Est-ce que je peux allée jouer avec Natacha, j’ai fini mes exercices. 

— Montre-les moi d’abord. 


J’ai fait un grand sourire à ma mère dans l’optique de l’amadouer et je lui ai présenté le cahier d’exercice. Elle l’a rapidement parcouru avant de repérer les quelques erreurs d’inattention qui s’y étaient glissées. Dès qu’elle a levé son visage vers le mien, j’ai compris que les choses allaient mal se passer pour moi.


— Quand c’est pour jouer tu es forte mais pour faire correctement les exercices il n’y a plus personne, a-t-elle murmuré en me tordant l’oreille. 


La douleur vive dans cette partie de mon visage m’a remis les idées en place et j’ai tout de suite regretté de m’être laissée aller à rêver de la vieille poupée que ma voisine voulait bien me prêter pour jouer. Dès que maman m’a lâchée, j’ai senti mon œil droit se remplir de larme de douleur tandis que le gauche restait sec de colère. Sans rien ajouter, j’ai ramassé mes cahiers pour aller relire l’exercice. Elle a continué à couper sa tomate pour en faire la même sauce que je détestais sans jamais le lui avoir dit. 


Je me suis assise sur la chaise en face de la petite table de travail. Puis mon esprit s’est mis à vagabonder au lieu de corriger mes multiplications. J’ai pensé à comment c’était d’avoir un père présent chaque soir et surtout une mère qui ne pleurait pas chaque nuit dans son lit pour se réveiller le cœur plein de déception. Où était mon père ? Pourquoi n’était-il pas avec nous ? Pourquoi avait-il fait autant de mal à ma mère ? Il fallait que je puisse accuser quelqu’un de tous mes malheurs.

Prise d’une rage soudaine, je me suis levée brusquement, faisant tomber ma chaise, pour me rendre dans l’unique chambre du studio. J’ai fouillé dans son placard, sous le pagne où elle cachait ses économies. Tout ce qui était précieux aux yeux de maman se trouvait sous ce pagne. J’y ai découvert ma déclaration de naissance à l’ambassade. Il y manquait les informations du père. J’ai trouvé plein de billets enroulés dans des sachets. Puis je suis tombée sur une photo toute abimée par le temps. Un jeune homme s’y tenait debout, le regard fixé vers l’objectif. Un jeune homme que je n’avais jamais vu et dont les traits me semblaient tout de même familiers. Avide d’information, j’ai essayé de comprendre la place de cette photo dans la vie de ma mère. J’ai passé mon pouce sur le visage souriant avant de me sentir projetée sur le coté. 


— De quel droit fouilles-tu mes affaires ? De quel droit ? m’a –t-elle demandé avec rage.


En se rendant compte de ce que j’avais dans les mains, elle a tenté de me l’arracher. Mais mon cœur me disait que j’avais autant le droit qu’elle d’avoir cette photo, alors mes doigts s’y sont accrochés et la photo s’est déchirée en deux. Ma mère a écarquillé les yeux d’effroi tandis que je me suis mise à trembler de peur. Je me disais, elle va me tuer cette fois-ci, elle va me battre tellement fort que mes os vont se briser mais elle n’a absolument rien fait. Elle s’est laissé glisser le long du mur et de grosses larmes ont dévalé ses joues creuses. Je ne l’avais encore jamais vu dans un tel état et je me suis sentie coupable de lui avoir affligé une telle peine par simple colère. Je voulais pour une fois jouer avec la voisine et elle n’y avait pas consenti. Méritait-elle que je la fasse payer pour cela ? Non. Elle a essuyé ses larmes d’un geste vif comme si elle venait de se rendre compte à quel point elle s’était laissé submergée par la peine. J’ai fermé les yeux attendant patiemment que sa colère explose enfin, mais elle n’a absolument rien fait. Elle a regardé sa moitié de photo et de nouvelles larmes ont coulé. 


— Je l’ai vraiment cru quand il a dit qu’il m’aimait. Je savais qu’il avait un grand avenir devant lui et je me disais, même si je ne suis personne, je suis travailleuse… je saurai l’aider à construire cet avenir et jamais il n’aura honte de moi. Je veillerai sur lui et je le rendrai heureux comme jamais auparavant. Il m’a fait des promesses … beaucoup de promesses et … viens là, Leila.


