Dernier chapitre

Ecrit par leilaji

La mater

Episode 9


Affamé mais déterminé, Noah continua consciencieusement à rogner les liens qui le maintenaient captif. L’idée lui était venue en sentant la présence de rats dans la pièce. Il avait toujours été étonné par leur capacité à ronger tout ce qui leur tombait sous la dent. Plusieurs fois il s’était mordu la lèvre. Des milliers de fois il avait dû arrêter de cisailler les lourdes cordes. Tout mouvement de sa main rendait le contact entre l’objet et sa peau insoutenable.


Pour se donner de la force et ne pas abandonner, il récitait en boucle une prière que lui avait appris sa mère à l’époque où il avait peur d’aller dormir seul dans son lit au premier étage. Ça devait bien faire au moins dix ans qu’il n’y avait plus eu recours. Il espérait tout simplement que Dieu ne serait pas sourd à sa demande.


« Ma vie est plongée dans le noir

Je n’y vois rien, mais je n’ai pas peur

Car mon Dieu est près de moi

Me guidant comme le bâton guide l’aveugle »


Elle aurait été tellement fière de le voir prier avec autant d’ardeur. A l’idée de savoir sa mère étranglée par la peur, il s’était requinqué avec ses quatre lignes. Et dire que lorsque son tortionnaire lui avait tendu le téléphone pour parler à sa mère, il n’avait pu bredouiller que deux mots. Quel idiot ! Il avait perdu ses moyens. Il aurait souhaité tout reprendre à zéro et lui dire à quel point il l’aimait, à quel point elle comptait dans sa vie, elle qui avait dévoué la sienne à être le pilier de toute une famille. 

C’était là l’erreur faite par les ravisseurs. Lui faire entendre la voix de sa mère. Cette voix dont il connaissait toutes les intonations. Cette voix qui l’avait grondé quand il faisait des bêtises, et félicité quand il lui ramenait de bonnes notes de l’école. En voulant la terroriser elle, il lui avait donné l’envie de se battre plus fort pour pouvoir la revoir, la serrer dans ses bras et lui chuchoter à l’oreille qu’elle n’avait plus à s’inquiéter de quoique ce soit. 


— Oh putain la mater si tu pouvais être là ! J’ai tellement peur. 


Il réprima ses sanglots, et ravala sa salive la gorge nouée par l’émotion. Tel un rat, il continua sa besogne jusqu’à ce que les liens se desserrent assez pour qu’avec un peu de chance, il puisse faire glisser sa main.  Mais les cordes avaient été tellement serrées que la douleur causée par chaque millimètre l’engageant vers la liberté, lui faisait monter les larmes aux yeux. 


— Arrache un bon coup Noah. Sois courageux ! s’intima-t-il. 


La pièce n’était pas ventilée. Il transpirait à grosses gouttes. Il inspira une goulée d’air puis pencha la tête vers ses biceps de manière à se mordre le bras. Ça allait forcément faire mal de tirer d’un coup. Et il ne devait pas crier. Cela risquait d’ameuter son ravisseur. Mais avait-il le choix ? C’était ça ou continuer à souffrir silencieusement jusqu’à ce que la personne à l’initiative de son kidnapping décide de se débarrasser de lui. 


Noah tira d’un coup sec en plantant ses dents dans sa peau. Il ferma les yeux sous la douleur mais ne lâcha qu’un râle étouffé. 

Il était enfin libre. Du sang s’écoulait de ses égratignures. De la peau avait été arrachée mais il était libre. Il se leva, s’adossa au mur quand la tête lui tourna puis tituba jusqu’à la porte. Son ventre gargouilla et les fourmis dans les jambes lui donnèrent envie de se gratter la peau. 

Evidemment elle était fermée, cette satanée porte, pesta-t-il intérieurement en tentant vainement de l’ouvrir. De nouveau, il faillit s’évanouir de fatigue, d’espoir déçu, de peur. Mais il s’accrocha au mur à coté de la porte. Il sentait ses poignets en feu. Il fallait maintenant … rester patient mais sur ses gardes. Attendre le bon moment. Il savait que l’homme qui venait le visiter pour le rouer de coups commençait toujours par éclairer ses pieds en marchant dans la pièce avant d’éclairer le fond de la salle où lui Noah était censé se retrouver. Il inspira à nouveau profondément essayant d’imaginer tout ce qu’il pourrait encore réaliser dans la vie s’il se sortait vivant de ce trou à rat. Serrer très fort sa mère dans ses bras venait tout en haut de sa liste. Arrêter de bouder si un jour elle lui demandait de l’accompagner à l’église n’était pas loin du haut de son classement. 


