Une place dans ton coeur

Ecrit par Tiya_Mfoukama


« Une place dans ton cœur, j'aimerais y être d'emblée

J'aurais toujours peur si tu n'me laisses pas y entrer

Alors je te chanterai,

Pitié toi mon amour, pitié, toi mon cœur.

Je travaille nuit et  jour pour ton seul bonheur »

 

Allongée à même le sol carrelé, à la recherche d’une once de fraîcheur sans grande conviction, je me laisse étouffer dans la fournaise s’emparant de chaque mètre de mon studio. Il fait chaud, extrêmement chaud et l’insignifiante brise produite par le ventilateur  se trouvant en face de moi n’y fait rien. En atteste les larmes de sueurs dégoulinant le long de mon dos, mais aussi de mes jambes, de mon front, de toutes les parties de mon corps dénudés. Mon simple boxer, qui fait office de vêtement ne semble pas non plus modifié l’état dans lequel je suis.

Il m’a coûté quinze milles francs ce ventilateur et je pensais rentabiliser son prix en l’utilisant plus longtemps. J’entends déjà Alex me dire « si tu l’avais pris chez Sporafric, ou même à Park and Shop, il ne serait pas tombé en panne aussi vite ».

Je ne l’avouerai jamais devant lui mais, c’est vrai, il a raison.

Quand je suis partie à Park and Shop, juste à l’entrée, il y avait des ventilateurs qui semblaient remplir leur fonction, mais leurs prix, entre quatre-vingt et cent vingt mille, se trouvaient dans une tranche qui restait bien au dessus de mes moyens. Si je le voulais vraiment, j’aurais pu demander la somme à Alex, ou même lui demander de me l’acheter, mais je me refusais, je me refuse toujours, à lui demander de l’argent. Même si jusqu’à présent, il a réussi à se démarquer des hommes en général, par son attitude, l’idée qu’un jour, il puisse me balancer à la figure que j’ai quémandé quoi que ce soit, me hante et m’oblige à me retenir. Cependant, quand il le fait de lui-même, je le prends, parce que j’en ai besoin et mon orgueil n’est pas aussi stupide qu’il en a l’air. Mais je ne me résoudrai jamais à lui faire une demande.

Et maintenant, je suffoque dans un coin de mon salon, sur les mélodies de l’album de Yousoupha « les disques de mon père », joué à tue-tête et qui rajoute de la lourdeur.

 

“Qu'importe le temps tant que je t'aime

Le soir je vais revenir, je fais ton avenir”



Qu’importe le temps, tant que je t’aime, le soir je vais revenir… Tu n’es jamais revenu…Hier les pluies étaient tellement intenses qu’elles ont creusé les routes au niveau du rond point Moumi, les rendant presque impraticables. Aujourd’hui la chaleur a asséché  les creux, mais cela n’empêche que Moumi sera bientôt enclavé. Hier j’ai vu mon père et aujourd’hui, mon esprit est complètement embrumé.

 

Je le regrette.

Je l’ai tellement imaginé, rêvé, dans telle ou telle situation, je l’ai tellement modifié et maintenant, j’ai une image nette de lui. Avec cette image, un vide s’est créé. Plus grand, bien plus grand que ce que j’imaginais. Je suis parcourue d’émotions versatiles qui prennent possession de moi depuis un moment et me font rentrer dans des phases incorporant des nuances de mélancolie et de tristesse dont j’ignorais l’existence.

Durant toutes ces années, j’ai tenté d’atténuer se besoin de lui, de le mettre de côté, voire l’oublier et aujourd’hui il revient tel le ressac d’une vague fracassant un rocher, avec vigueur et rudesse. Et dans tout ça, il ne sait même pas que je suis, que j’existe. Quoi que si, il sait. Il m’a simplement oblitéré de son esprit.

-Sois pas stupide Inaya. Je marmonne pour moi-même. C’est pas à vingt-cinq ans qu’on a besoin d’un père, ce n’est pas à vingt-cinq ans qu’on a besoin d’une figure masculine dont on admirera les valeurs. Ce n’est pas à vingt-cinq ans qu’on a besoin de se sentir entourée par les bras sécuritaire et chaleureux d’un père, ce n’est pas à vingt-cinq ans qu’on a besoin d’entendre un « je serai là pour guider tes pas à chaque étape que tu traverseras.»

Non, à vingt-cinq ans, on n’a plus besoin de tout ça. Encore moins venant d’un père… Et pourtant.

 

D’un revers de la main, je balaie tout ce monologue et me dirige vers les deux seaux d’eau préparés pour ma douche.

En passant devant mon pupitre, je modifie ma playlist, pour en choisir une, aléatoire.  

 

A plusieurs reprises, ma playlist est interrompue par la sonnerie de mon téléphone, je n’y prête pas attention, j’ai une vague idée de qui ça peut-être.

J’enfile une longue robe à rayure orange et blanche, avec une paire de sandales, attache mes cheveux dans un chignon négligé puis mets mon sac en bandoulière avant de sortir. Laissant volontairement mon téléphone.