Je me suis approchée à petits pas. Elle a tendu la main en relevant les doigts et j’ai posé la moitié de photo dans sa paume. Elle y a joint sa moitié de photo et s’est mise à les déchiqueter avec application. Mes yeux se sont écarquillés et j’ai voulu lui reprendre la photo  des mains mais il n’en restait rien. Plus rien. 


— Tant que tu ne t’élèves pas dans la vie, les gens feront de toi ce qu’ils veulent. Et quand je dis les gens, je parle des hommes. Les femmes sont stupides, elles respectent les femmes que les hommes respectent et insultent celles que les hommes méprisent par peur de ne plus être dans leur bonne grâce. Mais si tu m’écoutes Leila. Jamais tu ne me ressembleras. Ne laisse jamais un homme s’emparer de ton cœur. Ils ne savent pas en prendre soin. S’ils le savaient, le bon Dieu leur aurait aussi permis de mettre au monde des enfants. Il faut que tu comprennes que si tu réussis ta vie, tu ne seras pas la femme dont la vie s’est arrêtée parce qu’un homme l’a détruite. Tu ne seras pas moi. Alors écoute-moi mon bébé. Quand je suis dure avec toi, sache que je fais pour toi ce que personne n’a fait pour moi. Je construis ton avenir. 


Elle m’a prise dans ses bras et serré très fort. J’ai tout pardonné sur le coup. C’est ma mère, elle est dure mais elle m’aime ! C’est ce que je me suis répétée en me détendant dans ses bras. J’ai pardonné l’oreille tordue, le refus de me laisser jouer, la photo déchirée. Et je l’ai serré fort à mon tour. Du haut de mes quelques années, j’avais bien conscience d’avoir une mère extraordinairement dure mais aussi exceptionnellement juste. 


— Bon, va jouer. Mais tu reviens dans une heure. Je ne veux pas que tu restes là-bas. 

— Non, ca va. 

— Je sais que c’est sa poupée qui te fait envie. Je t’en achèterai  une à Noel si tu travailles bien. 


Ca ne servait à rien d’ajouter « si tu travailles bien » car je travaillais toujours bien. Mais je n’avais jamais la poupée de mes rêves. Jamais. Je me contentais de la découper dans de vieux cartons et de l’imaginer plus belle qu’elle ne l’était réellement. A Noel, j’avais toujours droit à des livres pour combler les quelques lacunes que j’avais dans les matières scientifiques. C’était ca ou rien. Et je préférai  ça plutôt que rien. C’était toujours agréable d’avoir un cadeau à ouvrir même si je savais d’avance qu’il s’agissait toujours de livres. Chaque année, il s’agissait de livres.


J’ai quitté ses bras et je suis allée ramasser mon cahier. Je me suis plongée dans mon exercice de maths avec application comme si j’allais y découvrir un nouveau théorème. Dans ma tête, j’ai effacé sur le tableau de ma mémoire, le visage que je venais d’y dessiner à la craie puis j’y ai écrit : ne jamais laisser un homme s’emparer de mon cœur pour ne pas ressembler à maman. Jamais.


Maman et moi n’avons plus jamais reparlé de cette photo. Mais même si j’ai effacé le visage, il ne m’a jamais quitté, car j’ai profondément enfoui dans mon cœur le visage de mon père. 


J’avais oublié que la mémoire des enfants se trouve dans leur cœur et non pas dans leur tête.


*

**


Le jeune homme en face de moi me rappelle étrangement l’homme de la photo. Je suis tétanisée par cette ressemblance si vive qu’elle semble avoir donné vie à l’homme de la photo. Ils ont le même visage doux, cette même manière de plonger les yeux dans ceux de leur vis-à-vis. C’est stupéfiant comme un souvenir aussi vieux qu’un visage sur une photo peut renaitre de ses cendres après tant d’année par une simple rencontre fortuite. 


Il a l’air inquiet pour Gabriel et ne le quitte pas des yeux. 

Gabriel ! 

Je l’avais presque oublié. Je me retourne vers Lola et essaie de reprendre contenance pour pouvoir lui venir en aide efficacement. Il faut que je retrouve à tout prix mes moyens. Hors de question que j’affronte un second drame dans la famille Valentine. Je ne pense pas qu’Eloïse me laisserait vivante si elle apprenait que je n’ai rien pu faire pour son dernier frère. 


