Chapitre 8

Ecrit par leilaji

La Mater

Episode 8


Un silence glacial s’abattit sur eux. Des dizaines d’années d’amitié s’effritaient devant leurs yeux comme un vieux monument rongé par les mites. Des pensées obscures se bousculaient dans chacun en vagues plus violentes les unes que les autres. Ils savaient tous trois qu’il ne fallait plus qu’un dernier violent coup sur la barrière des non-dits pour qu’elle vole en éclats. Ils prirent le temps d’absorber la distance qu’avait désormais installé entre eux le malheur qui avait frappé Noah. 


Noah, où était-il ? Que lui avait-on fait ? Pourquoi ne le retrouvait-on pas ? Véronique ne cessait de se poser la question. Le Gabon était un tout petit pays dans lequel tout le monde connaissait tout le monde. On ne pouvait faire un pas sans rencontrer un membre de sa famille, même éloigné. Alors comment se faisait-il que le fils d’un premier ministre puisse disparaitre sans être retrouvé par la brigade de recherche ? Cela faisait maintenant plus de 48 heures qu’il avait disparu. Sans laisser de trace. Pourquoi n’avait-on pas tout simplement décidé de rendre publique la nouvelle afin de faire avancer l’enquête ? 

Il n’y avait qu’une seule réponse claire, une réponse qui tordait les boyaux à Véronique, une réponse du quartier comme elle l’aurait dit à un justiciable apeuré. Il fallait envisager que c’était à la demande de ce même premier ministre que l’enfant avait disparu. Il ne pouvait en être autrement. Vendre les liens du sang pour acquérir plus de pouvoir n’était pas une légende urbaine au Gabon, mais une réalité quotidienne pour certains. Mille fois elle avait entendu des histoires d’horreur de ce genre. Et selon elle, seules des personnes en manque d’éducation pouvaient se résoudre à de telles abominations. Mais jamais elle n’aurait parié que cela aurait pu la concerner d’aussi près un jour. 


Si elle avait su plus tôt, que Noah n’était pas le fils de Ndong, est-ce que ça aurait pu le sauver ? Son fils avait pourtant tiré l’alarme le jour de sa disparition. Il avait tenté d’ouvrir les yeux à sa mère, lui faire comprendre que son père, n’était pas parfait. Avait-il soupçonné le pire ? Comment aurait-elle pu deviner… Se poser mille questions et n’obtenir aucune réponse était devenu une torture journalière. Comment un seul désastre pouvait-il effacer d’un coup de gomme, toutes ces années de bonheur écrites à trois mains ? Elle, sa meilleure amie et le meilleur mari du monde n’était qu’une fable. Un conte pour petite fille. 


Le silence s’éternisait, tirait sur toutes les petites longueurs possibles les figeant chacun dans sa position initiale. L’arme sur le cœur de Patrick, les yeux de Véronique posés sur son amie et cette dernière observant la moindre réaction de l’homme. 


Patrick se rendit soudainement compte qu’il s’était tellement engoncé dans la position de celui qui devait défendre ses secrets qu’il n’avait pas analysé ce que lui disait sa femme. Ce qu’elle avouait sans vraiment l’avouer. Les mots avaient ricoché sur lui sans jamais le pénétrer. Mais ils avaient fini par lui coller à la peau et par s’infiltrer en lui petit à petit par tous les pores. À présent, ils tourbillonnaient dans sa tête lui causant un léger vertige. Il en digérait le sens, seconde après seconde. Et si son esprit avait compris les insinuations, son cœur lui se débattait, refusait toute capitulation. Un souvenir amer lui revint en mémoire. Un souvenir enfoui qui concernait sa famille et ce que sa mère lui avait toujours dit en tout temps, en langue vernaculaire pour que les mots s’imprègnent bien en lui. 


— Les études t’ont fait du mal et tu es toujours si droit dans tes bottes.  Prends plusieurs femmes, pourquoi t’attacher à une seule. Nous avons vécu la polygamie, nous n’en sommes pas mortes. Pourquoi changer l’ancien pour faire ce que le blanc veut ? Il te faut plusieurs enfants de plusieurs femmes. On ne met pas tous ses œufs dans un même panier mon fils.


Son cœur se mit à battre la chamade, rythmant de manière désordonnée les mouvements de sa large poitrine. Il réalisa enfin ce qu’elle tentait de lui avouer, à demi-mot. Il avala sa salive et ferma les yeux. 


— Véronique, j’ai tout donné à Noah. Tout. J’ai tout sacrifié pour lui et toi. Il n’y a jamais eu que lui et toi. Il est mon héritier. La chair de ma chair… N’est-ce pas ? 


