Ma clem'so

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre VII 

 -Merci pour ce copieux petit-déjeuner papa.

-Mais je t’en prie, ça me fait plaisir. Bien, il faut que j’y aille. J’ai quelques réunions dans les parages. Je suppose que je te laisse ici ? Il me demande en souriant.


J’acquiesce en secouant la tête, puis mets la dernière bouchée de croissants au beurre dans ma bouche. Je suis contente que mon père ait très vite compris comment je marchais : « le ventre rien que le ventre, le tour est joué ! ».


-On se retrouve à 15h à la maison pour discuter des différents postes que j’ai pu te trouver ?

-Humm, humm.

-Comme je te l’ai dit, dans l’ensemble, ils sont assez similaires, ce n’est que le secteur d’activité qui diffère, mais dans tous les cas, tu auras le logement et la voiture de fonction. ça te va ?

-Hum, hum.

-Bien, je te laisse. Passe une bonne journée. Dit-il en se levant.


Son assurance et son aisance disparaissent pendant un quart de seconde. Il hésite sur la marche à suivre pour me dire au revoir,  je le vois bien. Tout à l’heure, en arrivant, je me suis spontanément penchée vers lui pour l’embrasser, ce qui l’avait surpris, mais maintenant que c’est à son tour de faire un pas vers moi….

Il finit par me tapoter timidement l’épaule puis s’éloigne de moi.


-Au fait ! Il lance en revenant sur ses pas. Il y a une salle de Gym au dessus, tu peux y aller pour faire un peu de sport.


Je stoppe le trajet de mon pain au chocolat, que je viens de prendre, vers ma bouche et fronce des sourcils.

Quoi, il me trouve déjà grosse ?


-Tu m’as demandé tout à l’heure, s’il y avait des salles de sport. Tu te souviens ? Il s'explique, comme s’il avait lu dans mes pensées.

-Ah ouais, c’est vrai. Merci pour l’info.

-Cette fois-ci, j’y vais. Il lance en pivotant et s’éloignant de la table pour de bon.


Je termine mon pain au chocolat, puis m’attaque aux viennoiseries que mon père a laissé, pour ne pas faire de gâchis, puis je prends le temps de digérer avant d’appeler ma mère.

Autant mon père a paru étonné face à mes propos sur ma vision de la gestion des conflits dans les familles séparées ayant des enfants, autant je sais que pour ma mère, il faudra bien plus que quelques mots bien pensés.

Je vais sur mon Whatsapp et sélectionne son profil avant de cliquer l'icone téléphone. Elle décroche au bout de deux sonneries.


-Germaine, tu peux m’expliquer pourquoi Johnny n’a pas de tes nouvelles ? Où as-tu passé la nuit ? 

-Bonjour maman ! Comment vas-tu ? Tu as passé une bonne nuit ?Ah ouais moi aussi !

-Ah qui es-tu en train de parler ? Elle me demande sur un ton ferme.


Je me calme de suite. Je sais pas comment j’ai fait pour oublier l’espace d’une minute que j’avais ma mère au téléphone. Celle qui est capable de se prendre un billet pour venir me fiche une correction même à quarante ans. 


-Je te prie de m’excuser. Je dis d’une petite voix.

-Où as-tu passé la nuit ? Elle me demande sur un ton devenu tranchant.

-A l’hôtel, comme c’était convenu à la base. Je me suis arrangée avec papa. 


Je l’entends soupirer à plusieurs reprises à l’autre bout du fil avant de me dire avec plus de douceur dans la voix.


-....après ce qu’il s’est passé hier, je préférerais vraiment que tu ailles chez ton oncle. Je ne suis pas à tes côtés, je ne suis pas en mesure de t’intervenir dans l’immédiat s’il venait à t’arriver quelques choses. Si tu allais chez ton oncle je me sentirai beaucoup plus en sécurité.