— Lola que s’est-il passé ? 

— Ils l’ont blessé Leila. Des hommes que je ne connaissais pas. Ils … je ne sais pas comment ça s’est passé exactement mais j’ai peur Leila … il ne bouge plus. 


Mon téléphone est mort, je demande à Lola où est le sien. Mais le jeune homme en question a déjà pris les devants et je l’entends appeler pour demander une ambulance.


— Merde, il n’y a pas de place à l’hôpital militaire. Merde ! Je vais essayer le CHU d’Angondje ! rouspète-t-il derrière nous.


Je me rapproche de Lola et du pouce tourne son visage vers le mien. Ses mains tremblent tellement !


— Hé… paniquer ne l’aidera pas à ouvrir les yeux. Reste aussi calme que possible. Regarde sa poitrine, elle bouge. Je pense qu’à cause de la douleur, il  a dû s’évanouir.


Je m’empare de son phone et appelle Denis. Je n’ai pas vraiment le choix. Il peut nous faire réserver un bloc en moins de deux minutes à El Rapha ou ailleurs… c’est le spécialiste des coups de fil qui donnent des ordres. 


— Lola ? demande la voix préoccupée de Denis.

— Non, c’est Lei. Gabriel est blessé et …

— Ok. J’arrive, me coupe –t-il. Où êtes-vous ? Que s’est-il passé ?

— Non, non, non. Ce serait trop long de t’attendre. Je veux juste que tu nous fasses réserver un bloc opératoire là où tu peux et qu’on nous envoie une ambulance au Taj. 

— Ce n’est pas aussi facile que tu sembles…

— Denis ! je coupe avant de me mettre à pleurer.

— Oui. 

— Fais un miracle ! C’est de Gabie qu’on parle. 

— Ok, j’ai compris. Je te rappelle.

— Sur ce numéro s’il te plait. Mon téléphone est éteint

— Ok. 


Il parait qu’au Gabon, il ne s’agit pas de trouver la bonne structure hospitalière mais le bon chirurgien si on veut survivre. Nous nous sommes retrouvés à SOS Médecin, en moins de 20 minutes. Par quel miracle ? Je n’en sais rien. Enfin, si je sais. Mais je suis tellement soulagée d’avoir fait le maximum pour que les choses se passent bien. Gabie a été pris en charge dès son arrivée. On ne nous a pas fait le coup du : si vous voulez des poches de sang pour votre blessé, il faut nous emmener des donneurs et payer. Non, ça s’est vraiment passé comme dans les films, où soigner n’est pas un business mais  un business mais un sacerdoce. Reste plus qu’à prier. 


Prince est près de Lola à l’accueil de la clinique. Il essaie de la rassurer mais je vois bien dans ses yeux à quel point elle a peur. Il a mouillé des serviettes jetables avec lesquels il lui essuie les mains et le visage. Elle ne cesse de murmurer, un peu comme si depuis que je le lui ai demandé, elle n’a jamais cessé de prier. Cela ne lui donne pas figure humaine pour autant, tellement ses vêtements sont tachés de sang.  Je me rapproche du couple et Lola refuse de me prendre dans ses bras, par peur de me salir. Je la force quand même. Les circonstances sont dramatiques, mais je suis heureuse de la voir.


— Tu veux que je reste avec toi ? 

— Non ça va. Prince va rester. 


Prince ! 

Le message reçu de mon grand-père s’affiche, clignote, s’illumine dans ma mémoire. Il y avait bien un prince : demi-frère !  Mon cœur se remet à battre la chamade. J’ai mon demi-frère en face de moi. J’en suis sure. De telles coïncidences n’existent pas. 


— Prince, je te présente Leila Khan, dit Lola en esquissant un timide sourire. C’est comme… une grande sœur. 


Les yeux de l’homme s’écarquillent de surprise en écoutant mon nom. Il se détend, un peu comme s’il oubliait enfin où on était : en attente des suites de la prise en charge de Gabriel. Il se détache de Lola et me prend longuement dans ses bras. Il est grand de taille et doit se courber. La situation est étrange. Etrange parce que je suis très inquiète pour Gabie et aussi pour Lola, si les choses tournent mal. Mais tout aussi étrange parce que j’ai pour la première fois de ma vie mon demi-frère en face de moi. 