Des clefs cliquetèrent, interrompant le cours de ses pensées. La porte grinça et tandis qu’elle s’ouvrait, il s’agrippa à la poignée et avec toutes les forces qui lui restaient et la poussa violemment. Le choc fut violent. Un bruit mat de corps qui s’effondre se fit entendre. La torche roula par terre. Plutôt que de  laisser la peur engourdir son esprit, il garda son sang-froid et ôta son tee-shirt sale qu’il déchira avec ses dents de manière à en faire une longue lanière. Il agrippa l’homme par sa chemise et à son tour l’attacha tout au fond de la salle. L’envie de prendre la tête de l’homme et de le fracasser contre le mur l’obséda un bref moment. Puis comme si toute sa tête lui revenait, il détala et il sortit de sa cage tel un animal sauvage blessé, pressé de retrouver la liberté de la savane. 


La lumière le guida. 


Marcher. 

Se forcer à marcher coute que coute. 

Prier pour ne plus se faire prendre. 


Un bref examen des lieux lui indiqua qu’il se trouvait surement dans une maison inachevée. Les murs non crépis, et les sols nus de tout carreau confirmèrent son constat. Il lui fallut peu de temps pour sortir du couloir éclairé par une lampe tempête posée par terre. Il marcha vers la porte qui se trouvait au bout du couloir et par pur reflexe regarda derrière lui pour vérifier que l’homme qu’il avait assommé ne s’était pas détaché. Il put respirer plus librement lorsqu’il remarqua que non. Il ouvrit la porte et s’engouffra dans une nuit sans lune. La porte donnait sur une cour arrière où il ne voyait rien à plus d’un pas de lui. La zone ne possédait pas d’éclairage public et les herbes sauvages s’élançaient à hauteur d’homme. Il trébucha et tomba par terre. Tirer l’homme avait vidé les dernières forces qui lui restaient. Mais déterminé, il préféra s’éloigner de cette maudite maison en rampant plutôt que de s’arrêter pour se reposer et risquer de se faire prendre. Il n’y voyait pas grand-chose et n’avait aucune idée de l’endroit où il se dirigeait. Fallait-il hurler et demander de l’aide ? Qui pourrait bien l’entendre se demanda-t-il en luttant pour avancer. Et peut-être qu’hurler allait signaler sa présence. Il ne savait pas à combien était ses ravisseurs. Dans le doute, il décida de garder le silence. 


Il avança comme il put, sans jamais penser à abandonner. Les blessures ouvertes à ses poignets piquaient à chaque centimètres conquis. Le ciel sombre sans lune, comme en deuil de lui, ne lui procura aucune aide.


*

**


Véronique gara à l’entrée de la route menant à la maison de Mathilde. Elle s’étonnait de l’avoir reconnue dans les bas-fonds du quartier lalala, car elle ne l’avait visitée qu’une seule fois depuis qu’elle travaillait pour elle. Pour la première fois depuis que son fils avait disparu, elle se demanda ce qu’elle savait de la vie de son employée. Elle se demanda à quel point il fallait faire confiance à une personne qui dépendait financièrement de votre bon vouloir. Que savait-elle réellement du passé ou des intentions de son employée ? Pas grand-chose. Elle s’était toujours contentée de lui donner son salaire et de gros bonus les jours de fêtes. Mais elle n’avait jamais vraiment fait l’effort de connaitre les détails de sa vie. Elle estimait qu’il y avait une limite en tant qu’employeur à ne pas dépasser au risque de ne plus du tout se faire respecter par Mathilde. 


Elle jeta de nouveau un coup d’œil à la radiographie. Oui, il s’agissait bien d’une fracture en spirale. Elle avait eu un cas similaire dans une de ses affaires de violence conjugale. Et c’était le médecin légiste qui travaillait avec le ministère public qui lui avait appris à reconnaître ce type de fracture. A l’époque le mari avait dit que sa femme était tombée dans les escaliers. Mais en analysant la fracture, le médecin avait remarqué qu’elle ne pouvait être due qu’à une torsion extrême du bras de la femme qui ensuite avait été poussée dans les escaliers. Ses confrères lui avaient dit à l’époque qu’elle ne pourrait le faire condamner car il s’agissait du fils d’un haut dignitaire du pays. Mais elle avait tenu mordicus et avait finalement eu gain de cause en obtenant une lourde condamnation. Malheureusement, moins d’un an après le jugement, la famille avait réussi à faire sortir le mari violent de prison et à l’expatrier au Canada pour une durée indéterminée. 

