Foudroie-la !

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre VIII 

-Ket-sia Ket-sia approche-toi de moi, approche-toi de moi, approche-toi de moi. Ket-sia, Ket-sia approche-toi de moi, approche-toi de moi, approche-toi de moi.

 


« Oh baby, je t’emmènerai loin, (baby-baby)! Je t’emmènerai loin (baby-baby). Je t’emmènerai loin (baby-baby). Je t’emmènerai loin ma chérie-chérie! »

-J’ai les mains qui tremblent. J’suis un négro fragile-euh. Oh baby, j’ai les mains qui tremblent. J’suis un négro fragile-euh. J’ai les mains qui tremblent. J’suis un négro fragile-euh…

« Bizzzz, bizzz, bizzzz »

La vibration de mon téléphone stoppe tous mes mouvements, me faisant suspendre l’application de mon mascara sur mes cils ainsi que l’interprétation de ma version revisiter de « Je t’emmènerai loin » de Levis Dalwear. Cette chanson c’est vraiment de la daube, mais il suffit de l’écouter à un moment de sa vie où les petits papillons de l’amour s’amusent à voler dans ton estomac pour lui trouver un petit quelque chose. Moi j’ai fait l’erreur de l’écouter après un rencard avec Manuel, un beau parleur qui a réussi à me faire croire durant toute une soirée qu’en me mettant en couple avec lui, je serai la femme la plus importante à ses yeux et qu'il 

«m'emmènerait loin». 


C’est quelques jours plus tard, quand je suis tombée sur sa petite famille composée de sa femme, sa petite fille et lui-même, en balade que j’ai compris que c’était surtout un très bon menteur, le genre qui te fait être la femme la plus cocue du quartier et qu'il serait surtout capable de m'emmener très loin dans les problèmes. 

« Bizzz, bizzz, bizzz » 
L’insistance de la sonnerie me fait revenir à mon téléphone que je décroche in extrémis. 

-Est-ce que tu es prête ? Me demande Clémence.
-Oui madame. Je réponds en reprenant l’application de mon mascara. 
-Non mais est-ce que tu es vraiment prête ? Parce que je ne veux pas avoir à me déplacer pour encore devoir t’attendre ! Elle gronde comme si elle pouvait m’intimider. 
-Oui, oui je suis prête. J’étais en train de finir de mettre mon mascara quand tu m’as appelée.
-Okay. Je suis là dans moins de vingt minutes. T’as pas intérêt à avoir menti !
-Top.

Je coupe la communication et recommence à déformer la pauvre chanson d’autrui avant d’enchainer le même yaourt sur une chanson de Konshens. 

-Nani-nani-nani bruk off your back, bruk off your back, bruk off bruk off, bruk off your back !

Tout en chantant, je m’éloigne du miroir et exécute quelques pas de danse, en me jugeant de la tête aux pieds. Mon tissage est impeccablement lissé avec quelques ondulations sur les bouts, mon maquillage dans les tons nudes, ne fait pas faux, et ma robe ne remonte pas trop lorsque je me trémousse. Mes attributs ne sont pas exposés.

-Parfait. Je conclus, une fois l’examen fini. 

J’attrape mon téléphone, puis quitte la salle de bains et vais me chausser d’une paire de talons orange, pour faire ressortir la couleur de mes jambes et casser le noir de ma robe. 
Je reprends mon téléphone, que j’ai précédemment posé sur le lit, et veux le ranger dans mon sac-pochette lorsqu’il se met à vibrer de nouveau entre mes mains. Un coup d’œil à l’écran m’informe qu’il s’agit de mon père, et comme si de rien n’était, je coupe l’appelle et range mon téléphone.

Ce soir, il faut que je m’amuse pour oublier un peu ce qu’il s’est passé cette après-midi. 


Il m’a fallu dix bonnes minutes pour me calmer, et j’étais tellement assommée que je suis montée dans le premier taxi qui s’est arrêté à ma hauteur sans prendre le temps de négocier un quelconque prix.
Ça doit être la dixième fois qu’il m’appelle mais je ne réponds pas. C’est en totalement opposition avec les intentions que j’avais en venant ici mais je ne peux pas faire autrement, c’est comme ça que je fonctionne. 