Les yeux de Véronique se remplirent si vite de larmes qu’ils prirent Stella, qui désormais s’était tournée vers elle, au dépourvu. La main qui tenait l’arme s’abaissait petit à petit, comme si chaque mot prononcé par Patrick l’alourdissait. Stella n’osait croire ce nouveau secret qui éclatait devant elle. Pourquoi le ciel la condamnait-elle à assister à la déchéance de ce couple ? 


— Il. Est. Mon. Héritier. N’est-ce pas ? demanda Patrick d’une voix d’outre-tombe.

— Patrick... 

— Ne dis pas Patrick. Je connais mon nom, je n’ai pas besoin de l’entendre dans ta bouche. Tout ce que tu dois dire c’est : oui. Un oui franc et sincère lorsque je te parle de notre fils, Noah. Car il s’agit bien de notre fils n’est-ce pas ? 


L’amie intime tressaillit. Etait-ce réellement ce qu’avait voulu dire Véronique ? Son attitude prêtait certes à confusion mais elle n’avait rien proféré de condamnable. Ce n’était pas le genre de Véronique de ne pas assumer ses erreurs. Elle ne pouvait avoir trompé Patrick à ce point-là pendant toutes ces années, tenta de se convaincre Stella. 


Mais ces larmes qui roulaient sur ses joues creusées par l’inquiétude d’une mère étaient des aveux silencieux. Stella se retint de crier. Elle savait toute la vérité sur Patrick. Elle comprit l’immense douleur qui le traversait en ce moment. Le canon de l’arme se détacha de lui. La main de Véronique se baissa complètement en signe de reddition. La culpabilité venait de changer de camps.  


— Oh mon Dieu, murmura Stella. 

— Je … ne le savais pas. Je ne … je te le jure… sur la tête de Noah… je l’ai appris … que maintenant… je n’avais aucune … idée…


La gifle s’abattit sur sa joue d’une violence inouïe, déviant le visage, vrillant le tympan, faisant briller des étoiles sous la paupière, brisant le respect, annihilant des années d’un amour éclatant.  

Stella n’y tenant plus, oubliant sa peur à son tour s’immisça entre les deux époux qu’elle sépara en les tenant chacun à bout de doigt.


— Tu es devenu fou Patrick ? 

— Frappe encore si tu veux… Frappe autant que tu veux. C’est impardonnable, je le sais. Je l’accepte, cracha Véronique en essuyant la goutte de sang qui perla sur sa lèvre fendue. Mais si tu ne me dis pas où es mon fils, tu ne sortiras pas vivant de cette pièce.


En quelques minutes, de larges cernes s’étaient dessinées sur le visage du Premier Ministre. Ses cheveux avaient comme blanchi instantanément. Toute cette bonne fortune qu’il pensait tenir dans la paume de sa main en la personne de son fils et de sa femme si dévouée, lui avait filé entre les doigts comme du sable trop fin.  


— Toi tu sais ce que j’ai fait pour elle, réussit-il à dire du bout des lèvres sans cesser de regarder Stella. Et aujourd’hui… tu entends…

— Je suis vraiment désolée pour toi Patrick, affirma Stella.

— C’est elle que tu veux maintenant n’est-ce pas ? intervint Véronique. Prends-la et rends-moi Noah. Demain on sera parti de chez toi…


Stella qui se souvint que Véronique ne savait toujours pas ce qui la liait à son mari, se décida à asséner la vérité nue, pour que Véronique cesse de divaguer. Il était temps de tout se dire. L’intérêt de l’enfant toujours introuvable tandis que ces deux parents se déchiraient était en jeu. 


— Quand vous êtes tombés amoureux l’un de l’autre, tu étais encore dans ta relation toxique avec Otsiemi. Au final, tu as choisi Ndong en découvrant que tu étais enceinte.

— Où est le rapport avec maintenant ? Avec toi ? 

— Il ne te trompe pas avec moi. Comment as-tu pu un seul instant l’imaginer ! Tu es la seule amie qui m’est restée malgré les années. Tu es ma seule vraie famille, celle que je peux appeler à n’importe quelle heure quand je suis malade, celle à qui je dis tous mes secrets… Tu es ma sœur. Il t’aime. Plus que tout. On ne s’est pas joué de toi Véronique.  Je sais que ton entourage te l’a souvent soufflé. Tes copines te disaient de te méfier de moi, je le sais. Mais je ne t’ai jamais trahie. Pas ainsi en tout cas. 

— Pourtant tu as des secrets pour moi Stella. L’argent, la boite ? 