Jamais elle n’oublierait l’explication qui lui avait permis de gagner le procès. Dans la fracture en spirale ou fracture spiroïde, la ligne de cassure est hélicoïdale par rapport à l'axe de l'os. Il lui avait aussi expliqué que ces fractures se produisaient généralement lorsque l'os avait subi une torsion traumatique. Ce qu’elle en concluait c’était que Mathilde n’était pas tombée. On lui avait tordu le bras avec assez de force pour que cela brise l’os. Il y a quelques jours encore elle claudiquait et expliquait que c’était le chien de Noah qui l’avait fait tomber. Et à peine 24 heures plus tard, elle avait eu le bras cassé. C’était trop d’accident en trop peu de temps. Et si elle ne lui avait pas donné les vraies raisons de ses blessures c’était parce qu’elle dissimulait quelque chose. Un compagnon brutal ? Peut-être. 


Tout ce qu’elle pouvait se dire c’était que depuis qu’elle avait vu cette radio, son instinct c’était mis en mode alarme. Elle ne pouvait pas expliquer précisément pourquoi. Peut-être était-ce encore une fois une fausse piste. Il y en avait eu tellement depuis la disparition de Noah. Mais il lui fallait creuser comme un chien déterre un os encore sanguinolent. C’est-à-dire avec avidité. 


Pour Véronique, mieux valait soupçonner la mauvaise personne que laisser partir le vrai coupable. 


Mais pourquoi Mathilde lui voudrait-elle du mal ? Elle avait du mal à comprendre, à faire un lien entre les récents évènements. Elle aimait Noah comme son propre fils. Véronique voulut appeler Otsiemi. Mais elle se remémora qu’elle n’avait plus de téléphone puisqu’il avait été volé. D’ailleurs, elle ne retrouvait pas l’arme non plus. Devait-elle continuer et se risquer dans cette maison où elle ne savait à quoi s’attendre ? Mais partir chercher de l’aide lorsqu’on n’a aucune idée de ce qui se passe à l’intérieur pouvait être très risqué aussi. Peut-être son fils avait-il besoin d’elle maintenant !!!


Si les personnes étaient armées, que pourrait-elle y faire ? Rien. Mais ce n’était pas une raison pour abandonner Noah. En moins de deux secondes, elle se décida. La rue n’était pas déserte mais un silence glaçant y régnait. Un chien sans race, au pelage miteux abimé par la gale aboya avant de s’arrêter pour se gratter l’oreille avec rage. 

Elle marcha, vérifia dans sa mémoire qu’elle ne se trompait pas de maison et s’approcha de celle dont la barrière était autrefois peinte en vert. Maintenait de la mousse avait proliféré sur les murs cachés parmi de hautes herbes qui n’avaient pas été débroussées depuis belle lurette. Plutôt que d’entrer par le grand portail, elle contourna l’habitation et se rendit dans l’arrière cours qui elle n’était protégée par aucune barrière. L’herbe était pliée à certains endroits comme si quelqu’un s’était faufilé par là dans les heures précédentes. Mais ce qui lui mit le cœur en vrille ce fut les traces de sang sur le sol. Elle ramassa une branche d’un bois noueux par terre pour se donner l’illusion qu’elle pourra se défendre en cas d’attaque et entra par la porte arrière qui était demeurée ouverte. Son cœur battait tellement fort qu’elle avait l’impression qu’il allait finir par réveiller tout le quartier. Le sang pulsait à sa tempe et ses mains  moites serraient le bois à s’en rendre les jointures blanches. 


Elle entra. Parce que son instinct le lui dictait. Quelque chose qu’elle ne pouvait expliquer faisait avancer ses pieds. Quelque chose que d’autres auraient nommé l’instinct maternel. Cette même chose qui faisait en sorte qu’une mère ne pouvait supporter de savoir son enfant en danger et de ne pouvoir rien faire. Elle avait cessé de réfléchir. Parce que réfléchir lui aurait fait penser : « c’est mal ce que tu fais, on n’entre pas dans la maison des gens comme ça. Ce n’est pas parce que c’est ton employée que tu dois faire ce que tu veux. »


Mais l’instinct primait la politesse.  