Oh que c’est moche ! Ouh c’est même très moche ça ! La voilà qui joue la carte de la sensibilité pour m’amadouer. Elle m’expose de long en large et en travers les motifs de ses craintes, de ses peurs en extrapolant à mort -je vois maintenant d’où je tiens ça - avant de se mettre à renifler et me demander  une nouvelle fois de rejoindre le domicile de mon oncle.


-Non. Je réponds avec fermeté. 

-...Ketsia...

-Maman  ça ne sert à rien d’insister. Je lance en la coupant. Tu parles comme si je n’étais pas en mesure de prendre soin de moi, comme si j’étais une incapable, alors que ce n’est pas le cas. Je suis peut-être pas la fille la plus intelligente au monde mais je crois qu’avec les valeurs que tu m’as apprises et l’éducation que tu m’as donnée, je pourrai m’en sortir.


Bon, celui-là non plus je ne l’avais pas préparé mais je suis plutôt fière du ton, de la forme et du fond. Au vu des cartes que j’ai, je trouve que je m’en sors pas si mal. 


-Ketsia, s’il t’arrive quoi que ce soit, sache que je ne pourrai pas être sur place !

-Raison pour laquelle il faut que j’apprenne à faire sans toi. Tu ne seras pas toujours là. Tu te souviens ? C’est toi qui me disais ça quand j’étais plus jeune. 

-....

-Maman ?

-Okay. Fais comme tu veux, tu es prévenue.

-Mam…

"Clic"

Super, elle vient de me raccrocher au nez.

Je sais également de qui je tiens mon côté susceptible.

ça au moins, c'est fait. Je me dis en déposant mon téléphone sur la table. De toutes les façons, ça ne sert à rien de le prendre à coeur, même si ça me fait légèrement chier, je sais que tout comme moi, elle va passer finir par m’appeler un de ses quatre. Espérons juste qu’elle ne va pas mettre trop de temps.J’aime bien entendre sa voix légèrement rocailleuse se plaindre de tout et de rien. 

Je reprends le petit dossier que mon père m'a remis et passe encore une fois en revu la liste des postes qu'il m’a trouvée. Pour la plupart, ce sont des postes dans des ministères ou dans des entreprises privées qui correspondent plus ou moins à mon cursus universitaire. Pour ce que je lis, ça ne m’emballe pas trop mais les horaires et les salaires ainsi que les avantages ont l’air pas mal. Ah les joies du piston à l’africaine. En Europe, quand on parle de piston, il faut entendre par là “lettre de recommandation”, avec entretien à l’appuie pour valider le tout alors qu’en Afrique,quand on te parle de piston, on te place au job sans forcément vérifier si tu as les compétences et on s’assure que personne ne vienne t’emmerder parce que tu es fils de ou a été placé par…. Et on s'en fout que beaucoup de candidats dans la ville, soient plus aptes et aient les compétences  pour ce job.

Ouais, décidément l’Afrique ce n’est pas l’Europe.


“bizz, bizzz, bizzz”

Je regarde mon téléphone posé sur la table, en train de vibrer. Il affiche un numéro que je ne connais pas, mais un numéro d’ici. Intriguée, je décroche avec une petite voix et demande le nom de mon interlocuteur ?


-Et ça ne te gêne pas de me demander mon nom vilaine !

-AHHHHHH ! Clém’so ! Je crie comme une folle avant de me rappeler de l’endroit où je suis ! 

-Clém’fionton. Pourquoi tu cries mon nom ?

-Oh, je suis tellement contente de t’entendre ! Comment tu as eu mon numéro ?

-C’est la partie la plus honteuse du film. Tu ne devrais même pas avoir à me demander comment j’ai fait pour l’avoir puisqu’en toute logique t’aurais dû être celle qui me le donne.


Je souris tout en l’écoutant parler. Ah ma Clémence. C’est ma cousine, la fille de mon oncle du côté maternelle. On est très proches toutes les deux,et c’est avec elle que je faisais les quatre cent coups quand je venais au pays. C’est ma cassikue*, comme disent les gabonais. Une ancienne, le genre qui sait tout sur tout. Elle connait tout le monde, tous les endroits où il faut être, tout ce qu’i faut savoir , tout ce qu’il faut faire, ne pas faire. Bref, c’est une vraie cassikue et je suis bien contente de l’avoir au téléphone, avec elle, mon adaptation à la vie quotidienne va être assurée. 