Je me sens intimidée, gauche… je ne sais pas comment on est censé réagir quand on voit pour la première fois, un membre de la famille qu’on ne connait pas. 


Le même sang coule dans nos veines. 

Je ne suis plus seule au monde. Mon cœur se réchauffe. Je ne savais pas que ça me ferait autant plaisir. Je souris gauchement. Puis me reprends. Mais est-ce que lui il me connait ? 


— Le monde est vraiment petit. Je suis heureux de mettre un visage sur un nom qui traine dans la bouche de papi ces derniers temps. 


A demi-mot, on noue des liens. 

On se quitte enfin. Et Denis arrive. 

Prince lui tend la main tout sourire. 


— Bonsoir. Je suppose que vous êtes Monsieur Kan…


Denis et moi éclatons d’un rire gêné tandis que Lola explique à Prince qu’il est l’ « oncle » de son fils. Ce qui est toujours mieux que de citer son nom en entier. Mais Prince nous regarde étrangement tous les deux, avant de sourire tout doucement. Un ange passe. Je me racle la gorge pour disperser le moment de gêne.


— Leila, il va falloir que tu rentres. Il est 3 heures du matin, me fait remarquer Denis en jetant un coup d’œil à son poignet. Je vais rester avec Lola.


Il a des cernes sous les yeux. C’est un peu normal, il rentrait à peine de voyage et n’a surement pas eu le temps de se reposer. Il range discrètement son chéquier dans sa poche intérieure. Je suppose qu’il a réglé d’avance les frais. Je lui souris et il me murmure : « quoi ? ». Je secoue la tête. Denis est l’un des hommes les plus arrogants et imbus de sa personne que je connais. L’avoir comme ennemi est une plaie parce qu’il ne recule devant rien pour avoir gain de cause. Il peut se montrer très con et cynique quand il le veut. Mais il faut avouer que pour les personnes qui lui tiennent à cœur, il a le cœur sur la main et agit toujours dans leur intérêt. 


— Non ça va aller, ce n’est pas la peine de rester, proteste Lola.  

— Quelqu’un a pensé à appeler son père ou Eloïse ? je demande me souvenant tout d’un coup qu’ils devaient être mis au courant.


Lola retourne s’assoir à la place qu’elle occupait quelques instants plus tôt et fouille la poche de la veste ensanglantée de Gabriel. Elle s’empare de son téléphone et hésite à sortir un moment pour lancer les appels.  Je la rassure en lui expliquant qu’à la moindre info je lui ferai signe. Elle sort avec la veste de Gabie serrée contre son cœur. 


Je me sens tout d’un coup très fatiguée. C’est vrai que la nuit a été longue et que j’ai besoin de repos. La main de Denis se glisse dans mon dos et il me pousse vers la sortie. Je me laisse faire après avoir dit au revoir à Prince. Je fais un petit signe à Lola qui retourne à l’intérieur. Denis m’accompagne jusqu’à ma voiture. 


— Je devrais peut-être rester… La dernière fois qu’on a laissé un Valentine à l’hôpital, on ne l’a plus revu… vivant. Ca me fout la frousse. 


Je frissonne d’appréhension. La nuit est noire mais on ne se sent pas seul. Le quartier « ancienne Sobraga » est assez animé car il est commerçant. Les phares des taxis de nuit éclairent par à coup la ruelle dans laquelle nous nous trouvons. 


— Il va s’en sortir, mais … tu fais peur avec tout ce sang sur toi.


Il enlève sa veste, récupère ses effets dans les poches et me la pose sur les épaules.


— Je déteste me retrouver à l’hôpital. Mes descentes aux enfers commencent toujours par ici. 

— Comment ça ?

— L’anniversaire surprise de  Xander qui a fini à l’hôpital, ma toute première grossesse catastrophe, comprendre que je ne serai jamais aimée dans sa famille… La deuxième fois c’était la venue au monde de Puja puis le fait qu’on me l’a arrachée…

— Puja, c’est sa fille n’est-ce pas? 

— Oui. Il ne parle jamais d’elle.  