 

Le couloir éclairé par une lampe tempête n’était pas très accueillant. D’ailleurs toute la maison n’était pas très accueillante. Véronique ne se souvenait pas d’un tel état de délabrement à sa dernière visite. Quand est-ce que les choses s’étaient gâtées par Mathilde ? Elle entendit un bruit de craquement derrière elle et se retourna. Ses yeux s’agrandir d’étonnement avant de se fermer brutalement sous le joug du coup qu’elle avait reçu à la tête. 


Elle s’effondra.


Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle était solidement attachée à une chaise en bois, les bras en croix dans son dos. Une jeune femme lui faisait face, la scrutant avec une telle animosité dans le regard que Véronique détourna un court instant les yeux pour reprendre ses esprits. Elle sut immédiatement de qui il s’agissait, peut-être parce qu’elle avait la même bouche que son père. Mais c’était tout ce qu’elle avait de commun avec lui. Plutôt forte de corpulence, de dos on aurait pu la prendre pour un homme. 

 

— Alors on a bien dormi ? Enfin réveillée ? 


Véronique ne pouvait parler car on lui avait enfoncé un vieux chiffon dans la bouche. Son regard tomba sur le corps inanimé de Mathilde qui baignait dans une mare de sang. Véronique eut un haut le cœur. 


— Elle ne me servait plus à rien. Dès l’instant où tu t’es garée dans le quartier, j’ai compris que tu la soupçonnais de ne pas être si innocente que cela. Ai-je raison ou tort madame le procureur ?

— …

— Oups pardon, tu ne peux pas parler c’est vrai, dit la jeune femme en s’approchant de Véronique un couteau sanglant en main. 


Elle vit le regard de Véronique se poser sur la lame et éclata de rire. 


— Ne t’inquiète pas pour le moment je ne veux pas te faire de mal, je veux juste qu’on parle un peu toi et moi. Si je t’enlève le chiffon de la bouche, j’espère que tu ne vas pas crier. Je ne voudrais pas être obligée de te faire taire en te tranchant la gorge comme à elle, dit-elle en désignant d’un geste de la tête le cadavre de Mathilde.


Véronique hocha la tête et quelques instants plus tard, le chiffon lui fut retiré. 


— Tu es la fille de mon mari ? 

— Perspicace la daronne ! Qui t’en a parlé ? Je pensais être un secret inavouable pour le très célèbre premier ministre Monsieur Ndong. 

— Pourquoi tu fais ça ? 

— Ma raison est toute bête. Tu m’as privé d’un père, d’une famille. Je te rends la monnaie de ta pièce. C’est tout. 

— Où est mon fils ?  

— Il a réussi à se débarrasser du neveu de Mathilde qui le gardait. Pas mal hein pour un fils de pute. 


Véronique compris que tous les mots de la jeune femme étaient destinés à la blesser elle. Sa mâchoire lui faisait mal mais son esprit était en paix à l’idée de savoir Noah hors de danger. Dieu avait écouté ses prières.  

La jeune femme posa sa lame par terre et s’empara d’une petite caméra sur trépied qu’elle rapprocha du visage de Véronique.  Elle alluma aussi un spot qui éclaira le visage de la femme. La jeune femme mis la caméra en marche puis se tourna vers Véronique dont elle saisit le menton un bref instant avant de lui pousser la tête en arrière. 


— Tu es bien plus belle que ma mère. Je comprends pourquoi il t’a choisi au final. 

— Que se passe-t-il ? Quel est ton but  jeune fille? 

— Jeune fille, t’es gonflée ma parole ! tu crois que je suis un des cas sociaux que tu traitais à l’époque ? 

— Non. Mais j’aimerai savoir à quoi rime tout ça ! 

— Trop de questions ! On est en live sur Facebook alors essaie de te calmer d’accord. Dit-elle en lui refourrant violemment le chiffon dans la bouche.


Puis elle se tourna vers la caméra avec son sourire de démente sur les lèvres. Quelque chose n’allait pas dans sa manière de parler, dans l’éclat de son regard. Son débit rapide, sa manière d’avaler les mots avant de les avoir entièrement prononcé, trahissait un esprit saccagé par la tourmente. Alors qu’elle parlait, des larmes roulaient sur ses joues. Des larmes qu’elle ne tentait même pas d’essuyer. Se rendait-elle-même compte qu’elle pleurait.  