J’ai décidé de ne pas bosser aujourd’hui, il est midi passé, et je suis persuadée que c’est Judith qui m’a appelée pour savoir où j’étais, pourquoi je n’étais pas à la Cathédrale ce matin, et est-ce que je comptais venir cet après-midi. Elle est capable de prendre sa pause pour venir à la maison et vérifier que je vais bien.

Toute cette nuit, je l’ai passé à pleurer, mes yeux rougis, mes cernes et mon teint pale en sont la preuve, mais je ne veux pas qu’elle me voie dans cet état. Jamais on ne doit me voir faible. C’est ma devise.

 

Je stoppe un taxi pour Park and Shop et utilise vingt-mille sur les soixante huit mille qui me reste pour acheter des conneries puis je retourne à la maison, et passe la journée à regarder des théâtres et des films nigérians.

 

 

-Tu veux essayer de créer une porcherie ? me demande Alex à qui je viens d’ouvrir la porte.

-Tu peux prendre le balaie pour nettoyer ou faire demi-tour c’est comme tu le sens. Je réponds en m’asseyant de nouveau à même le sol.

-Je suis pas venu pour qu’on se prenne la tête. Il dit en se massant le front. Je t’ai appelé toute la journée, t’as pas répondu et à ton boulot on m’a dit que tu ne t’étais pas présentée.

-me sentais pas bien. Je marmonne concentrée sur mon film.

 

« -Ecoute bébé prends, cette argent s’il te plait !

   -Non chéri, je peux pas ! Il est pour toi ! C’est ton père qu’il te l’a donnée.

   -Mais ce qui est à moi est à toi bébé ! C’est pour notre avenir ! Si tu réussis ce coup, on sera gagnants ! Prends cet argent pour nous bébé ! J’t’en prie »

 

-Mais non ! Fallait pas lui donner cet argent ! T’es trop conne ! J’hurle presque. Là vous êtes dans la galère, et il reste avec toi, mais attends quand il va réussir grâce à ton argent, et qu’il estimera que tu seras plus à la hauteur ! Il va te lâcher comme une grosse merde !

 

« -Oh chérie, je t’aime tellement ! Je t’aime tellement. »

 

-Pfff connerie. Je pouffe alors que les personnages principaux s’enlacent tendrement.

 

Je cherche la télécommande des yeux et capte le regard d’Alex rivé sur moi.

Le front barré, les lèvres pincées, et les mains enfoncées dans les poches de son pantalon, comme souvent, je devine ce qu’il pense. Il s(inquiète, enfin, il fait semblant. Parce que je sais qu’au font, il est comme Tony, le personnage du film, et tous les autres. Nous n’avons jamais couché ensemble, et c’est ce qui le garde à mes côtés. Quand il aura ce qu’il voudrait, cet air inquiet quittera son visage…

 

-Quoi ?!

-Tous les hommes ne sont pas comme ça.

-Ouais, c’est ça….. Quoi ?!

-…. Rien. Il répond en expirant.

 

Son regard traîne sur l’ensemble du studio.

Il pousse quelques vêtements entassés sur le lit, retire sa veste et s’assied. Je zappe les chaines jusqu’à trouver un film à peine entamé.

Au bout de deux heures, le silence installé est rompu par les gargouillis provenant du ventre d’Alex.

Malgré mon envie de ne rien faire, je me lève pour rejoindre ma petite cuisine et prépare un semblant de repas que je nous serre deux heures plus tard.

 

-Il reste encore de la sauce ? m’interroge Alex

-Tu veux te resservir une quatrième fois ?! je lance choquée.

-Non, je suis plein là. Mais je veux bien en ramener. Il dit avec un sourire.

-T’as une domestique qui prépare pour toi.

-Oui mais c’est pas toi. T’es plat son spéciaux. Il ajoute en souriant.

 

Je me lève du canapé où je m’étais installée pour manger, débarrasse nos assiettes et fais la vaisselle.

Etant lancée, je décide d’également faire le ménage sous le regard un peu trop satisfait d’Alex qui s’est enfoncé dans le canapé, et somnole à présent.

 

-Je peux te demander une faveur ? Il lance quand je finis de ranger le dernier vêtement.

-…..

J’arque un sourcil pour l’encourager à poursuivre.

 

-Est-ce que tu pourrais…. Tu pourrais…t’allonger à mes côtés. Juste quelques minutes. Il bégaie.

 

L’instant une seconde, il ressemble à un petit garçon chétif qui demande avec la peur de se voir rabrouer de la pire façon qu’il soit. Ce qui me fait intérieurement rire. Ça contraste tellement avec ce qu’il est. Grand, imposant, la voix grave, le ton autoritaire, assurément, il doit en intimider plus d’un. Moi la première même si je ne le montre pas. Néanmoins, c’est un homme tendre, doux, pleins d’attention. Enfin pour le moment…

 

-Okay… Oublie, laisse tom…

 

Je m’allonge à ses côtés, et finis même par me blottir dans ses bras, humant profondément le parfum de sa chemise. Elle est empreinte de son odeur ce qui m’apaise. A moins que ce soit ses doigts caressant ma nuque.