— Je vais peut-être te paraitre indiscret, et je sais que tout le monde te pose la même question mais… pourquoi ne pas adopter… 

— Je me demandais quand est-ce que tu allais oser… 

— Si tu ne veux pas répondre, je comprends tout à fait…

— Il ne s’agit pas de ça Denis. Il y a une différence entre la stérilité et l’infertilité et … Il y a toujours cet espoir de pouvoir moi aussi un jour… porter un enfant dans mon ventre. C’est infime, je le sais… mais ce n’est pas comme si c’était impossible. J’ai essayé de ne pas me murer en moi et de me confier à d’autres femmes qui traversaient la même chose que moi. Et tu serais étonné d’apprendre qu’il y en a qui ont essayé pendant cinq, dix ans puis le petit miracle est venu ! Alors je me dis… peut-être qu’il faut juste que je patiente. Par ailleurs…

— Hé… ce n’est pas un procès… te mets pas sur la défensive. Je ne t’attaque pas. Je serai toujours de ton coté… 

— Je le sais Denis mais laisse moi parler. Ca me fait du bien. Je pourrai en parler avec Elle mais ce n’est pas facile. Elle a déjà des enfants et j’ai parfois l’impression qu’elle ne peut pas comprendre. Il y a tellement de clichés sur l’adoption… Les gens aiment bien dire : adopte d’abord, l’enfant viendra après tu verras, l’enfant appelle l’enfant ! Comme si adopter était une solution d’attente avant d’accueillir le vrai enfant… Je trouve ça malsain. Tout le monde dit : tu veux des enfants mais tu n’y arrives pas, adopte c’est pareil

Celui qui dit ça n’est pas prêt à adopter.

— Ok je vois.

— Adopter c’est une parentalité différente. Adopter, c’est créer une famille avec un enfant qui a déjà son vécu, déjà une histoire, déjà une famille. Il faut pouvoir être capable de se projeter dans cette démarche, certaines personnes sont incapables de s’engager dans ce processus aussi compliqué. J’en fais peut-être partie… J’en sais rien. Avec Xander on en a pas beaucoup parlé mais quand la mère de Puja est venue me reprendre ma ... sa fille. Je n’en ai pas dormi pendant des semaines. Parfois la nuit j’entendais des pleurs d’enfant. Je me levais sans réfléchir et j’allais dans la chambre qu’on avait aménagée pour elle comme si elle y était encore. Ca a été difficile pour moi comme pour lui parce qu’il se sentait fautif. Il s’est muré. Même quand plus tard, j’ai voulu avoir des nouvelles de Puja, il me l’a interdit. 

— Il essaie de te protéger de la mère de Puja c’est tout. 

— De la même manière que je me sens fautive quand certains matins je me lève et je me dis, non ça suffit comme ça. J’arrête d’essayer. Plus de Fiv, plus rien. On adopte, je m’en fous si je suis terrorisée par l’idée qu’une famille viendra peut-être un jour elle aussi m’arracher cet enfant. Puis je vois, Xander, qui lui n’a aucun problème pour avoir des enfants et à qui je suis en train de proposer de refuser de voir son propre sang couler dans les veines de sa descendance… et je me trouve égoïste. Alors je me dis patiente. Ce n’est pas grave. Bref. Moi-même je ne sais plus ce que je veux… Ca tourne dans ma tête. Si au moins je n’étais pas si seule… j’aurai été ravie de prendre avec moi, une petite nièce ou … 

— Mais tu n’es plus seule Lei. Tu vas découvrir tout un clan derrière toi…

— Et je suis tout aussi effrayée par ça. Ca fait plus de 30 ans que je vis d’une certaine manière. J’ai réussi sans la famille. Pourquoi maintenant ? Où étaient-ils tous quand ma mère avait besoin d’aide pour m’élever ? 


Il y a beaucoup de colère dans ma voix. J’en suis la première surprise alors je me tais. 


— Il ne savait pas que tu existais. Tu ne peux pas lui reprocher de t’avoir abandonné. Laisse-lui une chance de te donner sa version de l’histoire. Vu l’homme que c’est, tu penses sérieusement qu’il ne se serait pas occupé de toi à la mort de ton père ou à celle de ta mère? Apparemment, il a découvert ses petits fils sur le tard. Il essaie de réparer les erreurs de son fils et les siennes. Laisse-lui une chance. C’est un homme extraordinaire. Je ne le connais pas bien, je sais que des liens très forts unissent nos deux familles.  