— Je vous présente la femme du très parfait premier Ministre de ce pays. L’homme aux mains blanches, l’homme sans tache, le sauveur de la nation, l’idole de toutes les femmes en recherche de mari parfait. Madame Véronique Ndong, ancien procureur converti en femme au foyer, mère d’un fils parfait qui doit bientôt partir pour la Chine faire des études parfaites. Cette femme qui elle aussi se fait passer pour parfaite va être jugée par vous mesdames et messieurs car elle l’a obligée à choisir entre son fils et moi. Oui je suis la fille, comment dit le droit déjà ? La fille naturelle de Monsieur Ndong. Il a préféré protéger son statut plutôt que de prendre soin de moi, moi qui n’ait même pas demandé à venir au monde. Ma mère est morte et il n’a même pas daigné assister à son enterrement, parce que cette femme l’en a empêché. Vous étiez là, à vous faire passer aux yeux des gabonais pour la famille parfaite alors que vous êtes sans cœur ! Je veux que tout le Gabon sache qui vous êtes vraiment. Je veux que justice soit faite ! 


Elle sortit un téléphone portable de la poche de son jean et pianota rapidement sur l’écran.  


— Ohhhh, on a un premier commentaire c’est chouette hein. Je vais le lire à haute voix. Si elle t’a réellement empêchée de voir ton père ce n’est qu’une sale garce. 


Elle tourna l’écran du téléphone vers Véronique pour qu’elle puisse d’elle-même lire le commentaire. Véronique savait qu’elle ne trouverait aucun soutien sur les réseaux sociaux. Car c’était l’endroit par excellence où les gens déversaient leur haine et se permettait de juger des inconnus sans jamais se soucier des conséquences de leurs mots. Affolée elle tenta de tirer sur ses liens. Sans succès ! Les gens qui se permettaient de commenter cette vidéo se rendaient-ils vraiment compte de ce qui se passait ? Elle essaya de hurler, de bouger la tête pour lui faire comprendre qu’elle n’allait pas se laisser faire. 


— Je vais être magnanime et te laisser parler pour te défendre, dit-elle en lui retirant encore une fois le chiffon de la bouche. Oh, regarde, nous sommes maintenant à 1 000 spectateurs.  N’est-ce pas excitant ? 

— Je ne savais rien de toi. Rien. 

— Menteuse. Regarde les commentaires, tout le monde sait que tu es une menteuse ! 


De nouveaux commentaires apparurent, éclatant en bulles létales sur l’écran : 

« Les femmes sont toujours comme ça. Dès qu’elles apprennent que le mari à un autre enfant, elles deviennent des sorcières pour cet enfant. Pitoyable. »

« Tchouo ! Elle qui n’a eu qu’un seul enfant, elle ne pouvait pas récupérer l’enfant de son mari pour l’élever ? Quand on a le mauvais cœur c’est comme ça que ça finit. »

« Je dis hein, ce sont des acteurs d’un film ou ça se passe en vrai ? »

« La femme-là ressemble quand même beaucoup à la femme du premier ministre hein. Mais je n’en suis pas sûr, je ne la connais pas très bien. Peut-être qu’ils ont pris une actrice qui lui ressemble »

« Mais qu’est-ce qui se passe, je ne comprends rien à cette vidéo. Quelqu’un peut m’expliquer.»

« Apparemment la petite règle ses comptes avec la mater »


— Tu veux que des gens me condamnent mais tu ne leur dis pas ce que tu as fait, dit Véronique en pointant du menton le cadavre de Mathilde. 

— Elle et ses neveux n’ont eu que ce qu’ils méritaient. Je leur ai fait croire que mon but était de prendre autant d’argent que possible. Et ils ont accepté de m’aider. Mathilde passait son temps à se plaindre de tout cet argent que ton mari brassait et de son salaire qui ne lui permettait même pas de rénover sa maison. 

— Elle ne m’a jamais rien dit. 

— En tout cas, elle radotait devant ses neveux qu’elle élevait.

— Elle était payée à 250 000, tenta de se justifier Véronique. Bien au-dessus de ce que perçoivent d’autres ménagères ailleurs. Sans compter les prêts dont je n’ai jamais exigé les remboursements. Je l’ai assurée, je payais ses congés et parfois même les contributions qu’elle devait donner aux diverses fêtes familiales. Que devais-je faire de plus ?  