Mon téléphone vibre encore une fois et je le sors rapidement pour voir cette fois un message de Clems’so qui m’informe qu’elle est arrivée.
Je me lève d’un bon du lit, place mon sac-pochette sur mon épaule puis me regarde une dernière fois dans le miroir avant de sortir de la chambre d’hôtel.

*
* *

Je jure que plus JA-MAIS, je dis bien JA-MAIS, ne boirai un verre d’alcool. C’est fini, fini de chez fini. Y’en a marre de se réveiller avec une gueule de bois atroce, le visage tellement pale qu’il réussirait à faire passer un zombie, pour un vacancier au teint hâlé. Non, non, je ne veux plus, de tout ça. Je fais le serment d’arrêter de boire. Je lève ma main…. Enfin, quand j’aurai cuvé, je lèverai ma main droite au ciel et je jurerai sur la tête d'un sorcier de la famille, de ne plus boire. Je me dis avec conviction.
Malgré mon état vaseux, je me lève sous les injonctions de ma vessie qui demande à être vidée de toutes les conneries liquides consommées. 

Je n’imaginais pas une seconde, que le trajet entre ma chambre et la salle de bains pouvait être aussi long et tortueux. Je me cogne à plusieurs reprises et dois supplier ma mémoire pour réussir à me repérer les yeux fermés, tout ça parce que ma vision a décidé d’être en 3D.
Quand je sors de la salle de bains, je tombe sur Clem’so, assise sur le lit, plus rayonnante que jamais. On croirait pas qu’on était ensemble hier soir. 


Faut que je lui demande comment elle fait ça.

-Hey madame Mankou ! Elle crie à me voyant.
-Pitié, arrête de crier. Je maugré en bouchant mes oreilles. Tout ce que j’entends est amplifié par mille! 
-Excuse-moi madame Mankou. Tout à l’heure ça ira mieux. Elle lance avec un air moqueur.
-Pourquoi tu m’appelles madame Mankou ? Je lui demande en me ruant dans le lit.
-Ah, mais c’est ce que tu criais hier soir. Tu as oublié ?

Au petit sourire diabolique qu’elle arbore, je suis certaine de trois choses ; Hier j’ai du boire comme un trou, ce qui m’a poussé à dire de grosses conneries, et Clem’so s’est fait un plaisir de tout filmer pour me le ressortir au moment où je m’y attendrai le moins, j'en suis quasiment sûr. C'est son genre. 

-J’ai aucune idée de ce qu’il s’est passé hier. Je grogne en remontant les draps sur moi. Mais si t’effaces pas les preuves compromettantes que tu as sur moi, je jure que je te tuerai, sœur ou pas sœur. Tu es prévenue, fait le bon choix.

Elle pouffe à plusieurs reprises et finit par éclater de rire, pour mon plus grand malheur. Et les oreillers posés sur ma tête ne peuvent atténuer le son de sa voix.

-Non mais hier tu t’es lâchée ! 
-….
-Au début tu étais calme. Quand on était au Cléopatra, tu as pris ton air renfermé, et je me suis dit que c’était une mauvaise idée de te faire sortir, tu étais peut-être encore fatiguée du voyage. Mais lorsqu’on a quitté le bar, pour aller au No Stress puis au Jeff ! Tu t’es transformée !
-….
-T’as dansé sur toutes les chansons comme si ta vie en dépendait ! Tu venais seulement à la table pour « recharger tes batteries » comme tu disais. T’as rendu dingue David !
-C’est qui David ? Je demande curieuse.
-Tu te souviens pas de lui ? C’est avec lui que tu dansais dès qu’il y avait une musique qui nécessité un duo. Mais quand à la fin, il t’a demandé ton numéro de téléphone, c’est là qu’t’es partie to-tale-ment en vrille. A base de « non, j’peux pas, je vais bientôt devenir madame Mankou. J’dois me préserver. Je veux pas le rendre jaloux. Il ne sait pas encore que je suis sa future femme mais à n’en point douter, il n’appréciera pas.». Un gros délire ! 