-M’en veux pas Clem’so, je suis arrivée hier matin et en si peu de temps, il m’est arrivé tellement de choses ! 

-J’ai cru comprendre ça. Mais tu es où actuellement ?

-A l’Olympic Palace, j’ai pris mon petit déjeuner avec mon père.

-Hey ! Ba mpagui ya Vincent* ! Mais alors ! elle lance en riant. Bon madame qui prend son petit déjeuner avec son papounet à L’Olympic Palace, je suis chez la coiffeuse à Ouenze, le salon s’appelle Ebone, rejoins-moi. 


Puis elle coupe la communication. 

Bon, là encore je ne m’offusque pas, parce qu’elle fonctionne comme ça.

Je termine mon petit déjeuner, faut vraiment pas faire du gâchis, avant de ranger mes propositions d’emploi, les foutres dans mon sac et quitter les lieux.


J’emprunte un taxi, qui après discussion accepte mes 2500frcf pour me déposer, puis décide de me taxer de 6 mille lorsque nous arrivons devant le salon. 


-Mais monsieur, nous avons négocié un prix de 2500 francs, je ne comprends pas pourquoi cette hausse!

-Mais on a duré plus longtemps, il faut que je paie l’essence! Il me répond en élevant la voix pour m’intimider.

-6 mille quand même...

- C’est les prix, c’est les prix. Il répète avec agressivité. 

-D’accord. Je comprends. Je balance d’une voix faiblarde à peine audible.


Je fouille dans mon porte-feuille, à la recherche de mon porte monnaie et prendre un billet rose de 2000 frcf et le lui tends en lui disant:


-Ma, bonga ! 6000francs, 6000. Ya ntchi ? Ya Diamba ? ! *


Il se retourne vers moi visiblement surpris de m’entendre parler Lari. 

Et oui koko! Ce n’est pas parce que je donne l’impression d’avoir avalé toute la neige du mont blanc* que je ne demeure pas pour autant une bonne africaine. Je parle le Lari, le Téké et le Lingala, et je comprends le Mulukutuba et le Vili  pauvre tâche !


-Vous dès que vous entendez une personne parler avec un petit air de Guèle*, vous cherchez à l’escroquer. 

-Oh ! Mais non... Il sourit  en passant sa main sur sa tête l’air à la fois gêné et embarrassé. 

-Non mais ce n’est pas bien ! Ce n’est pas bien ! Si maintenant j’avais demandé à aller à Mafouta, tu allais me prendre combien 20 mille ? 30 mille ? 40 même !


Pour toute réponse, il continue d’afficher son air niais, tout en regardant par sa fenêtre côté conducteur. 


-Et puis coupe les chansons du Kilombo que tu écoutes, parce que ce que tu fais là c’est le péché ! Je crie en sortant de son taxi. 

-Et mes 500 ? Il a le toupet de me demander. 

-Tu voulais me taxer de 6000, moi je te taxe des 500.

-Non, non, non ! Il se met à crier. Non, non,non ! Kani,kani. Vutula mbongo za méno.*


Il s’énerve et pas qu’un peu le tonton !

Les taximen sont les premiers à vouloir escroquer les autres mais quand on veut leur rendre la pareille, ils sont les premiers à montrer leur crocs. Quelle hypocrisie !

Il commence à ameuter les foules avec le son de sa voix et je n’aime pas m’exposer devant les gens aussi. Je finis par lui donner ses 500, non sans l’avoir fait un peu tourner en bourrique. 

Je rajuste ma veste puis m’oblige à ne pas regarder le trottoir devant le salon et ouvre les portes.

Je suis agréablement surprise de découvrir un intérieur aussi sympa. Un mélange de marron, vert et orange qui rappelle la nature, avec des coiffeuses habillées d’orange et de marron.