— On s’en fout si tu la payais bien. J’ai convaincu ses stupides neveux de m’aider et ils ont accepté pensant qu’on allait exiger une rançon après avoir enlevé ton fils. Au début elle était d’accord la vieille Mathilde, puis quand on a commencé à tabasser Noah, elle a regretté son choix. Mais je lui ai fait comprendre qu’il était trop tard pour reculer et je l’ai fait frapper par ses propres neveux. L’argent révèle souvent la vraie nature des gens, mais ça tu le sais surement mieux que moi. Je lui ai fait comprendre que nous dénoncer revenait à se pendre elle-même car elle serait accusée de complicité et que jamais vous ne la laisseriez sortir de prison. 

— Tu es folle ma petite. 

— Non. Je voulais que tu souffres comme maman avait souffert et que lui aussi souffre comme j’ai souffert. Mais un des garçons a commencé à se rebeller et j’ai dû me débarrasser de lui. Je crois qu’on a retrouvé son corps. Et ce soir ça a été le tour de l’autre garçon parce qu’il a laissé ton fils s’échapper mais comme Dieu est bon, toi tu t’es livrée à moi. 


Véronique sut que la jeune femme face à elle avait perdu l’esprit. Comment pouvait-elle mêler Dieu à ses plans diaboliques ?


— Pourquoi me regardes-tu comme si ce que je dis est insensé ? Regarde, il y a maintenant 10 000 personnes qui nous regarde. C’est chouette. 

— Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi n’as-tu pas tenté de parler à ton père, de lui expliquer à quel point son choix t’avait fait du mal ?


La main de la jeune femme s’abattit sur la joue de Véronique. 


— Je ne suis pas stupide ! hurla-t-elle. J’ai essayé mais il n’a jamais accepté de rentrer en contact avec moi.  Alors je me suis décidée à tenter le tout pour le tout et je suis rentré du Ghana sans rien dire à personne. Je l’ai suivi. Il déjeunait seul à une table dans un restau sans prétention au quartier Louis.  Sans lui demander la permission, je me suis assise à sa table. Et son fils est apparu. Et il m’a prise pour une jeune femme que son père courtisait, une maitresse. Et papa pensait que j’étais une fille envoyée par l’opposition pour lui tendre une embuscade en l’entrainant peut-être dans une chambre d’hôtel pour le filmer en plein ébat comme ça se fait de plus en plus aujourd’hui. C’est dégoutant qu’un père puisse penser cela de sa propre fille parce qu’il ne la connait pas. 

— Je suis désolée que les choses se soient passées ainsi. 


Elle lui asséna une autre gifle. 


— Si tu étais vraiment désolée, tu aurais accepté qu’il fasse parti de ma vie. 

— Encore une fois, je ne savais absolument rien de toi. 

— Tu mens. C’est tout ce que vous savez tous faire ! Mentir. J’ai senti quelque chose se briser en moi. Par ta faute, mon père ne me reconnaissait même pas.  


C’était donc de cette rencontre que Noah voulait lui parler quand il lui avait demandé pourquoi elle pensait que son père était toujours blanc comme neige. Il avait cru que Patrick avait commencé à la tromper avec plus jeune qu’elle.  


A nouveau la fille de Patrick ramassa la longue lame dont le sang avait séché, se transformant en matière visqueuse d’un rouge sombre sur le métal. La jeune femme, consulta son écran.


« On ne dirait pas un film hein. Ca a l’air trop vrai, en plus c’est en direct. Je crois qu’il faut prévenir la police.» 


— Les internautes vont voter et décidé de ton sort.  Ils vont me rendre justice. 

— J’ai été procureur de cette république et crois-moi, ton simulacre de justice ne tient pas debout. Tu es perturbée et tu dois te faire soigner. Je comprends que ton histoire t’a traumatisée mais crois-moi, tu n’es ni la première ni la dernière à devoir vivre sans son père et au lieu d’en faire une force, tu as laissé ta colère te transformer en meurtrière. Il parait que tu aimes le droit. Et bien aux yeux de la loi, je ne serai jamais responsable des turpitudes de mon mari mais crois moi, toi tu paieras le mal que tu as fait. 

— Parle tu m’intéresses. 

— L’important pour moi c’est que mon fils soit sauf. S’il a pu s’échapper qu’importe ce que ton esprit malade fera ici et maintenant. 

