Fais A-TTEN-TION !

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre III


-Ketsia, ce que je suis en train de te dire, ce n’est pas pour t’emmerder mais pour te protéger. Tu es ma fille et je tiens à toi. Là où tu t’en vas, tu vas être confrontée à de nouvelles réalités. Le pays ce n’est pas la France, la mentalité est différente à un niveau que tu n’imagines même pas et les hommes…. Hum. Tu es une très belle femme donc tu peux être certaine que tu seras draguée de toute part, d’autant plus que tu viens de France. Pour les hommes là-bas, c’est comme si tu représentais le saint GRAAL, alors ma fille FAIS A-TTEN-TION, FAIS A-TTEN-TION. Ne te laisse SURTOUT pas avoir par les propos mielleux des hommes qui te courront après. Parce que je peux t’assurer que le gôut mielleux laisse place à un goût amer une fois qu’ils ont eu ce qu’ils voulaient. Ils te sortent un baratin pour t’avoir, vont te manipuler de façon experte sans que tu ne t'en rendes compte jusqu'au moment où tu seras laissée comme une vieille paire de sandales. Je sais de quoi je parle. Les hommes…..

-...Tu les connais, et si tu devais écrire un livre sur eux, tu n’aurais pas assez de quatre tomes pour ne serait-ce qu’écrire l’introduction. Je sais ma-man. Complété-je en soupirant avant de lever les yeux au ciel.


C’est dingue, quand ma mère parle des hommes, c’est pour tenir des propos pas très élogieux. Un peu comme les femmes goubestinées* - mais il parait qu'on dit krikri-massa* quand le niveau du chagrin d'amour, le goumin, est élevé. Elle est clairement misandre et si elle ne s’était pas mariée quatre fois, et avait pas eu trois enfants, j’aurais probablement eu de sérieux doutes concernant son orientation sexuelle. Quoique, les doutes peuvent toujours être d’actualité.

Ma mère lesbienne?


Je coule un regard vers elle est contemple son profil...NAAAAAN ! Impossible.


-Oui je les connais et je peux te faire part de mon analyse. J’ai beaucoup souffert en amour et je ne veux pas que tu connaisses ça. Moi j’étais d’une génération où les hommes mêmes matcho avec un certain respect de la femme, mais vous ! Ta génération est hypersexualisée, les médias utilisent, comme si c’était normal, le sexe pour vous vendre des produits. Il n’y a plus de respects des valeurs et des moeurs. L'exception est devenue la règle, et ce qui provoquaient un tollé autrefois et devenu un usage banalisé aujourd'hui, et moi j’ai peur ! Peur pour votre génération et celle qui suit.


Et c’est parti pour un rappel de l’histoire, de SON HISTOIRE. Ça va être long, très long alors lentement,  je détourne mon regard vers la vitre pour regarder ce qui “normalement” devrait être pour moi, mes derniers giboulées de Mars, tout en me dirigeant vers l’aéroport.

Parce que ça y est, on y est: JE ME CASSE DE LA FRANCE !


Je suis super excitée, même si là, tout de suite ça ne se voit pas. Normal, la présence de ma mère m’oblige à intérioriser ma joie. Je la laisse seule, pour aller vivre avec mon père, et ce serait méchant de lui montrer que ça me réjouit plus qu’autre chose.


-Ketsia, tu m’écoutes ?

-Humm….Oui maman, je t’écoute.


Et ce que j’ai d’ailleurs le choix ? Pas vraiment, on est dans sa voiture.


-Ne te laisse pas avoir par le physique et encore moins par les paroles !

Non mais je le sais j'ai envie de lui répondre. Puis je ne suis pas le genre de fille à regarder le physique avant la personne – mais même si c’était le cas, ce serait pas très cool de la part de ma propre mère de m’en faire la réflexion.

-Germaine ….

Ouh là ! Mais qu’est-ce qu’il lui arrive ?