Une demoiselle toute souriante s’avance vers moi et me propose son aide. Ce qui me laisse pantoise.

Je retrouve quand même mon français assez vite pour l’informer que je n’ai pas besoin de me faire coiffer mais que je suis venue rejoindre ma cousine, et à l’évocation de son nom, elle devient encore plus serviable.

Je la suis l’air impressionné en me demandant depuis quand on s’occupe aussi bien des clients à Brazzaville ?  


-Mince, je suis impressionnée par le service. Je marmonne doucement à l’oreille de Clémence en l'embrassant.

-C’est toi qui dors, sinon nous à Brazza, on avance. Elle me répond avec fierté.

-On avance, on avance, c’est mitigé hein.Vous avez toujours le même président et pas plus tard qu’il y a deux minutes, un taximan voulait me la faire à l’envers en me demandant 6500 pour venir ici.


Elle éclate de rire, arrachant une micro grimace à la coiffeuse qui doit être fatiguée de suivre les mouvements de sa tête, puis me dit entre deux éclats de rire:


-écoute aussi comment tu gorges! 

-Je ne gorge pas, je parle comme j’ai toujours parlé ! Je lance la bouille amarrée et les bras croisés

-Alors attends-toi à toujours être celle qu’on veut pigeonner !


Voilà les choses de ce pays ! je grogne intérieurement. Je n’apprécie vraiment pas qu’on essaie de me dribbler ni qu’on me malmène à cause de ma façon de parler. C’est une forme d'ethnocentrisme, ou pour aller plus loin de racisme. Parce que je ne suis pas née au pays, que je n’ai pas le comportement, l’accent où comme ils doivent le penser –à  tort – la  culture, ils me mettent à part et me font la misère. C’est nul, je trouve, parce que c’est ce genre d’attitude que l’on déplore de l’autre côté de la mer, alors qu’on ne fait pas mieux…. 


-J’espère pas que t’es en train de refaire le monde avec tes théories de racisme envers les noirs venus d’ailleurs ? Ricane Clémence

-C’est du racisme envers les noirs. J’affirme sans être surprise qu’elle devine mes pensées.

-Ils font ça pour gagner leur vie. C’est pas méchant. Tu sais comment c’est dur de se faire de l’argent ici.

-Ah parce que moi je n’ai pas trimé pour me faire cet argent qu’ils veulent me flouer ?

-Je n’ai pas dit ça, mais je comprends ce que tu ressens, tout comme je comprends ce qu’ils ressentent…. Tout ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a aucune forme de racisme derrière, c’est juste… un sale comportement ancré dans les mœurs africaines. Certains sont persuadés qu’en Europe, et en Amérique du Nord, la vie est beaucoup plus facile et c’est les personnes qui vivent dans ces continents, qui se pavanent avec des vêtements de marques en flambants leur beaux billets à peine froissés qui font vivre ses mythes. Sans parler de ce que la télé leur montre, on se retrouve avec des personnes comme les taximen qui veulent également une part et qui pour l’obtenir utilise parfois  la ruse. Pour que ça change, il faudrait revoir le système de pensée de tous. Réapprendre la notion de valeur, de travail, d’éthique, rééduquer les gens et ...Et tu me fais chier arrête de me regarder comme ça sinon je te donne une claque!


Je continue à sourire de toutes mes dents malgré sa mise en garde parce que je retrouve ma Clem’so ! 

J’aime la voir développer ses réflexions. Elle est vive, à toujours des remarques pertinentes qui peuvent certes être nuancés ou démolis, mais restent toujours intéressantes. Elle a une bonne culture générale, est ouverte au monde et a une soif d’apprentissage qui m’émeut, mais personne ne le sait. Personne excepté ceux qui la connaissent réellement. Elle préfère être aux yeux des autres, Clem’so, la fille qui connaît tout sur tout lorsqu’il s’agit de connaître la situation amoureuse de telle ou telle personne, l’endroit où il faut sortir, manger, se faire voir… Selon elle, c’est beaucoup mieux comme ça parce que « On écoute beaucoup plus les belles filles un peu cruches, acculturées et un peu moins les belles filles avec une tête bien faite. »


-Tu es même laide avec ton sourire, tu ressembles à  « Bobo the fool » !