— Je ne protégeais pas mon secret mais celui de ton mari. Je protégeais ton bonheur. 

— Je ne comprends rien à ce que tu me dis, hurla Véronique. Mon fils a disparu tu comprends ? Et je ne sais pas s’il va bien, s’il est vivant ou mort. Et pourtant vous êtes là tous les deux à me cacher des choses dont je n’ai plus rien à foutre ! A me faire tourner en bourrique ! Tu crois que cela m’a plu après autant d’années auprès d’un homme que j’aime comme personne, de lui avouer que son fils, la prunelle de ses yeux n’est pas… de lui ? Non. J’aurai souhaité avoir du temps. M’expliquer. Tenter de  réparer les dégâts. Mais je ne le peux pas. Noah est à ce jour introuvable. Je n’ai pas le temps de jouer à : « devine ce que j’ai fait ! »  

— Je comprends.

— Alors parle ! Où va-t’en !


Stella ferma les yeux. Elle gardait ce secret depuis tellement longtemps qu’elle avait l’impression qu’il était devenu le sien. Le visage défait de Patrick, lui fit comprendre qu’il ne l’interromprait plus. 


— Tu te rappelles de la période après l’accouchement où tu as rejeté Patrick ? 

— Je faisais une dépression post partum… J’avais l’impression de ne pas être à la hauteur de la tâche de mère. C’était difficile de jongler avec le boulot, l’enfant, le mariage, la famille, la politique… 

— Oui mais à l’époque on ne savait pas de quoi il s’agissait exactement et lui tout ce qu’il a compris c’est que tu ne voulais plus de lui. 

— C’était totalement faux ! se défendit Véronique sans trop savoir où devait la mener cette conversation.   

— J’ai eu une aventure et de cette aventure est né une fille, débita Patrick Ndong d’un ton morne. La mère du garçon est morte. Elle était guinéenne. Je me suis repris en main par la suite mais...


Véronique le regardait sans vraiment comprendre. Elle avait pourtant bien entendu les mots : aventure, fille, morte. Mais elle n’arrivait pas lier ses mots entre eux pour leur donner un sens. Pour combler le silence, Stella repris la parole. 

 

— Au final vous avez pu surmonter ta dépression mais le mal était déjà fait. Il savait que t’avouer sa faiblesse… 

— Oh mon Dieu !

— Véronique, je te connais et lui aussi. Après tous les sacrifices que tu avais fait pour lui… 

— Je l’aurai quitté sur le champ… murmura Véronique plus pour elle-même que pour son amie.

— Vous étiez heureux. Il t’aimait et te rendait heureuse. Mais son honneur lui dictait de ne pas abandonner l’enfant qui s’est retrouvé orphelin. Alors j’ai accepté de jouer les intermédiaires pour que le secret soit gardé et que tu ne sois pas mise au courant. Je ne me suis peut-être jamais mariée mais ça ne veut pas dire que je n’ai jamais envié le bonheur que tu vivais avec lui. Et j’ai estimé que c’était mon devoir de t’empêcher de faire cette erreur. C’était ma manière à moi de protéger le bonheur que tu construisais avec lui… Et j’ai eu raison. N’as-tu pas été heureuse toutes ces années ? 


Alors c’était de là que provenait la douleur de Patrick ? se demanda Véronique. Comme si le destin lui avait joué un mauvais tour. Il avait rejeté son propre sang pour élever le fils d’un autre. Et elle qui pensait avoir l’homme parfait, avait été trompée et ce depuis des années. De cette aventure était né une fille ! Combien de fois Stella l’avait-elle entendu vanter la fidélité de Ndong. Elle avait dû bien en rire ! 


A présent les mots de Noah prenaient tout leur sens. Son fils avait-il malgré toutes les ruses utilisées par son père, eut vent de ce qu’il avait fait. Etait-ce pour cela qu’ils s’étaient disputés. Mais cela ne faisait que donner un mobile supplémentaire à Ndong de se débarrasser de ce fils devenu gênant. 


— Tu n’avais pas à faire ce choix pour moi Stella. 

— Ai-je eu tort ? A part cette période sombre, as-tu jamais eu à te plaindre de lui ? De l’amour qu’il t’a voué ? Sois moins égoïste Véronique. Te rends-tu compte que lorsqu’il lui a fallu faire un choix entre toi et son propre enfant c’est toi qu’il a choisi ?

— Parce que tu crois sincèrement que c’est pour me protéger qu’il s’est tu ? Me protéger ? Ou se protéger lui-même ? Garder aux yeux de tous, cette stature de mari parfait !