Personne ne m’appelle Germaine. Même pas elle sauf en situation extrêmement grave.... La dernière fois ça remontait à la primaire…. En CM2 quand j’ai imité sa signature dans mon cahier de correspondance, après avoir triché en dictée. L’abruti que me servait de maître et qui prenait un peu trop à coeur son métier avait tenu a l'appeler “pour tenter de comprendre” la période que je traversais, parce qu’il n’y avait que ça pour justifier ma tricherie. Il ne s’est pas dit un instant que j’avais juste eu la flemme de travailler et avais décidé d’opter pour l’option de facilité. Résultat, elle a gorgée avec lui au téléphone pendant un quart d’heure en promettant de réfléchir à l’idée de m’envoyer voir un psychologue avant de raccrocher puis correctement me “botter” à l’africaine pendant trois jours. J'ai eu droit à la traditionnelle "chaise", qui consiste à faire comme si j’étais assise sur une chaise…. Sans la chaise. C’était le premier jour. Ensuite j'ai eu "les pieds joints en l’air contre le mur" -avec des chaussettes pour rendre la tâche plus complexe- et l’obligation de ne pas glisser où même reposer mes pieds au sol sinon je me prenais des coups de fouet, ce qui n’a pas manqué. Ça c’était le deuxième jour. Et enfin j'ai eu le "à genoux, les bras tendus" avec des bougies dans chaque main et interdiction de baisser les bras ou même les détendre légèrement. Ça c’était le troisième jour.

Tout ça pour dire que quand elle m’appelle Germaine, c’est que c’est grave.

Je me tourne lentement vers elle appréhendant ce qu’elle va me dire.

-Je ne serai pas avec toi pour t’aider. Tu ne pourras pas m’appeler à trois heures du matin pour que je te vienne en aide parce que je ne serais plus à une heure de chez toi. Tu vas devoir réfléchir avant de poser des actes et assumer les choix de ta réflexion alors ne te précipite pas. Ne te précipite surtout pas. Tu m’as comprise ?

En la regardant, l’excitation que je ressentais quelques minutes plus tôt, se dissipe assez rapidement pour laisser place à un sentiment de tristesse caractérisé par une petite boule placé en travers de ma gorge.  


Elle vient de ponctuer sa phrase par un pincement de lèvres, et ses yeux se sont plissés juste assez pour que je devine qu’elle retient ses larmes. Ce sont des rictus qui trahissent son état d’esprit depuis que je suis toute petite. Quand je partais en voyage, quand je me retrouver loin d’elle, elle avait toujours ses petits rictus qui se dessinaient sur son visage en m’accompagnant.

Comme toujours, quand je la vois dans cet état, j’ai envie de la prendre dans mes bras, la serrer tellement fort pour qu’elle puisse entrer à l’intérieur de moi, et voir quelle femme je suis. Quelle femme elle a élevé afin qu’elle puisse être rassurée. Et moi je pourrais la garder en moi, pour être toujours apaisée. Comme si elle ne m’avait jamais quittée.

-Maman. Dis-je en posant ma main sur son avant bras. Tu doutes de ton travail ?

-….

-Ça va aller, tout va bien se passer…

Je ne sais pas qui de nous deux je cherche à rassurer.

La vraie question est de savoir si ça a réussi à rassurer l’une d’entre nous.

Je n’ai pas le temps de chercher une réponse à mon interrogation, on vient d’arriver.

Brouh, le froid de Paris ne va vraiment pas me manquer, je pense en ouvrant ma portière !

-Je te laisse au « dépose minute » et je te retrouve aux enregistrements.

La main sur la poignée, je me tourne vers elle pour la voir essuyer une larme.

-Maman….

-Ah sors de ma voiture ! Fais-vite !

J’ai le cœur qui se serre un peu plus.

Non mais j’ai trop duré en France c’est pas possible ! Je suis en train d’agir comme si je n’allais jamais la revoir alors qu’on a ensemble convenu qu’elle viendrait cet été.

Je m’intime l’ordre de me calmer et de retrouver mon flegme légendaire.

Après avoir inspiré puis expiré, je chasse toutes émotions malvenues  et me dirige vers le coffre.

Pause, mais elles sont à qui toutes ses valises ?

-Mais maman, elles sont à qui toutes ses valises ?

-A mon grand-père. Comme c’est lui qui voyage. Grogne-t-elle avant de déformer sa bouche pour émettre ce son qui me fait grincer des dents. Tchrrrr.

Elle est obligée de me répondre comme ça ?

