Il n'allait jamais revenir

Ecrit par Tiya_Mfoukama

J’aime la pluie. J’aime la fraîcheur qu’elle apporte, ces petites perles d’eau qui se déversent sur la terre, cette odeur et cette vie qu’elle lui donne, à la terre, et ces flaques d’eau. J’aime la pluie. Elle est mon amie. Elle cache mon humeur aux yeux des gens qui m’entourent, elle efface mes pleures pour me protéger des rires moqueurs et des regards interrogateurs.

 

J’essuie mes larmes, même si elles ne se voient pas, et pénètre dans les locaux de l’entreprise. Je suis aussitôt enveloppée par la fraîcheur des lieux qui me fait frissonner. Je m’entoure de mes mains et me frictionne les bras avec énergie sans pour autant obtenir la chaleur que je recherche.

 

-Mais tu étais où ? me demande Judith alors que j’entre dans le bureau que nous partageons.

-….

 

Je contourne mon bureau pour m’installer sur mon siège, et pose mon sac à terre avant de le reprendre aussitôt et l’accrocher au bras de mon siège. 

« Ce n’est pas bien de poser son sac parterre, on ne garde pas l’argent longtemps », me disait ma mère.

 Je n’y crois pas, je n’y ai jamais cru, mais parce qu’elle, elle y croyait fermement, je ne le posais jamais à même le sol. 

Je n’ai jamais trouvé le courage de lui dire que c’était une idée stupide, que l’argent ne venait pas du sol et qu’il ne pouvait pas être repris par lui, qu’un sac à terre ou en hauteur ne diminuait en rien le poids d’un portefeuille qui abrite les derniers francs. Je n’ai jamais eu ce courage, tout comme je n’ai jamais eu le courage de lui demander d’arrêter d’espérer, de croire qu’il allait revenir, mon père. Ça aussi c’était une idée stupide. Là plus stupide de toutes. Parce qu’une chose était maintenant certaine dans mon esprit, il n’allait jamais revenir…

 

-Tiens, essuies-toi avec ça, sinon tu vas tomber malade. Me lance Judith, sa main me tendant une serviette multicolore. J’ai signé pour toi sur le registre, mais je l’ai fait au crayon donc….

 

J’acquiesce rapidement en hochant la tête, tout en tamponnant à l’aide de la serviette mon visage, mes cheveux, puis mon buste.

Le clim semble à son apogée et malgré mes efforts pour me sécher, mes vêtements sont toujours autant imprégnés d’eau. Je ne peux m’empêcher de trembler, et claquer des dents, ce qui saute aux yeux de Judith.

 

-J’ai préparé un bouillon hier soir, et je t’avais ramenée un Tupperware, mais ce matin ça m’était sortie  de la tête et ce midi, tu es partie trop vite. Elle m’informe en sortant d’un de ses sacs ce que je devine être le Tupperware et un torchon.

 

Sans un mot, je me lève de mon siège, et récupère la boite et le torchon avant de me rendre près de la fontaine à eau. Je prends un verre d’eau chaude, reviens à ma place et verse le contenu du verre dans le Tupperware. Ça a le don de réchauffer le plat, même si ça dilue le goût.

Dans le torchon, je trouve sans surprise un manioc enroulé, que je coupe en deux. Je vais garder l’autre morceau pour ce soir, car la mère de Judith –à  sa forme je sais que c’est sa mère qui l’a fait – les prépare comme je les aime.

 

-Donc tu es partie, et tu n’as même pas mangé ? Ah Inaya !

-…

-Faudra pas oublier ton sac ! Elle lance d’une voix rieuse en me montrant un sac où quelques maniocs dépassent.

 

J’avais raison, c’est bien sa mère. Le goût et la forme sont inimitables et le sac de maniocs qu'elle me présente me le confirme.

Je me contre fiche de Judith et des autres, mais cela ne l’arrête pas. Elle me parle, d’elle, de ses enfants, ses parents, de ses choses qu’elle apprécie et qu’elle apprécie moins. Elle me parle de tout sauf de son mari. Je l’écoute souvent d’une oreille distraite, mais il m’arrive également d’être plus attentive et lui répondre, où lui poser des questions.

 

Il y a quelques années, elle m’a parlé de sa mère, des maniocs qu’elle préparait et du succès qu’elle rencontrait lorsqu’elle les vendait. C'est avec la vente de ces maniocs que sa mère a réussi à lui payer sa scolarité en Afrique du Sud, et aujourd’hui, alors qu’elle n’est plus en mesure de se déplacer comme avant, elle réussit à vivre grâce aux économies qu’elle a pu faire.

J’aime bien Ma Suzy, la mère de Judith. Une petite femme d’un mètre cinquante, bien tassée, aux yeux pétillants. Malgré sa canne, et son aspect flétri par les années, elle reste une femme battante.

Son mari est parti, emporter par une longue maladie il y a quelques années, mais ça ne l’a pas empêché de continuer à lutter…. Tout le contraire de ma mère.

 

-Elle va bien ? Ma’ Suzy ?

-Oui par la grâce de Dieu ! Elle me répond avec un sourire en coin. Je lui ai ramené quels petites choses qu’elle me demandait, et puis elle  a passé du temps avec les enfants.

 

Ah. Ça explique la lèvre et les l’œil au beurre noir. 