Un bruit de gorge interrompit leur dispute. Elles se tournèrent toutes les deux vers Patrick. Il s’était assis. La tête baissée entre les mains, les jambes largement écartées, il tentait de pleurer en silence. Mais échouait lamentablement à retenir sa douleur. On aurait dit un animal blessé qui se recroquevillait sur lui-même pour mourir en paix. 


— Comment ça se passait ? demanda Véronique pour détourner sa pensée de cette image qui s’était collée sur sa rétine. 


Patrick Ndong, l’homme qu’elle aimait plus qu’elle-même avait mal, mal à en mourir et c’était de sa faute à elle.  


— L’argent qu’il me donnait servait à la fillette. A son éducation, sa santé, lui donner tout ce dont un enfant a besoin…

— Tout ce dont un enfant a besoin sauf un père et une mère ?

— Elle aurait pu avoir encore moins que cela. Ce n’est pas à toi que je vais apprendre qu’on n’a pas tous les mêmes chances dans la vie. 

— Comment ça se fait que je n’ai jamais su ? 

— Oh, tu te rappelles de mes amants de passage que tu n’as jamais rencontré ? Ce n’était pas toujours vrai. Parfois c’était la fillette qui était malade et dont il fallait s’occuper. Alors j’inventais un rendez-vous amoureux pour que tu ne me poses pas trop de questions.

— Et tu as fait tout cela par bonté d’âme c’est ça ? 

— Crois-moi ou non ma chérie, ce n’est pas parce que je n’ai jamais accouché que ça veut dire que je suis dépourvue de tout sentiment maternel envers un enfant. La petite était innocente dans l’histoire. Elle n’a rien demandé à personne. Elle ne méritait pas d’être complètement abandonnée. 


Véronique passa outre le ton de reproche tapi dans l’intonation de Stella. En étaient-elles arrivées à se juger ? 


— Où est-elle en ce moment ? 

— En formation au Ghana. Elle est douée et s’accroche à ses études. Elle veut devenir avocate. Comme son père. Je ne lui ai pourtant jamais dit qui il était, ni la femme que je paie pour la garder au quotidien mais elle s’est naturellement tournée vers le droit. Je crois que dans ces choses-là, le sang ne ment pas. 

— Comment s’appelle-t-elle ? 

— Véronique ! As-tu réellement besoin de savoir tout ça maintenant ? 


Véronique s’assit à son tour. Revenir à la case départ était douloureux, après avoir eu l’impression de pouvoir enfin pointer du doigt le coupable. Si ce qu’avait dit Stella était vrai, qu’il n’y avait pas d’aventure entre eux, qu’elle ne voulait pas prendre sa place alors… elle naviguait toujours à vue, sans carte précise. 


Que pouvait-elle faire de plus ? Qui pouvait-elle encore soupçonner ? Le bon Dieu ? 


Le téléphone de Patrick sonna. Depuis qu’il l’avait acheté, il n’en avait jamais changé la sonnerie originale trop vieux jeu pour se prêter au jeu. Il ne décrocha pas perdu dans ses pensées amères. Stella s’approcha de lui et prit l’appel. Au fur et à mesure que la conversation avançait, ses yeux s’écarquillèrent puis elle hocha la tête plusieurs fois avant de raccrocher.


— C’est la DGR. Ils ont retrouvé le corps d’un homme qui correspond à la description que tu as faite du peintre qui était rentré illégalement chez vous. Tu t’en souviens ? 

— Oui… Comment l’oublier ? Qu’ont-ils dit exactement ? 

— Il a été retrouvé la gorge tranchée. On a jeté son corps aux rails. A Owendo. 


Le cœur de Véronique manqua un battement. Ca y est, il commence à effacer toute trace des personnes liées à l’affaire se dit-elle percluse de peur. Si jamais Noah était encore en vie, ses heures étaient désormais comptées.


— Comment ont-ils su qu’il s’agissait de lui…

— Ils n’en sont pas sûrs à 100%. Il y a de fortes chances. Il portait encore les mêmes vêtements. Tu veux que je t’y accompagne ? 

— Non. Tu en as assez fait. On va y aller tous les deux.   

— D’accord comme tu voudras. N’oublie pas les radiographies de ta ménagère surtout. 


Stella ramassa ses affaires et se rapprocha de Véronique. Elle voulait la prendre dans ses bras, pour la rassurer, lui faire comprendre qu’elle serait toujours de son côté. Mais maintenant, elle avait l’impression que plus rien ne serait comme avant et que Véronique ne considérerait plus jamais ses gestes d’attention comme preuve qu’elle avait toujours été de son côté. 