-Je suis sensée avoir quatre valises et non cinq.

-C’est pour la petite valise que j’ai préparée pour maman que tu parles au pluriel ?

Voilà ce que je n’aime pas avec elle. Quand je faisais mes valises, je lui ai gentiment proposé de prendre cinq kilos, qu’elle a refusés en me rabrouant en peu comme elle vient de le faire quelques minutes plus tôt et tout ça pour découvrir qu’elle a ajoutée une valise en plus derrière mon dos.

-Ne te dépêche surtout pas. Pour rappel, l’enregistrement c’est jusqu’à vingt heure et il est vingt-heure moins madame.

Toute ma peine, ma tristesse, ma compassion à son égard vient de tailler la route avec sa dernière réplique.

« C’est ma mère et je l’aime, c’est ma mère et je l’aime », je me répète cette phrases à plusieurs reprises pour ne pas exploser, tout en allant chercher un chariot.

Je dois même en prendre deux.

Dans mon programme parfaitement établi, on – pour ne pas dire elle- devait prier pendant vingt minutes, allez trente pour mettre mon voyage entre les mains du seigneur, puis m’accompagner à l’aéroport mais, elle m’a fait prier avant elle.

Moi j’ai tenu ma part du contrat, dix minutes, mais elle….. UNE HEURE QUINZE ! UNE-HEURE-QUINZE ! Pourquoi faut-il toujours que les mères fassent ça ?


-Mais Ketsia, remue-toi ! Crie-t-elle en sortant une valise. J’espère que tu ne pars pas dormir comme ça au pays !


Je...Grrhhh… “C’est ma mère et je l’aime, c’est ma mère et je l’aime”.


Faisant abstractions des propos de ma parente, je réussis à transférer les valises du coffre aux chariots et trouver une âme compatissante - frère kinois, je le sais à son tchoko léopard- pour m’aider à transporter un des deux chariots pendant que ma mère remonte en voiture pour aller garer sa voiture.


-Vous prenez Ecair ?

-Oui.


Je sais c’est suicidaire de prendre la compagnie nationale d’autant plus que la dernière fois que l’on m’a parlé des “galères” d’Ecair, il y avait une histoire d’impossibilité de connaître les litres de carburant en réserve et la solution trouvée pour remédier à ça était de tourner sur la piste d’atterrissage de Pointe-Noire jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Légende urbaine ou fait avéré - honnêtement avec Ecair, je suis quasi-sûre que c’est avéré - moi, la ligne nationale, je la prends car je suis une patriote…. Avec très peu de moyens. Puis ça va, faut arrêter deux minutes Ecair c’est pas Camer-Co. D’accord, on patiente pendant cinq voire six heures avant l’heure annoncée MAIS ON FINIT TÔT OU TARD PAR DÉCOLLER ! Moi je trouve que c’est déjà bien, c'est un moonwalk pour l’occident, et un pas équilibré pour le Congo !


-Mais tu ne t’es pas encore fait enregistrer ? Me dit ma mère de retour.

-Avec le monde qui est devant moi tu as le temps d'encore repartir.

-Hum. Ça ne va jamais changer ici. Lance-t-elle en balayant l’endroit du regard.


“tu veux filmer les bagages” Me demande un jeune avec du papier film dans les mains.

“Non merci”, je lui réponds.


Par contre, je pense que je vais devoir trouver un correcteur où un marqueur afin de pouvoir distinguer mes valises. Pour d’avoir plus de poids, j’ai utilisé la méthode qui consiste à prendre les sacs en tissus - pas les Sada Diallo, non. Ce sont des sacs de sport sans fond ni rien à 10euros au marché, extrêmement souples  - qui ne pèsent même pas un gramme. Mais tout le monde semble utiliser la même méthode.


-Maman, tu aurais à tout hasard du correcteur avec toi ?

-Non mais attends.


Par je ne sais quel miracle, elle réussit à me trouver un correcteur,qui me permet d’inscrire mon nom sur mes bagages juste avant de les enregistrer.


Quinze minutes plus tard, le plus gros est fait, et il est temps pour moi de me séparer aussi bien symboliquement que physiquement de ma mère.


-Bon bah, on se dit à dans quelques mois ?