— Tout ce que je veux c’est que mon père me voit et cesse de m’ignorer. Je veux qu’il me parle à moi aussi comme il parlait à son fils. Et une fois que tu seras morte, il sera bien obligé de parler à celle qui aura tué… sa femme dit-elle en levant des deux mains le couteau très haut au-dessus de sa tête, prête à le planter dans le corps de Véronique.  


La minute, cette unique minute où tout allait basculer, se décomposa en lentes secondes qui à leur tour se scindèrent en millièmes de secondes. Véronique par pur réflexe ferma les yeux comme dans un espoir fou de pouvoir arrêter le temps, éviter la mort par ce simple geste. Malgré tout, elle eut l’impression de sentir la lame fendre l’atmosphère de la pièce et partager le monde en deux parties d’égale importance. Le monde des vivants et celui des morts qu’elle allait bientôt rejoindre. 


Mais au lieu de sentir la lame perforer sa poitrine et la vider de son sang, ce fut une détonation qui coupa son souffle. Un gong qui peut-être célébrait son entrée dans le royaume des morts. Pourquoi ne ressentait-elle aucune douleur ? Alors elle ouvrit les yeux et vit, la jeune femme morte par terre tandis que son fils serrait de ses deux mais tremblantes, une arme qu’elle n’était pas prête d’oublier. Celle de son père.    


*

**


Bien plus tard tandis que la police emmenait les corps à Casepga, Véronique serrait une nouvelle fois son fils dans ses bras empêchant les médecins du Samu de prendre soin de lui. 


— Mais pourquoi es-tu revenu ? 

— Maman j’ai rampé dans les hautes herbes sans savoir où j’allais et tu sais ce qui s’est passé ? 

— Non, mon bébé, raconte. 

— Je me suis retrouvé à l’entrée de la ruelle, devant ta voiture alors que j’étais persuadé d’aller dans l’autre sens. Et j’ai compris que tu ne m’avais pas abandonné, que tu as continué de me chercher et que tu étais surement chez mes ravisseurs. Combien de chance il y avait-il pour que je tombe sur ta voiture et qu’elle soit restée déverrouillée ? 

— Très peu j’avoue.

— J’ai fouillé à la recherche de mon vieux téléphone que j’avais abandonné sous le fauteuil passager avant. Et je l’ai trouvé maman, avec une arme. Le téléphone s’est allumé comme par miracle alors que j’étais persuadé qu’il serait complètement déchargé. 


Véronique ne cessait d’essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues creusées par la fatigue. 


— Et j’ai appelé papa. Je suis tombé sur sa boite vocale mais j’ai laissé un message. Et je me suis dit qu’il fallait que je redescende vers toi, que je n’avais pas le temps d’attendre qu’il vienne t’aider avec ses gardes du corps. Et j’ai bien fait la mater. J’ai bien fait. 


Ils se rendaient tous les deux compte de la chance inestimable qu’ils avaient eu. Une seconde de plus et elle ne serait plus de ce monde.  Malgré ses poignées bandées, il serra encore sa mère dans ses bras, remerciant Dieu de s »’en être sorti pour pouvoir encore le faire. 


— Mon bébé je sais que tu viens de vivre des choses difficiles mais il faut qu’on parle de ton père.

— Qui était cette fille maman ? Sa maitresse ? Vous allez divorcer ? 

— Je… C’est compliqué Noah. Ton père et moi … 


Véronique ravala les mots qu’elle voulait prononcer lorsque la silhouette de son mari se découpa dans la lumière des phares de voiture de police. Il s’approcha d’eux suivit par ses deux gardes du corps et fit signe aux gens des alentours de les laisser un peu seuls. Gardes du corps et médecins s’éloignèrent un bref moment. 


Patrick Ndong s’arma de courage et serra son fils et sa femme dans ses bras à son tour. 


— Je suis désolé. Vraiment désolé.


La mater acquiesça et compris qu’un divorce n’était plus à l’ordre du jour. Ils allaient devoir effacer le tableau des fautes pour y écrire le mot « pardon » des milliers de fois. Elle prit la main de son mari et lui demanda de l’accompagner. Elle le mena au corps sans vie de sa fille dont elle découvrit la partie supérieure. Elle prit la main de la petite et la joignit à celle de Patrick. 


— C’était tout ce qu’elle voulait. Avoir un père. La famille c’est ce qu’il y a de plus important de la vie Ndong.

La Mater