Ma’ Suzy n’aime pas le mari de Judith et lui non plus ne l’aime pas. Elle n’a pas aimé ce qu’elle a vu dans son regard, et le sourire qu’il arborait lorsqu’elle la rencontrait. « Tout en lui disait qu’il était dur et mauvais », elle disait, mais son mari voyait un homme autoritaire, sachant ce qu’il voulait, et qui serait recadrer leur unique fille, Judith, un peu trop capricieuse.

Ma’ Suzy regrette souvent son silence face au choix de sa fille….

 

-Je passerai la voir ce week-end. Je dis en coupant un bout de manioc.

-Ça va lui faire plaisir…. Merci.

-….Heureusement que j’ai mis de l’eau dans ton bouillon. Y’avais trop de sel. Je dis pour effacer le regard attendri qu’elle pose sur moi.

 

Elle lève les yeux au ciel, puis secoue la tête avant de se concentrer sur un dossier et moi je finis mon bouillon avant d’en faire autant.

 

Le temps s’écoule lentement et mes muscles crispés depuis le début de l’après-midi sont extrêmement douloureux. 

A l’entrée de l’entreprise, je les relâche accompagnés d’un soupir, heureuse de retrouver la douce chaleur propre à un début de soirée. J’ai conscience que le contraste entre l’intérieur des locaux et l’extérieur, risque de me rendre malade, alors je vais me placer au bord de la route, comme bon nombre de mes collègues, en attendant un taxi.

 

-On partage un taxi ensemble ? Me propose Judith qui vient de me rejoindre.

 

Si j’avais la force de parler, je lui aurais répondu « non », mais je suis fatiguée, je me sens faible et ne souhaite qu’une chose, me retrouver au plus vite chez moi.

 

Un taxi vient s’arrêter devant nous, et nous montons en silence, nous laissons conduire jusqu’au rond point Moumi, le premier arrêt, le mien. Je tends ma mains vers mon sac pour tirer mille cinq cent, ce qui correspond à la moitié du trajet, mais Judith bloque le mouvement de ma main, et d’un signe de tête m’informe qu’elle paiera à ma place. Je marmonne un « merci » à peine audible, sors de la voiture et m’élance vers la ruelle menant à mon logement.

 

Après avoir troqué mes vêtements mouillés contre des vêtements plus secs, je m’installe de nouveau face à mon pupitre.J'aurai du faire chauffer un peu d'eau et prendre une douche pour me prévenir d'un éventuelle rhume, mais j'ai un besoin plus urgent. J’ai besoin d’écrire, de me défouler. Parce que parler n’a jamais été mon fort. Le ton à employer, la considération et la retenue face à son interlocuteur. Je n’ai jamais maîtrisé ce pan. Avec l’écriture, je peux dire ce que je ressens, comme je le pense. Tout peut s’écrire, mais tout ne peux pas se dire.

 

Je veux lui dire que je l’ai vu, je les ai vus, sous cette pluie battante. Je l’ai vu rouler jusqu’à ma hauteur, s’arrêter et sortir de cette grosse voiture qu’il conduit, comme pour me montrer à quel point il est complet et comblé. Je l’ai vu courir vers le portail, sa veste au dessus de sa tête, essayant de se protéger de la pluie, sous les cris et les applaudissements joyeux d’une petite fille, les rires d’un jeune garçon, et les encouragements de cette femme. Assise à ses côtés. C’était pas maman. C’était pas mon rêve. Mais enfin, je l'ai vu.

 Déterminée à l'écrire, cette lettre, je prends mon stylo à encore...

« Est-ce que c’est vraiment ce que tu voulais ? Pour cette première rencontre ? Même si elle était informelle ? Même si tu ne savais pas que j'étais là, que je t'observer à travers cette vitre fissurée ? J’ai eu l’impression que tu voulais que je te voie heureux, comme ces enfants qui dansent sous la pluie, pour la narguer. Pour dire à cette pluie qu'elle n'empêche pas leur bonheur. Cette pluie à l’image des larmes que j’ai versées, pour tous ses souvenirs imaginaires que je ne chérirai jamais. Est-ce que c’est ce que tu voulais ? Que je voie cette femme ? Cette femme à ta droite, qui n’était pas maman ? Qui n’avait pas son sourire franc et communicatif, encore moins ses lèvres charnues ou même les doux traits bienveillant de son visage lisse… »

 

Une larme vient tacheter le mot « visage », puis « lisse », et « doux », déformant les mots avant de faire baver l’encre et effacer les mots. Et je pleure un peu plus devant cette feuille. Parce que c’est sur son visage, que j’ai découvert qu’elle avait décidé d’abandonner. L’ossature de son cou, est devenu plus saillantes, son visage s’est déformé, ses pommes et ses joues se sont creusées, et ses yeux se sont fermés.

 

« Est-ce que tu sais qu’elle t’a été fidèle ? Même dans l’abandon, jusqu’à son dernier souffle, elle t’a été fidèle, elle t’a attendu. »

 

D’un revers de main, j’essuie mes larmes pour regarder ces photos qui trônent sur mon chevet, celle de ma mère, souriant, une main sur le cœur.

 

-Tu l’as attendu pour rien maman. Tu m’as laissée seule ici, tu lui as été fidèle, pour rien…. Il n’allait pas revenir. Je soupire le cœur en lambeaux. Il n’allait jamais revenir…

 

 


Heureusement que j'avais écrit le plan de cette histoire depuis le début sinon, j'aurais été dans une belle mouise rires. On essaie de finir cette histoire avant début Décembre ! 

Bisous en pagaille 

Tiya ;)

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