 

Le bruit de la télé restée allumée me réveille, et par réflexe, je tâtonne mon canapé/lit à la recherche de mon téléphone. C’est le torse d’Alex que je trouve. Il dort à point fermé. Je me rappelle avoir posé mon téléphone sur mon pupitre et me lève pour le récupérer. J’avise l’heure, il est deux heures, puis retourne m’allonger pour consulter mes messages. Comme je le devinais, il y en a pleins de Judith, et Alex. J’efface ceux d’Alex après les avoirs lus, puis lis ceux de Judith.

 

9H30 :

« tu es encore passée où ? Non mais toi ! »

 

12h23 :

« Je t’appelle mais tu ne réponds pas, j’espère te voir au boulot à 14h pétante ! »

 

14h15 :

« Je suis passée chez toi, tu n’étais pas là et tu ne réponds toujours pas au téléphone. Je commence à m’inquiéter. Fais-moi signe au moins pour me dire que tout va bien. »

 

19h57 :

« Toi vraiment ! »

 

22h34 :

« J’ai besoin d’aide, si tu reçois ce message, viens à la maison, s’il te plait. J’ai peur pour ma vie. »

 

22h47 :

« S’il m’arrivait quelque chose, il ne faut surtout pas que mes enfants restent avec lui. »

 

22h54 :

« Je ne te l’ai pas souvent dit, mais tu as une vraie place dans mon cœur. Celle de la petite sœur que je n’ai pas eue. »

 

 

Je fronce des sourcils face à ces trois derniers messages. Le ton qu’ils ont m’irise les poils. Je lui envoie un message, pour m’assurer qu’elle va bien, mais ne reçoit aucune réponse après trente minutes. Il est maintenant deux heures quarante, mais malgré l’heure tardive, je décide de réveiller Alex.

 

-Humm qu’est-ce qu’il y a ? Il marmonne la voix rocailleuse.

-Il faut qu’on aille chez ma collègue. Je réponds en me levant. T’es venu en voiture ?

-Humm… Allez chez qui ? Mais, il est…. Inaya, il est presque trois heures ! il lance après avoir regardé sa montre.

-Okay, reste là si tu veux, j’y vais.

-Quoi ? Inaya ! Inaya !

 

Il continue de beugler mon nom alors que je finis de boutonner mon jean. J’enfile la première paire de chaussures que je trouve devant moi, fouille mon sac pour prendre quelques billets et sors de la maison.

Je m’apprête à franchir mon petit portail quand il me retient fermement par le bras.

 

-Inaya ! Qu’est-ce que tu fais !

-Ma collègue a peut-être un problème, je dois l’aider !

-Et ça te coute quoi de me l’expliquer au lieu de partir comme une furie !

-Du temps ! Ça me coute du temps ! Son message date de 23h !

 

Mon cœur bat à mille à l’heure, et je suis parcourue de frissons, mais surtout de peur. La peur qu’il lui soit arrivée quelque chose alors qu’elle a demandé mon aide. Et il le comprend.

 

-Elle habite où ?

-Vers le marché de l’Ombre.

-On y va.

 

Je retiens de justesse un soupir de soulagement. J’ai beau être anxieuse et inquiète, je ne sais à quoi m’attendre une fois sur les lieux. Son mari lève la main sur elle, et à cette heure, seule, rien ne peut affirmer qu’il n’en fera pas autant avec moi. Mais avec Alex à mes côtés, j’ai cette crainte en moins. Et s’il faut l’aider à partir, ce sera plus facile.

 

Je le dirige à travers la ville quasi-déserte jusqu’à son portail, où un attroupement est réuni. Je descends de la voiture avant qu’il ne termine de manœuvre et m’approche du portail.

 

-Qu’est-ce qu’il se passe ? je demande à une femme en retrait.

-La femme qui habite là a été retrouvé morte.

 

Je sens un lourd battement de cœur, puis ma poitrine se compresse. Mes oreilles se mettent subitement à bourdonner et je demande à la femme de répéter. Ce qu’elle fait. Ma vue commence à se brouiller, mais j’arrive à remarquer les voitures de polices que je n’avais pas vu auparavant. Les murmures des personnes attroupés accentuent les bourdonnements et je me bouche les oreilles.

Pourquoi il fait subitement froid ?

 

-Inaya ! Inaya !

-…

-Inaya, ça va ?

-Je…. Je dois vérifier…. Je dois…. Vérifier.

-Inaya !

 

Mes pas sont lourds, mon corps comme las, mais j’essaie de me créer un passage dans la foule.

 

-Arrêtez-vous. Personne ne passe. Me stoppe un policier.

-Je dois la voir, je ne comprends pas ce qu’il s’est passé.

-La femme qui habite là a été la victime d’un cambriolage qui s’est mal passé. Dit le policier.

-Humm, quel cambriolage. On connait tous la vérité ici. C’est son mari qui l’a tuée ! Crie vaillamment une femme dans la foule.

 

Ses propos sont acquiescés par plusieurs autres personnes. Et mon cœur se serre un peu plus.

 


 C'est pour toi petit coeur !

Bisous en pagaille 

Tiya ;)
Cher toi ...