— De toute manière on le saura aujourd’hui… On le rencontre n’est-ce pas ? Il va un peu m’expliquer pourquoi je dois le voir avec toi… 

— J’espère que ce n’est pas pour nous dire qu’on est cousins éloignés ! s’exclame tout d’un coup Denis le visage grave. 


J’éclate de rire. C’est tout ce qui l’inquiète ? Moi je trouverai ça génial de l’avoir comme cousin. Prince sort un moment et s’éloigne de l’entrée le téléphone collé à l’oreille. 


— Je te présente mon demi-frère ! je murmure en pointant du menton le jeune homme qui raccroche et retourne à l’intérieur. 

— Pardon ? Comment tu le sais ? 

—  Trop long à expliquer mais crois moi, c’est mon demi-frère. 

— Et qu’est-ce que ça te fait ? 

— J’en sais rien. 

— Alors déjà … on ne dit pas demi-frère mais frère. Va pas dire ça devant ton grand père tout à l’heure, il est plutôt du genre tradition tu vois ! 


Il me sourit et nous continuons à parler, encore et encore… 


— Est-ce normal que j’arrive à parler de tout ceci avec toi avec tellement de facilité ? Alors que je ne sais même pas comment commencer avec Alexander. 

— Lui tu l’aimes. Pas moi. C’est pour cela que c’est facile avec moi, m’explique-t-il en enfonçant ses mains dans les poches de son pantalon. Tu n’as rien à perdre avec moi. C’est normal. 

— Je vais lui parler de tout ça. 


Ca y est ! Je me suis décidée. C’en est trop d’avoir des secrets et de le mettre à l’écart comme lui le fait pour moi. J’y verrai surement plus clair avec lui à mes cotés parce que c’est ce que j’aurai souhaité qu’il fasse pour moi. 

Que je me découvre une famille ici n’est pas une chose horrible en soi. Aucune catastrophe ne va en sortir. Il faut que j’arrête d’être pessimiste ou parano. Les mêmes choses ne se répèteront pas. Du moins j’essaie de m’en convaincre. La famille d’Alexander a tenté en vain de nous séparer. Elle n’y est pas arrivée. Pourquoi la mienne le ferait-elle ? 

Avec Denis, on regarde au loin et le soleil commence à déployer son voile doré sur le paysage. Je n’ai pas vu le temps passer.  Putain. Je dois rentrer ! 


— Je dois vraiment y aller maintenant. Je crois qu’Alexander va me tuer. Il ne sait surement pas où je suis. Mon téléphone était éteint et je l’ai complètement oublié. 

— Ok. Mais si jamais il te gueule dessus, t’auras qu’à lui rappeler qu’il n’avait qu’à être à tes cotés pour aider Gabriel. D’ailleurs, où est-il ?  


Je fais celle qui n’a pas entendu la question, grimpe dans la voiture et démarre en trombe.  


*

**


Je ne sais pas si Alexander et moi nous sommes déjà disputés aussi violement. Quand je suis rentrée, il était comme un fou en train d’appeler je ne sais qui pour qu’on me fasse chercher. Etant donné la manière dont on s’était quitté, il avait paniqué en trouvant la maison vide à son retour. 

Il y avait beaucoup de choses brisées par terre dont l’unique vase que j’ai acheté pour décorer l’une des tables basses du salon. Je suis allée prendre un balai et il me l’arraché des mains pour me demander des comptes. Moi je n’avais qu’une envie : dormir. 


Premièrement, il n’a pas aimé la veste d’homme sur mes épaules, même si je lui ai expliqué qu’elle appartenait à Denis et que la nuit a été longue à cause de Gabriel.

Deuxièmement, il n’en revenait pas qu’à aucun moment je n’ai pensé à le prévenir lui. Je lui ai immédiatement répondu que s’il était resté, on y aurait été ensemble. Ce qui m’a mise en colère et j’ai donc ajouté un troisièmement, un quatrièmement, un cinquièmement et tellement de suite qu’au final je lui ai tout déballé concernant ma famille. J’ai tellement crié qu’à un moment donné, je n’avais plus de voix. 


Il s’est calmé et n’a plus fait de reproches. 