Quoi ? Non, j’ai pas pu faire un truc aussi stupide ? 
Je sais que quand je traque une personne, je la garde toujours en tête, mais pas au point de sortir des conneries pareilles. 

-T’es pas sérieuse ! Je dis en me retournant tant bien que mal vers elle.
-Je t’assure ! Et tu t’es inventée une vie avec lui. Mamé, regarde seulement ! 

Aussitôt dit, elle dégaine son téléphone, et en quelques glissades, lance une des nombreuses vidéos, immortalisant ce moment stupide et gênant de ma vie. Qu'est-ce que je disais, elle a tout filmé.
C’est avec effroi que je constate qu’elle n’a pas menti, et que c’est même pire que ce qu’elle m’a expliquée. Une fois la vidéo finie, je visionne toutes les autres pour avoir une réelle idée de l’étendu de ma bêtise et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est large.
Les images que je vois, la jeune demoiselle sur les vidéos, c’est pas moi. Non, c’est pas moi. Je refuse de reconnaître un lien entre elle et moi. 
Toute ma vie j’ai travaillé mon image face aux personnes qui m’entourait, pour qu’elle reflète ce que je suis ; une jeune femme courtoise, pleine d’éducation, avec un petit gout prononcé pour le bavardage. ET C’EST TOUT ! 
Dans l’éducation que j’ai reçue, il n’y a aucune option soularde-bavarde !
J’ai jamais eu un comportement aussi stupide et il fallait que la première fois que je me prends une cuite aussi démente, ce soit ici au pays ! 

-A c’était mémorable! Ajoute Clem'so en faisant défiler les photos sur son téléphone.
-C’était pas moi.
-Et c’était qui alors ? Le pape ?
- C’était pas moi je te dis. … 

Je suis incapable de me comporter de cette façon. Je rajoute pour moi-même. Puis prise d’une illumination, je me redresse d’un bon, le sourire aux lèvres et lance avec affirmation :

-Mais oui ! C’était vraiment pas moi ! La Ketsia que vous avez tous vu hier n’est que la conséquence du trouble que j’ai subi en fin d’après-midi ! 
-Qu’elle trouble ?
-Comment ils appellent ça encore. Je me questionne sans répondre à sa question…. Un trouble post stress traumatique ! Je lance en claquant des doigts. Ouais voilà! 
-Un trouble post stress traumatique ? Elle répète perplexe. 
-Oui, c’est ça ! J’étais pas bien après ce qu’il s’est passé avec le vieux et..et c’est bien plus tard dans la soirée que le symptômes de la folie m’est apparue. Je termine en me rallongeant. Je savais que j’étais pas aussi délurée. 
-N’importe quoi toi ! Et c’est quoi ce trouble que tu prétends avoir subi ? 

Je suis pas trop emballée à l’idée de lui raconter ce qu’il s’est passé parce qu’avec du recul, je rends compte que me réaction était enfantine et démesurée, j’ai été piquée par la morsure de l’envie, de la jalousie, un peu de la convoitise et tout ça en même temps, ce qui m’a chamboulé. J’ai détesté me sentir aussi exclue alors que tout ce à quoi j’ai toujours aspiré c’était d’avoir une vraie famille, de préférence non recomposée avec un père, une mère, des frères et des sœurs, et tout ce que je désirai, c’était lui, mon père, celui qui se réjouissait de sa photo qui m’empêchait de l’avoir puisque c’était lui qui était parti. D’où le ressentiment envers lui… C’est durant le trajet que j’ai eu le temps de penser à tout ça.

-Ketsia ?

-Hein ? ....Euh, bah en fait... 

Je lui raconte ce qu’il s’est passé, de la séance photos, à mon hyperventilation en passant par ma fuite, puis lui explique ce que j’ai ressenti et surtout pourquoi j’ai accepté de sortir, et me suis comportée comme on l’a vu sur les vidéos.

-Mais pourquoi tu ne m’as rien dit ?
-Je te rappelle que t’étais à fond dans ton téléphone. C’est d’ailleurs pendant ce moment que j’ai fait une mini revue de ce qu’il s’était passé. 
-Désolée…. Mais pour ton père, je ne pense pas qu’il ait fait ça dans l’intention de te blesser.
-Je me doute bien, et heureusement. 
-Tu l’as appelé depuis ? 
-Pour info, il y a encore quinze minutes, avant que tu ne rentres, j’étais en train de dormir. 