-C’est que Bobo à un super sourire. J’affirme en souriant un peu plus, avant de m’emparer du magazine qui est en face de moi. 


Je le feuillette plus que je ne le lis, jusqu’à ce que je tombe sur trois lettres capitales écrites en blanc et soulignées de vert : VMK.

« Vou Mou Ka » ou « Verone ManKou ». L’article que j’ai lu dans l’avion a piqué ma curiosité et en bon agent de Cuantico pas encore recruté, j’ai fait quelques recherches sur lui. Bon, okay, il serait plus judicieux de dire que j’ai joué les stalkers. En une soirée et quelques clics, j’en ai appris beaucoup sur lui, mais pas autant que je le voudrais. 

Le souci avec internet et l’Afrique, c’est qu’il n’y a pas assez de contenu et le peu de contenu diffusé n’est pas assez alimenté. Tu cherches une information sur Brad Pitt, tu finis par te retrouver avec son arbre généalogique, mais fait la même recherche avec Michel Gohou, c’est à peine si tu réussis à trouver sa date de naissance -la vraie bien évidemment…. C’est vrai que ça peut aussi être vu comme une des dernières tentatives de sauvegarde de la vie privée, mais pour les traqueurs comme moi, ce n’est vraiment pas l’idéal. Qu’à cela ne tienne, je suis sur place, et une chose est certaine, quand on est sur place, il n’y a pas besoin d’internet, il suffit de se brancher sur « Radio Songui-Songui », la radio nationale qui vous dit tout, sur tout le monde ! A coup sûr, je trouverai plus d’information…


-Et sinon, vous avez parlé de quoi avec le vieux ? Reprend Clem’so.

-Du taff. Je réponds évasive, en continuant à tourner les pages du magazine.

-Il t’a déjà mis sur un poste ?!

-Si on veut… Il m’en a proposée plusieurs. 


Je dis cette phrase sur un ton traînant qui suppose que je ne dis pas tout et Clémence le comprendre puisqu’elle me pose le fameux “Mais”, que j’attends pour lui expliquer ce qui me tracasse.

Avant de lui parler, je jette un œil au miroir pour m’assurer que la coiffeuse n’a pas les oreilles tendues vers notre discussion, histoire qu’elle ne me prenne pas pour une folle et constate qu’elle est concentrée sur une mèche rebelle qu’elle tente de “piquer” à l’arrière de la tête de Clémence. Je dépose donc mon magazine puis m’avance vers Clem’so et lui dis sur le ton de la confidence:


-Y’a rien qui m’emballe parmi les postes qu’il m’a proposée. Ils sont tous dans l’administration ou dans des entreprises privées et impliquent que je sois enfermée dans un bureau, avec beaucoup de paperasses. Le genre de boulot ennuyant. Moi pour m’épanouir professionnellement, j’ai besoin de faire un boulot qui me passionne, qui me prend aux tripes ! Ce n’est que dans ces conditions que je suis productive, mais dans un bureau…. Si j’ai tout quitté en France pour venir ici, ce n’est pas pour retomber dans le même train-train…. Okay, j’ai des avantages non négligeables et au regard de la conjoncture économique actuelle, je devrais même pas me plaindre mais il n’en demeure pas moins que je le fais, je me plains. 

-....je vois…. Et il n’y a pas moyen qu’il te trouve quelque chose dans le secteur que tu recherches ? 

-Non je ne pense pas. Je réponds dans un soupir.  Il a pas l’air de cerner ce que je veux.

-Mais qu’est-ce que tu veux ? Dans quel domaine tu recherches ?

-Je ne sais pas. Dans tout pourvu que ça bouge. Que ce soit un projet, une création d’entreprise, peu importe. Il me faut un poste où mes compétences sont utilisées, où je suis en contact avec du monde, où je peux être un apport réel ! Tu vois le genre ? Je dis en gesticulant.