Tout en lui parlant, je lui frictionne timidement l’épaule droite, un geste qui se veut affectueux. Je sais pas comment exprimer mes émotions et les câlins, les bisous et les mots d’amour c’est pas mon tripe. Un peu comme ma mère. Elle est de la vieille école, celle où on intériorise ses émotions et moi j’ai été logée à la même enseigne. Mais si je pouvais lui exprimer ce que je ressens à l’instant que ce soit à travers des mots ou des gestes, je lui sauterais au cou, l’inonderais sous une pluie de baisers et lui dirais combien je l’aime et combien elle me manquera….


-D’accord.


Elle retire ma main de son épaule et la conserve dans la sienne.

Je décide de mettre son éducation à la dure de côté et la prends dans mes bras. Qu’elle grogne cela ne changera rien. J’ai besoin de m'imprégner de son odeur. Comme elle me la si bien fait remarquer, elle ne sera plus aussi près de moi, je ne pourrai plus courir chez elle, m’envelopper dans ses draps et enfouir ma tête sur son oreiller à l’endroit même où l’odeur de sa crème de cheveux Pink et de l’huile de coco qu’elle met toujours sur ses cheveux embaume le plus.


Miracle, elle ne me repousse pas et m’étreins à son tour.


-Bon allez, vas-y est fait bien attention. D’accord ? Dit-elle en mettant fin à notre étreinte


Je me sépare d’elle à regret… Mais ce n’est qu’un au revoir.


-D’accord. Dis-je en récupérant mon trollet.


Encore quelques mots et je me sépare d’elle.

Je passe les contrôles le coeur lourd et me retrouve assise en salle d’attente les larmes aux yeux.


Mince, je ne pensais pas que ce serait aussi dure. Je comprends mieux le refus de Nina de m’accompagner. Elle qui pleure pour un oui ou pour un non se serait, à n’en pas douté, desséchée comme une rose en plein désert !


-Excuse-moi, je te regarde depuis tout à l’heure et je commence à m’inquiéter. Ça va ?


Je retire ma main placée devant mon visage pour regarder la personne qui me parle.

JIZOS !

A coup sûr, ses parents se sont appliqués lors de sa conception et Dieu dans son amour a fini d'embellir leur oeuvre.

Bel homme noir sans tache apparente, sourire éclatant entouré d’un bouc parfaitement taillé, yeux en amandes, regard à la fois rieur et espiègle, et une voix caverneuse à la Barry White qui a dû en faire mouiller plus d’une la nuit. C'est un appel au sexe "all night long"

Je n’ai qu’une seule chose à dire le concernant…. VADE RETROS SATANA ! Ma mère m’a déjà prévenue contre les “yuma” comme toi !


-Oui… Oui merci. Articulé-je difficilement en essuyant mes larmes. J’ai juste une poussière dans l’oeil.

-....Okay. Dit-il avec un petit rire dans la voix. Si ce n’est que ça.


Okay, je mens, il le sait mais pour donner un semblant de vérité à mon mensonge, je sors mon téléphone fais semblant de regarder mon oeil à l'aide de l'écran caméra puis la vérification passée, je me rends par habitude dans mon box à journal. Bien évidemment il n’est pas à jour puisque mon forfait n’est plus effectif depuis avant-hier mais il a conservé d’anciens journaux que j’ai machinalement téléchargés. J’en ouvre un au hasard, c’est un Echos de 2014 dont le titre est “Verone Mankou, le Steve Jobs congolais”.


Alors que je commence ma lecture, une hôtesse vient nous informer que le vol accusera un retard et que des sandwichs et des boissons seront distribués d’ici peut.

Dois-je être surprise ? Pas vraiment.

J’accuse réception de la nouvelle avec calme contrairement à un groupe alcoolisé - je ne sais par quel miracle - et me concentre de nouveau dans ma lecture pour oublier l'appel au sexe qui me sert de voisin.

A nous Verone.



Le chapitre a mis du temps à arriver, le prochain sera plus rapide (avant la fin de la semaine prochaine, mais si vous laissez un "kiff" après la lecture, je peux poster beaucoup plus vite) !

l'aventure commence !

Des bisous en pagaille !

Tiya,



GERMAINE KETSIA MASS...