-Hummm...

-Bon, même si j’aimerai bien savoir comment t’as fait pour rentrer, et pourquoi tu es venue, je vais sauter ces questions et simplement te demander de partir. J’ai du sommeil à rattraper. Je dis en remontant de nouveau les draps sur moi. Oh ! Dernière chose ;efface les photos et vidéos que t’as de moi.

Je ferme les yeux, puis me positionne confortablement et dos à elle, mais je ne sens aucun mouvement de sa part, elle n’a pas l’air de vouloir partir.

-Faut calmer tes manières de toubab et plutôt me dire merci. Je t’ai ramené jusqu’à ton lit alors que tu ne tenais même plus debout.
-T’es ma sœur et c’est toi qui m’as fait sortir. T’avais pas le choix !
-Qui t’a menti comme ça ? C’est parce que moi j’ai du cœur, sinon d’autres t’auraient laissé là où tes jambes s’étaient arrêtées, sœur ou pas . Bref, trêve de bavardage, vas te laver on va manger. 
-Hum-Hum. Désolée, cette fois, je passe mon tour.
-Refusé. Tu ne peux pas me dire non. En plus, on va juste manger, ça va te faire du bien. Quand tu vas rentrer, tu pourras dormir paisiblement. On va au Terminalia, là-bas…

Je n’écoute même plus ce qu’elle me dit, mais elle s’en moque et continue de me décrire son restaurant. C’est une vrai chieuse ma parole, pire que moi. Quand elle veut quelque chose, elle fait toujours tout pour l’obtenir. Même à mes dépends. 


Après quinze minutes d'argumentaire à deux balles, je finis par céder et me lever en direction de la salle bains. Je passe devant un t-shirt que j’ai sorti la veille à l’effigie de l’Empire State building et un flash de Jay-Z dans ce que je crois être l’une des boites où l’on s’est arrêtées, s’impose à mon esprit. 

-C’est moi où hier il y avait Jay-Z dans une des boites où on s’est arrêtées ?
-C’était son cousin, Gray-Z de O, pour Ouenzé. Me répond-elle avant d’éclater de rire.

Humm. Ça doit être une private joke entre elle et elle-même, je me dis en poursuivant mon chemin.

*
* *

-Alors ? Me questionne Clémence avec cet air à la fois moqueur et vainqueur que je déteste tant !

Je réponds pas à sa question, je ne réponds jamais à la provocation. 
Je me contente de la regarder de travers tout en coupant ma viande avec les mains. 
C’est dingue comment c’est bon, mais j’ose pas faire de commentaires avec Clem'so en face. Durant tout le trajet, je n’ai fait que grogner, et grogner et encore grogner. Faut quand même qu’à un moment je puisse prétendre être un tant soit peu crédible ! 

-Tu veux dire que tu n’apprécies pas ce que tu manges ? 
-Il fait chaud, y’a trop de moustiques. Je dis comme s’il s’agissait de la réponse à sa question.
-T’es vraiment de mauvaise foi, c’est pas possi….. ! Oh, c’est pas vrai !
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-Juste derrière toi, y’a ton futur mari !

Hein ? Mais de quoi elle parle ? Je suis son regard et…. Me retrouve nez à nez avec Verone Mankou. Mince ! Quand je dis que Brazza est tout petit ! Il est encore plus mignon en vrai ! Puis il a l’air de ne pas trop se prendre la tête. Bon point pour lui !

-Va lui demander un autographe et un selfie. Me propose Clem'so.

Hell no !
Ça ne fait que deux jours que je le traque, il faut me laisser le temps d’en apprendre un peu plus sur lui.

-Non, je…

Je n’ai même pas fini ma phrase que Clem's s’est déjà engagée vers sa table.
Seigneur, non, ne me dis pas qu’elle va faire ça. Seigneur, je sais que c’est ma sœur mais tu sais également qu’elle est capable de tout alors je t’en prie…Foudroie-là sur le champ !



GERMAINE KETSIA MASS...