-Hummm. Merci pour cette réponse en désordre. Vraiment la France gâte les enfants. Elle balance en sortant son téléphone. Heureusement que j’ai compris ce que tu voulais dire. Je vais voir ce que je peux faire pour toi, mais je ne te promets rien. En attendant, parle-moi un peu des offres qu’il t’a proposées. 


Je lui liste les différents postes en lui donnant le maximum d’information, puis reçoit en retour son avis.

A la fin de notre échange, j’ai une vague idée du poste que je réussirai plus ou moins à supporter, si j’étais vraiment obligée de choisir parmi ceux qui me sont proposés, mais je me fais la réflexion que je devrais également chercher de mon côté parce que je ne supporterai pas bien longtemps. 


-Bon, je vais devoir y aller. Je lance en réunissant mes affaires. Il est déjà 16 heures et j’avais rendez-vous avec mon père il y a déjà une heure. 

-Mais ce matin tu étais avec lui non ?

-En effet, mais on n’a pas vraiment eu le temps de parler. On a parlé travail, mais pas de façon approfondie. 

-Hum. Okay. Et tu penses que ce soir tu pourras sortir où tu comptes passer la soirée avec lui ?  

-Je sais pas trop, j'te tiens au courant. Je lui réponds en attrapant mon sac à main.


Je quitte le salon, non sans avoir pris quelques informations sur les tarifs pratiqués, puis je vais à la recherche d’un taxi. 

Il me faut bien cinq bonnes minutes, non pas pour trouver un taxi mais pour trouver le moins escro des deux. 


Il est 16h45 quand j’arrive chez mon père. 

Je le trouve au salon, assis dans un fauteuil, une jambe posée sur l’autre, en train de lire un journal.


-Toc, toc toc ! Je dis en entrant.

-Ah enfin tu es là ? Je pensais que tu avais oublié qu’on devait se voir. Tu n’as pas vu mes messages et mes appels.


Si si très cher père, j’ai vu ta multitude de messages et d’appels mais disons que je n’arrive pas encore à me faire à la notion « d’harcèlement  paternel ». Je ne suis pas encore habituée à ce que l’on m'étouffe.


-Euh...Non. Mon téléphone était déchargé.


C’est pas beau de mentir, mais je pense pas qu’il aurait aimé entendre la vraie raison de mon silence.


-Ah, d’accord. A l’avenir, assure-toi toujours que ton téléphone est chargé avant de sortir. S’il t’arrive quelque chose, je pourrai rapidement en être averti…


J'acquiesce en étirant au max mes lèvres, même si dans le fond, j’ai simplement envie de l’envoyer bouler. 

Je n’apprécie pas qu’il me parle comme à une gamine de seize ans. Il a justement une gamine de cette âge qui, j’en suis certaine serait ravie d’entendre ses « précieux conseils ».

Je l’écoute encore pendant cinq bonnes minutes me « prodiguer des conseils » puis je pousse un soupir de soulagement quand je vois apparaître sa fille qui reste plantée sur le pas de porte menant au couloir, un sourire timide aux lèvres. 


-Tatianna ! Ne reste pas figée dans l’embrasure de la porte et viens saluer ta sœur. L’incite-t-il.


Ah mince, c’est vrai qu’elle s’appelle Tatianna.

Je peux pas m’empêcher de grimacer en entendant son nom. Tatiana. Je déteste ce prénom. C’est celui de la péripatéticienne métisse, venue des îles et de je ne sais quel pays slaves, qui voulait se faire mon ex –et qui a accessoirement réussi. Je ressens de l'antipathie envers toute personne qui porte ce prénom...


-Bonsoir yaya. Elle marmonne presque, en venant vers moi pour m’embrasser. 

-Bonsoir.

-....Tu es toute jolie ! Elle me complimente en baissant ses yeux, après m’avoir lâchée.


Oh qu’est-ce qu’elle est mignonne avec son timbre fluet !