J’ai pu lui dire que j’avais peur qu’on se retrouve encore tiraillé de tous les cotés si je devais ajouter cette nouvelle donne à notre équation déjà si compliquée. 


— Il n’y a pas à avoir peur. Il faut que tu y ailles. Ca se passera bien tu verras, a-t-il dit en me prenant dans ses bras. 

— Alors viens avec moi. Je serai plus… calme avec toi à mes cotés. 

— D’accord mera dil.  


Il y a eu beaucoup de coup de fil échangés avec Denis et mon grand père. J’ai peu dormi. 


*


Nous voilà donc garés devant un immense portail abritant un « domaine » à Ntoum suite aux indications de Denis. Pourquoi ça ne m’étonne pas que ce soit le type d’homme à se murer derrière une immense clôture? La main d’Alexander est posée sur ma cuisse. Il essaie de me transmettre sa force et son calme. Nous sommes  juste devant le portail et il n’a pas encore klaxonné. 


— Je vais reporter mon prochain voyage, le temps que tu y vois plus clair ici.

— Ok. ca me va. 

— Je suis con ces derniers temps mais c’est parce que j’essaie de prendre soin de toi. C’est mon job ça. 

— Prends soin de moi en étant à mes cotés… C’est bien plus facile comme ça. 

— Il ne s’agit pas de femme, Lei. S’il y a des rumeurs, elles sont infondées. Je t’assure. Ce n’est pas le moment d’en parler mais j’ai le choix entre quelque chose de complètement illégal et qui pourrait… m’aider. Enfin résoudre une bonne partie de mes problèmes et quelque chose de plus … conventionnel qui ne fera selon moi absolument rien. 


Je réprime un sourire. Il commence à se confier ? Je pose ma main sur la sienne. 


— Le mot « Illégal » et l’expression « résoudre un problème » ne peuvent aller dans la même phrase bébé. Crois-moi. Ca n’a jamais été ton style. Ne commence pas maintenant. 

— Je sais. Je vais prendre en compte ce conseil. 

— Je suis là si tu as besoin de quoi que ce soit d’autre… 

— Ok, dit-il d’une voix gênée sans oser me regarder. 

— Tu vois. Ta virilité n’en a pas pris un coup. Tu es toujours à mes yeux mon sexy mari rien qu’à moi.


Il me tire les cheveux et je lui souris en le forçant à me regarder. Mon pouce caresse sa lèvre supérieure. L’éclat de ses yeux commence à s’assombrir. Je sais ce que ça veut dire alors je lui murmure quelque chose de tendre à l’oreille pour calmer les choses. Il pose un baiser sur mon front, sur mes yeux puis sur mes lèvres. Je gémis légèrement. Retrouver son odeur si familière et ses gestes que je connais par cœur … tout ca me met le cœur en joie. Il enfouit son visage dans mon cou provocant mille petits frissons sur ma peau. Je passe ma main dans ses cheveux et un sourire apaisé incurve ses lèvres pleines. Notre complicité est toujours là, intacte et ça me rassure. Je m’éloigne de lui pour reprendre mes esprits et surtout parce que la ceinture de sécurité m’étrangle à force de me tourner vers mon mari.


Je n’ai pas très envie de descendre de la voiture. J’ai la frousse, je triture mon téléphone et regarde l’immense portail fermé. 


— Et si... on rentrait continuer tout ça à la maison?

— Ne comptes pas sur moi pour te dire qu’on laisse tomber. 

— Lâcheur !

— Tu as tout fait pour recoller les morceaux entre ma mère et moi et malheureusement pour toi ma très chère femme… c’est à ton tour de recoller les morceaux. 

— Ca te fait plaisir de me voir comme ça hein ? 

— Quoi ? Comme une petite fille qui va présenter son premier petit ami à son père? Oui. 

— Mais pourquoi toi t’es aussi calme ? 

— Parce que tout ce que les parents souhaitent pour leur enfant c’est un compagnon qui les aime sincèrement. Je t’aime Lei. Il le verra. Et on passera à autre chose. C’est aussi simple que ça. 

— Hum. 

— Bon t’es prête ? 

— Oui. 


Il klaxonne et quelques minutes plus tard, le portail s’ouvre. Il y a deux gardes qui nous rega

Love Strong (Tome 2...