Elle partit sans rien dire. 


Véronique posa son arme sur la table basse. Le bruit du métal qui cogne le verre sortit Patrick de sa léthargie. 


— Il faut qu’on y aille. Ils ont peut-être des informations qui peuvent nous aider.

— Nous ? De quel nous parles-tu ? Il n’y a pas de nous, pas de Noah, il n’y a plus rien. Rien qui ne vaille la peine de se battre. 


S’il avait s’agit de quelqu’un d’autres, Véronique aurait ricané, lasse de ce combat perdu d’avance. Mais avec Patrick, elle avait mené les plus grandes batailles de sa vie. 


— Tu ne peux pas dire ça… Tu l’as élevé, tu lui as appris à lire, à pédaler, à jouer au foot et même à séduire. Tu es son père, tu ne peux pas me dire ça.


Patrick se leva, chancela légèrement sur ses jambes comme un nouveau-né. A voir son visage, Véronique se demanda si ceux qui avaient perdu des guerres avaient cette même mine grave, ce même regard éteint.  


— Oui j’étais son père. Le père bienveillant et compatissant qui méritait tous les éloges. Jusqu’à il y a quelques heures quand tu as décidé de m’accuser de l’avoir tué pour acquérir plus de pouvoir. J’étais son père jusqu’à ce que tu décides que l’homme qui a consacré sa vie à t’aimer et à l’éduquer méritait une balle si jamais il ne te révélait pas où se trouvait ton fils dont lui-même pleurait la disparition. 


Il prit son téléphone et rappela les agents de la Direction Générale de Recherche en charge du dossier depuis le signalement de la disparition de Noah. Ils échangèrent quelques civilités avant qu’il n’en vienne au but de son appel :


— Désormais vous voudrez bien transmettre à Madame Ndong  et seulement à elle, toute nouvelle information concernant la disparition de SON fils. 


Il raccrocha juste après cet ordre. 


— Je te laisse une heure pour quitter cette maison. 

— Patrick.

— Prends tout ce qu’il te semblera juste de prendre et pour ce que tu ne pourras emporter toi-même, laisse une liste sur la table basse. Je te ferai parvenir les effets qui s’y trouveront dans trois jours au plus tard.  


Et il quitta la pièce. Sans se retourner. 


*

**


Malgré les lumières des bars insomniaques et les éclairages artificiels citadins, Véronique avait l’impression d’avancer dans un long tunnel sombre sans fin.  Elle se dirigeait tout droit vers le QG de la DGR, les larmes aux yeux et les mains bien accrochées au volant de sa voiture. Elle ne savait pas où se trouvaient les bureaux alors elle écoutait attentivement les indications que crachait le téléphone mis sous hautparleur. 

La voiture aurait pu déménager une vie. Mais elle ne contenait presque rien. Elle n’avait absolument rien pris avec elle, à part son sac, une bouteille d’eau et les radiographies de sa ménagère qu’elle ne voulait pas faire refaire par Stella si elle les abandonnait sur place. Elle s’arrêta à un des feux tricolores de STFO sans prêter attention aux ombres furtives qui surgirent des buissons mal taillées.


Sortie précipitamment de chez elle, elle n’avait pas pensé à bloquer ses portières. En moins d’une demi-minute, elles furent ouvertes par trois jeunes hommes à la mine patibulaire. Ils menacèrent Véronique avec une machette mal aiguisée et la dépouillèrent de tout ce qui leur semblait avoir de la valeur dans la voiture. Ce dont ils ne voulaient pas fut dispersé sur la chaussée pour empêcher toute tentative de poursuite. C’est le cœur battant la chamade d’avoir échappée saine et sauve à une agression, l’esprit vide de tout instinct de fuite, que Véronique ramassa sa bouteille d’eau ainsi que les radios. Peut-être que si elle avait encore toute sa tête, elle se serait dépêchée de quitter les lieux avant de subir pire qu’un vol mais sa vie désormais sans dessus dessous l’empêchait de réfléchir posément.  Deux des radios étaient tombées dans une flaque d’eau sale. Elle les ramassa et visualisa à la lumière de la lune pour se rassurer qu’elles n’avaient pas été abimées. 


Ce qu’elle y vit éclaira son esprit avec une telle clarté qu’elle tituba jusqu’à s’adosser à sa voiture. Les radios lui tombèrent des mains. Ce fut comme un électrochoc. Elle remonta dans sa voiture, démarra en trombe, fit un dérapage contrôlé et changea complètement de direction. 


Tout ça n’avait que trop duré. 


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