Ouais, mais méfis-toi quand même. Elles sont toujours mignonnes au début, puis après elles te montrent le feu, me murmure une petite voix dans ma tête. 

Ah ! C’est pas faux. Un point pour la voix, mais on va partir du postulat que c’est ma sœur, qu’elle ne peut pas être une nuisible et est donc l’exception qui confirme la règle.  


-Merci ! Toi aussi t’es jolie ! 

-Merci….Je suis contente de pouvoir enfin te voir. On va pouvoir apprendre à se connaître et tisser des liens fraternels.


Hawn ! Mais elle est vraiment trop chou !.


-On devrait prendre quelques photos. S’exclame mon père. 


Euh, je veux bien qu’on joue un remake de « La petite maison dans la prairie », mais pour les photos ça va être compliqué. J’ai passé toute la journée dehors et mon maquillage n’est plus aussi frais !

J’essaie de le faire comprendre à mon père, mais il s’en fout complètement de mes propos et dégaine son téléphone en mode selfie. Et nous voilà partie pour une petite séance photo. 

Après quatre-cinq clichés, sa femme fait à son tour son entrée dans le salon et finit par taper l’incruste dans nos photos. 


-Oh, elle est réussie celle-là. Se félicite mon père en regardant une photo des photos juste après la séance. Je devrais la faire sortir et l'agrandir. 


Je me place à ses côtés pour juger et…. Mouais…. Elle passe.

On a l’air d’une jolie petite famille, mais quand on regard de plus près, on voit la tête de mon père collée à celle de sa femme, qui a elle le bras autour du cou de sa fille. Moi je semble un peu à l’écart… Enfin bon.


-Et si on passait à table ? Propose mon père, après avoir enfin fini de contempler sa photo.

-Bah, en fait, je ne vais pas pouvoir rester. J’annonce l’air dépité. J’avais oublié que j’avais un rendez-vous juste après. Comme je suis arrivée en retard, les deux se chevauchent. Mais on se fait ça une prochaine fois ? Okay

-Mais….


Ils ont tous l’air surpris et je ne leur laisse pas le temps d’argumenter; je sors rapidement de la maison comme si on venait de m’apprendre que le diable y séjournait. 

Derrière moi, j’entends la voix de mon père prononcer à plusieurs reprises mon prénom, mais je continue à l’éloigner et arrive au portail où je me faufile rapidement entre la petite ouverture, sous le regard perplexe des gardiens. 

Je me mets à courir et ne m’arrête que lorsque je sens mes jambes devenir trop lourdes et ma gorge brûlante. 

Alors que mon pouls bat à tout rompre et que je tente de réguler ma respiration, je surprends des regards interrogateurs sur moi. 

Quoi ! Vous voulez ma photo ?! Vous voulez que je vous dise que je me suis sentie tellement étrangère, et mal à l’aise face à cette famille que je suis partie ? Que j’ai eu l’impression de trahir ma mère parce que jusqu’à présent, les photos de famille, ce n’était qu’avec elle que je les faisais ? 

Au lieu de réussir à reprendre mon souffle, je me mets à respirer encore plus vite, et beaucoup plus profondément. Ma respiration est plus saccadée que jamais et je me rends compte que je suis en train d’hyperventiler. 

Punaise mais depuis quand J’hyperventile moi ?


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*ba mpagui ya Vincent: qui se traduit littéralement par "les amis de Vincent", qui signifie “les autres”. 

*ma bonga. 6000 ya ntchi, ya Diamba? : tiens, prends. 6 mille francs de quoi ? Du chanvre ? 

*avoir avalé toute la neige du mont blanc: expression qui signifie, gorger. 

*Guèle:  argot pour parler de l’Europe et plus précisément la France.

*kani kani, vutula mbongo za méno : non,non rends moi mon argent.



Hey ! Hey ! Hey ! Mais qu'est-ce qui arrive à votre Séductrice en carton ? 

Motivez-moi et j'essaie de vous balancer une suite mercredi ! 

Des bisous en pagaille ;)

Tiya,

GERMAINE KETSIA MASS...